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As long as the public lacks confidence that the Central Bank will do whatever is necessary to restore inflation, it will be difficult to reverse deeply ingrained deflationary expectations.

Rogoff (2002)

Introduction

Dans un contexte international où la plupart des économies affichent de bas taux d’inflation, le phénomène de la déflation est apparu comme un risque potentiel auquel pourraient faire face plusieurs banques centrales[1]. L’expérience du Japon, où l’inflation a été négative ou très faible pendant une quinzaine d’année (voir à ce sujet le graphique 1 de l’annexe 1), montre bien que les pays développés ne sont pas à l’abri du risque de déflation persistante.

Nous définissons la déflation comme étant un déclin généralisé et persistant des prix des biens et des services. Comme le mentionne Bernanke (2002), une telle situation découle généralement de chocs de demande négatifs : « Deflation is in almost all cases a side effect of a collapse of aggregate demand – a drop in spending so severe that producers must cut prices on an ongoing basis in order to find buyers ». Il peut aussi y avoir des épisodes temporaires de baisses de prix découlant de chocs d’offre positifs, mais ces épisodes s’avèrent moins problématiques dans la mesure où ils ne sont pas associés à des récessions[2]. Par conséquent, nous concentrons notre attention sur le cas où la déflation est persistante, découle de chocs de demande négatifs et est intégrée aux attentes des agents économiques. Dans un tel contexte, une banque centrale qui avait pour cible un taux d’inflation positif est donc devenue non crédible car la persistance de la déflation fait en sorte que les agents économiques ne croient plus à la possibilité de maintenir la cible.

La déflation est un sujet de préoccupation important, notamment en raison des contraintes qu’elle impose à la conduite de la politique monétaire. En temps normal, c’est principalement par des modifications de son taux cible du financement à un jour que l’autorité monétaire met en oeuvre sa politique monétaire, en injectant ou en retirant des liquidités dans le système financier. Par un mécanisme d’arbitrage, ces opérations influencent ultimement les autres taux de plus long terme et la théorie économique suggère que ce sont les mouvements dans ces taux qui ont un impact sur la décision des agents de consommer ou d’investir davantage.

Cependant, il est vain de chercher à abaisser le taux à un jour – ou tout autre taux que la banque centrale peut normalement influencer – quand ceux-ci sont déjà tombés à zéro, car les agents économiques sont peu enclins à détenir des titres financier (par exemple, des bons du Trésor) moins liquides et comportant un taux de rendement égal ou inférieur à celui des encaisses monétaires[3]. En outre, le taux d’intérêt réel étant le taux nominal duquel on soustrait les attentes inflationnistes, un taux nominal à zéro et une déflation suffisamment sévère peuvent produire un taux d’intérêt réel très élevé, quand au contraire il serait souhaitable que les taux d’intérêt réels soient très bas pour stimuler la demande globale. L’augmentation de la valeur réelle de la dette est également susceptible de placer certains agents économiques en situation financière difficile. Ces difficultés financières peuvent avoir un impact négatif sur la santé du système financier et mener à une réduction prononcée de l’offre de crédit venant aggraver la situation.

A priori, il y a peu de chances qu’une telle situation se présente dans les pays qui, comme le Canada, ciblent un taux d’inflation[4]. Sous une telle politique, il est clair que la banque centrale ajusterait ses taux pour prévenir les déviations du taux d’inflation par rapport à la cible. Par ailleurs, compte tenu de l’ampleur des chocs observés historiquement, les risques de déflation prolongée sont minimes dans un contexte où la cible d’inflation est fixée à 2 % (Amirault et O’Reilly, 2001).

Néanmoins, la possibilité que l’économie d’un pays sombre dans la déflation ne peut être complètement exclue. À juste titre, Ahearne et al. (2002) nous rappellent que la déflation japonaise persistante de la fin des années quatre-vingt-dix n’était pas prévue et il semble approprié de se préparer à faire face à une telle éventualité. Dans cet article, nous supposons la situation suivante : suite à une série de chocs de demande négatifs et/ou d’erreurs de politique, l’économie se retrouve dans une situation persistante d’offre excédentaire, de déflation et de taux d’intérêt nominaux à zéro, produisant un taux d’intérêt réel plus élevé que ce que requiert l’état de l’économie. Nous posons alors la question suivante : quelles mesures une banque centrale pourrait-elle adopter dans une telle situation?

