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Introduction

Par mon expérience de Vice-Présidente de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité (HALDE) à partir de 2008, puis comme adjointe en charge de la lutte contre les discriminations du premier Défenseur Des Droits (DDD) de la République française, M. Dominique Baudis, de 2011 à 2014, j’ai eu en charge la défense de l’accès effectif à leurs droits des personnes âgées et des personnes en situation de handicap.

Le DDD a été nommé par le Premier Ministre en 2011 pour exercer le monitoring de la Convention internationale des Personnes Handicapées au titre de son article 33 alinéa 3. Il exerçait aussi des fonctions dans le cadre d’échanges européens au travers du réseau Equinet[1] et d’échanges internationaux, soit avec des homologues Ombudsman de tous les continents et Défenseurs des peuples (Espagne et Argentine), soit en lien avec les organisations internationales tels le Conseil de l’Europe, l’Union Européenne et la Direction des Droits de l’homme de l’ONU à Genève.

Cela m’a permis, sur la période considérée, de participer au positionnement de la France quant à l’opportunité de rejoindre les États promoteurs de la rédaction d’une nouvelle convention internationale relative aux droits des personnes âgées.

La construction de la position s’est opérée en deux étapes par la participation du DDD à l’avis émis par la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) lors de son Assemblée plénière du 27 juin 2013 et la mise en synergie de toutes les compétences du DDD pour améliorer l’accès effectif des personnes âgées à leurs droits.

Je complèterai mon cheminement par l’état actuel des réflexions en France émanant des institutions visées précédemment, celles des institutions européennes et des organisations non gouvernementales agissant à cette échelle territoriale.

La protection des Droits fondamentaux des personnes âgées, aux plans national, européen et international : Période 2010/2014

L’approche de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (France)

La CNCDH est habilitée dans le cadre de son mandat à émettre des avis sur saisine, de ministres entre autres, concernant les droits fondamentaux des personnes et leur respect en application des cadres juridiques internationaux et nationaux.

Pour forger ses avis, la CNCDH procède à une revue du cadre juridique, à des synthèses bibliographiques et à des auditions de toutes les parties prenantes : autorités gouvernementales et indépendantes, universitaires, juristes, Organisations Non-Gouvernementales (ONG), etc...

A l’issue de ce processus, l’Assemblée plénière de la CNCDH vote un avis, qui est ensuite rendu public et susceptible d’être consulté sur le site internet de la Commission[2] notamment.

C’est ce processus qui a été appliqué en 2012 à la saisine de Mme Delaunay alors ministre déléguée chargée des personnes âgées (détaillée au paragraphe suivant). Dans ce cadre j’ai contribué à élaborer la position du DDD et ai été auditionnée à ce titre.

Pour présenter cet avis je reprends et commente largement les propos tenus dans « l’avis sur l’effectivité des droits des personnes âgées » présenté à l’Assemblée plénière de la CNCDH le 27 juin 2013[3].

« Par lettre en date du 19 octobre 2012, la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie, a saisi la CNCDH de la question des droits fondamentaux des personnes âgées aux plans national, européen et international [en souhaitant la réalisation d’une cartographie] mettant en exergue les droits effectifs et ceux prévus par les textes [mais] qui souffrent d’un manque de lisibilité ou d’un défaut de réalisation ».

Cette saisine était consécutive à la défense, par la ministre en question, du projet d’élaboration d’une convention internationale en faveur des personnes âgées lors de la conférence ministérielle de l’ONU qui s’est tenue à Vienne les 19 et 20 septembre 2012.

Pour construire son avis, « la CNCDH a choisi de centrer son travail sur la question de l’effectivité des droits […] dans le cadre du contexte général du vieillissement de la population […], de la proportion croissante de personnes âgées et très âgées au sein des populations et de se pencher sur la définition des personnes âgées […].

La notion de personne âgée est complexe [et s’applique à des politiques de l’âge aux contours flous : les seniors, les retraités, les aînés ou les personnes âgées]. Or, il ne s’agit pas d’une catégorie homogène. En effet, il est possible d’identifier trois groupes distincts […] : les adultes âgés autonomes et en bonne santé, les personnes fragiles ou vulnérables qui peuvent devenir dépendantes et les personnes dépendantes et très dépendantes nécessitant une personne tierce pour effectuer les actes de la vie courante.

De plus aucun consensus national ou international n’existe au sujet de l’âge définissant les personnes âgées. […] La définition de la personne âgée est étroitement liée à la diversité des cultures, [ainsi] au niveau européen et international règne une grande hétérogénéité dans la promotion du respect des droits [de ce public spécifique] … ».

