Recensions

Hans-Georg Gadamer, L’herméneutique en rétrospective. Ie & IIe Parties. Traduction, présentation et notes par Jean Grondin. Paris, Librairie Philosophique J. Vrin (coll. « Bibliothèque des textes philosophiques »), 2005, 285 p.[Notice]

  • Yvon Lafrance

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  • Yvon Lafrance
    Université d’Ottawa

Voici une nouvelle traduction française d’essais philosophiques de H.-G. Gadamer que nous présente Jean Grondin après ses autres traductions publiées sous le titre : Les chemins de Heidegger (2002) et Esquisses herméneutiques. Essais et conférences (2004), et dont nous avons fait la recension dans cette revue (60 [2004], p. 583-586 et 61 [2005], p. 398-401). Il s’agit ici d’une traduction des deux premières sections du volume 10 des Gesammelte Werke de Gadamer (1995). La première partie comprend sept essais regroupés sous le titre : « Heidegger en rétrospective » (p. 17-111) et la seconde partie comprend dix essais regroupés sous le titre : « Le tournant herméneutique » (p. 115-277). La première partie de cette traduction pourrait être facilement considérée comme un complément des Chemins de Heidegger. Gadamer non seulement réfléchit sur la pensée de Heidegger, mais aussi sur l’influence de cette pensée sur ses propres démarches philosophiques. Le premier essai : Souvenirs des premiers commencements de Heidegger (1986) (p. 17-29) est nettement de nature biographique. Gadamer nous raconte ses premiers contacts avec Heidegger lorsqu’il avait terminé à l’Université de Marbourg en 1922 son doctorat en philosophie sous la direction du néo-kantien Paul Natorp, et qu’il décida d’aller suivre les séminaires de Heidegger durant le semestre d’été de 1923 à Fribourg. Ces cours sont qualifiés par Gadamer qui se penche sur ses premières années de carrière comme ayant été pour lui « marquants et inoubliables » (p. 19). Ses réflexions nous aident à comprendre comment le jeune Heidegger s’est cherché, dès le début, un chemin original de pensée philosophique en réaction à la théologie thomiste catholique, à l’idéalisme transcendantal du néo-kantisme de Natorp, et même après avoir accueilli la phénoménologie de Husserl, à l’idéalisme transcendantal des Ideen, un ouvrage qui ne fut jamais matière de son enseignement et auquel il préféra toujours les Recherches Logiques. On voit par les observations de Gadamer que, dès les débuts de sa réflexion philosophique, Heidegger orientait sa pensée vers l’expérience vécue, la facticité humaine ou encore l’historicité du Dasein. On le voit très bien en lisant l’essai sur la différence ontologique qui nous place au coeur même de la pensée de Heidegger, Herméneutique et différence ontologique (1989), p. 81-96, et celui sur le tournant, Le tournant du chemin (1985), p. 97-102. Gadamer nous rappelle que l’expression « différence ontologique » était une expression magique (p. 81) fréquemment utilisée par Heidegger dans ses cours de 1923 à Fribourg et 1924 à Marbourg, et que ses étudiants n’arrivaient pas à comprendre parfaitement. Gadamer nous donne dans son essai une magnifique analyse, claire et limpide, et qui aide à rendre un peu plus compréhensible cette distinction obscure entre l’ontique et l’ontologique, l’étant et l’être. L’ontique nous renvoie à « l’étant dans son ensemble », au to on du Poème de Parménide, à l’expérience de la multiplicité du sensible (p. 82-88), tandis que l’ontologique nous renvoie à l’être, au to einai de Parménide (p. 89-96). L’être serait ainsi l’étant porté au concept (p. 83) ou dans les mots d’Aristote, « l’étant en tant qu’étant » (p. 88). Une expression étroitement reliée à « l’étant dans son ensemble » est celle « d’herméneutique de la facticité » qui se trouve aussi bien éclairée dans l’analyse de Gadamer (p. 84-88). La facticité signifie l’existence humaine (p. 86), et nous conduit au concept de vie, « la vie qui est brumeuse » (p. 87) et qui a besoin d’une herméneutique pour mieux se comprendre. On voit bien, suite à cette analyse de Gadamer, comment Heidegger, dès les débuts, a tourné le dos à la pensée …