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Introduction

La question de l’influence macroéconomique des mouvements du prix du pétrole comporte une composante politique non négligeable et des réponses contradictoires s’opposent. Certains, très minoritaires, prétendent que les hausses du prix sont en fait favorables à la croissance (McKillop, 2004) tandis que d’autres voient dans les mêmes hausses des signes annonciateurs de l’apocalypse, ou tout au moins d’une récession. D’un point de vue quantitatif, les estimations de l’impact d’une variation du prix du pétrole sur l’activité macroéconomique divergent. En ce qui concerne les États-Unis, par exemple, les élasticités entre le PIB réel et le prix du pétrole évaluées à l’aide de modèles économétriques forment un large éventail, allant d’une valeur voisine de - 0,01 pour l’OCDE/AIE (avec le modèle Interlink) à - 0,1162 pour James D. Hamilton. Ainsi, d’un extrême à l’autre, une hausse de 10 $US du baril, de 20 $US à 30 $US, entraîne une baisse du PIB américain par rapport au niveau de référence allant d’environ 0,5 % à plus de 5,5 %. Dans le cas où la hausse se maintient, les évaluations de l’effet à long terme sur le potentiel de croissance sont tout aussi dispersées.

Les écarts entre les estimations empiriques reflètent l’instabilité temporelle de la relation et les désaccords théoriques concernant les mécanismes par lesquels une fluctuation du cours du brut se propage à travers le système économique et affecte la conjoncture; la diversité des méthodes économétriques joue également un rôle important : en effet, selon les modèles utilisés, les relations mises en évidence mesurent des interactions de natures différentes, valables sur des horizons temporels distincts.

Dans le contexte de la hausse importante du prix du pétrole observée depuis six ans, comprendre la variabilité des élasticités estimées revêt une importance majeure. Il y a quelques années à peine, les prévisionnistes redoutaient un renchérissement de 10 $US du baril. Pourtant, la multiplication par 5 du prix du brut entre 2002 et 2008, de 20 $US à 100 $US, semble ne pas avoir affecté l’économie mondiale. Longtemps, l’inflation est restée maîtrisée dans les pays développés et la croissance économique a été particulièrement vigoureuse jusqu’à ce que la crise financière éclate. Différents facteurs peuvent être avancés afin d’expliquer cette insensibilité apparente. De façon structurelle, la diminution des intensités et des factures pétrolières en pourcentage du PIB (au niveau mondial et en particulier dans les pays industrialisés) permet vraisemblablement de mieux résister à la hausse du prix du brut. De façon conjoncturelle, le fait que le renchérissement du pétrole a accompagné, de façon graduelle, un cycle de forte croissance économique a sans doute facilité son absorption par rapport aux deux premiers chocs pétroliers. En dépit de la dispersion apparente de leurs résultats, les travaux publiés permettent de mieux comprendre comment ces éléments ont pu jouer au cours des dernières années.

Cette revue s’articule en deux parties. Dans un premier temps, nous présenterons de la façon la plus exhaustive possible les résultats des études théoriques et empiriques réalisées sur le sujet. En particulier, notre principal objectif est de reporter les élasticités du PIB réel par rapport au prix du pétrole que fournissent les modèles publiés. La présentation des mécanismes théoriques par lesquels une hausse du prix du brut se propage à travers le système économique permet d’abord d’éclairer les résultats quantitatifs décrits; surtout, elle permettra dans la seconde partie d’expliquer la dispersion des élasticités estimées.

En effet, dans l’esprit d’Alfred Marshall, nous effectuerons dans un deuxième temps une interprétation fréquentielle des résultats publiés, qui nous permettra de mettre en évidence trois classes d’analyses (et donc de partager l’intervalle couvert par les élasticités en trois sous-ensembles) : les premières mesurent les élasticités à long terme, les secondes quantifient les élasticités à court terme et les troisièmes cherchent à évaluer l’impact à court terme sur le PIB des mouvements à long terme du prix du pétrole. Nous commenterons alors les trois bandes identifiées.

1. L’influence des variations du prix du pétrole : théorie et résultats empiriques

Les estimations économétriques des conséquences macroéconomiques des variations du prix du pétrole divergent, bien que les effets directs soient bien connus, car l’instabilité temporelle des modèles construits afin de quantifier ces effets a conduit à des interprétations opposées.

Diverses explications ont été avancées afin de justifier l’atténuation progressive et la variabilité à brève échéance des effets des mouvements du prix du brut. Outre la diminution tendancielle de l’intensité énergétique dans les pays industrialisés, la conjoncture et les anticipations jouent un rôle de premier ordre. D’une part, la transmission des coûts de production vers les prix à la consommation dépend de la politique monétaire, dont la conduite a évolué au début des années quatre-vingt et qui se montre très attentive aux variations du prix du pétrole. D’autre part, la phase du cycle conjoncturel, influence le partage de la valeur ajoutée.

De plus, en cas de variations marquées du prix du pétrole, les imperfections des marchés et les anticipations des agents pourraient exacerber les effets directs et permettre des influences indirectes, liées à la valeur absolue des fluctuations. Cependant, de tels phénomènes sont difficiles à prendre en compte dans un modèle agrégé autrement qu’en construisant une mesure de « choc pétrolier » exprimant ces effets non linéaires, et les élasticités estimées sont très sensibles à la mesure de prix ou de « choc » choisie.

Quant aux analyses désagrégées, elles fournissent des résultats plus intéressants mais qui ne se résument généralement pas de façon simple.

Par ailleurs, le prix du pétrole est également soupçonné par certains d’exercer à long terme une influence sur le potentiel de croissance économique et d’être l’un des facteurs à l’origine des « cycles longs » (Phelps, 1994[1]).

Dans cette première partie, nous commencerons par récapituler les mécanismes de transmission d’une hausse du prix du pétrole à travers le système économique en considérant le pétrole comme une commodité quelconque. Nous exposerons ensuite les principales sources de variabilité dans les estimations des élasticités du PIB réel vis-à-vis du prix du brut. Nous soulignerons également la distinction qui est faite dans la littérature entre les variations du prix du pétrole et les « chocs » pétroliers avant d’effectuer une revue des élasticités reportées dans les principales publications sur le sujet. Nous consacrerons une section à une présentation rapide des conclusions de quelques analyses microéconomiques qui apportent un autre éclairage sur l’instabilité des effets agrégés des variations du prix du pétrole. Enfin, nous évoquerons les travaux réalisés sur les relations à long terme entre le prix du pétrole et le PIB.