Amirault et O’Reilly (2001) offrent un survol relativement exhaustif de la littérature traitant de la déflation. Notre document se concentre plutôt sur des aspects plus récents du débat concernant les moyens de mettre fin à la déflation. Nous concluons que les banques centrales disposeraient de moyens puissants pour ce faire et qu’il faudrait des erreurs de politiques persistantes et répétées pour que la déflation perdure.

Dans la prochaine section, nous abordons la question des politiques que les banques centrales pourraient adopter pour mettre fin à la déflation. Nous avançons l’idée que la priorité doit être d’asseoir la crédibilité de la politique monétaire. En effet, l’émergence d’une période de déflation résulte en partie de réponses inadéquates des autorités monétaires, ce qui soulève un risque de perte de crédibilité envers le maintien de la cible d’inflation. En la matière, on peut distinguer deux types de crédibilité : celle relative à l’intention de la banque centrale d’atteindre une cible de stabilité des prix et celle relative à sa capacité d’atteindre cette cible. Nous passons en revue quelques instruments susceptibles de renforcer ces deux types de crédibilité. Nous concluons ensuite.

1. Politiques pour sortir de la déflation

Puisqu’une déflation persistante est incompatible avec une cible d’inflation, elle risque d’être interprétée comme un manque d’engagement ferme des autorités monétaires à contrer les chocs négatifs qui ont entraîné l’économie dans une situation soutenue d’offre excédentaire et de déflation, et d’amener les agents à anticiper qu’elle perdurera. La thèse que nous défendons est que l’élément clé pour s’extirper d’une telle situation est que l’autorité monétaire retrouve sa crédibilité.

On peut identifier deux composantes essentielles à la crédibilité. En premier lieu, la crédibilité implique que les agents croient que l’autorité monétaire a l’intention d’atteindre un objectif explicite de stabilité du taux d’inflation. Il s’agit là de ce que nous appelons la crédibilité quant aux intentions. Cette forme de crédibilité requiert que les agents comprennent la nature de l’objectif visé et croient que la banque centrale est fermement engagée à atteindre son objectif. Deuxièmement, les agents doivent être convaincus de l’efficacité des instruments que les autorités monétaires ont à leur disposition pour générer les anticipations d’inflation nécessaires à l’atteinte de la cible. C’est là ce que nous appelons la crédibilité quant à la capacité d’action. Une politique monétaire crédible signifie que les agents modifient leurs attentes de telle sorte qu’elles soient de plus en plus compatibles avec les objectifs déclarés.

Les deux composantes de la crédibilité sont étroitement liées. En effet, Eggertsson et Woodford (2003) montrent que, sous certaines hypothèses, tout instrument utilisé par les autorités monétaires visant à stimuler la demande et à générer des attentes inflationnistes n’aura véritablement de succès que dans la mesure où la banque centrale est crédible quant à ses intentions; en d’autres termes, les agents doivent croire que la banque centrale a l’intention de mettre fin à la déflation. Et inversement, en l’absence de mesures concrètes de stimulation de la demande, on se doit d’être sceptique quant aux chances que les autorités monétaires puissent convaincre les agents du sérieux de leur intention de vaincre la déflation. Nous discutons maintenant des moyens de renforcer, en situation de déflation, ces deux formes de crédibilité.

1.1 Crédibilité quant aux intentions

Le premier élément de la crédibilité implique que la banque centrale doit impérativement annoncer ou réaffirmer un objectif clair défini en termes d’une cible d’inflation. La déflation peut soulever des doutes sur les intentions de la banque centrale et, en l’absence d’attentes précises quant à l’orientation future de la politique monétaire, les agents anticipent que la déflation peut perdurer. L’adoption d’objectifs clairs quant à l’orientation de la politique monétaire vise justement à inciter les agents à aligner le plus rapidement possible leurs attentes sur les objectifs visés par la banque centrale. La vitesse d’ajustement des attentes demeure intrinsèquement liée au degré de crédibilité de la banque centrale et représente en quelque sorte une mesure du succès de celle-ci par rapport à ses objectifs.

