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Si on a assisté depuis une vingtaine d’années à l’introduction massive de changements technologiques de type informatique dans les organisations canadiennes (Baldwin, Harchaoui et Tarkhani, 2002), celles-ci doivent recourir aujourd’hui à de fréquentes améliorations de leur technologie de production et de gestion. Ce mouvement de modernisation continue n’épargne pas les organisations du secteur public, à l’exemple de la fonction publique provinciale du Québec qui est engagée dans un vaste programme de prestation électronique de ses services administratifs. Cette modernisation se fait souvent au moyen de l’implantation de systèmes d’information (SI) que l’on définit généralement comme tout processus de collecte, d’organisation, de traitement, de contrôle et de diffusion de l’information utilisant des ressources humaines, matérielles et informationnelles pour supporter en totalité ou en partie les opérations ou la gestion dans une organisation (Rivard et Talbot, 1999). Les SI peuvent être classés en fonction de leurs applications et qualifiés ainsi de systèmes d’information transactionnels, de soutien opérationnel (bureautiques ou productiques), de gestion, d’aide à la décision, de systèmes experts ou enfin de systèmes intégrés lorsqu’ils supportent plusieurs fonctions organisationnelles. Cependant, l’implantation de ces SI ne va pas sans problèmes et certains chercheurs rapportent un taux d’échec qui reste trop élevé (O’Conner, Parsons et Liden, 1992 ; Henderson, Deane et Ward, 1995 ; Standish Group, 2001). Les principaux facteurs avancés pour expliquer aussi bien les succès que les échecs concernent l’engagement des dirigeants, l’implication des utilisateurs des SI et la gestion de projet de leur implantation.

Par ailleurs, ce n’est plus une nouveauté que d’affirmer que les ressources humaines constituent un avantage compétitif pour les organisations. Cependant, il faut rappeler que si cet avantage peut résulter des qualités propres des employés, comme leur personnalité, leur motivation au travail, leur engagement organisationnel et leurs compétences, il peut aussi dépendre des facteurs d’influence contextuels ou organisationnels. Parmi ces facteurs, notons l’organisation des ressources humaines, leur encadrement et soutien, le développement de leurs compétences, leur participation aux décisions et la reconnaissance de leurs efforts au cours de leurs activités de travail. Ces missions constituent le rôle des gestionnaires de ces organisations et, parmi eux, les gestionnaires de ressources humaines. Ceci est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit pour ces ressources humaines de s’adapter aux différents changements technologiques qu’ils vivent. Un rôle-clé de la fonction ressources humaines est justement d’agir comme agent de changement (Ulrich, 1997) en facilitant la transition et l’adaptation des employés, et la capacité d’une main-d’oeuvre à s’adapter rapidement aux changements technologiques constitue un atout stratégique, un facteur-clé du succès organisationnel (Guérin et al., 2001).

Partant de ce constat d’échec alarmant dans l’implantation des SI et de l’importance du rôle des facteurs humains dans l’échec ou la réussite de ces changements technologiques, notamment ceux liés à l’acceptation et à l’adaptation des utilisateurs des SI, nous avons posé la prise en compte des facteurs humains dans le cadre d’une gestion mobilisatrice des ressources humaines au cours de l’implantation d’un SI comme une condition nécessaire et préalable à son utilisation efficace et efficiente, elle-même gage de performance. Cependant, une utilisation adéquate et de qualité du SI passe par l’adhésion des utilisateurs au projet d’implantation qui se traduit minimalement par leur expression d’une attitude positive à l’égard du SI. Aussi, nous nous sommes intéressés dans cette recherche au rôle éventuellement joué par des pratiques de gestion du changement, dites mobilisatrices, dans l’adoption par les employés d’une attitude favorable au SI comme indice de leur adhésion. Cette dernière, elle-même considérée comme une première étape nécessaire et préalable à leur mobilisation, dépend selon nous de la perception qu’ils auront de ces pratiques de gestion et de l’évaluation qu’ils en feront. Nous présenterons dans la suite de cet article notre cadre conceptuel qui sera suivi par la méthodologie utilisée, puis l’exposé des résultats et leur discussion, et enfin les limites et les apports de la recherche.

Cadre conceptuel

Pour DeLone et McLean (1992), un des critères du succès de l’implantation d’un SI réside dans son utilisation. Cependant, et vu l’insuffisance de considérer l’utilisation uniquement sous son aspect quantitatif (temps et fréquence), ces auteurs ont été amenés à modifier leur modèle initial pour intégrer la qualité de l’utilisation (adéquation, efficacité, efficience, continuité, profondeur, etc.). Celle-ci relève de l’intention des utilisateurs (DeLone et McLean, 2003) et donc, à notre avis, de leur bonne disposition à l’égard du SI et de son utilisation, autrement dit de leur adhésion. D’ailleurs, selon Paré et Elam (1995), c’est au niveau des utilisateurs et selon leurs perceptions, sentiments et attitudes que se jouerait en grande partie le succès ou l’échec des démarches d’informatisation. Pour Guérin et al. (2001), la compréhension de ces processus pourrait favoriser la mise en oeuvre de pratiques de gestion mobilisatrices et la création de milieux de travail beaucoup plus favorables à l’utilisation efficace des SI. Pour leur part, Martinsons et Chong (1999) notent que dans les organisations où les gestionnaires de ressources humaines possèdent non seulement un rôle de soutien dans l’implantation d’un SI, mais aussi un rôle proactif en participant dès le lancement du projet à sa conception et à sa planification, l’effet est positif sur la transition dans le changement, la satisfaction des utilisateurs et leur productivité.