1.1 Les mécanismes de transmission

Les études réalisées depuis le premier choc pétrolier ont expliqué un ensemble d’effets « standards », sur lesquels il existe un relatif consensus.

Une hausse du prix du brut représente en premier lieu, pour une économie, un choc inflationniste exogène.

Le commerce international en est affecté car le renchérissement de l’un des produits les plus transigés bouleverse les termes de l’échange entre les pays exportateurs et les importateurs nets. Ces derniers subissent dans un premier temps, par un effet prix, une détérioration de leurs balances commerciales; sur un horizon plus long, les ajustements des taux de change[2] ainsi que la demande en biens, en services et en épargne des pays exportateurs déterminent les évolutions ultérieures.

Au niveau des économies nationales, une hausse du prix du pétrole brut se répercute sur le prix des produits pétroliers et, du point de vue de la consommation, la facture énergétique des agents (ménages, industriels et gouvernement) s’alourdit tandis que, du point de vue de la production, les entreprises sont confrontées à une hausse des coûts unitaires. En ce qui concerne la demande, il en résulte un ralentissement des dépenses de consommation, à moins que la variation du prix ne soit perçue comme de courte durée et que les agents ne préfèrent maintenir leur train de vie en réduisant leur épargne ou en empruntant (ce qui exercerait une pression à la hausse sur les taux d’intérêt). Du côté de l’offre de biens et services, une hausse du prix de l’énergie entraîne une baisse de la productivité qui se répercute sur 1) les salaires réels et l’emploi, 2) les prix de vente et l’inflation sous-jacente, 3) les taux de profits et l’investissement ainsi que les capitalisations boursières.

L’analyse théorique des mécanismes par lesquels une hausse des prix du pétrole se propage à travers le système économique repose sur une structure de type « arbre décisionnel » : selon les choix réalisés par les agents économiques, le préjudice occasionné par le renchérissement du baril sera supporté dans des proportions variables par les différents types d’acteurs (salariés, entrepreneurs, actionnaires, consommateurs, investisseurs, etc.). La figure 1 présente les enchaînements initiaux de quelques-unes des trajectoires possibles.

Figure 1

La propagation d’une hausse du prix du pétrole : les choix et leurs implications

La propagation d’une hausse du prix du pétrole : les choix et leurs implications

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Quels que soient les choix réalisés, la croissance économique réelle sera inférieure sur le court terme à ce qu’elle aurait été en l’absence de hausse du prix du pétrole. En revanche, l’impact sur les autres indicateurs macroéconomiques, notamment sur la répartition de la valeur ajoutée et sur les taux d’intérêt réels, est ambigu et dépend de la façon dont la hausse du prix se propage à travers le système économique.

Cependant, la prise en compte de ces effets dans des modèles économétriques standards - qu’il s’agisse de systèmes d’équations structurelles ou de modèles compacts de la famille des VAR - a rapidement révélé que l’influence du prix du pétrole sur l’activité économique s’exerce de façon instable, tant à court terme que sur une longue période. En ce qui concerne cette seconde forme d’instabilité, les relations statistiques estimées jusqu’à la fin des années soixante-dix semblent s’affaiblir dès le début des années quatre-vingt jusqu’à devenir non significatives dans le courant des années quatre-vingt-dix (Mork, 1989; Hooker, 1996a).

1.2 Les sources d’instabilité temporelle

Outre la réduction de l’intensité énergétique des pays industrialisés depuis 30 ans, il existe plusieurs sources de variabilité dans la relation entre le prix du pétrole et l’activité économique. Un renchérissement du baril ne se propage pas d’une façon prédéterminée à travers le système économique et les choix des différents agents (individus, entreprises, gouvernements et surtout autorité monétaire) conditionnent les évolutions ultérieures. Ces choix sont bien sûr fortement influencés par la situation actuelle et par les anticipations à différents horizons temporels.

Or, ces choix ont évolué. Les nombreux travaux de recherche et d’analyse réalisés sur le rôle et l’influence du pétrole dans l’activité économique ont permis de mieux les comprendre et d’identifier les réponses aux hausses des cours les moins adaptées afin de ne pas répéter les erreurs passées. Ainsi, par exemple, la vigilance accrue des banques centrales vis-à-vis de l’inflation permettra sans doute, à l’avenir, d’éviter les spirales prix/salaires. De la même façon, les politiques de contrôle des prix mises en oeuvre par la plupart des pays occidentaux au début des années soixante-dix ont montré leur inefficacité et leurs dangers.

C’est dans le domaine de la politique monétaire que le phénomène d’apprentissage a été prépondérant[3]. En effet, les banques centrales ne se fient plus, à long terme, à l’arbitrage entre inflation et chômage qu’exprimait la première version de la « courbe de Phillips ». La prise en compte d’anticipations adaptatives a conduit à un redressement à long terme de celle-ci.

Au début des années quatre-vingt, sous le mandat de Paul Volcker, la maîtrise de l’inflation est devenue la mission prioritaire de la Réserve fédérale américaine (Fed). Ce renversement dans la hiérarchie des objectifs s’est traduit par une réaction beaucoup plus brutale de l’autorité monétaire aux hausses de l’indice des prix et il a entraîné une élévation durable des taux directeurs.

Il existe, depuis, une forte corrélation entre les « chocs » pétroliers et les « chocs » monétaires. D’après Bernanke, Gertler et Watson (1997), l’essentiel des pertes de PIB à la suite des renchérissements du brut a été dû aux politiques contraignantes adoptées par la Fed afin de lutter contre l’inflation, et particulièrement aux hausses des taux d’intérêt directeurs[4].

En raison de cette vigilance accrue des banques centrales vis-à-vis des mouvements des prix, il semble désormais acquis que les hausses des cours des produits pétroliers ne se transmettent plus à l’inflation sous-jacente (Bouscharain et Ménard, 2000; Hooker, 2002). En particulier, des spirales inflationnistes (hausse des prix/hausse des salaires) telles que celles associées au premier choc pétrolier ne sont plus à craindre.

Cependant, dans ces conditions, l’analyse empirique des effets des variations du prix du pétrole est compliquée par l’évolution des pratiques dans le domaine monétaire.

Un dernier courant d’inspiration monétariste considère que les épisodes de stagflation consécutifs aux deux premiers chocs pétroliers résultent des mesures trop erratiques adoptées par les banques centrales et des politiques de douche écossaise (stop & go) mises en oeuvre (Barsky et Kilian, 2002).

