Abstracts
Résumé
La théorie des contrats incomplets regroupe l’ensemble des travaux qui modélisent les causes et les conséquences de l’incomplétude contractuelle à partir de l’hypothèse d’une rationalité standard. Elle définit un contrat incomplet comme un contrat ne mentionnant pas certaines contingences susceptibles de se produire durant une transaction. Cette incomplétude s’explique par l’invérifiabilité de ces contingences par un tiers, c.-à-d. par l’existence d’une asymétrie d’information entre les contractants et le tribunal chargé de l’exécution du contrat, due à l’existence de coûts de contractualisation. Si les parties doivent investir en actifs spécifiques, se pose alors le problème du hold up. Cet article présente les principaux modèles et débats qui animent la théorie des contrats incomplets dans une perspective critique. Il semble en effet que les concepts de renégociation et d’incomplétude modélisés par cette approche sont très particuliers et portent à confusion.
Abstract
The incomplete contract theory sets all the models analyzing the causes and the consequences of contractual incompleteness resting on the standard rationality assumption. An incomplete contract is defined as a contract that does not specify all the relevant contingencies. Inverifiability, i.e. asymmetrical information between parties and courts because of the existence of contractualisation costs, explains incompleteness. This paper presents the main models and arguments of the incomplete contract theory from a critical perspective. I argue that this approach focuses on ideas of renegotiation and incompleteness that are very specific and may be misleading.
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Appendices
Notes
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Le version finale de cet article doit beaucoup aux commentaires et suggestions constructives du rapporteur anonyme, que je remercie vivement.
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Une variable est vérifiable lorsqu’elle est observable par un tiers (en l’occurrence, le tribunal), capable alors d’imposer l’exécution du contrat. Nous détaillons ce point au paragraphe 1.2.
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Si les parties anticipent une possibilité de hold up, pourquoi n’attendraient-elles pas avant de conclure la transaction? Comme l’a montré Grout (1984), l’absence de contrat ne permet pas d’inciter les parties à investir. En effet, le niveau d’investissement que les parties acceptent de mettre en place dépend du surplus qu’elles espèrent retirer de la relation. Un contrat irrévocable ou une intégration verticale permettent de stabiliser l’anticipation d’une division particulière du surplus; il offre alors une structure incitative aux parties. A contrario, la division du surplus obtenue après la réalisation de la transaction sur le marché spot n’est pas incitative. Il est donc bénéfique pour les parties d’écrire un contrat ex ante, même si celui-ci est incomplet.
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Si la relation entre les parties ne porte que sur l’échange d’un bien, le contrat complet optimal stipule alors que chaque partie i (i = 1, 2) s’engage à investir dans la production du produit X le montant a*i à la date 1 et à échanger la quantité q*i à la date 2 au prix p (celui-ci déterminant dès lors la répartition des gains de l’échange) à défaut de quoi elle paie la pénalité di à l’autre partie.
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Les droits mentionnés explicitement dans le contrat sont des droits contractuels spécifiques. Les droits résiduels correspondent au contrôle de tout ce qui n’est pas droit contractuel spécifique, c.-à-d. tout ce qui n’est pas spécifié dans le contrat.
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Mais cette augmentation du pouvoir de marchandage ne se traduit pas par la possibilité d’accaparer une part plus importante du surplus de la négociation, contrairement aux modèles de contrats incomplets postérieurs à celui de GH.
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L’absence de contrat ex ante peut s’interpréter aussi bien comme la signature d’un contrat incomplet ou complet. Pour les tenants de la théorie des droits de propriété, elle représente le contrat incomplet par excellence : il ne contient rien. On peut, a contrario, le qualifier de complet puisque les obligations des parties sont parfaitement définies dans tous les états de la nature possibles : elles n’en ont aucune.
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Même si celle-ci est définie contractuellement, rappelons que ce qui la caractérise est l’ensemble des droits résiduels de contrôle qui, eux, ne sont pas spécifiés dans le contrat.
