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Le poids démographique croissant que représentent les personnes âgées dans les sociétés industrialisées et les bouleversements économiques et culturels que cela a entraînés ces dix dernières années dans les représentations sociales et les soins et services aux personnes âgées soulèvent la spécificité de la signification et des pratiques de la solidarité familiale et sociale qu’induisent les liens intergénérationnels dans nos sociétés. Au Québec, les personnes âgées de 65 ans et plus, c’est-à-dire comprenant au moins deux classes d’âge, représentaient, en 2001, 12,9 % du total de la population et en 2051, elles représenteront 29,4 %. Entre 1971 et 1996, le pourcentage des personnes âgées avait doublé (CSBE, 2001) et en 1994, plus de 50 % d’entre elles vivaient dans la pauvreté (MSSS, 1999). Nous nous proposons ici de démontrer que, au-delà des visions alarmistes découlant des analyses économiques et statistiques relatives au vieillissement des populations, c’est à partir de la dimension sociale de l’âge biologique (Guillemard, 1990) et sur son corrélat, la construction collective et temporelle des générations (Pitrou, 1995 ; Attias-Donfut, 1988), qu’il faut envisager la question de la solidarité familiale et sociale dans le contexte actuel. Plutôt que de considérer le vieillissement comme une source de maladies et d’incapacités, nous mettons l’accent sur les nouveaux impacts sociaux de l’économique et de la dynamique des liens intergénérationnels actuels et à venir (Guberman, 1999 ; Vaillancourt et Jetté, 1997 ; Haldeman, 1995 ; Attias-Donfut, 1988).

Les questions se rapportant à la dimension sociale de l’âge biologique et à la construction collective et temporelle des générations relancent avec pertinence le débat à propos de l’intégration sociale des personnes âgées énoncée dans la politique de santé et du bien-être du gouvernement du Québec : faut-il s’en tenir à l’examen des obstacles à l’intégration sociale des personnes âgées ou bien se mettre à l’étude de l’aspect mobilisateur des nouvelles formes que pourrait prendre la solidarité sociale (alors envisagée comme une certaine reviviscence de l’antique qualité de citoyen dans la cité) ? Tout en considérant les obstacles à l’intégration sociale des personnes âgées comme l’une des composantes de la structuration psychosociale de la personne dans son milieu d’appartenance, nous interrogeons les formes de solidarité sociale pouvant se traduire en actions de prévention et de promotion de la santé et du bien-être.

La génération, les liens intergénérationnels et la solidarité sociale

Au Québec comme dans les autres sociétés industrialisées, les personnes âgées se caractérisent par une diversité sociale et idéologique qui induit des formes spécifiques de solidarité et de conscience sociale (Vaillancourt et Jetté, 1997 ; Pitrou, 1995 ; Conseil de la famille, 1994). En effet, il en est de la génération des personnes âgées comme de toutes les générations : elles ne peuvent pas être définies seulement en termes d’âge, de cohorte ou de conditions sociales. Outre le fait que la diversité sociale et idéologique des personnes âgées soit déterminée en fonction du sexe, du revenu, de la scolarité et du niveau d’insertion dans les réseaux familiaux, communautaires et sociaux (Ulysse et Lesemann, 1997), l’étude des personnes âgées en tant que membres d’une génération relève aussi de la conscience individuelle et sociale que le sujet a de sa génération (Tassé, 1995 ; 1991). Selon Attias-Donfut (1988), bien qu’elles constituent le groupe social le plus assujetti aux règles de délimitation des phases du cycle de vie dans les sociétés occidentales (ex. : la détermination de l’âge de la retraite ou les politiques sociales spécifiques de la vieillesse), les personnes âgées ne représentent pas strictement une génération au sens classificatoire ou au sens de positionnement dans les rapports sociaux comme on en trouvait, par exemple, dans les sociétés africaines traditionnelles.

La conscience de génération a une spécificité cognitive et symbolique qui se développe chez le sujet dans sa perception et son articulation de l’histoire contemporaine et de la mémoire collective (Noël et Tassé, 2001 ; Kaës, 1989 ; Attias-Donfut, 1988). La génération se construit durant une vie entière au fur et à mesure du vieillissement par imprégnation du temps historique vécu à partir duquel elle se crée elle-même. Le vieillissement social et la formation des générations relèvent donc de processus communs et solidaires ; leur singularité est caractéristique de la période qui les constitue. En conséquence, l’empreinte effective du temps sur les générations successives ne se confond pas avec les définitions sociales qui en sont faites puisque cette empreinte relève d’un autre niveau d’analyse : celui de l’interface, entre temps individuel et temps social, où se développe un espace de production de produits mentaux repérables en tant que signes auxquels sont reliées des significations et des actions singulières.