À l’heure actuelle, plusieurs banques centrales visent une cible d’inflation. Cette politique s’est avérée être un instrument de communication précieux et, en ce sens, a été très efficace pour ancrer les attentes des agents au taux visé (Bernanke, 2003; Dodge, 2005). Cette politique n’est pas seulement utile pour se protéger de la déflation, elle pourrait aussi être le cadre approprié pour en sortir. Cependant, dans un pays qui serait tombé en déflation malgré qu’il visait déjà une cible explicite d’inflation, le simple fait de réaffirmer cette cible ne serait probablement pas suffisant pour regagner la crédibilité.

Certains ont proposé, qu’en période de déflation, le taux d’inflation désiré devrait être plus élevé que les 2 % que visent plusieurs banques centrales ayant une cible d’inflation. Krugman (1998), par exemple, propose dans ce cas une cible de 4 %. À son avis, une telle cible augmente les chances que les attentes d’inflation redeviennent positives, car les agents sont alors susceptibles de croire que les autorités monétaires prendront des mesures plus énergiques pour atteindre une cible plus élevée qu’à l’habitude. Néanmoins, un taux d’inflation de 4 % peut comporter des coûts pour l’économie et les agents pourraient donc ne pas croire que la banque centrale ait vraiment l’intention d’atteindre une cible aussi élevée, et s’attendre plutôt à ce que la cible soit abaissée à la première occasion. Un taux cible de 4 % risquerait donc de ne pas être plus crédible qu’un taux plus modéré et d’avoir ainsi peu d’impact sur les attentes au-delà de ce que procurerait une cible perçue comme plus raisonnable à long terme.

D’autres (Svensson, 2001, 2003; Bernanke, 2002, 2003; Eggertsson et Woodford, 2003, 2004) proposent que les autorités monétaires aux prises avec une déflation adoptent une cible pour le niveau de l’indice de prix, une cible qui pourrait par exemple s’accommoder d’un taux de croissance moyen du niveau des prix de 2 %. Un avantage d’une cible de niveau de prix en situation de déflation est qu’elle pourrait aider à convaincre le public de la détermination de la banque centrale à prendre les mesures nécessaires pour atteindre sa cible d’inflation. En effet, à la différence d’une cible d’inflation, une cible de niveau de prix requiert que la banque centrale ajuste sa politique de manière plus agressive si le niveau de prix glisse sous le niveau visé. Dans ce cas, il faudrait que la banque centrale adopte des mesures encore plus énergiques pour hausser le taux d’inflation à un niveau suffisamment élevé pour ramener le niveau des prix au niveau désiré. Ces mesures énergiques seraient susceptibles d’aider à convaincre les agents que l’inflation redeviendra positive.

Un point relié au précédent est qu’une cible de niveau de prix peut aider à convaincre les agents que l’inflation sera en moyenne positive sur un horizon temporel suffisamment long. Dans le cadre d’une cible d’inflation, il est possible que l’inflation prenne un certain temps avant d’atteindre sa cible – parce que la crédibilité de cette cible est imparfaite et/ou parce que l’économie est en situation d’offre excédentaire – et les agents savent que l’autorité monétaire ne compensera pas la période de taux d’inflation inférieurs à la cible par des taux d’inflation supérieurs à la cible plus tard. Les taux d’intérêt nominaux étant contraints par la borne zéro, les taux d’intérêt réels intégrés à ces titres risquent donc de demeurer trop élevés par rapport à ce que requiert l’état de l’économie.

Une cible crédible de niveau de prix, parce qu’elle implique le renversement de taux d’inflation inférieurs à la cible, peut au contraire pousser les attentes inflationnistes de moyen et long terme à la hausse. Elle est donc susceptible d’aider à relâcher la contrainte associée à la borne zéro des taux d’intérêt nominaux (Eggertsson et Woodford, 2003, 2004). La cible de niveau de prix pourrait d’autre part être choisie de manière à ce que soit renversée la déflation ayant déjà prévalu. Pendant un certain temps, le taux d’inflation obtenu serait alors susceptible d’être passablement élevé (mais toujours compatible avec une cible de niveau de prix jugée souhaitable à long terme). Une telle mesure, prônée par Bernanke (2003) dans le cas du Japon, a pour avantage de réduire la pression qu’exerce sur les agents économiques l’augmentation de la valeur réelle de leur dette due à la déflation. Elle peut être particulièrement appropriée si les difficultés financières de ces agents ont un impact négatif important sur la stabilité du système financier.