Plusieurs auteurs se sont aussi consacrés à définir des pratiques de gestion mobilisatrices des ressources humaines alignées sur la stratégie et les objectifs organisationnels. Il semble que les pratiques de gestion proposées par ces auteurs s’inspirent assez largement des principes de base du modèle de l’organisation à implication élevée de Lawler III (1992). C’est d’ailleurs aussi l’avis de Barraud-Didier, Guerrero et Igalens (2003 : 4) qui, en faisant une revue de la littérature sur ce point, constatent que « certaines pratiques constituent un ciment incontournable en matière de mobilisation des salariés, relatives à la responsabilisation des salariés, à certains modes de rémunération, aux possibilités de formation et de développement des compétences, et au partage de l’information », auxquelles ils ajoutent des actions liées à l’identification à l’organisation. Par ailleurs, selon Tremblay et Wils (2005 : 37), si « la mobilisation ne signifie pas le fait de donner des ordres, mais plutôt le fait d’inciter les employés à travailler ensemble en vue de réaliser un objectif commun ou un projet collectif », alors l’implantation d’un SI peut constituer selon nous ce projet collectif autour duquel les employés pourraient être mobilisés si leur organisation adoptait des pratiques de gestion des ressources humaines et du changement telles que la communication, la formation, le soutien, la participation et les incitatifs ou la reconnaissance des efforts.

Dans ce sens, la communication peut être destinée à rapprocher les employés de leurs gestionnaires et dirigeants, à expliquer la vision organisationnelle, les raisons, les objectifs et les résultats ou effets escomptés du changement technologique, sur la base d’une information juste et crédible qui ne cache pas les risques, les difficultés et les aspects négatifs potentiels pour les employés. Ainsi, plusieurs auteurs ont insisté sur l’importance d’une communication hâtive et complète entre gestionnaires et employés, les premiers devant prodiguer aux seconds une information transparente et continue sur les raisons du changement, son déroulement et son évolution, ainsi que sur ses impacts (Kotter et Schlesinger, 1979 ; Mankin, Bikson et Gutek, 1985 ; Fredericksen, Riley et Myers, 1985 ; Haddad, 1996).

La formation sur le SI peut être envisagée pour développer les compétences de l’employé, sur la base de son niveau d’éducation et de l’expérience qu’il pourrait avoir déjà acquise, et le préparer ainsi à utiliser le SI tout en développant sa confiance en soi et son sentiment d’efficacité personnelle. Ainsi, selon Torkhzadeh et Angulo (1992), la formation agirait comme un sédatif à l’angoisse qui constitue un facteur de résistance important à l’utilisation de l’ordinateur. Elle aurait une influence sur la confiance en soi, sur le sentiment d’efficacité personnelle (Igbaria et Chakrabarti, 1990) et sur la participation au changement à travers l’expérience acquise (Iivari et Igbaria, 1997). Cependant, l’étude de Kahn et Robertson (1992) n’arrive pas à établir de lien significatif entre la durée de la formation reçue et son adéquation aux besoins perçus par les utilisateurs de la technologie, ni avec la satisfaction au travail. C’est aussi le cas de l’étude de Haddad (1996) qui montre l’absence de corrélation significative entre la formation et les attitudes envers la technologie, quoique dans ce cas la formation avait été donnée après l’introduction de la technologie et s’était limitée à quelques sessions formelles. Ces derniers résultats ne remettent pas en question notre proposition du rôle important que pourrait jouer la formation, car la durée de formation n’est pas toujours un gage de qualité ou d’adéquation de son contenu aux besoins des utilisateurs, et son effet sur les attitudes ou la satisfaction n’est pas forcément direct et peut être médiatisé justement par le sentiment d’efficacité personnelle ou l’angoisse face au SI.

Le soutien humain et technique peut rassurer l’employé sur ses capacités à s’adapter au SI et l’encourager à persévérer dans son utilisation le moment venu. Il aurait un effet réducteur du stress lié aux exigences du travail sur ordinateur, surtout lorsqu’il vient des supérieurs (Yang et Carayon, 1995), et un effet tant réducteur de l’angoisse associée à l’ordinateur que positif sur les attitudes (Igbaria et Chakrabarti, 1990). Par contre, aucun lien significatif n’a été associé à la satisfaction au travail (Korunka et al., 1995).

La participation de l’employé, à quelque niveau que ce soit, aux décisions concernant le projet d’implantation ne peut que stimuler son intérêt et son implication par rapport au SI. Ainsi, l’emphase est souvent mise aussi sur les vertus de la participation réelle dans l’acceptation du changement (Lawrence, 1968 ; Neumann, 1989), et son influence positive sur l’acceptation de la nouvelle technologie, la réduction du stress et la satisfaction au travail a été établie par Korunka, Weiss et Karetta (1993). Cependant, on rappelle aussi son coût (Kotter et Schlesinger, 1979 ; Iivari et Igbaria, 1997) et le fait que la participation passive est plus répandue que la participation active (Korunka, Weiss et Zauchner, 1997). Par ailleurs, le degré et les possibilités de participation seraient liés à l’expérience dans l’utilisation de la technologie, au statut hiérarchique et à la variété des tâches du poste occupé (Iivari et Igbaria, 1997).

Enfin, la reconnaissance pour les efforts d’adaptation fournis peut améliorer l’engagement de l’employé vis-à-vis de ses supérieurs et de leurs objectifs organisationnels. Pour Holahan et al. (2004), la reconnaissance escomptée par les employés favoriserait l’intensité et la qualité de leur utilisation du SI. Pour Jasperson, Carter et Zmud (2005), la reconnaissance, les primes et la promotion constituent des incitatifs à la continuité de l’utilisation des SI. Cependant, pour Brown et al. (2002), dans le contexte d’une utilisation obligatoire du SI, les incitatifs pourraient influencer l’utilisation du SI par l’employé, mais indépendamment de son attitude personnelle et seulement pour éviter les sanctions ou avoir des récompenses.

Cependant, toutes ces pratiques seront perçues différemment par chaque employé selon leur crédibilité, leur adéquation, leur pertinence, leur opportunité ou intérêt, et prises en compte dans le processus d’évaluation qui conduit à la formation de son attitude et de son intention à l’égard du SI et de son utilisation. Aussi, l’objectif de cette recherche sera justement d’explorer ce phénomène et d’essayer de mieux le comprendre afin d’identifier les conditions pouvant favoriser l’adhésion et la mobilisation des utilisateurs, et améliorer ainsi le succès des implantations de SI. Convaincus que nous sommes de l’intérêt de partir du point de vue des employés qui vivent l’implantation d’un nouveau SI dans leur milieu de travail et de l’importance d’analyser leurs perceptions vis-à-vis du changement vécu, de son contexte et du rôle joué éventuellement par les pratiques de gestion examinées plus haut, nous avons donc formulé notre question de recherche de la manière suivante : comment les utilisateurs perçoivent-ils les pratiques de gestion mobilisatrices éventuellement mises en oeuvre lors de l’implantation d’un SI ? En font-ils la même évaluation et sinon, cela a-t-il un effet sur leur attitude à l’égard du SI ou, du moins, cela traduit-il des attitudes différentes à l’égard du SI ? Enfin, quel a été le rôle des services de gestion des ressources humaines dans la mise en oeuvre de ces pratiques mobilisatrices ?