La génération est une totalisation secondaire, réalisée après coup, d’une durée concrétisée par des événements, des faits sociaux, des oeuvres, entre lesquels une continuité est établie par les discours sociaux, les représentations sociales, les idéologies. Elle a cependant de fortes résonances dans les vies individuelles, des points de contacts multiples, des recouvrements partiels, elle est symbolisée par des groupes, par des personnes, autant de médiations repères qui facilitent les correspondances entre ses membres comme entre durée individuelle et durée commune, entre temps privé et temps public.

Attias-Donfut, 1988 : 229.

La conscience de génération n’est donc pas une conscience immédiate. Elle s’élabore dans le continuum formé par les liens intergénérationnels dans un rapport de référence / opposition aux autres que sont les prédécesseurs et les successeurs sur les plans familial et social. En ce sens, elle est constitutive de l’identité individuelle et sociale du sujet humain. Sur les plans individuel et collectif, l’intensité des liens intergénérationnels est repérable par le degré de réceptivité ou de sensibilité à un événement et par la structuration et l’interprétation des expériences vécues depuis la naissance (Attias-Donfut, 1988). C’est à partir des actions mises en oeuvre grâce à une prise de conscience de génération que l’on peut parler de solidarité et la définir. Ces actions de solidarité peuvent être d’ordre privé, à l’échelle de la parenté ou du lieu de vie, ou d’ordre public, communautaire, ou bénévole, à l’échelle de la collectivité, à l’échelle locale ou nationale (Martin, 1995). Au niveau formel, elles découlent des politiques sociales qui forment le système de protection sociale (Roy, 1998 ; Martin, 1995). Ce sont aussi ces formes d’entraide et d’échange qui relèvent des pratiques de l’économie informelle, dite économie substantielle dans le cas de la circulation des échanges dans la parenté, échanges dont les rapports avec l’économie de marché restent à déterminer lorsqu’ils réfèrent à la dépendance et à l’autonomie des personnes âgées (Vaillancourt et Jetté, 1997 ; Godbout, Charbonneau, Lemieux, 1996). Les exemples les plus révélateurs des diverses formes que peut prendre la solidarité familiale et sociale sont effectivement ceux qui se rapportent aux questions de la prise en charge des personnes âgées dépendantes. Qui doit les prendre en charge et en assumer les coûts ? La collectivité, la communauté de vie, les proches ?

La question de la dépendance des personnes âgées nous ramène inévitablement à la nécessité de réfléchir aux fondements de la solidarité ainsi qu’à l’articulation entre interventions publiques et obligations privées (Martin, 1995). D’où la pertinence des questions épistémologiques et pratiques que soulève l’économie sociale, désignée aussi économie solidaire ou tiers secteur (Lévesque et Mendell, 1999 ; Vaillancourt et Jetté, 1997), relativement à l’organisation et à la dispensation des soins et services aux personnes âgées au Québec. Pour expliquer la place du tiers secteur dans le système économique, chercheurs et praticiens dans ce domaine s’appuient sur la définition du concept de politiques sociales de Marshall stipulant que, pour obtenir les résultats que le système économique n’obtiendrait pas de lui-même, il faut que l’État intervienne avec l’objectif de dépasser et de compléter le fonctionnement du système économique en se basant sur des valeurs autres que celles qui sont déterminées par les forces du marché (Vaillancourt, 1999). Ces valeurs autres sont reliées aux manifestations de solidarité sociale. En cette matière, la recherche reste à faire sur l’examen des points de contacts et d’articulation entre l’échange informel, dans l’espace privé et public, et l’intervention auprès des personnes âgées en vue de favoriser leur autonomie et leur participation sociale.