La CNCDH a ensuite articulé son avis autour des droits dont l’effectivité à l’égard des personnes âgées appelle une protection spécifique et a rappelé leur place en droit international.

Droits dont l’effectivité appelle une protection spécifique

« Même si […] la vieillesse augmente la probabilité de l’existence d’une situation de dépendance qui appelle une protection spécifique, le parallèle peut être fait entre la situation des personnes âgées et celles d’autres personnes en perte d’autonomie telles les personnes en situation de handicap ».

D’abord, en ce qui concerne « les droits civils et politiques, la citoyenneté et la participation à la société », il faut relever l’importance de la lutte contre la maltraitance, qu’elle s’exerce au domicile ou en institution, qu’elle soit physique ou financière et qu’elle émane de proches ou de professionnels…

« Il faut de plus continuer à encourager la participation sociale [car] il existe une corrélation entre le déclin des capacités physiques et le sentiment d’isolement, [le droit de vote en est un des éléments] … »

C’est en particulier sur les droits sociaux et économiques que s’est centrée l’audition du DDD, à partir de l’analyse statistique des saisines sur base de discriminations à l’âge reçues et traitées par la HALDE et le Médiateur de la République depuis 2005 et le DDD depuis 2011 ; complétée par les travaux conduits dans le champ de la promotion des droits.

Pour ce qui concerne les « droits sociaux et économiques », l’action du DDD a montré qu’un ensemble de difficultés d’accès aux biens et services existe. Il a ainsi « rappelé que toute discrimination liée à l’âge est sanctionnée, aussi bien par le code du travail que par le code pénal, en conformité avec les dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (art 21) et que le droit à une protection sociale est garanti par l’article 23 de la Charte sociale européenne. »

Cela recouvre des situations diverses, en matière d’emploi (pour l’accès à un emploi, le maintien dans l’emploi ou le déroulement de carrière), d’accès aux biens et services par des limitations en matière d’emprunts, de contrats d’assurance et de mutuelles, d’égal accès aux soins, d’accès à des prestations compensatoires ou en matière de logement.

Le cumul d’une discrimination à l’âge et d’une autre forme de discrimination

La CNCDH a appelé à une vigilance particulière en ce qui concerne les formes de discriminations cumulées, notamment en raison du sexe et de l’âge, des origines et de l’âge, du lieu de vie et de l’âge, etc.

En cela, elle porte une attention particulière aux droits et libertés des personnes accueillies en Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD), qu’il s’agisse du droit au consentement à l’entrée en EHPAD, du droit d’aller et venir en conciliant la sécurité avec le respect de la vie privée, du respect de la vie privée et familiale. Pour ce faire, sont à promouvoir les dispositifs permettant de renforcer l’effectivité des droits, dont l’information et la diffusion des droits existants, le soutien aux aidants, le rappel du rôle des mandataires à la protection des majeurs. Il s’agit aussi d’assurer sur ces questions de droits, une meilleure formation et un meilleur soutien aux personnels des établissements.

La place des personnes âgées dans le droit international

Afin de répondre à la Ministre sur l’opportunité de rallier ou non le projet d’élaboration d’une convention internationale, il convenait de faire une photographie des droits des personnes âgées dans le droit international. La CNCDH en produit la synthèse suivante :

L’ONU

Au niveau onusien, « il n’existe à ce jour aucun instrument international sur la protection des personnes âgées, mais les principaux instruments des droits de l’homme [les] évoquent de manière explicite ou implicite. [De plus], une série de textes ou de dispositifs à caractère non contraignant dans le cadre de l’Assemblée générale des Nations Unies ont directement abordé la question. [Ainsi], la deuxième Assemblée mondiale de l’ONU sur le vieillissement qui s’est tenue à Madrid en avril 2002 a adopté un document stratégique visant à orienter l’action en matière de vieillissement au cours du XXIème siècle, dénommé plan d’action international sur le vieillissement 2002.

Le plan de Madrid comprend des recommandations regroupées en trois orientations prioritaires : personnes âgées et développement, promotion de la santé et du bien-être et création d’un environnement porteur et favorable.

Ce plan d’action s’est décliné en stratégies régionales d’exécution. Pour l’Europe, la stratégie régionale a été adoptée à Berlin en septembre 2002 lors de la conférence paneuropéenne sur le vieillissement. Le suivi de cette stratégie a été confié à la Commission Économique des Nations Unies pour l’Europe […].