Méthodologie

Pour répondre à ces questions, nous avons réalisé deux études de cas d’implantation de SI, l’une dans un organisme qui verse des prestations d’aide sociale au Québec (ORG1) et qui implantait un système dit « imagerie-workflow » pour la numérisation, le traitement et le suivi des demandes de prestations, et l’autre dans un service ministériel du gouvernement du Québec (ORG2) qui implantait un système géomatique avec une base de données géospatiales pour la cartographie numérique et l’échange de données informatisées. Ce sont donc deux SI non pas de gestion mais de support aux opérations et différents quant à leur utilisation et aux compétences requises. Il est difficile à notre niveau de les comparer en termes de complexité, mais si on se fie aux qualifications des utilisateurs dans les deux cas, il semble que le SI de ORG2 soit plus complexe que celui de ORG1 car il requiert une formation de technicien en géomatique alors que les utilisateurs à ORG1 sont des agents de bureau.

Afin de s’assurer d’une pluralité et d’une diversité de points de vue, dix employés (sur soixante à soixante-dix utilisateurs touchés par le SI dans chaque cas) ont été interviewés et enregistrés avec leur consentement dans chaque organisation pendant environ 1 h 45 min chacun, lors de la phase d’implantation du SI. Nous avons demandé à nos contacts dans ces organisations de nous proposer des employés qui acceptent de collaborer à la recherche volontairement et, si possible, choisis parmi les catégories suivantes : jeune/âgée, homme/femme, personne perçue comme très positive ou très négative par rapport au nouveau SI, le but étant de découvrir les facteurs qui influencent leur attitude face au SI. Les employés ont été interviewés pendant leur temps de travail, dix étant le maximum d’employés libérés par leur organisation à l’intérieur d’une période déterminée de quatre à cinq jours.

Nous avons effectués des entrevues semi-structurées à l’aide d’un guide thématique pour s’assurer de recueillir auprès de tous les interviewés des données concernant leur connaissance du changement en cours, leurs réactions, leurs préoccupations, leur attitude à l’égard du SI et leur évaluation perceptuelle des pratiques de gestion mobilisatrices mises en oeuvre. Nous avons eu recours à une démarche la moins directive possible, avec une première question générique visant à faire exprimer par les employés leur vécu de l’expérience du changement technologique et de ses répercussions de la manière la plus large possible. En utilisant relances et reformulations, nous avons introduit des questions plus spécifiques lorsque nécessaire pour couvrir les aspects pas du tout ou pas suffisamment abordés de manière spontanée sur les thèmes d’intérêt pour la recherche. En procédant ainsi, nous nous inscrivons dans une approche plutôt phénoménologique ou interprétative qui ne cherche pas à établir le caractère objectif d’un événement ou d’une situation, mais qui s’intéresse plutôt à la manière dont ils sont perçus ou vécus par les sujets, et donc forcément interprétés (Klein et Myers, 1999).

Parmi les dix personnes interviewées dans ORG1 figurent un chef d’équipe, un représentant syndical et un agent qui a participé au laboratoire de tests sur le SI et qu’on qualifiera d’utilisateur-clé. Sept des dix employés sont des femmes ; quatre personnes n’avaient pas encore reçu la formation sur le nouveau SI au moment de leur entrevue; la moyenne d’âge est d’environ 50 ans; la moyenne de l’ancienneté dans l’organisation est d’environ 12,5 années et le niveau de scolarité moyen correspond à 12,5 années. Deux employés ont seulement trois mois d’ancienneté dans le poste, mais ils étaient déjà dans l’organisation. Tous doivent utiliser obligatoirement le nouveau SI dans le cadre de leur travail.

Dans ORG2, parmi les dix personnes interrogées, on trouve sept techniciens et trois professionnels, trois femmes et quatre personnes qui ont des responsabilités de chef de section. Une personne a participé aux tests pendant le développement du SI à titre d’utilisateur-clé. Par ailleurs, la moyenne d’âge est de 46,3 ans ; six personnes ont 45 ans et plus ; sept d’entre elles détiennent au moins un diplôme d’études collégiales ou l’équivalent ; l’ancienneté moyenne dans l’organisation est de 20 ans, alors que l’ancienneté dans le poste est très variable, allant de six mois à 29 ans. Enfin, sur ces dix personnes, quatre ont suivi la formation spécifique sur le SI qui a été planifiée dans le cadre de l’implantation et cinq autres ont été formées sur le tas (formation relayée par les quatre précédentes). Une seule personne n’a pas suivi de formation sur le SI et n’est pas assujettie à l’utilisation obligatoire du SI, étant très proche de sa retraite.

Le contenu des entrevues a été intégralement retranscrit, puis segmenté et codifié à l’aide du logiciel Nvivo 6 de QSR International selon les catégories d’intérêt pour la recherche, à savoir les attitudes à l’égard du SI et les perceptions relatives aux différentes pratiques de gestion mobilisatrices à l’étude. La première étape de l’analyse du contenu a consisté à identifier dans chaque étude de cas les employés dont l’attitude face au SI pouvait être qualifiée soit de clairement positive, soit de clairement négative. Elle fut faite sur la base d’une évaluation globale de leur discours, en termes de positionnement favorable ou défavorable à l’implantation du SI et de son utilisation, et tel que cela pouvait transparaître assez clairement dans leurs déclarations, tout en tenant compte des biais possibles de désirabilité sociale (projeter une image de soi trop positive ou éviter de projeter une image trop négative). Malgré notre demande de nous fournir des profils d’employés contrastés, seuls quatre dans chaque cas pouvaient être qualifiés de vraiment positifs envers le SI et trois de négatifs. Dans une deuxième étape, nous nous sommes uniquement intéressés aux employés ayant une attitude positive et à ceux ayant une attitude négative pour avoir une comparaison suffisamment contrastée de leurs perceptions relatives aux pratiques de gestion mobilisatrices, et avoir ainsi une chance de mettre en évidence ce qui les oppose. Cette analyse a été menée d’abord à l’intérieur de chacun des deux cas, puis nous avons effectué une analyse croisée pour dégager les similitudes et les différences entre les deux cas. Nous présentons dans la section suivante la synthèse des résultats et leur discussion. Mais auparavant, nous citons, à titre d’illustration seulement, un segment dans chaque cas qui exprime l’attitude positive ou négative d’un employé :