Les décisions de politique monétaire et, plus généralement, les décisions économiques dépendent également du contexte actuel. Raymond et Rich (1997) ont analysé spécialement l’influence du prix du pétrole sur l’économie américaine selon la phase du cycle conjoncturel dans laquelle survient la variation de prix. Ils concluent qu’une hausse est préjudiciable lorsqu’elle survient dans une période de faible croissance ou de récession mais qu’elle n’a pas d’effet dans les périodes de forte croissance.

Ce résultat statistique peut s’expliquer par l’évolution des rapports de force entre les groupes d’agents économiques au cours du cycle conjoncturel et par l’existence de marges de manoeuvre plus importantes lorsque l’activité économique accélère que dans les périodes de ralentissement. Les deux premiers chocs pétroliers sont survenus dans des phases de décélération de l’activité économique. En revanche, la hausse actuelle accompagne une période d’accélération.

Enfin, une dernière source potentielle d’instabilité dans la relation entre le prix du pétrole et le PIB mérite d’être mentionnée. Plusieurs études mettent en évidence une réaction asymétrique du prix à la consommation des produits pétroliers aux variations du prix du brut, aux États-Unis (Balke, Brown et Yücel, 1998; Brown et Yücel, 2000) et en Europe (Indjehagopian, Lantz et Simon, 2000; Audenis, Biscourp et Riedinger, 2002). Huntington (1998) conclut que cette réponse asymétrique explique une part importante de la réponse asymétrique du PIB mais Balke, Brown et Yücel (2002) contredisent ce résultat.

1.3 Fluctuations du prix du pétrole vs « choc pétrolier »

La recherche empirique sur les effets agrégés des mouvements du prix du pétrole s’est inspirée de travaux réalisés dans d’autres domaines de la recherche économique. Deux pistes, notamment, ont suscité un intérêt marqué.

Selon « l’hypothèse de dispersion » (Lilien, 1982), un choc exogène peut provoquer des déséquilibres inter et intrasectoriels (entre la demande et l’offre en facteurs de production) qui peuvent entraîner une sous-utilisation durable des ressources en travail et en capital dans certaines industries; en ce qui concerne l’emploi, en particulier, la montée du chômage sera plus importante et plus longue si les agents s’attendent à tort à ce que les effets du choc soient de courte durée et si changer de secteur d’activité présente un coût (Hamilton, 1988).

Selon l’hypothèse du report d’investissement en présence d’incertitude, la valeur associée à l’option de reporter une décision d’investissement augmente fortement lorsque des informations utiles concernant l’évolution future du prix d’un intrant sont attendues (Pindyck, 1991). Par conséquent, si les agents ont le choix, ils auront tendance à attendre que les informations soient connues avant d’investir dans des technologies « putty-clay »[5].

Ainsi, une variation brusque du prix du pétrole à la baisse pourrait, si elle entraîne des déséquilibres sectoriels ou un accroissement de l’incertitude, exercer une influence « indirecte » préjudiciable qui contrebalancerait les effets « directs » favorables; en cas de hausse des prix, les effets s’amplifieraient. Les imperfections des marchés, notamment les rigidités sur l’emploi et l’information imparfaite, pourraient exercer un effet multiplicateur sur les hausses et neutraliser les conséquences bénéfiques des baisses.

La vérification empirique de ces hypothèses et la quantification des effets est difficile au niveau macroéconomique car il est nécessaire de construire une mesure de « choc pétrolier » exprimant l’influence agrégée, asymétrique et non linéaire, des mouvements du prix. Les mesures proposées reflètent une grande variété d’opinions, telles que les hausses de prix jouent mais non les baisses[6] (Mork, 1989), les hausses de prix n’exercent une influence que si elles sont suffisamment importantes par rapport aux évolutions récentes[7] (Hamilton, 1996, 2003) ou encore l’effet d’une hausse est une fonction de son amplitude normalisée par le degré de variabilité courant du prix[8] (Lee, Ni et Ratti, 1995). Hamilton propose donc de ne retenir que les hausses nettes, c’est-à-dire les augmentations du prix réel au-delà du maximum observé sur les 4 derniers trimestres (Hamilton, 1996 : fig. 5) ou 12 (Hamilton, 2003 : fig. 6) derniers trimestres. Lee, Ni et Ratti conseillent de considérer les augmentations non anticipées relativisées par la volatilité des cours (fig. 4)[9].

De façon générale, les analyses empiriques exploitant des mesures de « choc pétrolier » présentent deux faiblesses qui limitent leur intérêt pratique : d’un point de vue théorique, les mesures utilisées ne sont pas justifiées autrement que par une opinion telle que celles exprimées dans les citations ci-dessus (Hooker, 1996b); empiriquement, les relations estimées grâce à ces mesures se révèlent généralement instables et non significatives après quelques années (Hooker, 1997, 1999).

1.4 Quantification des effets macroéconomiques des variations du prix du pétrole

Les estimations des relations entre le prix du pétrole et les indicateurs économiques dépendent fortement des effets pris en compte dans le modèle et de l’approche empirique utilisée pour le construire. Les écarts entre les élasticités obtenues reflètent les différences entre les a priori introduits dans les modèles et particulièrement dans la transformation appliquée au prix du pétrole. Nous proposons dans cette partie et les suivantes une synthèse des principaux résultats empiriques publiés. Une présentation plus détaillée et la plus exhaustive possible se trouve en annexe dans les tableaux 2, 3 et 4.

Les modèles du Fonds monétaire international (FMI) (2006) et de l’Organisation de coopération et de dévelopement économique (OCDE) (2004) traitent les variations du prix du pétrole comme des chocs quelconques sur l’offre. L’OCDE parvient après 2 ans à une élasticité cumulée proche de - 0,021 pour les États-Unis lorsque la politique monétaire n’est pas expansionniste (- 0,01 après un an). À l’aide du modèle de l’OCDE, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime (2004) qu’une hausse du prix du baril de 25 $US à 35 $US provoque la première année une baisse du PIB de 0,3 point de pourcentage aux États-Unis, de 0,4 point au Japon et de 0,5 point pour l’ensemble des pays de la zone euro (soit des élasticités de - 0,008, - 0,01 et - 0,013 respectivement).