Le second cycle d’évaluation de cette stratégie a eu lieu en septembre 2012 à Vienne. [Un rapport de synthèse a été élaboré à partir des rapports des États pour la période 2007/2012 avec des informations sur les politiques publiques mises en oeuvre].

La déclaration des ministres publiée à l’issue de [cette rencontre] a recentré […] la stratégie autour de quatre domaines d’action prioritaires : encourager le maintien à l’emploi des seniors, développer des solidarités entre les générations, promouvoir la participation, la non-discrimination et l’inclusion sociale des personnes âgées en particulier des femmes, promouvoir la dignité, la santé et l’indépendance des personnes âgées ».

L’Europe

Au niveau européen, « la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est encore peu abondante du fait que la Convention européenne des droits et libertés fondamentales (1950) ne contient aucune disposition explicite concernant les personnes âgées. La Cour s’appuie sur d’éventuelles situations particulières tels que le handicap, la vulnérabilité ou la situation de dépendance.

[De plus], le Comité Directeur pour les Droits de l’Homme (CDDH) du Conseil de l’Europe a décidé, en février 2012 de créer un groupe de rédaction en vue d’élaborer un instrument non contraignant sur la promotion des droits de l’homme des personnes âgées. […] La future recommandation, rappelant les principes généraux en les illustrant par des bonnes pratiques, est destinée aux États et aux acteurs de la société civile et au grand public.

La Commission européenne soutient le développement, sous l’égide du Comité de la protection sociale, d’un cadre pour la qualité des services sociaux, [et plus globalement], l’Union européenne juge que l’effectivité des droits des personnes âgées réside dans une meilleure application du corpus normatif existant. Ainsi selon l’Union européenne, du point de vue des droits humains, les normes et principes existants en matière de droits de l’homme constituent le cadre de l’exercice de ces droits pour tous, notamment les personnes âgées ».

En conclusion de cette période 2010/2014, il est à noter qu’au « niveau international, certains pays sont favorables à l’élaboration d’un instrument international spécifique pour les personnes âgées », contrairement au niveau régional européen (Conseil de l’Europe et Union Européenne), qui lui, « juge que l’effectivité des droits des personnes âgées réside dans une meilleure application du corpus normatif existant ».

Cependant à « l’échelle onusienne, lors de l’Assemblée générale de décembre 2010, un groupe de travail sur la protection des droits fondamentaux des personnes âgées a été mis en place [dans l’objectif] d’élaborer une convention internationale [dont] les thématiques envisagées seraient le développement social, les droits de l’homme, la non-discrimination, l’égalité des sexes et l’autonomie des femmes ». Cette initiative n’a toutefois pas emporté l’adhésion des États membres.

Compte tenu de ce contexte historique et juridique, et après avoir mené une série d’auditions, la CNCDH conclut son avis de la manière suivante : « La CNCDH considère que les droits fondamentaux doivent être respectés à toute étape de la vie. Elle estime que l’approche à privilégier pour une mise en oeuvre effective des droits des personnes âgées est celle de la lutte contre les discriminations. En effet, les droits des personnes âgées ne sont ni contestés ni méconnus, mais ces dernières rencontrent des obstacles persistants dans l’exercice effectif de leurs droits. Pour la CNCDH, il convient donc de veiller à une meilleure application du droit commun et de lutter contre toutes les formes de discrimination ».

L’approche du Défenseur Des Droits

Le DDD, autorité administrative indépendante, est chargé par la Constitution de veiller aux droits et libertés. Créée par la loi organique du 29 mars 2011, elle rassemble les compétences dévolues antérieurement à d’autres entités concernant les droits de l’enfant, la médiation de la République, la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité ainsi que le respect par les forces de sécurité des règles déontologiques.

Dans le cadre de l’ensemble de ses missions, le DDD est intervenu en direction des personnes âgés sous deux angles : en premier lieu, au titre de la protection des droits en traitant les réclamations individuelles qui lui sont adressées ; en second lieu, au titre de la promotion des droits en vue d’apporter des réponses collectives à des problématiques récurrentes.

Pour mener à bien ses missions, il mobilise l’ensemble des compétences de ses collaborateurs et en particulier celles de ses délégués, qui dans chaque département, offrent un accueil de proximité.

La protection des droits

À partir des réclamations individuelles se dessine une image très claire des problèmes d’accès aux droits[4] ou des pratiques discriminatoires à l’égard des personnes âgées.

