Compte rendu

Cyrille FERRATON, « Les valeurs guident et accompagnent notre recherche » : l’institutionnalisme de Myrdal, Paris, ENS Éditions, 2008, 88 p.[Record]

  • Gilles Dostaler

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  • Gilles Dostaler
    Université du Québec à Montréal

Venant d’horizons idéologiques radicalement opposés, Gunnar Myrdal et Friedrich Hayek recevaient conjointement, en 1974, le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel, erronément appelé « prix Nobel d’économie ». Myrdal avait joué un rôle important dans la création de ce prix, attribué pour la première fois en 1969. Ce n’est pas le moindre des paradoxes dans sa carrière. Myrdal critiquait en effet la fermeture sur elle-même d’une science économique conventionnelle hautement formalisée, sur le modèle des sciences naturelles. Le prix de la Banque de Suède, en permettant aux économistes de s’approprier le capital symbolique des prix Nobel de physique, de chimie et de physiologie, entérine précisément cette vision. Quatre ans après l’avoir reçu, dans une conférence traduite ici en français pour la première fois, Myrdal prévoyait d’ailleurs que l’économie institutionnelle « gagnera du terrain dans un futur proche […] à cause de l’échec de l’économie orthodoxe à comprendre les nouveaux problèmes politiques capitaux et déconcertants auxquels le monde a à faire face » (p. 85). Avec la remise en question du keynésianisme, proche à certains égards de l’institutionnalisme, par les divers courants prônant un libéralisme radical, c’est plutôt le contraire de ce qu’espérait Myrdal qui s’est produit. Toutefois, la crise déclenchée en 2008 porte un coup dur à la crédibilité de l’économie dominante et donne une nouvelle pertinence aux thèses de Myrdal comme à celles des autres courants de pensée hétérodoxes. En dépit de l’importance du personnage, de l’abondance de sa production et des multiples fonctions qu’il a occupées dans sa carrière, peu d’études ont été consacrées à Myrdal, si on les compare en particulier au flot de publications sur Hayek. Il manque toujours une biographie exhaustive de ce penseur, même si on en trouve quelques éléments dans Angresano (1997) et, plus récemment, dans Barber (2008). L’ouvrage de Cyrille Ferraton, le deuxième consacré à cet auteur dans la langue de Molière (après celui de Dostaler, Éthier et Lepage, 1990), est donc une heureuse addition à cette littérature et constitue une excellente introduction à ce penseur relativement négligé. Il couvre, bien que de manière succincte, tous les volets de son oeuvre, en les reliant à leur contexte biographique et historique, ce qui est la manière correcte de procéder pour les penseurs influents. Ferraton considère ainsi que l’évolution intellectuelle de Myrdal, en particulier son passage du statut d’économiste théorique à celui d’institutionnaliste, s’explique en partie par les événements auxquels il a été confronté, tels que la crise de 1929, l’avènement au pouvoir des sociaux-démocrates en Suède en 1932 ou son éviction du gouvernement en 1947. Ferraton insiste aussi à juste titre sur le rôle déterminant de son épouse, Alva Myrdal, récipiendaire d’un vrai prix Nobel, celui de la paix, en 1982, qui a éveillé la conscience sociale de son époux. Comme le rappelle le premier chapitre, consacré à une esquisse biographique, Myrdal fut un homme-orchestre, d’une activité débordante, tour à tour chercheur, enseignant, écrivain, militant politique, conseiller du Prince, sénateur, ministre, directeur d’équipes de recherche, dirigeant d’organismes internationaux. Ce livre propose une description de l’institutionnalisme de Myrdal, qui est distingué de l’institutionnalisme américain, dont il est très critique. Myrdal a même participé, lors d’un séjour aux États-Unis en 1929-1930, à l’une des réunions préliminaires de fondation de la Société d’économétrie (appelée par erreur Economic Society, p. 10), conçue comme une organisation de défense contre l’institutionnalisme. C’est dans les années 1930, en particulier lorsqu’il entame la recherche sur la discrimination raciale aux États-Unis qui allait mener à la publication de An American Dilemma (1944) – qu’il considère comme son oeuvre principale – que Myrdal acquiert la conviction …

Appendices