L’annonce d’une cible de niveau de prix pourrait cependant être insuffisante pour rétablir la crédibilité des autorités monétaires. Il se peut que le public doute de la détermination de la banque centrale à atteindre cette cible. Il pourrait donc être nécessaire de prendre des mesures additionnelles pour convaincre les agents que les autorités ont vraiment l’intention d’atteindre la nouvelle cible. Certains proposent de pénaliser la direction de la banque centrale ou l’ensemble de son personnel en cas de non atteinte des objectifs (Walsh, 2002, 2003). Ces pénalités pourraient être de nature financière et lier la rémunération des banquiers centraux au degré d’atteinte de la cible. La rémunération pourrait par exemple être ajustée à la baisse par un facteur proportionnel à l’écart entre la cible de niveau de prix et le niveau de prix obtenu. On pourrait aussi lier le renouvellement du contrat des banquiers centraux à l’atteinte de la cible[5]. La connaissance par le public de l’existence de tels contrats aiderait sans doute à renforcer la crédibilité quant aux intentions.

1.2 Crédibilité quant à la capacité d’action

Comme on vient de le voir, la première composante essentielle au succès de la politique monétaire pour contrer une déflation persistante est la mise en place de mesures ayant pour but de convaincre les agents économiques que la banque centrale a bien l’intention d’atteindre sa cible. Cependant, la crédibilité au niveau des intentions n’est pas suffisante. La banque centrale doit de plus démontrer qu’elle a à sa disposition des instruments efficaces pour atteindre son objectif.

Dans une situation normale, où la borne zéro des taux d’intérêt nominaux n’est pas contraignante, la plupart des banques centrales des pays développés influencent l’activité économique par diverses opérations financières visant à affecter le taux cible du financement à un jour. Elles peuvent influencer ce taux à un jour en injectant ou en retirant des liquidités dans le système financier et par un mécanisme d’arbitrage, ces opérations ont un impact sur l’ensemble de la courbe de rendement. Cependant, en présence de déflation, les taux courts se situent désormais dans le voisinage de la borne zéro. Il n’existe alors aucune marge de manoeuvre à la baisse de ceux-ci et le mécanisme traditionnel de la politique monétaire devient, par le fait même, non opérationnel.

Faute d’avoir un impact sur les taux courts, la banque centrale doit trouver d’autres moyens si elle veut orienter à la baisse les taux nominaux à plus longue échéance. Deux possibilités s’offrent à elle. L’une d’elles est de s’engager à maintenir son taux cible du financement à un jour à zéro pendant une période suffisamment longue. L’argument à la base de cette stratégie est fondé pour l’essentiel sur la théorie des anticipations pures de la structure à terme des taux d’intérêt, qui stipule que les taux à long terme reflètent principalement les attentes des marchés sur ce que seront les taux de court terme[6]. Or, si l’annonce d’une décision de maintenir à zéro les taux à un jour s’avérait crédible, elle permettrait d’obtenir que les taux d’intérêt à plus long terme soient dorénavant plus bas. Ceci impliquerait que plusieurs taux d’intérêt baisseraient parallèlement, notamment les taux hypothécaires dont le niveau est étroitement relié à celui des obligations gouvernementales. La demande globale s’en trouverait par le fait même stimulée.

Une autre possibilité s’offrant à la banque centrale pour diminuer les taux longs consiste à intervenir directement sur les marchés obligataires par l’achat massif de titres à plus longue échéance. Il se peut qu’elle soit ainsi en mesure de créer un excès de demande et parvienne à faire diminuer les taux de rendement. Bien qu’il soit possible que de telles interventions aient les effets escomptés à court terme, on doit demeurer sceptique sur leur soutenabilité à plus long terme. D’une part, pour être efficace, la baisse de taux requise doit être observée pendant une période suffisamment longue. Or, considérant l’ampleur de ce marché, il existe un fort degré d’incertitude quant à la quantité de ressources nécessaires à une baisse significative des taux de long terme. D’autre part, dans un contexte déflationniste, il est fort probable que les taux de rendement de moyen et long terme soient déjà très faibles, rendant ainsi inutile toute intervention visant à les faire baisser davantage[7]. Il est d’ailleurs intéressant de noter à ce sujet que les taux d’intérêt de long terme ont été longtemps très bas au Japon, un pays ayant connu de fortes pressions déflationnistes pendant de nombreuses années (graphique 3 de l’annexe 1).