À cause de l’image de l’engrenage qui métaphorise leur succession, l’idée de solidarité semble incluse dans celle de générations. Cependant, l’enchaînement va en sens inverse si on l’envisage du côté de la famille, d’une part, et du côté de l’État-providence, d’autre part. Dans la famille, on reçoit de ses parents et on donne à ses enfants ; la solidarité est immergée dans la relation interpersonnelle. Dans le cadre de la solidarité intergénérationnelle accomplie par l’État-providence, chaque génération donne à celle qui précède en recevant de celle qui la suit ; la solidarité devient un enjeu social et politique (Attias-Donfut, 1995a). De plus, dans la conjoncture actuelle, familles et solidarités intergénérationnelles ne peuvent plus être appréhendées avec les mêmes paramètres que celles d’hier (Ségalen, 1995 ; Pitrou, 1992 ; 1991). C’est dans un contexte de transformation des structures et des liens familiaux (ralentissement continu de la fécondité, augmentation de l’espérance de vie sans incapacités, généralisation du travail salarié féminin, fragilité des unions, augmentation du nombre des familles monoparentales et recomposées) et de crise des États-providence que nous devons étudier l’impact des solidarités intergénérationnelles (Martin, 1995). Si celles-ci n’ont plus les mêmes structures que celles du passé, familles et solidarités restent cependant les supports de la construction identitaire de l’individu et de la transmission entre les générations (Noël et Tassé, 2001 ; Kaës, 1989). En étudiant l’historicité de la constitution du champ familial, Dandurand et Ouellette (1995) ont justement mis en lumière les nouvelles facettes de l’enjeu du travail reproductif des familles qui, tout en répondant à des impératifs sociétaux qui les dépassent (la prise en charge des personnes âgées lourdement handicapées, par exemple), n’en demeurent pas moins le lieu privilégié de procréation, de socialisation et du développement de l’identité psychosociale de l’individu.

Selon Pitrou (1995), l’indistinction croissante des seuils d’âge et le brouillage des phases du cycle de vie donnent à penser que « la guerre des générations » ne peut avoir lieu. En effet, le discours catastrophique à propos du déséquilibre sociodémographique entre jeunes et vieux n’est pas fondé puisqu’il relève d’une catégorisation mécanique de ces âges. Jeunes et vieux continueront de se côtoyer ou de s’affilier dans les familles, au travail et dans l’espace public. L’enfance, la maturité, la vieillesse continuent à périodiser la vie humaine mais, aujourd’hui, ces mots ne recouvrent plus ni la même durée ni la même signification. L’empreinte du temps et devenue imprévisible (Pitrou, 1995) et certains rapports de filiation, notamment ceux concernant la grand-parentalité, n’arrivent pas à s’inscrire dans l’ordre social (Labrusse-Riou, 1996). Pourquoi par exemple des grands-parents perdraient-ils tous leurs liens (affectifs, sociaux, juridiques, etc.) avec leurs petits-enfants à la suite du décès de leur fils, père de ces enfants ? C’est à la lumière de la défaillance du droit occidental à instituer tous les rapports de filiation sans exception que, selon Labrusse-Riou, l’apologue de Legendre (1989) prend tout son sens : « Il ne suffit pas de produire la chair humaine, encore faut-il l’instituer. » La filiation n’est pas une affaire purement privée, elle relève d’un ordre généalogique individuel et collectif (Déchaux, 1997). Dans ce contexte de brouillage des générations et des rapports de filiation, sur quoi peut se fonder la création de la communauté d’intérêts ou de contestation si cette dernière ne peut naître uniquement du fait qu’on appartient à une même classe d’âges (Pitrou, 1995) ?