Sur l’ensemble des dossiers d’accès aux droits sociaux traité par le DDD, un tiers d’entre eux sont relatifs à l’avancée en âge. Cela intègre notamment les dossiers traités concernant les liquidations de retraites, difficultés accrues les dernières années en raison des réformes successives, des carrières de plus en plus heurtées et variées. Pour mener des règlements amiables, le maillage fin du territoire, en particulier en milieu rural, permet aux délégués de conseiller et d’orienter nombre de personnes âgées moins enclines à des déplacements vers les centres urbains, sièges des services publics concernés. De plus, par un conventionnement avec les diverses caisses de retraite, un traitement des dossiers de proximité est assuré.

Pour les questions de santé, il a été constaté une évolution rapide des réclamations ayant pour objet des actes de négligence et de maltraitance liés à l’insuffisance de contrôles menés par les autorités publiques ou à l’existence d’espaces de non-droit ; ceci malgré les actions d’amélioration souvent engagées et qui s’appuient notamment sur la formation des professionnels.

En ce qui concerne les pratiques discriminatoires, depuis 2005, les discriminations liées à l’âge ont fait l’objet de plus de 3 000 réclamations adressées à la HALDE, puis au DDD, soit environ 6% des réclamations reçues (de l’ordre de 100 000 réclamations reçues annuellement). Les trois quarts de celles relevant effectivement de la discrimination portent sur l’accès aux formations professionnelles et à l’emploi. En matière de biens et de services, les difficultés rapportées concernent principalement l’accès au logement, au crédit et aux assurances.

En ce qui concerne le droit des enfants, il est à noter que 4% des réclamants dans le cadre de la mission droits de l’enfant sont des grands-parents. Les principales problématiques soulevées portent sur le maintien des liens avec les petits-enfants en cas de conflit avec les enfants, la contestation de demandes de placement avec volonté d’accueil en lieu et place de la famille d’accueil ou d’un établissement, mais aussi l’allégation de danger chez les parents ou sur le lieu de placement.

La promotion des droits

En partant de son expérience tirée de l’examen des réclamations, le DDD mène à la fois des actions préventives destinées à faire évoluer les pratiques administratives et des actions incitant des réformes de nature règlementaire ou législative.

Les actions de promotion en faveur des droits et de l’égalité ont été de trois ordres sur la période considérée. D’abord, la lutte contre les stéréotypes liés à l’âge a été très volontariste, car ces derniers et leurs conséquences sont souvent sources de déni de droit en matière de discrimination et facteurs d’autocensure pour les victimes potentielles. A été promu également, l’amélioration de la gestion des âges dans les entreprises et les administrations en visant l’augmentation du taux d’emploi des seniors. Enfin, le DDD s’est engagé, avec divers partenaires, dans la création d’un environnement économique et social adapté aux seniors afin de leur garantir un meilleur accès aux droits. En la matière notamment, des partenariats ont été noués avec les acteurs syndicaux et associatifs dans le secteur de l’emploi (création en 2008 d’un baromètre annuel du DDD avec le bureau France de l’Organisation Internationale du Travail sur les discriminations dans l’emploi).

À la fin de cette période 2010-2014, trois problématiques prioritaires se dégageaient.

La question de la maltraitance financière devait continuer à être une préoccupation forte. À la suite de travaux menés sur ce sujet dans les établissements médico-sociaux à l’initiative du médiateur de la République[5], d’autres, de même nature, étaient envisagés dans le cadre de l’intervention des services à domicile. Ceux-ci n’ont pas été poursuivis à ce jour sous cette égide. L’accroissement du délai de rétractation en cas de vente à domicile ou à distance était aussi un enjeu.

La protection juridique. Le Défenseur des Droits s’est aussi associé aux travaux de réseaux associatifs concernant la protection juridique des majeurs, en participant à la rédaction d’un livre blanc[6] et en défendant la création d’un audit préventif à caractère social concernant les personnes âgées.

Enfin, dans la poursuite des interrogations formulées par le Contrôleur général des lieux privatifs de liberté relatives au respect des libertés fondamentales des résidents d’EHPAD, le DDD a poursuivi différents travaux permettant d’examiner les conditions de placement et de vie des personnes âgées dans les centres spécialisés, notamment les EHPAD. Les problèmes de libre choix des personnes âgées souvent vulnérables dans ce type d’établissements, de la formation du personnel, des inspections administratives doivent faire l’objet d’une vigilance particulière au regard du respect des droits des personnes concernées. Ce travail a été complété par des initiatives communes avec l’Observatoire de la fin de vie sur la question de l’accompagnement de fin de vie des personnes très âgées. De même, un travail similaire a été entamé en 2014 sur les problèmes rencontrés par les personnes âgées en prison. Ces travaux conduits en 2013 et 2014 ont débouché sur des recommandations concernant les EHPADs.