Étant donné les difficultés inhérentes au mécanisme traditionnel de la politique monétaire en présence de la borne zéro, la banque centrale devrait donc avoir recours à des mesures exceptionnelles pour stimuler l’économie et amener celle-ci au-delà de son potentiel[8] si elle veut créer les conditions nécessaires à une hausse suffisante du niveau des prix et/ou de l’inflation. Le fait de générer une hausse des attentes d’inflation lui permettrait d’avoir une incidence immédiate sur les taux réels, avec ses effets positifs sur la demande globale.

Certaines mesures concrètes ont été proposées pour générer des anticipations d’inflation positives. Ces mesures, qui sont des variantes des concepts de relâchement quantitatif et de relâchement qualitatif, impliquent toutes un changement de taille et/ou de composition du bilan de la banque centrale[9]. En plus des obligations gouvernementales de court terme auxquelles sont liées les opérations usuelles de la politique monétaire, la banque centrale pourrait s’engager à acheter toute une catégorie d’actifs privés présents sur les marchés financiers nationaux et internationaux : obligations privées, monnaies étrangères, actions, options, actifs immobiliers. De tels achats d’actifs privés pourraient améliorer le fonctionnement de marchés spécifiques, mais ils peuvent aussi entraîner une détérioration du bilan de la banque centrale, car celle-ci assume plus de risques. De plus, un achat massif d’actifs privés pourrait être perçu comme une volonté d’étatiser l’économie.

Pour minimiser les effets distorsionnaires potentiels sur le système de production privé, plusieurs auteurs ont proposé d’utiliser plutôt les opérations liées à l’achat massif de titres gouvernementaux. Auerbach et Obsfeld (2005) montrent qu’une telle politique présente l’avantage d’avoir un effet bénéfique sur le bien-être de la société, en réduisant les effets distorsionnaires des taxes par un allègement du service de la dette et du besoin futur de financement. Les auteurs montrent de plus que sous certaines hypothèses reliées aux rigidités nominales, une telle politique de rachat de la dette pourrait stimuler l’économie à court terme, ce qui va de pair avec l’objectif ultime visant à favoriser des pressions à la hausse sur les prix.

Comme solution complémentaire à ces politiques de rachats d’actifs, Buiter (2004) propose une combinaison de politique monétaire et fiscale qui revient à mettre en oeuvre une politique fiscale expansionniste – baisses d’impôt ou de taxes, hausse des transferts directs aux particuliers, hausse des dépenses publiques – financée par une hausse équivalente de la base monétaire. L’auteur montre qu’une telle politique de monétisation du déficit est pleinement efficace pour stimuler la demande car elle n’est pas sujette au problème d’équivalence ricardienne[10]. L’apport majeur de Buiter (2004) consiste à démontrer que malgré la symétrie qui existe entre la monnaie et les obligations gouvernementales à courte échéance à la borne zéro des taux d’intérêt nominaux[11], il existe une différence essentielle entre la monnaie fiduciaire et les obligations gouvernementales dans la contrainte budgétaire intertemporelle des ménages et du gouvernement. En effet, la monnaie représente un actif réel pour les agents alors que pour la banque centrale – ou le gouvernement – elle ne correspond qu’à un passif fictif qui n’aura jamais à être remboursé, contrairement aux obligations gouvernementales.

C’est cette asymétrie qui confère à la banque centrale la possibilité de rendre la politique fiscale pleinement efficace en atténuant au maximum l’effet négatif associé au financement du déficit par l’émission d’obligations et de la hausse subséquente de l’endettement public. À la différence du financement par émissions d’obligations, la monétisation ne requiert pas de hausse d’impôt futur, rendant ainsi caduque la logique derrière la notion d’équivalence ricardienne. La hausse de la base monétaire se traduit donc par une hausse réelle de la richesse consolidée des ménages. Buiter (2004) mentionne qu’une telle politique de monétisation du déficit sera d’autant plus efficace pour ramener l’économie vers l’équilibre désiré que cette dernière sera soumise à la borne zéro. Ceci provient du fait qu’en situation où les taux nominaux sont à zéro, l’effet d’éviction – crowding out – est grandement atténué. Dans le cas de la situation japonaise, Bernanke (2003) considère qu’une telle coordination monétaire et fiscale constitue la politique la plus réaliste et crédible pour sortir l’économie japonaise de la stagnation.