La plupart des autres travaux de recherche et des études empiriques réalisés sur le sujet utilisent des données américaines. À titre d’exemples, Mory (1993) et Mork et al. (1994) aboutissent à des estimations de l’élasticité du PIB vis-à-vis des hausses de prix égales, respectivement, à - 0,067 et - 0,054 à partir de régressions log-linéaires autorégressives du PIB. Ces valeurs sont proches de celles présentées lors de la septième édition de l’Energy Modeling Forum (EMF-7) et documentées par Hickman et al. (1987) : la médiane des élasticités cumulées sur 2 ans valait - 0,058. Avec les mesures de « choc pétrolier » de Hamilton (2003 : figure 7) et de Lee, Ni et Ratti (1995 : figure 4), les résultats obtenus sont - 0,1162 et - 0,0535 respectivement[10] (au bout de 8 trimestres). Dotsey et Reid (1992), quant à eux, parviennent (lorsque le taux des fonds fédéraux est pris en compte) à une élasticité cumulée de - 0,094 au moment où la réaction est la plus importante, au bout de 7 trimestres.

Jones, Leiby et Paik (2004) reportent que le Département de l’Énergie américain (U.S. Department of Energy) a utilisé sur les 15 dernières années, dans ses analyses de politique énergétique, une valeur comprise entre - 0,025 et - 0,055.

En ce qui concerne les autres pays, et notamment les pays européens, les études sont nettement moins nombreuses. Nous pouvons mentionner Mork et al. (1994) et Papapetrou (2001). Les premiers aboutissent à des estimations de l’élasticité du PIB vis-à-vis des hausses de prix égales à - 0,023 pour le Japon, - 0,081 pour l’Allemagne de l’Ouest, - 0,098 pour la France, - 0,064 pour le Canada, - 0,038 pour le Royaume-Uni et - 0,051 pour la Norvège. Quant à Papapetrou, elle analyse l’influence de l’indice des prix à la consommation des produits pétroliers sur l’économie grecque entre 1989M1 et 1999M6; elle estime des élasticités de la production industrielle et de l’emploi de - 0,027 et - 0,008.

Plus récemment, à l’aide du modèle L’Angevin, Ouvrard, Serravalle et Sillard (2005) obtiennent des élasticités voisines de - 0,01 au bout de 2 ans entre le prix réel du pétrole et le PIB réel français. Barlet et Crusson (2006) parviennent à des résultats compatibles avec cette valeur compte tenu de la bande de confiance de leurs simulations, qui couvre l’intervalle [-2,5 %; 1,4 %] sur la période 1980-2006, mais l’élasticité qu’elles estiment n’est pas statistiquement significative. Le seul canal de transmission par lequel le prix du brut pourrait affecter significativement la croissance française semble être celui opérant via la demande étrangère, et l’effet est alors relativement faible, de l’ordre de - 0,02. Parmi les partenaires commerciaux de la France étudiés (Royaume-Uni, Italie, Allemagne), seul le Royaume-Uni est affecté significativement par le prix du pétrole; l’élasticité vaut - 0,021 en considérant le taux de variation du prix du Brent et - 0,041 en utilisant la spécification de « choc » d’Hamilton (2003).

Pour conclure, il est intéressant de noter que Jimenez-Rodriguez et Sánchez (2004) ont comparé, pour les principaux pays industrialisés, les élasticités estimées à partir d’une mesure classique du prix du pétrole et celles obtenues avec une mesure de « choc pétrolier » pour une hausse de 100 % : dans le premier cas, les pertes de PIB sont de 3,9 % aux États-Unis, de 1,3 % pour la zone euro (-1,8 % pour l’Allemagne, -1,5 % pour la France, -2,2 % pour l’Italie) et de 1,9 % pour le Royaume-Uni (exportateur), tandis que les gains de PIB de la Norvège sont de 1,8 %; dans le second cas (en considérant les hausses normalisées, la spécification préférée de Jimenez-Rodriguez et Sánchez), les pertes de PIB s’élèvent jusqu’à 6,6 % aux États-Unis, s’étalent de 2,5 à 5 % pour les pays européens (-3,8 % pour la zone euro, -6 % pour l’Allemagne, -3,4 % pour la France, -5,7 % pour l’Italie, -2,5 % pour le Royaume-Uni) et les gains de la Norvège montent jusqu’à 3,7 %.

1.5 Les analyses désagrégées et les effets microéconomiques

Certains économistes ont analysé l’influence du prix du pétrole sur l’économie américaine à l’aide de données désagrégées, régionales (Davis, Loungani et Mahidhara, 1997) ou sectorielles (Keane et Prasad, 1996; Davis et Haltiwanger, 2001; Lee et Ni, 2002; Lescaroux, 2006, 2007). La plus grande complexité de ces études rend difficile la synthèse de leurs résultats. En particulier, l’impact agrégé (sur le PIB ou l’emploi au niveau national) d’une variation du prix du pétrole dépend des parts des différentes régions ou des différents secteurs dans l’économie et il évolue donc au cours du temps.

Sur le court terme, le déplacement du prix, plus ou moins brusque, rend inefficace l’allocation des facteurs de production (capital et travail) et peut également entraîner une inadéquation entre les compétences des travailleurs et les caractéristiques du capital, d’une part, et les besoins des entreprises, d’autre part. Ainsi, l’industrie automobile américaine a tourné pendant plusieurs années en sous-régime à la suite du premier choc pétrolier (Bresnahan et Ramey, 1993) car la demande en gros véhicules, les modèles sur lesquels les constructeurs étaient spécialisés, a chuté au profit de petites voitures moins consommatrices, pour lesquels ils ne disposaient ni des compétences techniques, ni des compétences commerciales associées (notamment le savoir-faire esthétique). L’industrie automobile japonaise a largement profité de cette évolution de la demande en conquérant des parts de marché.

En moyenne, Davis et Haltiwanger estiment qu’un choc positif d’un écart-type sur le prix du pétrole conduit à la destruction de 290 000 postes et à la création de 30 000 emplois dans les 2 premières années qui suivent la hausse des cours (à titre de comparaison, le choc de 1973-1974 correspondait à un choc de 1,7 écart-type et celui de 1979-1981 à 2 écarts-types). Au bout de 4 ans, la réponse nette consiste en la disparition de 60 000 postes et la réallocation de 414 000 travailleurs, ce qui représente plus de 3 % de la masse salariale industrielle totale. Par ailleurs, l’impact d’un choc pétrolier est plus marqué pour les entreprises dont le capital par travailleur est élevé, qui produisent des biens durables et qui ont des besoins forts en énergie dans leurs processus de production (ces critères sont classés par ordre d’importance).