C’était du développement, c’était de l’informatique, c’était une amélioration générale des conditions de travail importante pour moi à ce moment-là. J’étais très favorable au changement lui-même parce que c’est un pas vers une amélioration des processus. Éventuellement le client qui est à l’autre bout, le citoyen va être mieux servi, de façon plus rapide, plus efficace.

ORG1/E 10

Ah non, moi il me remplace pas le système, il m’aide à évoluer par exemple, « tabarnouche ! » oui, pas à peu près. À cette heure, j’apprends tous les jours. … C’est tellement plus facile, tellement plus efficace, tellement plus performant, puis la qualité des choses qu’on va chercher aussi est meilleure.

ORG2/E 9

Moi, ma réaction ça a été : Ah, non ! Pas encore ; parce que je sais qu’on s’embarque dans un enfer à chaque fois qu’ils nous rembarquent un système, puis je pensais jamais que l’enfer serait si profond que ça. Moi j’étais négative… c’est pire que ce que je pensais.

ORG1/E 3

Ah ! Je vais vous dire franchement j’ai eu peur quand ils m’ont dit que ça allait être ARCINFO puis tout ça. Là j’ai dit : « ooooh, tabarouette ! » Spontanément là, j’ai pas trouvé ça drôle. … On était en maudit quand ils ont parti le SI, on a dit : « crisse ! » on vas-tu prendre notre retraite ? On vas-tu être obligé d’embarquer dans ça ?

ORG2/E 2

Synthèse et discussion des résultats

Avant de présenter la synthèse des résultats concernant les pratiques de gestion elles-mêmes, nous avons d’abord cherché à savoir quel rôle ont pu jouer les services et les gestionnaires de ressources humaines dans la gestion du changement technologique ou dans sa facilitation.

Rôle des structures de GRH dans l’implantation du SI

Curieusement, et malgré toute l’emphase mise par les recherches sur l’importance d’une saine gestion des ressources humaines et sur l’importance cruciale de tenir compte des aspects humains dans les changements organisationnels et technologiques, force est de constater que le rôle joué par les structures formelles de GRH dans les deux implantations de SI étudiées a été limité ou nul. En effet, dans le cas de ORG2, elles ont été totalement absentes et, selon un gestionnaire interviewé, elles n’auraient pas été sollicitées parce qu’on ne s’attendait pas à un tel niveau de résistance au changement et qu’on aurait sous-estimé l’importance des aspects humains dans l’implantation du SI. Dans le cas de ORG1, les employés positifs comme les négatifs sont d’accord pour constater, de manière ironique, leur invisibilité sur le terrain et leur rôle effacé dans les réunions de suivi. Leur implication dans le changement se serait limitée à l’aspect santé et sécurité au travail et au programme d’aide aux employés. Certains employés négatifs tournent en ridicule le petit guide de savoir-faire fourni aux superviseurs montrant comment gérer un employé « récalcitrant » au changement. Il semble donc que le rôle proactif d’agent de changement (Ulrich, 1997 ; Martinsons et Chong, 1999) ne soit pas encore réellement assuré et assumé par les structures de GRH. Il est vrai que l’on peut invoquer la particularité de l’organisation de la fonction GRH dans le secteur public et incriminer la forte centralisation de ses structures, ce qui ne peut que nuire à leur implication locale.

Cependant, l’absence de structures formelles au niveau local ne veut pas dire que la fonction RH ne puisse pas être exercée par les gestionnaires cadres eux-mêmes ou des professionnels spécialement désignés pour prendre en charge la gestion des aspects humains du changement, à condition d’en avoir les compétences et une certaine crédibilité auprès des employés. De fait, il y a bien eu dans le cas de ORG1 une personne professionnelle nommée et chargée dans le projet d’assurer en quelque sorte l’interface entre les employés et les superviseurs et les services centraux de GRH, mais sa crédibilité a été remise en question par certains employés négatifs. À ORG2, certains gestionnaires de première ligne ont assumé le rôle de facilitation du changement et de mobilisation de leurs employés, en assurant notamment une partie de la formation et du soutien, ce qui a pu permettre le ralliement de personnes très réfractaires au départ à l’utilisation du SI. Ceci démontre par ailleurs que les attitudes des employés face au changement technologique peuvent évoluer dans le temps du projet de SI, entre son annonce et son implantation.

Évaluation des pratiques de gestion selon l’attitude des employés face au SI

Parmi les pratiques de gestion sur lesquelles s’opposent le plus les employés positifs et les employés négatifs à travers l’évaluation qu’ils font du SI dans les deux cas à l’étude, on trouve la formation, le soutien et les incitatifs ou la reconnaissance des efforts. La communication et la participation s’avèrent des préoccupations soulevées plus spécifiquement par les employés négatifs.

La formation

Les employés négatifs expriment une insatisfaction générale par rapport à la formation, avec des critiques qui n’épargnent aucun niveau, de la conception à la réalisation, en passant par la planification. Ainsi, ils reprochent la mauvaise évaluation des besoins en formation qui n’aurait pas pris en compte les besoins particuliers des utilisateurs du SI. Il y aurait eu un manque de planification en n’associant pas les chefs d’équipe pour la constitution de groupes homogènes et en ne programmant pas les formations de façon à éviter les formations données juste avant les congés et les ruptures dans la continuité des services. Le contenu de la formation aurait été insuffisant et trop limité à l’utilisation fonctionnelle du SI, laissant de côté la compréhension de la logique de son fonctionnement. Ils critiquent aussi le manque de ressources pour la formation et leur mauvaise répartition jugée inéquitable ou inadéquate entre les catégories d’utilisateurs. La durée de la formation est aussi perçue comme insuffisante et comprimée pour des raisons budgétaires. Enfin, ils déplorent l’absence d’un aide-mémoire ou d’un guide de procédures distribué en cours de formation pour sécuriser les apprentissages, et l’inadaptation des conditions matérielles lors du déroulement de la formation (salles, tables et matériels inadaptés), posant ainsi des problèmes de confort ergonomique pendant l’apprentissage. Les responsables de première ligne se plaignent de n’avoir pas été eux aussi formés aux modules utilisés par leurs employés, rendant très difficile le soutien qu’ils auraient pu leur assurer.