Un autre mécanisme important pour stimuler une économie soumise à la borne zéro a trait à des opérations d’achat massif de devises étrangères. Une telle politique implique évidemment une dépréciation de la monnaie nationale et entraîne des effets directs sur la demande globale et la production. Svensson (2003) montre que ce mécanisme représente un engagement manifeste en faveur d’une hausse future du niveau des prix, engagement suffisant pour générer des anticipations positives d’inflation[12]. De plus, le fait que le taux de change soit une variable directement observable offre aux agents la possibilité de juger des succès de la banque centrale quant à ses objectifs[13]. L’institution est ainsi en mesure de réagir plus efficacement à la lumière de ces informations et, comme la transparence est un facteur clé du maintien de la crédibilité, l’autorité monétaire peut communiquer plus aisément sa politique. D’un point de vue opérationnel, la banque centrale annonce une politique de dépréciation du taux de change – crawling peg – pour une période donnée et intervient par la suite sur les marchés de change de telle sorte que la devise se déprécie au niveau désiré. Svensson (2003) suggère un taux de dépréciation correspondant au taux d’intérêt moyen mondial observé. En termes de crédibilité quant à sa faisabilité, ce cadre opérationnel est approprié dans la mesure où la banque centrale peut aisément procéder à l’achat répété de devises étrangères, opérations rendues possibles par l’émission de monnaie nationale. Toutefois, une telle politique peut s’avérer problématique en raison des réactions négatives qu’elle peut susciter de la part des partenaires commerciaux du pays, à cause de l’avantage concurrentiel qu’il se donne[14]. C’est un peu comme si une économie cherchait à régler ses problèmes économiques sur le dos de ses voisins. L’autre problème potentiel avec une cible de taux de change vient du fait qu’elle exige en fait le maintien simultané de deux cibles – l’autre étant évidemment la cible reliée à l’inflation désirée. Or, le lien entre le niveau du taux de change et l’inflation étant déjà très incertain dans une situation normale, ou peut croire que ce lien serait encore plus incertain en situation de déflation. Le choix approprié d’une cible de taux de change compatible avec la cible d’inflation serait par conséquent très difficile d’un point de vue opérationnel.

Comme on vient de le voir, les différentes mesures proposées dans cette section ont toutes le potentiel de stimuler l’économie et de favoriser une hausse du niveau des prix. Cependant, l’incertitude entourant le mécanisme de transmission de la politique monétaire est accentuée en période de déflation et certaines de ces solutions peuvent être davantage sujettes à l’incertitude, ce qui rend leur mise en application – et par le fait même leur efficacité – problématique. Par exemple, on sait qu’un achat massif d’actifs aura l’effet escompté d’augmenter les liquidités dans l’économie et qu’il existe un seuil au-delà duquel on sera assuré que ce surplus de liquidités aura les effets stimulateurs pour l’économie. En revanche, comme ces mesures sont par définition non conventionnelles, on connaît très peu les élasticités sous-jacentes et il devient ainsi très difficile de calibrer a priori un cadre d’intervention compatible avec l’atteinte des objectifs. L’incertitude provient essentiellement de la réaction potentielle des agents face à ce surplus non anticipé de liquidités. En effet, compte tenu de la conjoncture économique incertaine (élément caractéristique de la déflation), les agents pourraient présenter une plus forte propension a épargner et ce surplus de liquidité pourrait ne pas se traduire en stimulation suffisante de l’économie[15]. Par contre, si les autorités réagissent à cette inélasticité par des achats d’actifs encore plus agressifs, il y a des risques que ce surplus de liquidités entraîne une surréaction des agents une fois l’économie revenue à la normale, avec des risques de spirales inflationnistes.

La difficulté de déterminer le montant approprié de liquidité est bien illustrée par le cas japonais. En effet, depuis la fin des années quatre-vingt-dix, la Banque du Japon utilise divers instruments pour stimuler la croissance de la liquidité par l’achat d’obligations gouvernementales et d’actifs risqués. Cette politique a de fait conduit à une croissance plus rapide de la liquidité (graphique 2 de l’annexe 1), mais ses effets sur les agrégats monétaires plus larges, l’activité économique et l’inflation ont tardé à se matérialiser. Ce n’est que depuis le milieu des années deux mille que la croissance économique s’est accélérée et que la déflation s’est amoindrie (Citrin et Wolfson, 2006).[16]