Les discriminations. Pour mobiliser les relais d’opinion que sont les ONG, le DDD a organisé un séminaire qui s’est déroulé à Paris en mars 2014 portant sur « les droits fondamentaux au défi de l’avancée en âge ». En partant des saisines de situations concrètes, la réflexion a porté sur tous les champs de discrimination liée à l’âge dans le domaine de l’accès aux assurances, à la santé, au logement et à l’emploi avec le soutien du réseau Equinet.

Cette période s’est ainsi conclue par la détermination sans faille du DDD à utiliser les dispositifs juridiques de lutte contre les discriminations afin de garantir une effectivité des droits fondamentaux des personnes âgées, ralliant la position européenne d’utiliser à ce stade le cadre normatif déjà existant. Sur la période ultérieure, ces travaux réalisés dans la sphère juridique et sociétale ont été poursuivis.

Le renforcement de la préoccupation quant à l’effectivité des droits des personnes âgées : Période 2015-2021

Il est important de constater que la préoccupation de l’accès effectif aux droits des personnes âgées a été, sur la période récente, de plus en plus partagée que ce soit par les institutions françaises, européennes et les ONG.

Cette convergence peut s’expliquer par différents facteurs. Parmi ceux-ci, on peut indiquer les travaux sur l’âgisme menés par l’Observatoire de l’Âgisme[7] et qui ont permis une meilleure sensibilisation de l’opinion publique, ou encore la mobilisation des ONG, soit lorsqu’elles ont une dimension internationale comme la Fédération Internationale des Associations de Personnes Âgées (FIAPA)[8], soit lorsqu’elles participent à des plateformes européennes telle que la plateforme AGE[9] auprès de l’Union européenne ou la conférence des Organisations Internationales Non-Gouvernementales (OING) du Conseil de l’Europe.

Des travaux d’évaluation de plans ou dispositifs précédents ont été conduits par le Conseil de l’Europe et l’Union européenne et ont menés à une nouvelle contribution de l’Agence européenne pour les droits fondamentaux (FRA) qui a été produite en août 2020. Celle-ci porte sur « Modifier les perceptions : vers une approche du vieillissement fondée sur les droits »[10]. Enfin, l’accroissement et l’analyse des requêtes pendantes et des arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme apportent d’utiles enseignements quant à l’analyse de l’effectivité des droits des personnes âgées aux échelles européenne et nationale.

La montée des préoccupations sur le sujet s’est aussi située dans un contexte de forte sensibilisation au respect des droits fondamentaux des personnes accueillies en France en EHPAD, ainsi que l’émergence d’importants questionnements éthiques et de respect des droits liés à la situation épidémique de la Covid-19.

Une meilleure sensibilisation aux questions d’âge : la lutte contre l’âgisme

Apparue depuis une cinquantaine d’années, la notion d’âgisme est définie comme « un processus de stéréotypage systématique et de discrimination contre les personnes, en raison de leur âge, tout comme le racisme et le sexisme le font pour la couleur de la peau ou le sexe » (Butler, 1975, p.12). Ces stéréotypes peuvent avoir des répercussions sur le bien-être physique et psychique des personnes âgées et leur sentiment d’intégration dans la société. Ils contribuent surtout à la production et au maintien d’inégalités et encouragent les attitudes discriminatoires.

En France, un Observatoire de l’Âgisme existe depuis 2008. Il couvre tout le champ des questions d’âge et pas seulement celui des personnes âgées. Compte-tenu de ses travaux, il a été invité à prendre part au projet de Convention internationale des droits des personnes âgées[11] produit par un groupe de travail composé d’ONG, dont la FIAPA. L’Observatoire n’a pas souhaité y être associé, ceci pour plusieurs raisons précisées dans un texte disponible sur son site internet et mis à jour en novembre 2021[12] :

  • le projet de texte précise qu’il n’existe pas de droits spécifiques aux personnes âgées. Or, il serait donc dangereux de séparer les personnes âgées des autres humains en produisant une convention spécifique ;

  • le projet insiste sur la protection des droits des personnes en situation de handicap, toutefois ces droits ne sont pas liés à l’âge et font déjà l’objet d’une convention internationale ;

  • le texte proposé souhaite aussi trouver sa spécificité dans la lutte contre les discriminations liées à l’âge en visant les adultes âgés, ce à quoi s’oppose également l’Observatoire qui considère que cela est une définition restrictive de l’âgisme.