À l’opposé, les employés positifs expriment leur satisfaction en général vis-à-vis de la formation reçue et de son format. Le contenu est jugé concret et adapté aux besoins fonctionnels des utilisateurs, mais certains à ORG2 auraient aussi aimé avoir une compréhension plus large du fonctionnement d’ensemble du SI. La nature différente des SI implantés est probablement en cause, celui de ORG2 nécessitant plus de coordination entre les intervenants dont les tâches sont plus complémentaires que celles des utilisateurs du SI à ORG1. Ils se montrent satisfaits du déroulement et de la méthode de formation, et certains apprécient d’autant plus le « coaching » dont ils ont bénéficié qu’ils le considèrent comme étant la seule méthode de formation adaptée pour les utilisateurs âgés qui sont moins familiarisés avec les cours classiques. Cependant, certains à ORG2 estiment que la formation sur le tas reçue au fur et à mesure du développement et de l’implantation du SI les oblige à une itération continue de séquences formation-essai-correction-formation. Cette démarche est perçue par ces utilisateurs comme étant trop déstabilisatrice des apprentissages. Enfin, la formation est perçue en général comme ayant un effet apaisant sur l’angoisse et les craintes éventuelles de leurs collègues négatifs face à l’utilisation du SI.

Ces éléments corroborent les résultats de plusieurs recherches portant sur l’importance du rôle de la formation dans l’adaptation aux changements technologiques (Fredericksen, Riley et Myers, 1985 ; Parsons et al., 1991), l’effet positif de la formation sur les attitudes et l’angoisse vis-à-vis de l’utilisation des SI (Igbaria et Chakrabarti, 1990 ; Torkzadeh et Angulo, 1992), l’importance de l’adaptation de la méthode de formation aux utilisateurs plus âgés comme le coaching (Kelley et Charness, 1995) ou encore l’effet positif de la formation antérieure sur la participation des utilisateurs au changement technologique (Iivari et Igbaria, 1997). Ce dernier point est particulièrement visible chez les positifs de ORG2 car la plupart de ceux qui se sont impliqués dans l’implantation du SI avaient été proactifs et avaient entrepris une formation en géomatique dès le début du projet de SI. Par ailleurs, les résultats d’une récente étude vont dans le même sens que le désir exprimé par certains de nos interviewés d’inclure dans leur formation la compréhension de la logique et du fonctionnement d’ensemble du SI, et pas seulement la maîtrise des fonctionnalités transactionnelles. Cette compréhension étendue favoriserait plus l’acceptation des systèmes d’information intégrés par leurs utilisateurs qui seraient plus à même de voir la correspondance et l’adéquation des processus d’affaires avec les procédures de fonctionnement du SI (Nah, Tan et Hing Teh, 2004). Enfin, les liens entre la formation et le sentiment d’efficacité personnelle, l’angoisse et l’attitude face au SI sont aussi réaffirmés dans les résultats de recherches de Torkzadeh et Van Dyke (2002) et de Chou (2001). L’effet positif d’une formation perçue comme satisfaisante sur le sentiment d’efficacité personnelle et sur l’attitude face au SI est donc important à souligner.

Le soutien

La perception de la qualité et l’importance accordée au type de soutien reçu par les utilisateurs diffèrent selon l’attitude des employés. Les employés négatifs se montrent très insatisfaits du soutien technique reçu, le jugeant insuffisant et inefficace. Ils blâment les gestionnaires pour leur improvisation dans l’organisation du soutien et l’insuffisance des ressources affectées, contrairement aux promesses qui ont pu leur être faites, ce qui ajoute ainsi à leur découragement dans l’adaptation au nouveau SI. Le manque de réponses satisfaisantes de la part des gestionnaires sur le fonctionnement du SI génère de l’insécurité chez ces employés et une baisse de leur sentiment d’efficacité personnelle.

À l’inverse, les employés positifs se montrent très satisfaits du soutien technique reçu et de sa disponibilité aussi bien auprès des formateurs, du service informatique que des collègues. Ils accordent aussi une grande importance au soutien reçu de la part du supérieur immédiat et des collègues, qu’il soit technique ou moral. Ils apprécient particulièrement la compréhension et la tolérance des supérieurs immédiats quant à la baisse de performance enregistrée pendant l’implantation du SI et quant à leur rythme d’adaptation, ce qui leur enlève une pression importante dans leur stabilisation et confort face au changement, en faisant baisser leur angoisse ou craintes éventuelles. Dans ce sens, ils apprécient également le rôle de l’entraide et de la collaboration entre collègues.

Ainsi se trouve soulignée l’importance du soutien technique, quelle que soit sa source, et du soutien moral reçu surtout de la part des gestionnaires de première ligne et des collègues, notamment les membres de l’équipe de travail. Bien que l’on ne puisse pas à proprement parler de pratique de gestion, s’agissant du soutien de la part des collègues, il est important que les gestionnaires non seulement prodiguent leur soutien directement ou s’assurent de la disponibilité des ressources, mais qu’ils favorisent aussi l’entraide et la solidarité entre les employés lors du changement. C’est même une exigence clairement énoncée par Tremblay et Simard (2005 : 63–65) pour créer un climat organisationnel favorable à la mobilisation collective. Par ailleurs, ces attitudes, actions ou comportements de soutien de la part des gestionnaires, que ce soit sous forme d’encouragement, de confiance accordée, d’aide ou d’entraide sont même associés à un leadership de type transformationnel ou mobilisateur (Tremblay et al., 2005). On peut par ailleurs faire remarquer que la formation et le soutien perçu conjuguent leurs effets sur le sentiment d’efficacité personnelle, l’angoisse et l’attitude face au SI. Ces effets ont déjà été relevés par Kotter et Schlesinger (1979) qui établissent le lien entre soutien, angoisse et résistance face au changement et par Yang et Carayon (1995) qui mettent en évidence l’effet du soutien en particulier du superviseur immédiat sur le stress accompagnant le travail sur les TIC. Quant à Frederiksen, Riley et Myers (1985), ils avaient aussi relevé l’importance du soutien des collègues et de la coopération dans les changements technico-organisationnels.