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Se rattachant plus spécifiquement à l’analyse économique du droit (Law and Economics), Chung (1991) et Edlin et Reichelstein (1996) parviennent au même résultat d’optimalité des contrats à performance spécifique qu’Aghion, Dewatripont et Rey (1994) qui, eux, s’appuient directement sur le modèle d’Hart et Moore (1988). La performance spécifique correspond à une sanction juridique visant à « l’exécution forcée » de ses obligations par la partie qui y a fait défaut. Longtemps considérée comme inefficiente, cette forme de sanction était écartée en faveur de la sanction plus classique du paiement de dommages et intérêts. Chung (1991) et Edlin et Reichelstein (1996) montrent qu’il existe des situations où la performance spécifique est parfaitement efficace.
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[9]
D’autres modèles démontrent l’existence d’une solution optimale au problème du hold up en modifiant la chronologie de l’échange établie par Grossman et Hart (1986), comme par exemple en cas d’investissements spécifiques successifs et non simultanés des parties (de Fraja, 1999; Pitchford et Snyder, 2003).
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Symétriquement, si p1 – p0 > v ? c, le vendeur s’accapare tout le surplus de la renégociation en faisant à l’acheteur l’offre « à prendre ou à laisser » d’un nouveau contrat spécifiant un prix d’échange pˆ1 = p0 + v.
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[11]
Che et Hausch (1999) ont proposé une typologie des investissements spécifiques en distinguant les investissement de type « égoïste », qui ne profitent qu’à la partie qui investit (l’investissement du vendeur diminue le coût de production du bien mais n’augmente pas sa valeur pour l’acheteur par exemple), des investissements de type « coopératifs » qui, au contraire, ne profitent qu’à l’autre partie. Les modèles présentés ici considèrent des investissements « hybrides », dont la mise en oeuvre augmente conjointement les gains des deux parties.
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Nöldeke et Schmidt (1995) montrent, eux, qu’un contrat d’option, qui donne au vendeur le choix de livrer ou non le bien, permet aussi d’atteindre l’optimum de premier rang. Là aussi, la règle de l’échange volontaire est levée.
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Notons là encore que le contrat initial ne sera concrètement jamais renégocié, comme dans les modèles précédents. Nous reviendrons sur ce point à la section 4.2.
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Notons que le rôle du tribunal est purement passif. Il ne sera en effet jamais sollicité puisqu’il n’y aura pas de conflit entre les parties. Cependant, son existence est nécessaire pour garantir l’exécution du contrat. Les parties n’écrivent que des contrats vérifiables, c’est-à-dire stipulant des variables observables par les tribunaux. La défection par l’une d’entre elles de ses obligations peut ainsi être sanctionnée par le système judiciaire. Par conséquent, le contrat modélisé par Hart et Moore (1988) n’est auto-exécutoire que dans un sens faible : si son exécution ne donne lieu à aucune sollicitation du tribunal, il est cependant impossible d’empêcher la défection d’une partie s’il n’y a aucun appareil judiciaire.
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De plus, même si une forme d’engagement crédible au niveau des parties peut être trouvée, le juge n’impose pas l’exécution du contrat initial si les deux parties désirent renégocier (Jolls, 1997). Le système légal protège les droits d’une partie en cas de rupture abusive du contrat, mais ne force pas l’application d’un accord, même spécifié comme non renégociable, si aucune partie n’accepte de s’y soumettre.
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[16]
Nous avons montré par ailleurs que ces solutions possèdent une propriété que n’ont pas les contrats de la théorie de l’agence : elles sont flexibles. En rapprochant la théorie des contrats incomplets et l’approche décisionnelle de la flexibilité (Henry, 1974), on peut en effet monter qu’un contrat incomplet offre l’avantage de pouvoir reporter la décision des termes de l’échange à une date ultérieure où le temps aura apporté des informations nouvelles, avantage dont le prix se mesure par la valeur d’option (Chaserant, 2000).
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