Un renchérissement du pétrole affecte aussi de façon inégale les travailleurs qualifiés et les autres (Keane et Prasad, 1995) : à court terme, les premiers subissent une diminution moindre de leur salaire réel; à long terme, la probabilité qu’ils se trouvent sans emploi est plus faible.

1.6 Les effets à long terme des variations du prix du brut

Relativement peu d’études se sont intéressées aux relations à long terme entre le prix du pétrole et le PIB. Le tableau 2 présente une synthèse de leurs résultats. D’un point de vue théorique, sur une longue période, une hausse du coût du brut entraîne principalement un tassement de la consommation d’énergie et une baisse de la productivité agrégée qui se traduisent par une contraction ou un ralentissement du PIB potentiel.

Nous pouvons citer les travaux de Rasche et Tatom (1977, 1981) qui reposent sur des fonctions de production de type Cobb-Douglas faisant intervenir le prix de l’énergie. Pour les États-Unis, ils obtiennent une élasticité de - 0,104 entre le produit réel du secteur privé réel et le prix réel de l’énergie; pour l’Allemagne de l’Ouest, le Canada, la France, le Japon et le Royaume-Uni, les élasticités estimées sont respectivement - 0,045, - 0,11, - 0,11, - 0,114 et - 0,09.

Cependant, Rasche et Tatom ne disposaient pas de suffisamment de recul sur les événements pour estimer des relations à long terme, ce que souligne Darby (1982), qui met en avant plusieurs biais potentiels dans leurs estimations. Lui-même parvient à des élasticités différentes entre le PNB réel et le prix réel du pétrole importé : - 0,021 pour les États-Unis, - 0,039 pour l’Allemagne de l’Ouest, - 0,047 pour le Canada, - 0,095 pour la France, - 0,191 pour le Japon et - 0,057 pour le Royaume-Uni. Néanmoins, ses propres estimations ne le satisfont pas plus car elles souffrent des mêmes limites que celles de Rasche et Tatom : les données relatives à la France et au Japon semblaient peu fiables, l’influence du prix du pétrole sur les économies allemande et canadienne est statistiquement non significatif et, dans les deux pays restants, la suppression des systèmes de contrôle des prix en 1973-1974 est susceptible de biaiser les résultats; en effet, Darby pense (sans avoir réussi à le mettre en évidence statistiquement) que les programmes de contrôle des prix ont provoqué aux États-Unis et au Royaume-Uni une surestimation du PNB réel jusqu’en 1973, et donc une surestimation de sa chute après le premier choc pétrolier.

Plus récemment, Carruth, Hooker et Oswald (1998) et Hooker (1999) ont estimé, dans le cadre d’un modèle Vector Error-Correction Model (VECM), une relation de coïntégration liant le taux de chômage, le prix réel du pétrole et le taux d’intérêt réel. Ils obtiennent une élasticité partielle de la première variable par rapport à la seconde égale à - 0,054. Cependant, l’évolution de la productivité n’est pas prise en compte dans ces relations (en particulier l’évolution de la productivité de l’énergie). La variable « prix du pétrole » pourrait alors exprimer également les effets du ralentissement des gains de productivité survenu dans les années soixante-dix et surestimer les effets des variations du coût du brut.

Quant à elles, les estimations réalisées par Lardic et Mignon montrent qu’il n’existe pas de relation de coïntégration standard entre le prix du pétrole et les PIB des pays européens (2006), des États-Unis et du G7 (2008); cependant, leurs modèles ne prennent pas en compte les facteurs travail et capital.

Enfin, les travaux de Perron (1989) plaident en faveur d’une rupture dans la tendance du taux de croissance du PIB états-unien en 1973. Il lie ce changement de régime au premier choc pétrolier qui serait responsable du ralentissement à long terme de l’activité économique survenu depuis la fin des années soixante. Cependant, cette explication reste une hypothèse non testée statistiquement.

2. Une interprétation fréquentielle des élasticités estimées

Comme le note Alfred Marshall (1890), « the complex problem of value must be broken up » (V.V.2). En particulier, dans l’analyse des effets des variations du prix du pétrole sur l’activité économique, il convient de distinguer d’une part les effets à court terme et les effets à long terme, d’autre part les effets d’un déséquilibre à la hausse et d’une hausse de l’équilibre.

Les études économétriques recourent généralement peu aux outils d’analyse spectrale. En permettant de séparer dans une série temporelle la tendance de long terme des fluctuations de court terme, ceux-ci peuvent pourtant se montrer d’une grande utilité pour comprendre les variations d’un indicateur économique ou les interactions entre plusieurs variables. De façon simplificatrice[11], le principe de l’analyse spectrale est d’exprimer une série temporelle yt comme une somme pondérée de fonctions périodiques de la forme cos(ω.t) et sin(ω.t). À partir de cette formulation, il est possible de calculer le périodogramme de la série, qui représente, sur l’axe vertical, une mesure de la puissance des variations de yt associées à des cycles de fréquence fi (ou de périodicité Ti = 1 / fi) en fonction, sur l’axe horizontal, de la fréquence fi (ou de périodicité Ti = 1 / fi). Le périodogramme permet alors d’observer quels sont les principaux mouvements de yt (cycles courts/moyens/longs, tendances) et de déterminer de la façon la moins arbitraire possible la limite entre le long terme et le court terme (« Of course, there is no hard and sharp line of division between “long”and “short” periods », Marshall, 1920 : V.V.8). Grâce à une grande variété de filtres (de plus ou moins bonne qualité), la série yt peut être décomposée en une composante à basses fréquences (c’est-à-dire, les évolutions sur longues périodes, ou de long terme) et une composante à hautes fréquences (c’est-à-dire, les fluctuations de courtes périodes, ou de court terme).

Comme le montre le graphique 1[12], nous sommes confrontés actuellement à une hausse du prix d’équilibre du pétrole : dans l’esprit de Marshall, nous considérons que les valeurs normales (« the normal values ») correspondent aux valeurs autour desquelles les quantités et les prix tendent à osciller (« the centres about which the amount and the price tend to oscillate »), c’est-à-dire aux composantes à basses-fréquences. Dans ce contexte, en dépit de leur dispersion, les résultats des analyses discutées dans la partie précédente pourraient se révéler d’une grande utilité, à condition de comprendre les raisons de leur variabilité.