Enfin, l’importance accordée par les employés positifs au soutien reçu de la part du chef d’équipe ou du superviseur immédiat donne plus de relief à l’importance qu’il faudrait accorder à la formation de ce dernier sur le SI, afin que non seulement il puisse s’adapter lui-même, mais également jouer le rôle de soutien qui est attendu de lui par ses subalternes, rôle dont l’effet sur l’adoption des SI par les employés continue à être mis en évidence dans les recherches (Schillewaert et al., 2005). Ce rôle peut d’ailleurs contrebalancer le sentiment de perte d’autorité et de prestige qui peut être ressenti par le chef d’équipe ou superviseur lors des changements technologiques (Grant, 1997), lorsque les employés peuvent avoir un accès direct à l’information, aux bases de données et aux procédures automatisées. Maillon-clé dans la transmission de la volonté collective dans l’adhésion au changement, un chef d’équipe ou de service frustré dans sa formation et le soutien que lui-même attend, ne pourra soutenir le reste de son équipe, et ce sera plutôt son découragement qui risque d’être transmis.

Les incitatifs et la reconnaissance des efforts

Bien qu’il n’y ait pas d’opposition clairement et explicitement exprimée par les interviewés sur le rôle joué par les différents types d’incitatifs et de formes de reconnaissance des efforts dans leur degré d’adhésion et d’implication dans l’implantation au SI, une tendance divergente semble néanmoins se dégager dans la priorité ou l’importance qui leur est accordée par les employés négatifs de ORG1, d’une part, et les employés positifs de ORG2, d’autre part.

En effet, les employés négatifs semblent accorder plus de valeur et d’importance aux incitatifs d’ordre financier et dévalorisent les marques symboliques de reconnaissance des efforts. Ils perçoivent très négativement les cérémonies organisées par leurs gestionnaires pour souligner les efforts des employés pendant l’implantation, qu’ils sont tentés de boycotter, et la remise de cadeaux symboliques qui sont tournés en ridicule. Par contre, ils accordent une importance critique et militent pour la revalorisation salariale de leur corps d’emploi à l’occasion de l’implantation du nouveau SI, dont la non-satisfaction par la direction semble créer un abcès de fixation dans les relations du travail, miner le climat de travail et leur acceptation du changement technologique.

De leur côté, les employés positifs semblent rechercher plus la reconnaissance morale pour leurs efforts d’adaptation ou d’implication dans le changement technologique et la rétroaction sur leur performance. Ils apprécient et sont satisfaits des encouragements qui leur sont prodigués aussi bien par leurs superviseurs immédiats que par la haute direction. Ils ne réclament pas de compensation salariale pour les heures supplémentaires parfois travaillées pendant l’implantation du SI, et le plaisir à voir avancer cette implantation et à utiliser le SI sont des compensations perçues comme suffisantes pour les efforts fournis. Ils ne cherchent même pas à être publiquement célébrés pour leurs prouesses et efforts personnels et préfèrent la discrétion. Ils ne croient pas au pouvoir mobilisateur des incitatifs financiers, mais plutôt à celui de la promotion interne qui viendrait reconnaître les efforts répétés.

Ainsi, et sans rejeter les compensations concrètes ou d’ordre salarial, les employés positifs semblent plutôt motivés par des facteurs intrinsèques alors que les négatifs se montrent frustrés par l’absence de facteurs de motivation extrinsèques. Plusieurs études ont par ailleurs avancé des résultats de recherche qui montrent la supériorité des facteurs de motivation intrinsèques par rapport aux incitatifs financiers sur l’engagement de type affectif et sur les comportements de citoyenneté organisationnelle, notions que nous pouvons associer à l’adhésion et l’implication des employés dans le cadre d’un changement technologique (Young, Worchel et Woehr, 1998 ; Eby et al., 1999 ; Podsakoff et al., 2000 ; Thatcher, Liu et Stepina, 2002 ; Gagné et Deci, 2005).

La communication

Les préoccupations par rapport à la communication et à l’information reçue sur l’implantation du SI sont plutôt le fait des employés négatifs qui en ont une perception négative et expriment leur insatisfaction concernant plusieurs aspects. Quant aux employés positifs, s’ils reconnaissent l’importance de la communication durant le changement technologique et s’ils relèvent certaines lacunes pendant l’implantation du SI, ils ne semblent pas la relier à leur adhésion face au SI mais ils s’en servent plutôt pour expliquer la résistance de leurs collègues. Il est donc possible que la communication agisse sur les utilisateurs avec un effet plus probant sur la démobilisation que sur la mobilisation. Mais il est possible également que cette moindre préoccupation des employés positifs pour la communication s’explique par leur proactivité dans la recherche d’informations que nous avons relevée et qui ferait que leurs attentes à l’égard des gestionnaires et autres responsables du projet pour la communication soient moindres que celles des autres employés.

Ainsi, les employés négatifs face au SI déplorent l’absence d’écoute chez leurs dirigeants et décideurs en charge du projet de SI qui seraient sourds ou n’accorderaient aucune considération à l’opinion, aux demandes ou aux suggestions des utilisateurs concernant le développement et l’implantation du SI. Certains mettent en cause le blocage de la transmission de l’information de la base vers le sommet de l’organisation, ce qui indiquerait une défaillance des gestionnaires dans leur rôle de relais dans l’information ascendante. Ceux-ci étant discrédités, leurs efforts de communication sont tournés en dérision et leurs réunions d’information sur le SI sont jugées peu crédibles et apparentées à de la publicité mensongère. Le contenu de l’information est perçu comme trop éloigné des préoccupations des utilisateurs, trop théorique ou trop technique, utilisant un jargon incompréhensible. La défaillance de la communication à apporter des réponses précises à leurs questions générerait de l’insécurité chez ces utilisateurs.