  • il propose, en conclusion, un texte international de lutte contre l’âgisme en évitant qu’un tel texte soit justement âgiste en visant des humains d’un certain âge.

La poursuite de la mobilisation de la CNCDH et du DDD

En juillet 2015, la CNCDH a fait paraître un avis sur le consentement des personnes vulnérables[13]. La réflexion souhaitée dans le cadre de cet avis « revient à s’interroger sur les façons dont on peut assurer le respect effectif des droits des personnes vulnérables, en particulier les personnes âgées en perte d’autonomie, en conciliant le respect de l’autonomie et l’impératif de protection ». Elle formule 14 recommandations portant tout d’abord sur les conditions du recueil du consentement, en insistant sur le nécessaire dialogue entre l’autorité qui propose et la personne dont le consentement est recherché, dialogue succédant à une information personnalisée et précédant la réception du consentement par une procédure spécifique à mettre en place.

La CNCDH recommande aussi aux pouvoirs publics de renforcer les actions de communication sur la fonction de personne de confiance, la promotion des directives anticipées et le mandat de protection. Pour ce faire elle préconise une meilleure formation des personnels de toutes catégories pour qu’ils construisent ensemble de bonnes pratiques.

En ce qui concerne le DDD, ce dernier a produit en mai 2021 un rapport sur les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en EHPAD[14], succédant à de nombreux travaux antérieurs et en octobre 2021, un document présentant les résultats d’une enquête sur les difficultés d’accès aux droits et discriminations liées à l’âge avancé[15].

Ce dernier document repose sur un travail d’enquête qui confirme que près d’un quart des personnes âgées de plus de 65 ans déclarent être confrontées à des difficultés dans la réalisation de leurs démarches administratives. Elles évoquent la déshumanisation des relations avec les services publics et la perte du lien social.

De plus, 30% des personnes âgées de 65 ans et plus déclarent avoir été témoin de discriminations liées à l’âge avancé au cours de leur vie et 17% indiquent en avoir été victimes au cours des 5 dernières années.

Par manque d’information, de sensibilisation ou d’accompagnement, ces discriminations peinent à être pleinement reconnues, elles sont souvent trop banalisées par les personnes elles-mêmes. C’est pourquoi Mme Claire Hédon, l’actuelle DDD, invite à remettre la question des discriminations liées à l’âge au coeur des débats et des politiques publiques.

La mobilisation à l’échelle européenne des ONG

Cette mobilisation s’est exprimée, en juin 2016, à travers une recommandation aux États membres de la Conférence des OING du Conseil de l’Europe sur la prise en charge médicale et médico-sociale et le respect des droits des personnes âgées.

En rappelant la recommandation du Comité des Ministres aux États membres sur la promotion des droits de l’homme des personnes âgées adoptée en février 2014 et en appelant à l’utilisation de la Convention européenne des droits de l’homme et la Charte sociale (en particulier son article 23 sur le droit des personnes âgées à une protection sociale), la conférence des OING demande que le respect de la vie et de la dignité des personnes âgées soit préservé. Cela passe par l’application, entre autres, des règles nationales et internationales.

Au niveau de l’Union européenne, AGE Platform Europe lutte contre toutes les formes de discrimination liées à l’âge, surveille et influence la mise en oeuvre des institutions de l’Union Européenne dans ce secteur.

À noter, parmi leurs derniers travaux, la tenue d’une conférence en ligne les 28 et 29 septembre 2020 portant sur le renforcement des droits des personnes âgées à l’ère du numérique. En effet la dématérialisation de l’accès aux services publics est une des causes essentielles du non-accès ou du non-recours aux droits pour les personnes âgées.

À l’issue de la présidence slovène du Conseil de l’Union Européenne, au dernier semestre 2021, la plateforme AGE s’est associée à une conférence le 18 novembre, qui s’est concentrée sur la question de l’âgisme. A cette occasion, l’accent a été mis sur la perspective du parcours de vie, sur le vieillissement démographique et la coopération intergénérationnelle.