Graphique 1

Prix réel du pétrole et ses composantes spectrales à hautes et basses fréquences

Prix réel du pétrole et ses composantes spectrales à hautes et basses fréquences

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Dans cette partie, nous commencerons par fragmenter le problème de l’influence du prix du pétrole sur l’activité économique en distinguant différents horizons temporels, ce qui nous amènera en pratique à considérer trois sous-problèmes; cette typologie nous permettra de distinguer trois sous-intervalles couverts par les élasticités publiées, chacun correspondant à une question précise. Nous commenterons ensuite chacun de ces intervalles.

2.1 Décomposition du problème selon les horizons temporels de référence

L’évolution temporelle d’une variable économique observée en pratique résulte de l’agrégation en une mesure unique – par sommation – des évolutions de plusieurs composantes correspondant aux réactions de l’indicateur considéré à des stimulations de natures différentes. En particulier, chacune de ces diverses composantes s’exprime de façon prépondérante dans une gamme de fréquences donnée, déterminée par le type d’impulsions à l’origine du mouvement. Une analyse spectrale permet de mettre en évidence cette superposition d’ondes de longueurs variables.

Le choix de l’horizon temporel joue donc un rôle prépondérant dans une analyse économétrique. Le système économique est soumis à des forces qui définissent ses mouvements et ces forces s’exercent dans le temps. Certaines agissent à court terme et d’autres tendanciellement, provoquant des déplacements provisoires ou permanents. Ainsi, selon l’influence dont nous souhaitons analyser les effets, il nous faudra définir l’horizon temporel de référence de l’étude.

Ces considérations ne sont pas neuves, loin s’en faut. Elles constituent le fondement de la méthodologie d’analyse préconisée par Marshall (1890, Livre V : chapitre V, particulièrement §3-4), qui recommande, dans l’analyse d’un problème, de distinguer les forces qui s’exercent selon l’horizon temporel sur lequel elles agissent.

Ainsi, lorsque nous analysons les interactions entre deux variables, quatre questions se posent : 1) existe-t-il une relation entre les composantes à basses fréquences (tendances) des séries; 2) quelles sont les interdépendances à court terme entre les composantes à hautes fréquences; 3) la composante à long terme d’une série influence-t-elle la composante à court terme de l’autre et 4) la composante à court terme d’une série influence-t-elle la composante à long terme de l’autre ?

La quatrième question fait l’objet d’un débat théorique sur la permanence des effets d’un choc; cependant, en général, l’analyse économétrique pratique se concentre sur les deux premières questions, en utilisant respectivement des modèles en niveau sur séries intégrées d’ordre un à long terme et des modèles de variations (absolue ou en taux) sur séries stationnaires[13] à court terme. En ce qui concerne l’influence des variations du prix du pétrole sur l’activité économique, certaines études s’intéressent également à la troisième question, ce qui contribue à la dispersion des élasticités estimées.

2.2 Les effets contrastés des cycles et des ruptures du prix du pétrole

La largeur de l’éventail des élasticités estimées s’explique en partie par le fait que les études réalisées portent sur des problèmes distincts (tableau 1), correspondant aux trois premières questions énumérées précédemment.

Tableau 1

Partition des élasticités estimées entre le PIB états-unien et les variations du prix du pétrole selon le problème considéré

Partition des élasticités estimées entre le PIB états-unien et les variations du prix du pétrole selon le problème considéré

Note : Ainsi, les effets « standards » identifiés s’exercent de toute évidence à court terme en cas de fluctuation haussière du prix.

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En revanche, l’apparition de déséquilibres inter et intrasectoriels ou le report de décisions d’investissement ne peuvent résulter que d’une hausse durable du prix, telle que celle observée actuellement.

Nous pouvons donc considérer, de façon simplificatrice, que les analyses qui exploitent comme variable pétrolière les variations du prix (graphique 2) quantifient les effets « standards » associées aux fluctuations du cours du brut autour de son niveau d’équilibre[14] tandis que celles qui reposent sur des mesures de « choc pétrolier » (graphiques 3 à 5) s’efforcent d’évaluer les conséquences d’une rupture dans le niveau d’équilibre.

Graphique 2

Taux de variation du prix

Taux de variation du prix

Graphique 3

Hausses du prix réel normalisées (Lee et al., 1995)

Hausses du prix réel normalisées (Lee et al., 1995)

Graphique 4

Hausses nettes du prix réel sur un an (Hamilton, 1996)

Hausses nettes du prix réel sur un an (Hamilton, 1996)

Graphique 5

Hausses du prix réel nettes sur trois ans (Hamilton, 2003)

Hausses du prix réel nettes sur trois ans (Hamilton, 2003)

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Ceci n’est pas rigoureusement exact, car les premières n’éliminent pas complètement la composante à basses fréquences du signal temporel représentant le prix du pétrole en le considérant en taux de variation et, surtout, les secondes ne neutralisent pas parfaitement la composante à hautes fréquences avec les filtrages qu’ils appliquent afin de construire leurs mesures de « choc pétrolier »[15].

Compte tenu de cette réserve, les élasticités à court terme du PIB réel américain par rapport à un déséquilibre à la hausse et par rapport à une hausse du prix d’équilibre du pétrole se situeraient donc approximativement dans des bandes allant, respectivement, de - 0,055 à - 0,01 (tableau 3) et de - 0,116 à - 0,05 (tableau 4), tandis que les élasticités à long terme obtenues à l’aide d’équations sur séries intégrées d’ordre un couvrent l’intervalle allant de - 0,104 à 0 (tableau 2).