Quant aux employés positifs, si certains estiment l’information qui leur a été fournie comme assez complète et satisfaisante, apaisant les craintes de leurs collègues, les autres relèvent le manque de communication bilatérale avec l’absence de rétroaction de la part des développeurs du SI en direction des employés utilisés comme source d’information pour l’analyse des processus. Ils déplorent aussi l’insuffisance de la promotion du SI et de l’explication de la stratégie d’implantation de la part des responsables du projet, ce qui aurait entraîné l’indifférence ou le détachement chez les employés par rapport à l’évolution du projet. Enfin, ils pointent l’importance de la communication persuasive et explicative que les gestionnaires et responsables du projet devraient utiliser pour intéresser et faire mieux adhérer les utilisateurs au SI, à condition d’être prêts à répondre à leurs besoins et suggestions dans le développement et l’amélioration du SI.

Ceci montre la complémentarité ou l’alignement à opérer entre les pratiques de communication et de participation des utilisateurs, ainsi que la relation étroite entre la communication, l’image et la crédibilité des gestionnaires et l’implication des utilisateurs, ainsi qu’avec la qualité perçue du SI. Haddad (1996) avait aussi relevé le fait que l’information préalable des utilisateurs sur le changement technologique favorisait leur participation et Kotter et Schlesinger (1979) avaient déjà insisté sur l’importance de la communication pour rapprocher les points de vue, clarifier les attentes réciproques et instaurer un lien de confiance entre initiateurs et destinataires du changement.

La participation

Un peu à l’instar de la communication, et même si dans les deux cas étudiés les employés négatifs comme ceux qui sont positifs relèvent la faiblesse de la consultation des utilisateurs lors du développement et de l’implantation du SI, la participation cristallise surtout les critiques des employés négatifs. Ces derniers reprochent fortement aux responsables du projet de SI l’insuffisance de l’implication des utilisateurs dans la définition des besoins et l’analyse des processus préalables au développement du SI, ce qui aurait conduit selon eux à la faiblesse de la qualité du SI et à son inadéquation à répondre à leurs attentes. Ils apprécient d’autant moins être tardivement sollicités pour participer à la documentation et à la correction des erreurs du SI qu’ils n’ont pas été ou que très superficiellement associés à sa conception et à son développement. Ils relèvent le peu de considération de toute manière dans laquelle ils seraient tenus par leurs dirigeants, perçus comme des autocrates n’ayant pas de culture participative et qui n’écoutent pas ou ne donnent jamais suite aux suggestions des échelons inférieurs, jetant ainsi le discrédit sur le peu de consultation qui aurait eu lieu. Ceci est encore plus patent dans le cas de ORG2 où le SI est perçu comme ayant été développé en silo et quasiment coupé de ses futurs utilisateurs, selon une conception trop rigide pour pouvoir être révisée suffisamment. Ils pointent l’importance d’être consultés dès le départ et de voir leur point de vue pris en compte dans le développement du SI, expliquant qu’ils auraient été plus ouverts au changement si cela avait eu lieu.

Pour leur part, certains employés positifs regrettent aussi l’insuffisance de la consultation des employés qui, en général, ne se seraient pas sentis interpellés ou impliqués dans un processus qui s’est souvent réduit à une sorte de débriefing sans rétroaction de quelques-uns d’entre eux, conduisant à des erreurs de conception du SI constatées après coup et à la non-adhésion au changement de beaucoup d’entre eux. Mais d’autres expliquent cela également par le manque de collaboration des opposants au changement qui auraient été réticents à s’impliquer dans la consultation ou mettent en cause le fait que la consultation se serait arrêtée aux niveaux intermédiaires lesquels n’auraient pas représenté ou transmis correctement les besoins de leurs employés et futurs utilisateurs du SI. Parmi les employés positifs, ceux qui ont participé à titre d’utilisateurs-clés dans les essais et la validation du SI expriment leur satisfaction pour l’occasion qui leur était offerte de découvrir en primeur le SI, de l’améliorer et d’approfondir la connaissance et la maîtrise de son fonctionnement. Ceci leur aurait permis d’accéder à un statut privilégié de personne-ressource pour la formation ou le soutien de leurs collègues, et d’avoir ainsi une chance supplémentaire de bénéficier d’une promotion pour occuper ultérieurement des postes plus importants. Ils expriment aussi leur fierté d’avoir contribué à la réalisation finale du SI mais certains ont du mal à retrouver le travail et le statut ordinaire de simple utilisateur après celui privilégié de testeur du SI, ce que nous pouvons assimiler à un « effet Hawthorne » (Mayo, 1933).

Ainsi, s’ils reconnaissent l’insuffisance de la consultation des utilisateurs dans l’implantation du SI et l’effet négatif de cette insuffisance sur l’attitude de leurs collègues négatifs, les employés positifs ne semblent pas en être atteints dans leur propre attitude et restent favorables au SI. Ceci peut s’expliquer par le fait que la plupart des employés positifs qui se sont exprimés sur la participation ont effectivement et personnellement participé à l’implantation du SI et en retirent suffisamment de satisfaction personnelle pour compenser le constat ou le regret de ne pas l’avoir vu élargie à plus d’employés. Mais le fait qu’il y ait d’autres employés positifs qui n’ont pas personnellement participé ou été impliqués dans le changement tout en faisant le même constat d’insuffisance dans la consultation, peut indiquer tout simplement que tout le monde ne cherche pas forcément ou n’a pas besoin de participer personnellement et activement pour adhérer au changement, comme l’ont aussi rapporté Korunka, Weiss et Zauchner (1997) à propos de la prédominance de la participation passive lors des changements technologiques. En fin de compte, la consultation et le sentiment d’être considéré et de voir pris en compte ses besoins, même à travers d’autres, pourraient s’avérer aussi importants pour l’adhésion des utilisateurs au SI que la participation directe ou effective aux décisions et au processus d’implantation du SI. Ceci va dans le même sens que ce qu’avançait déjà Lawrence (1968) dans sa critique des travaux de Coch et French (1948) sur la résistance au changement, à savoir que la participation ne doit être vue ni comme une qualité intrinsèque chez les employés, ni comme une simple technique de gestion chez les dirigeants, mais qu’elle doit être basée plutôt sur le respect des employés, de leur savoir-faire et de la prise de conscience du besoin de leur contribution qui reste souvent ignorée. Aussi, il nous semble qu’en démocratie industrielle, comme dans la démocratie tout court, ce qui importe ce n’est pas toujours d’être présent, mais d’être ou de se savoir dignement représenté.