Parmi l’ensemble des politiques proposées, la combinaison monétaire-fiscale semble être la stratégie la moins sujette à l’incertitude car elle a l’avantage d’être suffisamment flexible – hausse des dépenses, baisse de taxe, hausse des transferts – pour permettre une coordination de mesures fiscales minimisant l’incertitude quant aux effets escomptés de ces mesures dans le temps. Ainsi, on peut relativement bien prévoir l’impact, à la fois en termes d’ampleur et de « timing », d’une hausse des dépenses publiques sur la demande globale[17]. Il n’en demeure pas moins que la question du dosage approprié est difficile et rien ne garantit que le dosage utilisé soit compatible avec la cible d’inflation de la banque centrale. En effet, il y a des risques de dosage insuffisant qui maintiendrait l’économie dans la situation de déflation et des risques de dosage excessif qui pourrait conduire à une situation où l’inflation se situerait bien au-delà de sa cible. Il est donc très important que l’utilisation de telles mesures exceptionnelles soit assortie d’une stratégie de sortie qui spécifie de façon précise comment la banque centrale mettra fin à ces mesures une fois l’objectif atteint. Le cadre de politique que nous proposons présente l’avantage de ne pas avoir besoin d’une stratégie de sortie explicite, dans la mesure où un objectif crédible de cible d’inflation est suffisant pour convaincre les agents que les mesures exceptionnelles prendront fin dès que la banque centrale aura atteint sa cible d’inflation.

Conclusion

Dans ce document, nous avons analysé les options qui s’offriraient aux autorités monétaires si, suite à une série de chocs de demande négatifs et d’erreurs de politique monétaire, l’économie sombrait dans une déflation prononcée. Nos conclusions principales sont :

  1. L’objectif premier de la politique monétaire devrait être d’asseoir la crédibilité. Les autorités devraient pour cela convaincre les agents économiques de leur intention et de leur capacité de sortir l’économie de la déflation.

  2. Au niveau des intentions, il s’agirait de convaincre les agents que la banque centrale a vraiment l’intention de mettre fin à la déflation. Un objectif défini en termes du niveau des prix semble approprié dans une telle situation. Un tel objectif ne serait cependant pas automatiquement crédible. Une révision complète des pratiques des banquiers centraux et la mise en place de pénalités les affectant directement en cas de non-atteinte de l’objectif de niveau de prix sont des mesures qui pourraient les aider à rétablir leur crédibilité.

  3. Au niveau des moyens d’agir, il s’agirait, de la part des autorités, de mettre en place des mécanismes de stimulation de la demande globale capables de pousser l’économie au-delà de son potentiel et de générer des pressions inflationnistes. L’ajout de liquidité dans l’économie peut aider à relâcher la contrainte budgétaire de certains agents et ainsi à relancer l’économie.

  4. La crédibilité au niveau des intentions et celle au niveau des moyens d’agir se renforcent mutuellement. La mise en application concrète de mesures de stimulation de la demande aiderait à convaincre les agents de la détermination des autorités à vaincre la déflation. En retour, ces mesures seraient d’autant plus efficaces que les agents auraient confiance que les autorités ont vraiment l’intention de renverser la déflation.

  5. L’exemple du Japon montre bien l’importance d’adopter un cadre de politiques crédible. L’absence d’un tel cadre a sans doute contribué à l’incertitude relative aux intentions de la Banque du Japon et à l’incapacité de cette dernière de sortir l’économie japonaise de la déflation plus rapidement[18].

  6. La Banque du Japon a mis en place certaines des mesures que nous prônons pour relancer la demande en situation de déflation (relâchement quantitatif, achat d’obligations gouvernementales). Ces mesures semblent avoir contribué à la relance de l’économie japonaise récemment constatée. L’approche de la Banque du Japon semble cependant ne pas avoir été suffisamment énergique. L’exemple japonais montre que le dosage des mesures de relance est particulièrement difficile dans le contexte très incertain d’une économie en situation de déflation. Il pourrait aussi être la démonstration que les mesures de stimulation de l’économie sont moins efficaces en l’absence d’un engagement crédible en faveur d’une cible claire.

  7. En somme, les banques centrales disposent d’outils puissants, bien que difficiles à doser, pour sortir l’économie de la situation difficile dans laquelle nous la plaçons dans le présent texte. Il faudrait des erreurs répétées, notamment un dosage continuellement insuffisant des mesures de stimulation de la demande, pour que la déflation persiste malgré l’utilisation de ces outils.