2.2.1 L’impact à court terme sur les cycles économiques des cycles pétroliers

La largeur de l’intervalle dans le premier cas reflète la variabilité des effets d’une fluctuation du prix du pétrole selon son allure et selon un ensemble de paramètres conjoncturels et structurels de l’économie. Par une approche sectorielle non linéaire, Lescaroux (2006, 2007) modélise explicitement les relations entre les composantes à hautes fréquences des variables économiques et la composante à haute fréquence de l’indice de prix des produits pétroliers. L’élasticité à court terme entre le PIB réel américain et le prix des hydrocarbures est d’autant plus forte que le déséquilibre est long et brusque; elle croît très faiblement, en valeur absolue, avec l’amplitude maximale. Dans la situation de 1996 (en ce qui concerne la structure économique selon la classification SIC en 10 supersecteurs, les intensités énergétiques sectorielles et les parts en valeur des importations dans le PIB et des produits pétroliers dans les importations), l’élasticité à court terme entre le PIB réel états-unien et le prix réel des produits pétroliers est évaluée à - 0,031 pour un déséquilibre sur le prix d’une durée de 6 trimestres, en forme de créneau et d’une amplitude de 10 %. Pour une durée de 1 trimestre (respectivement 8 trimestres), l’élasticité devient inférieure (respectivement supérieure), en valeur absolue, à - 0,01 (respectivement - 0,035). Ces élasticités sont obtenues en imposant une variation du prix du pétrole au système économique considéré dans son état d’équilibre de long terme; elles correspondent donc à une réponse moyenne. Confirmant la conclusion de Raymond et Rich (1997), l’impact récessionniste est plus (respectivement, moins) marqué lorsque la hausse de prix survient en phase de décélération (respectivement, d’accélération) conjoncturelle. Les effets sont presque deux fois plus marqués lorsque le modèle est simulé dans les conditions structurelles de 1973, en termes de part des différents secteurs industriels, de part des importations dans le PIB et de part des produits pétroliers dans les importations. À l’aide d’un modèle d’équilibre général dynamique stochastique, LeBarbanchon (2007) conclut également que l’impact d’une hausse du prix du brut sur l’économie française a été réduit de moitié depuis les début des années soixante-dix en raison de la diminution de l’intensité pétrolière.

Par conséquent, la variabilité des interactions à court terme entre le prix du pétrole et le PIB s’expliquerait de façon conjoncturelle par la dynamique changeante du cours du baril et de façon structurelle par les évolutions du système économique (composition sectorielle, dépendance au pétrole et à l’énergie). Dans la configuration des années deux mille, l’élasticité entre le PIB des États-Unis et le prix du pétrole serait donc comprise entre - 0,01 et - 0,03, selon la durée du cycle de prix et la situation conjoncturelle. Cependant, comme le montre le graphique 1, les fluctuations du prix du pétrole autour de sa tendance n’ont pas été très amples depuis 2002. Actuellement, la sensibilité de l’activité économique à ces cycles n’est pas la principale question;. ce sont les effets des mouvements de long terme qui préoccupent.

2.2.2 L’impact à court terme sur les cycles économiques des changements de régime du prix du pétrole

L’intervalle couvert par les estimations des effets à court terme d’une rupture dans le prix du pétrole, qui est celui qui nous intéresse aujourd’hui, doit être considéré avec beaucoup de précaution.

Comme nous l’avons déjà précisé, les valeurs numériques des élasticités obtenues dépendent très fortement du choix de la mesure de choc pétrolier utilisée alors que les principales transformations proposées ne sont pas justifiées théoriquement et conduisent empiriquement à des régressions qui se révèlent non satisfaisantes quelques années seulement après leur publication. Ainsi, la bande d’élasticité que nous citons précédemment, de - 0,116 à - 0,05, couvre les valeurs des élasticités obtenues avec les différentes mesures de « choc pétrolier » au moment où celles-ci sont publiées; en fait, après quelques années, les élasticités deviennent nulles car les relations estimées ne passent pas l’épreuve du temps. Cette recherche d’un filtrage ad hoc qui permettrait, ponctuellement, de mettre en évidence une relation stable et significative entre le prix du pétrole et le PIB ou le taux de chômage a été comparée à du data mining par Bernanke, Gertler et Watson (1997).

Les ruptures dans la chronique du prix du pétrole sont relativement rares et, jusqu’à maintenant, elles ont coïncidé avec des chocs d’autres origines (fin du système monétaire de Bretton Woods au début des années soixante-dix, durcissement de la politique monétaire américaine et envol du dollar au début des années quatre-vingt). Faute de disposer de suffisamment d’observations, il est difficile de distinguer statistiquement les conséquences respectives de ces diverses influences. Ainsi, il serait souhaitable de mener une réflexion théorique plus poussée afin d’identifier un filtrage à appliquer au prix du brut qui permettrait de construire une variable apte à mesurer les effets des changements de régime du prix du pétrole.

2.2.3 L’impact à long terme sur la croissance économique des changements de régime du prix du pétrole

L’intervalle couvert par les estimations des effets à long terme d’une évolution du prix d’équilibre du pétrole, qui est celui qui nous intéressera demain, doit également être considéré prudemment.

Nous avons déjà mentionné les limites des travaux réalisés (manque de recul et données douteuses pour Rasche et Tatom, 1977 et 1981, et Darby, 1982, non-prise en compte de la productivité pour Carruth, Hooker et Oswald, 1998, et Hooker, 1999, non-prise en compte du travail et du capital pour Lardic et Mignon, 2006 et 2008), qui incitent à interpréter les élasticités estimées.

Plus encore que l’évaluation de l’impact macroéconomique conjoncturel des mouvements tendanciels du prix du brut, l’estimation de leurs effets à long terme est une gageure pour l’économètre. En effet, les déplacements du niveau d’équilibre du prix du pétrole entraînent des ajustements structurels du système économique et de la société dans son ensemble. Par conséquent, l’analyse du passé ne peut nous apporter qu’une aide limitée pour deux raisons : d’une part, les conditions structurelles de la hausse ne sont pas les mêmes et, d’autre part, les efforts d’adaptation réalisés peuvent se poursuivre, mais non se répéter.

Ainsi, les relations commerciales internationales ont évolué, notamment en raison du développement accéléré de certaines régions dynamiques. Lors des deux premiers chocs, les revenus pétroliers de l’OPEP ont très majoritairement bénéficié aux pays occidentaux, tandis que la part des pays émergents dans les importations totales des principaux producteurs est actuellement proche de 50 % (FMI, 2006). Le FMI constate également que ces revenus sont jusqu’à maintenant recyclés moins rapidement que dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Cependant, la perception qui se répand d’une hausse durable du prix d’équilibre du pétrole pourrait conduire prochainement, dans bon nombre de pays producteurs, à une accélération des dépenses de consommation afin de satisfaire l’accroissement des besoins sous la pression démographique.