Outre les attitudes face au SI, la participation se révèle donc aussi liée aux intérêts personnels des utilisateurs, à l’image des dirigeants qui lui donne sa crédibilité, à l’implication des utilisateurs et à la qualité perçue du SI. Cependant, malgré son importance qui est rappelée ici et celle qui lui est accordée dans la littérature sur le changement depuis les travaux de Lewin (1951), ainsi que les multiples tentatives de validation empirique de ses effets sur l’attitude des employés face au changement en général et technologique en particulier, le poids réel et les modalités de l’influence de la participation restent apparemment subtils et encore à préciser (Klenke, 1992 ; Barki et Hartwick, 1994 ; Doll et Xiaodong Deng, 2001 ; Guimaraes, Staples et McKeen, 2003 ; Lynch et Gregor, 2004).

Apports et limites de la recherche

Nous terminerons en rappelant que la mise en place de ces pratiques de gestion ne suffit pas et que leur évaluation par les gestionnaires eux-mêmes devra être continue et toujours s’interroger, au-delà de leur caractère objectif, sur la manière dont elles sont reçues par leurs destinataires qui ne manqueront pas de les percevoir et de les interpréter en fonction de leurs expériences et attitudes antérieures, de leur échelle de valeurs et de leurs intérêts personnels, du contexte organisationnel et des interactions sociales qui s’y déroulent. On ne doit donc pas s’attendre à ce que la mise en place de ces pratiques ait un effet ni direct, ni identique, ni systématique sur l’adhésion et les comportements de mobilisation éventuels des employés à l’égard d’un nouveau SI. Le modèle de l’acceptation de la technologie (TAM en anglais) promu par Davis, Bagozzi et Warshaw (1989) avait consacré l’importance de deux perceptions de base, l’utilité perçue et la facilité perçue, et leur effet sur l’attitude et l’intention d’utiliser un SI. Des variables dites externes sont prévues comme pouvant influencer ces deux perceptions, telles que la formation ou le soutien de l’utilisateur qui agiraient sur la facilité perçue, à travers le sentiment d’efficacité personnelle. Ce modèle est lui-même une adaptation de la théorie de l’action raisonnée (TRA) de Fishbein et Ajzen (1975) qui postule que le comportement social volontaire peut être prédit par l’intention d’agir, laquelle est déterminée, d’une part, par l’attitude personnelle, suite à l’évaluation perceptuelle des conditions et conséquences de l’action envisagée et, d’autre part, par l’influence sociale ressentie qui dépend de la motivation à se conformer aux attentes de l’entourage social. Cette dernière variable avait été évacuée dans le TAM, mais les résultats de notre recherche nous semblent remettre en jeu l’importance de continuer à considérer l’influence sociale telle qu’elle peut transparaître dans le rôle joué par l’image des supérieurs et leur crédibilité.

Nos résultats indiquent donc des liens potentiels entre les pratiques de gestion examinées, la qualité perçue du SI, le sentiment d’efficacité personnelle, l’implication personnelle, l’image et la crédibilité des dirigeants, et l’attitude à l’égard du SI, laquelle est un précurseur de l’intention d’utiliser le SI de manière efficace et efficiente. Ces liens demanderaient bien sûr à être vérifiés dans une recherche ultérieure, mais nous pouvons dès maintenant en présenter le modèle (figure 1) et faire les propositions suivantes en remontant les liens pressentis :

  • Proposition 1 : L’intention d’utiliser un SI est positivement influencée par l’attitude personnelle à l’égard du SI et par l’image des supérieurs (crédibilité, confiance, compétence, etc.) qui peut induire une motivation à se conformer à leurs attentes (influence sociale).

  • Proposition 2 : L’attitude personnelle à l’égard du SI est influencée positivement par l’image des supérieurs (dont une partie des attentes peut être intériorisée et à laquelle l’individu peut s’identifier), par le sentiment d’efficacité personnelle, par l’implication personnelle par rapport à l’implantation du SI et par la qualité perçue du SI.

  • Proposition 3 : Le sentiment d’efficacité personnelle est influencé positivement par la formation et le soutien (qualité, disponibilité, adéquation aux besoins, etc.)

  • Proposition 4 : L’implication personnelle par rapport à l’implantation du SI est influencée positivement par la reconnaissance salariale et non-salariale, la communication et la participation (suffisance, transparence, crédibilité, etc.).

  • Proposition 5 : La qualité perçue du SI est positivement influencée par la communication et la participation.

  • Proposition 6 : L’image des supérieurs est positivement influencée par le soutien, la reconnaissance, la communication et la participation. Cependant, il faudra tenir compte aussi du fait que l’image des supérieurs formée antérieurement au projet d’implantation du SI influence aussi la communication et la participation.

Figure 1

Modèle de recherche émergent

Modèle de recherche émergent

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Enfin, certaines limites dans cette recherche doivent aussi être soulignées. D’abord, le petit nombre d’employés interviewés et de cas étudiés peut nuire à la généralisation des résultats. D’autres recherches sont nécessaires pour vérifier la pertinence des facteurs étudiés ici et pour en découvrir d’autres, qu’ils soient d’ordre organisationnel, personnel ou technique. Ensuite, il est difficile de vérifier si ce sont bien les perceptions et l’évaluation des pratiques de gestion qui ont pu influencer et orienter l’attitude des employés à l’égard du SI ou bien si, partant de leur attitude personnelle formée sur la base d’autres facteurs, individuels ou techniques par exemple, les employés ont pu rationaliser leurs perceptions et évaluation de ces pratiques. La possibilité d’une causalité circulaire peut être envisagée ici et pourrait être élucidée par une recherche longitudinale qui relèverait les attitudes et les perceptions dès l’annonce du changement, au cours et après l’implantation d’un SI.