Chroniques : Roman

Professeurs d’espoir[Record]

  • Michel Biron

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  • Michel Biron
    Université McGill

Il y a deux ans, la romancière et essayiste Nancy Huston publiait un ouvrage remarqué, Professeurs de désespoir , dans lequel elle s’en prenait à des écrivains ou philosophes qualifiés de « chantres du néant » (Arthur Schopenhauer, Samuel Beckett, Émile Cioran, Milan Kundera et quelques autres). Elle serait sûrement rassurée de lire quelques-uns des romans publiés récemment au Québec qui prétendent justement sortir des sentiers battus de la désillusion, du désespoir et autres sentiments désagréables. Elle y trouverait en effet un sympathique désir de réconciliation doublé d’une immense gratitude envers la vie, avec toutefois — rien n’est parfait — de malheureux résidus d’angoisse. Parmi ces nouveaux « professeurs d’espoir », le plus étonnant est sans contredit Maxime-Olivier Moutier, dont le dernier roman, Les trois modes de conservation des viandes, se présente en quatrième de couverture comme « un véritable antibiotique pour une génération issue de la famille décomposée qui a dû apprendre comment devenir parent dans les livres  ». L’auteur avait fait un certain bruit avec ses premiers livres, au milieu des années 1990, qui exprimaient avec colère le désarroi de la « nouvelle génération ». Puis il s’était quelque peu retiré de la scène publique pour y revenir en 2002 avec un manifeste paru sous le titre Pour une éthique urbaine  dans lequel il en appelait au sens de la responsabilité. Les trois modes de conservation des viandes constitue en quelque sorte une fiction ou une autofiction à partir de cette même idée d’un engagement concret dans la vie de tous les jours. Les poubelles, le bac à recyclage, la vaisselle, les enfants qu’il faut conduire à la garderie, les courses, la voiture qui va lâcher, les comptes à payer, etc. : tels sont quelques-uns des thèmes abordés par ce roman. Au début, tout va plutôt bien, l’ordre règne, le bonheur semble émaner de la vie elle-même dans toute sa splendeur monotone : « Cent fois par jour, je dis merci. » (9) Si l’écrivain se sent guéri de ses anciennes colères, c’est en grande partie grâce à sa femme qui possède le don du bonheur. En dépit de ses horaires de fou, elle trouve le moyen de lui faire la fête tous les soirs. Elle le comble sur tous les plans, en particulier le sexuel. De quoi se plaindrait-il ? Il ne lui reste qu’à remercier Dieu pour sa bonne fortune, ce qu’il fait dans ce passage qui ressemble à une prière de grâces : Mais peu à peu, le doute s’installe derrière ces mots du narrateur qui ont l’air d’être récités comme s’ils n’étaient pas les siens. C’est que, malgré toute la bonne volonté du monde, le néant ne cesse de resurgir, comme un trou d’ombre que le charme de ses enfants ou l’énergie amoureuse de sa femme ne parviennent jamais à soustraire complètement à son regard. Il faudrait être aveugle en tout cas pour croire vraiment que ce roman est un « remède contre la désillusion et le cafard moderne » (quatrième de couverture). Rien de plus fragile, de plus angoissant, qu’un récit qui cherche à évacuer l’angoisse, à lui trouver un « remède ». Est-il certain d’ailleurs que l’auteur soit vraiment convaincu par son plaidoyer pro domo ? Sa foi ressemble à celle du converti : elle exige le zèle et semble condamnée à chasser les pensées noires, qui refluent tout naturellement. Par exemple ceci : « Ma femme et moi nous le savons bien que tout s’effondre. » (107) D’où l’impression que l’heureux père de famille lutte continuellement avec lui-même. La nuit, il panique et doit prendre quelque chose pour l’aider à …

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