L’échange et l’intervention dans les lieux de vie des personnes âgées

Les chercheurs qui s’interrogent sur l’adéquation des soins et des services aux personnes âgées reconnaissent que la formulation des programmes d’intervention ne résulte pas nécessairement d’une simple équation entre problèmes et besoins qui seraient définis selon les normes et les valeurs des décideurs (Paquet, 1995). Dans le cadre des politiques de maintien à domicile que nous connaissons, la question de la qualité de lieux de vie adaptés à la condition socioculturelle des personnes âgées est particulièrement exemplaire en ce sens puisqu’elle renvoie à la spécificité des attentes des personnes âgées en fonction de leur modalité d’habitation personnelle et de leur désir d’autonomie (Haldemann et Lessard, 2000 ; Paquet, 1995). Pour une personne âgée, un lieu de vie est d’abord un logement et un quartier familiers qui la sécurisent et un milieu d’appartenance auquel elle s’identifie (Martin, 1997) et qu’elle ne souhaite pas quitter, même si ce logement est délabré (Crystal et Beck, 1992 ; Hunt et Ross, 1990). La question de la qualité des lieux de vie des personnes âgées se pose donc non seulement sur le plan physicospatial des diverses modalités de logements nécessaires, allant du domicile habité de façon autonome jusqu’au centre d’hébergement dans le cas d’une extrême dépendance, mais aussi en regard des nouvelles formes de solidarité sociale apparaissant avec les transformations au sein des générations et des rapports de filiation. Notre questionnement ne porte pas strictement sur la construction de résidences pour personnes âgées, lesquelles comptent pour la moitié des logements construits au Québec depuis deux ans (Le Devoir, 2001) ; il porte aussi sur l’adaptabilité des lieux de vie des personnes âgées (en termes de ressources individuelles et collectives) en fonction de la variabilité de l’autonomie fonctionnelle de celles-ci (Haldemann et Wister, 1994) et de leur perspective d’accès aux diverses formes de solidarité sociale (Roy, 1998 ; Pitrou, 1995).

Pour ce qui est de l’échange intergénérationnel, les solidarités familiales sont désormais fondées sur l’individualisation des relations familiales négociables et sélectives plutôt que sur l’affirmation de l’appartenance à une famille ou à une lignée, comme c’était le cas dans le passé (Facchini, 2000 ; Déchaux, 1997 ; Dandurand et Ouellette, 1995). Chez les personnes âgées, la qualité de la solidarité familiale détermine l’ouverture vers une pratique de solidarité sociale dans les organismes communautaires ou bénévoles ; les deux vecteurs de la solidarité se manifestant chez les personnes âgées sont l’aide individuelle et la vie associative (CSBE, 2001 ; Roy, 1998). Les études d’Attias-Donfut (1995b : 53) sur la transmission intergénérationnelle familiale et institutionnelle démontrent que « la génération pivot dont la jeunesse s’est déroulée dans les années 60 a, d’une certaine façon, rompu avec les modèles familiaux précédents en introduisant des changements beaucoup plus radicaux que ne l’ont fait les générations antérieures ou la génération suivante ». Les liens de la génération pivot avec ses enfants se caractérisent par la discontinuité. Aujourd’hui, la cohabitation intergénérationnelle est moins fréquente (Facchini, 2000 ; Roy, 1998 ; Attias-Donfut, 1995b), et malgré la décohabitation, le souhait de garder les enfants à proximité est fortement exprimé et donne lieu à des stratégies résidentielles induisant des formes particulières d’échanges intergénérationnels (Gotman, 1999 ; Renaud, 1999). Selon Vercauteren, Predazzi et Loriaux (2001), c’est en considérant que le vieillissement est une époque de vie à part entière que nous devons nous engager vers de nouvelles formes de solidarités familiales et sociales ; l’interdépendance intergénérationnelle est indispensable à la survie de la société. Vercauteren, Predazzi et Loriaux (2001 : 31-32) parlent d’une « culture » intergénérationnelle qui cesserait de fragmenter le champ social en offrant « un scénario mental et un support méthodologique aux nécessités qui découlent de la transformation démographique pour assurer un positionnement correct et globalisé des processus évolutifs, individuels et sociaux de la transition ».

Dans les services de maintien à domicile, c’est au plan de l’intervention publique, communautaire et bénévole que se pratique la solidarité sociale au Québec (Théolis, 2000 ; Lévesque et Mendell, 1999). En témoignent, par exemple, les nombreuses activités communautaires et bénévoles qui s’articulent autour de programmes de soins et services aux personnes âgées dans les centres de jour et dans les CLSC. Dans le domaine du maintien à domicile, il serait pertinent d’examiner les retombées économiques et sociales de la reconnaissance par l’État des valeurs propres à l’économie sociale dans le cadre domestique (Toupin, 2001 ; Lévesque et Mendell, 1999). Nous voyons par ailleurs se profiler une révision du community care que l’on voudrait voir s’adapter aux transformations au sein des générations en misant sur le principe des responsabilités sociales (un modèle de community care social basé sur l’empowerment) au lieu de compter uniquement sur celui des responsabilités familiales, lequel s’avère presque exclusivement assumé par des femmes (Guberman, 1999 ; Martin, 1995).