La contribution des Institutions Européennes

Conseil de l’Europe

Les instruments existants au Conseil de l’Europe ne traitent pas explicitement de l’âge et de la discrimination fondée sur l’âge, mais la Cour Européenne des Droits de l’Homme a reconnu que le critère d’âge pourrait constituer un statut permettant la reconnaissance de la discrimination liée à l’âge. Différentes affaires rappelées ci-après démontrent l’irruption accrue de la question de l’âge dans la jurisprudence de la Cour Européenne.

La Charte sociale révisée contribue à la reconnaissance du droit des personnes âgées en ses articles 23 et 30 relatifs aux droits pour mener une vie digne et à la lutte contre l’exclusion sociale.

Pour rappel, le Conseil de l’Europe a produit une recommandation sur la promotion des droits de l’homme des personnes âgées en 2014 déjà mentionnée, complétée par une résolution de l’Assemblée parlementaire en 2017 sur les droits humains des personnes âgées et leur prise en charge intégrale.

Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH)

Un certain nombre de situations sont pendantes ou ont déjà fait l’objet d’arrêts devant la CEDH mettant en évidence la montée en puissance du rôle de celle-ci par l’utilisation de la Convention Européenne des Droits de l’Homme en ce qui concerne les droits des personnes âgées. Ces recours couvrent un large spectre, puisqu’ils concernent à la fois :

  • Le droit à la vie (article 2 de la Convention Européenne de Droits de l’Homme) : différentes affaires portant sur le décès prétendument provoqué par de mauvaises conditions d’hospitalisation, la disparition d’une patiente Alzheimer d’une maison de retraite, les conséquences du réchauffement climatique sur l’état de santé, le transfert involontaire de résidents d’un établissement de soins vers un autre établissement ;

  • L’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (article 3 de la Convention) : avec 6 affaires concernant les conditions de détention et la compatibilité avec l’âge du maintien en détention, le montant d’une pension de vieillesse prétendument insuffisant pour garantir ou conserver un niveau de vie décent, l’obligation d’effectuer un service militaire, le risque allégué de traitement contraire à l’article 3 en cas de mise à exécution d’une mesure d’expulsion, l’interdiction de l’esclavage et du travail forcé, le droit à la liberté et à la sûreté ;

  • Le droit à un procès équitable (article 6 de la Convention) : durée prétendument excessive de la détention, procédures de déchéance de la capacité juridique ;

  • Le droit au respect de la vie privée et familiale (article 8 de la Convention) : impossibilité pour une personne transsexuelle d’obtenir une pension de retraite à l’âge minimum requis pour les autres femmes, placement sous curatelle et droit au respect de la vie privée, refus d’une compagnie d’assurance de prendre en charge des frais médicaux de conversion sexuelle, réduction/suppression des soins de nuit à domicile, suicide assisté ;

  • La liberté d’expression (article 10 de la Convention) ;

  • Le droit au mariage (article 12 de la Convention) ;

  • L’interdiction de la discrimination (article 14 de la Convention) ;

  • La satisfaction équitable (article 41 de la Convention) ;

  • La protection de la propriété (article 1 du protocole n°1 à la Convention).

Union européenne

Au niveau de l’Union européenne la décennie s’est caractérisée par l’élaboration, en 2011, d’un partenariat européen d’innovation pour un vieillissement actif et en bonne santé et en 2012, par des manifestations dans le cadre de l’Année européenne du vieillissement actif et de la solidarité intergénérationnelle.

L’adoption en 2017 du Socle européen des droits sociaux contient un certain nombre de principes clés pertinents pour les personnes âgées : l’égalité des chances (notamment pour les groupes sous-représentés), l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée (en particulier pour les seniors au carrefour de deux générations à soutenir), un revenu adéquat (avec une attention particulière sur la situation des femmes), l’inclusion des personnes handicapées lorsque le vieillissement est porteur de limitation d’autonomie, l’accès à des soins de longue durée à domicile ou par des services de proximité.

Agence des droits fondamentaux (FRA)

Nous l’avons évoqué, cette agence a produit un focus en 2018 : « Modifier les perceptions : vers une approche du vieillissement fondée sur les droits »[16]. Il permet de reposer la question de l’âge en affirmant qu’il est impossible de regrouper un groupe d’âge précis sous le vocable de personnes âgées. Il insiste sur l’âgisme en tant que construction sociale particulièrement négative, les personnes âgées étant perçues comme n’ayant aucune valeur pour la société, cet âgisme tendant à être normalisé sans remise en question des stéréotypes.

