Comptes rendus

Une Suisse exotique. Regarder l’ailleurs au siècle des Lumières, Noémie Étienne, Claire Brizon, Chonja Lee et Étienne Wismer, dir. Les Presses du réel. Zurich : Diaphanes, 2020, 376 p.[Notice]

  • Philippe Bornet

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  • Philippe Bornet
    Maître d’enseignement et de recherche, Section des langues et civilisations d’Asie du Sud, Université de Lausanne, Suisse

Dirigé par Noémie Étienne, Claire Brizon, Chonja Lee et Étienne Wismer et en lien avec un projet de recherche intitulé « Faire exotique ? Production, usages et matérialité de l’ailleurs en France et Suisse au xviiie siècle » ainsi qu’avec une exposition présentée à Lausanne (Suisse), cet ouvrage explore différents chapitres des relations de la Suisse au monde « lointain », entre 1664 et 1815. Dans son introduction, Noémie Étienne souligne l’importance de faire justice à la longue vie des objets et à leurs multiples usages. Entre le moment de leur production et celui de leur « consommation », ils sont pris dans des réseaux qui voient la circulation de matériaux, de techniques et d’images. À ce titre, les objets témoignent bien de dynamiques multiples : ils sont la propriété de communautés variées, servent parfois à nourrir des mouvements de résistance ou encore sont manufacturés spécifiquement pour l’export en lien à la création d’une identité touristique. Cette perspective est appliquée au sujet de la construction d’un imaginaire helvétique en lien à la circulation d’objets et de savoirs « exotiques ». L’approche révèle le saisissant contraste que forme l’image « neutre » de la Suisse, actée par le Congrès de Vienne, avec la réalité des activités liées au commerce global et à l’exploitation des ressources en Amérique, en Asie et en Afrique. Poursuivant dans cette même perspective, le chapitre introductif de Patricia Purtschert explore la face sombre des Lumières, en lien à la construction d’un discours patriarcal et la mise en place d’inégalités économiques Nord-Sud. Elle souligne ainsi que c’est à cette époque que s’élaborent à la fois la notion de race – comme conceptualisation négative et « altérisée » des non-Européens – et la naturalisation des rapports genrés, confinant les femmes dans des rôles subalternes. La section « Matérialité en réseau » étudie la circulation des objets et les relations entre leur contexte de production et leur contexte de « consommation ». L’étude de Bernhard Schär, qui explore deux dossiers en parallèle, est un exemple à ce sujet : d’un côté, la place de la Suisse dans des réseaux commerciaux internationaux, au sein desquels des aristocrates suisses (le plus souvent protestants) ont joué un rôle de premier plan ; et de l’autre la genèse de l’image de la Suisse comme défendant les valeurs de l’émancipation humaine. La réflexion est étayée par l’examen d’objets, d’images et de textes des xviie et xviiie siècles. À relever notamment le cas du Voyage d’un Suisse dans les colonies d’Amérique (1786) de Justin Girod de Chantrans. L’ouvrage, prenant un point de vue abolitionniste, contraste la condition des esclaves à celle des citoyens suisses, tout en passant sous silence le rôle des aristocrates et banquiers suisses dans le financement et l’administration des projets coloniaux. Jean-Jacques Rousseau lui-même, grand défenseur de l’égalité et de la liberté individuelle, resta silencieux sur le sujet de l’esclavage, et l’éditeur de ses oeuvres complètes, Pierre-Alexandre DuPeyrou, était né au Surinam dans une famille ayant fait fortune dans les plantations de cette colonie néerlandaise esclavagiste. Le chapitre démontre de manière particulièrement frappante l’importance d’étudier de manière conjointe l’histoire des relations, notamment économiques, avec les régions lointaines et l’histoire des représentations identitaires suisses, et ce dès le xviie siècle. La partie « Savoirs exotisants » porte sur différents projets savants ayant impliqué des Suisses au sein de contextes lointains. L’exemple donné par Dominique Poulot porte sur Pierre-Eugène Du Simitière, un Genevois qui s’installe à Amsterdam à 16 ans et s’embarque pour les Caraïbes où il s’adonnera notamment au dessin. Par la constitution du premier « Musée américain » en …