Lorsque l’État s’était appuyé sur les solidarités familiales des années 80 pour élaborer ses politiques de maintien à domicile, il n’avait pas prévu que d’importantes transformations au sein des générations le contraindraient aujourd’hui à ajuster ses politiques à ces transformations (Martin, 1995). Au Québec et au Canada, les gouvernements alléguaient qu’il s’agissait de politiques positives, économiquement parlant, et fondées sur le principe de la responsabilité des familles sans toutefois prendre en considération les inégalités sociales existant entre les familles ainsi que la spécificité du rôle social des femmes (Guberman, 1999). Selon Guberman (1999), les gouvernements ne dérogeaient-ils pas, ce faisant, au principe d’universalité et d’équité des services puisque la qualité du soutien familial dépend d’abord des conditions matérielles et psychologiques de chaque famille ? Ne faisaient-ils pas des femmes des aidantes naturelles déjà toutes désignées en vertu de leur fonction de maternage qui caractérisait leur rôle social traditionnel (Chodorow, 1974) ? Une dizaine d’années après l’adoption des politiques de maintien à domicile au Québec, les études québécoises démontraient que l’on était passé de l’État-providence aux « familles-providence », lesquelles continuaient malgré tout de compter sur l’aide de l’État dans les soins à leurs proches dépendants (Lesemann et Chaume, 1989). Plus récemment, les chercheurs constataient que les familles-soutiens avaient du mal à se concevoir comme partenaires de l’État et de la communauté dans le soutien aux personnes âgées dépendantes (Paquet, 1999), ce qui met en péril les formes de prévention primaire et le soutien aux familles qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire les plus défavorisées. Au cours des vingt dernières années, avec l’implantation de la politique de maintien à domicile, le placement des personnes âgées en centres d’hébergement publics et privés a diminué de sorte que ces centres n’accueillaient qu’une population très âgée en perte d’autonomie lourde. Ce qui a permis au secteur privé de créer des résidences avec services souvent très coûteuses pour l’ensemble de la population âgée (Renaud, 1999). La problématique des lieux de vie adaptés aux conditions de vie des personnes âgées pose donc des problèmes cruciaux non seulement aux personnes aidées dont l’investigation reste à faire, mais aussi aux aidantes naturelles (Lavoie, 1999 ; Guberman, Maheu et Maillé, 1993 ; Selig, Tomlinson et Hickey, 1991) et aux intervenants en soutien à domicile et en matière de logement (Théolis, 2000 ; Paquet, 1995).

Conclusion

Finalement, si la solidarité familiale reste une valeur dominante de notre système social (Roy, 1998 ; Dandurand et Ouellette, 1995), nous faisons maintenant face à une complexité générationnelle où la famille ne peut pas aider ses proches âgées et où elle ne veut ou ne peut pas s’investir dans cette tâche (Guberman, 1999 ; Lavoie, 1999). Selon Guberman (1999), puisque la majorité des femmes de la cohorte des baby-boomers ont passé la plus grande partie de leur vie adulte sur le marché du travail, on peut faire l’hypothèse que ces dernières n’ont pas intériorisé une tradition d’aide et qu’elles ne se définissent pas principalement à partir de leur rôle familial d’épouses ou de filles, ce qui entraînera une redéfinition de la notion de génération dans ce contexte sociodémographique et, plus particulièrement, une redéfinition de la notion de soutien et de dépendance dans le cas de ces femmes et, par conséquent, de celui de la cohorte des hommes. Les débats soulevés par la prise en charge des personnes âgées dépendantes et les limites des solidarités familiales montrent qu’il est urgent d’analyser les fondements de la solidarité tant familiale que sociale d’aujourd’hui et de saisir le sens des rapports réciproques existant entre les prestations formelles et les prestations informelles (Martin, 1995).

En résumé, la problématique de l’aspect mobilisateur des nouvelles formes que prend la solidarité sociale dans la perspective d’une redéfinition de la notion de génération nous conduit d’abord à l’investigation de la prise en charge des personnes âgées dépendantes en regard de l’articulation entre les interventions publiques et les obligations privées. Elle nous amène de plus à analyser les points de contacts et de synergie entre l’échange informel dans l’espace privé et public et l’intervention auprès des personnes âgées. Ce sont ensuite les perspectives d’accès des personnes âgées aux diverses formes de solidarité qui doivent faire l’objet d’un examen, ainsi que les retombées économiques et sociales de la reconnaissance par l’État des valeurs propres à l’économie sociale dans le cadre domestique.