Ce document produit trois recommandations. La première est la poursuite des efforts du législateur de l’Union européenne pour que la directive sur l’égalité de traitement étende horizontalement la protection contre la discrimination fondée sur divers motifs, dont l’âge. La seconde porte sur une meilleure protection des droits sociaux. Le législateur de l’Union européenne devant mener des actions concrètes pour mettre en oeuvre les principes et les droits inscrits dans le Socle européen des droits sociaux. Enfin la troisième proposition encourage les États membres à recourir aux fonds structurels et d’investissement européens pour promouvoir une approche du vieillissement ancrée sur les droits.

Conclusion

Sur le continent européen, la situation juridique et politique témoigne d’une transition lente, mais claire, vers une approche fondée sur les droits fondamentaux à l’égard des personnes âgées. C’est ici le fait de tous les acteurs étatiques et associatifs conscients de la nécessité de promouvoir et de recourir aux instruments contraignants déjà existants.

Il est de même urgence de promouvoir des politiques publiques répondant aux défis démocratiques en cours et à venir, tels que l’âgisme très prégnant dans nos sociétés ou encore la dématérialisation des services freinant l’effectivité de l’accès aux droits. A cela, s’ajoute la nécessité de reconnaître l’ensemble des limitations de jouissance des droits auxquelles font face les personnes âgées ; limitations qui se sont particulièrement manifestées lors des différentes vagues épidémiques et pour lesquelles des réponses adéquates s’imposent.

L’Europe cependant ne peut se tenir à l’écart des débats internationaux, notamment eu égard des initiatives prises par l’Amérique du Sud et l’Afrique, où des instruments juridiques non contraignants ont été signés. En la matière, l’Organisation des États américains a signé en 2015 une convention interaméricaine, premier instrument régional de ce type, visant à protéger les droits des personnes âgées pour contribuer à leur pleine intégration et participation dans la société.

Pour ce qui concerne le continent africain, c’est un protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des personnes âgées qui a été signé en 2016.

Depuis la première Assemblée mondiale sur le vieillissement de 1982, qui a vu la création du premier plan d’action international de Vienne, beaucoup d’initiatives ont été prises à l’échelle internationale.

À la suite de la création du groupe de travail sur le vieillissement et la nomination, en 2014, de l’experte indépendante chargée de promouvoir l’exercice par les personnes âgées de tous les droits de l’homme, il convient de poursuivre l’examen des conditions d’accès de ces publics à leurs droits fondamentaux sur tous les continents. Ceci peut être engagé au moyen d’outils juridiques contraignants et en favorisant le développement par les États de politiques publiques gages de leur effectivité.

Si l’action en faveur du respect des droits des personnes âgées peut être conduite de manières très diverses, il apparaît indispensable qu’elle ne se situe que sous la bannière de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme, des 2 pactes internationaux et des 7 conventions internationales déjà existantes et qu’elle puisse promouvoir le recours aux outils juridiques contraignants dans l’ensemble des pays concernés.

Ayant pris part à ces débats en tant qu’adjointe du DDD durant la décennie 2010-2020, j’ai acquis la conviction qu’une approche du vieillissement ne peut être fondée que sur les droits pour le respect de la dignité jusqu’au bout de la vie et sur le soutien à la pleine citoyenneté. Pour ce faire, il convient de mobiliser le cadre normatif existant, et pour cela, le faire connaître de toutes les parties prenantes. Il en va particulièrement du monde professionnel public, associatif ou commercial intervenant dans le champ médico-social. Ici, il serait par exemple utile de développer ces questions de manière plus volontariste dans l’offre de formation initiale ou continue.

En tant qu’européenne militante, je rejoins la position de l’Union européenne sur l’absence de priorité donnée au travail d’élaboration d’une convention internationale des personnes âgées. Le discours porté est ici avant tout celui de la promotion du cadre normatif international et européen actuel, à condition de rester vigilant au respect des droits au niveau national et de poursuivre le travail de valorisation de ces droits dans les enceintes du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne.

Pour autant, je reste attentive aux débats internationaux sur la question. En tant que citoyenne du monde, je pense que nous devons être au rendez-vous des défis mondiaux que posent le vieillissement démographique, les phénomènes d’âgisme – notamment dans les situations de crise, telles que les guerres et les pandémies – ou encore le très grand âge et la fin de vie dans leurs dimensions médico-sociale, éthique, juridique et philosophique. Ces défis seront de puissants moteurs de la mobilisation, de la réflexion et, espérons-le, de l’action en faveur de l’effectivité des droits des personnes âgées.