Surtout, à la suite des deux premiers chocs pétroliers, la hausse des prix a incité les utilisateurs à contrôler leur consommation et à l’optimiser afin que les produits marginaux des énergies s’ajustent sur leurs prix (Kaufman, 1994). Cette évolution s’est accomplie grâce à des gains d’efficacité au niveau des installations et des équipements. Souvent, également, la structure industrielle s’est réorientée vers les secteurs présentant les intensités énergétiques les plus faibles. Enfin, la consommation d’énergie s’est rationalisée, en affectant les différentes formes d’énergie aux usages pour lesquels elles présentaient les meilleurs rendements : le bouquet énergétique s’est diversifié et, par exemple, le pétrole est de plus en plus consommé dans le secteur des transports, où les qualités qui lui sont propres sont exploitées au mieux.

Graphique 6

Consommation énergétique finale états-unienne (1947-1994)

Consommation énergétique finale états-unienne (1947-1994)

Note : Les données sousjacentes à ce graphique ont été fournies aimablement par D.I. Stern par courriel le 2 février 2007.

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Dans cette perspective, il est intéressant de mentionner les résultats de travaux portant sur la relation à long terme entre la consommation d’énergie et le PIB. En utilisant un indice de quantité de l’énergie finale[16], Stern (2000) met en évidence une relation de coïntégration entre la consommation énergétique et le PIB réel états-unien ainsi qu’une relation de causalité allant de la première variable vers la seconde. L’élasticité à long terme du PIB par rapport au « facteur énergie » se situe entre 0,2 et 0,25, selon la spécification retenue (toutes tiennent compte des facteurs « capital » et « travail »). Cette analyse suggère donc un lien relativement fort entre le potentiel de croissance d’une économie et l’énergie, et des chocs négatifs sur l’approvisionnement pourraient donc exercer une influence préjudiciable durable sur l’activité économique. Cependant, l’observation de l’indice de quantité d’énergie utilisé par Stern (graphique 6) suggère que l’indice de quantité d’énergie consommée suit, depuis l’immédiat après-guerre, une trajectoire linéaire à long terme, ce qui implique un taux de variation et une intensité énergétique tendanciellement décroissants. Une telle évolution peut être expliquée par les mutations de la structure industrielle et de la demande finale au fur et à mesure que le niveau de vie augmente (processus de dématérialisation, Bernardini et Galli, 1993; évolution « en cloche » de l’intensité énergétique sur longue période, Villa, 1998). Dans cette perspective, les chocs pétroliers n’auraient pas entraîné de chute de la consommation mais plutôt un retour à la tendance caractéristique des années 1947 à 1960, après l’emballement insoutenable de la fin des années soixante et du début des années soixante-dix. Ainsi, bien que l’énergie en tant que facteur de production joue un rôle important dans la croissance à long terme, il semble que l’économie états-unienne a su s’adapter aux hausses du prix du brut en optimisant sa consommation finale. Les effets à long terme des chocs pétroliers seraient alors relativement limités (et négatifs) sur le PIB réel mais importants (et positifs) sur la productivité.

Conclusion

Après avoir présenté les conclusions des principales études théoriques et empiriques réalisées au sujet de l’influence du prix du pétrole sur l’activité économique, cette revue reporte et interprète les estimations des élasticités que fournissent les nombreux modèles économétriques construits afin de mesurer la force de la relation entre les deux variables dans diverses régions du monde.

Au terme de cette synthèse s’impose le constat d’une extrême dispersion des élasticités (du PIB réel vis-à-vis du prix réel du pétrole) estimées. En ce qui concerne les États-Unis par exemple, la plupart d’entre elles couvrent un intervalle allant d’environ - 0,12 à - 0,01.

Confrontés à une telle variabilité des mesures publiées et à une telle divergence des conclusions, nous nous sommes attachés à expliquer ces écarts. Notre interprétation repose sur une analyse fréquentielle des effets des variations du prix du pétrole. Après avoir souligné que les évolutions temporelles des séries économiques résultent de l’agrégation d’ondes longues et d’ondes courtes, nous décomposons le problème considéré en quatre sous-problèmes : 1) existe-t-il une relation à long terme entre la tendance du prix du brut et la tendance du PIB?, 2) quelles sont les interdépendances à court terme entre les fluctuations des cours et les cycles conjoncturels économiques?, 3) les variations de la tendance du prix du pétrole influencent-elles les cycles conjoncturels? et 4) les fluctuations du prix du brut influencent-elles la tendance du PIB?

Cette décomposition permet d’affiner les intervalles couverts par les élasticités estimées. En évacuant la dernière question, non traitée en pratique dans les études publiées, nous formons une partition des résultats portant sur l’économie états-unienne selon le sous-problème auquel répond le modèle utilisé et nous partageons les élasticités en trois classes. En ce qui concerne les relations entre les tendances des deux séries (évaluées à l’aide de relations entre séries intégrées d’ordre un), les élasticités balayent l’intervalle [- 0,0104; 0]. Les élasticités exprimant les liens entre leurs cycles courts couvrent la bande [- 0,055; - 0,01]. Enfin, les élasticités exprimant l’impact sur les cycles économiques des changements de régime du prix du pétrole se situent entre - 0,116 et - 0,05. Nous commentons alors ces trois fourchettes.

Concernant les relations à court terme (question 2), la largeur de l’intervalle nous semble refléter d’une part l’instabilité à long terme de la relation (liée à l’évolution des politiques monétaires, de la structure industrielle et des intensités énergétiques sectorielles), d’autre part son instabilité à court terme (liée à la variabilité des mécanismes de transmission au cours du cycle conjoncturel et à l’instabilité des cycles pétroliers). Dans la configuration contemporaine, la sensibilité aux oscillations du prix se situe vraisemblablement entre - 0,01 et - 0,03, selon la dynamique du prix et la phase du cycle des affaires.

À long terme (question 1), nous pensons que l’intervalle des estimations doit être considéré prudemment. En raison d’un ensemble de biais potentiels dans les études publiées, il nous a semblé utile de nous intéresser aux analyses réalisées sur le lien à long terme entre les quantités d’énergie consommée et le PIB. Ces dernières nous incitent à croire que, à long terme, les hausses du prix du pétrole exercent une influence marquée et positive sur l’innovation et le progrès technique mais que leur impact sur le PIB reste marginal et ambigu.

Enfin, les évaluations des conséquences conjoncturelles des chocs pétroliers nous paraissent insuffisamment justifiées sur le plan théorique et très peu satisfaisantes en pratique. La question de l’impact à court terme des changements de régime du prix du brut reste donc largement ouverte. Les évolutions macroéconomiques dans les mois à venir permettront vraisemblablement d’approfondir les analyses menées jusqu’à maintenant en fournissant de nouvelles observations qui alimenteront la réflexion et la modélisation.