Introduction[Record]

  • Isabella Huberman and
  • Isabelle Kirouac Massicotte

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  • Isabella Huberman
    Université du Manitoba

  • Isabelle Kirouac Massicotte
    Université du Manitoba

Les productions culturelles québécoises, qu’il s’agisse de la littérature, du cinéma, des séries télévisées, du théâtre ou des arts picturaux, sont traversées par le colonialisme et la race, que ce soit implicitement ou explicitement. Cependant, ces questions demeurent peu étudiées dans les études littéraires québécoises. Dans son livre De Groulx à Laferrière. Un parcours de la race dans la littérature québécoise, Corrie Scott fait le constat que « [l]a théorie critique de la race est la grande oubliée de la littérature québécoise » (2014 : ePub). Elle démontre à partir d’un corpus qui s’étend du Rapport Durham (1839) aux oeuvres de Dany Laferrière (1985) et de Ying Chen (2004), que le statut minoritaire de la société québécoise s’est défini de différentes façons en rapport avec la question de la race, qui est « un concept discursif qui vient appuyer diverses positions idéologiques » (2014 : ePub). Comme principe classificateur sans aucune base génétique ou biologique, la race opère pour « doter des groupes d’une “essence” propre et de qualités spécifiques qui seraient inscrites dans leur chair et dans leur sang » (2014 : ePub). Pourtant, comme le souligne Scott, « [l]a mise en question de la race biologique n’a pas conduit à la disparition du racisme qui est encore bien réel, son impact étant encore bien tangible, palpable et brutal » (2014 : ePub). Alors que Scott a relevé, dès 2014, que la question de la race constitue un angle mort important des études littéraires québécoises, la race et les fondements d’un système social injuste concernent autant l’époque de la Nouvelle-France que l’actualité. Au fil de la production de ce dossier, plusieurs événements significatifs ont projeté dans le discours public et médiatique québécois l’histoire coloniale raciste trop longtemps occultée, nous rappelant ainsi la pertinence et la nécessité de mener à bien ce projet. Au fil de l’été 2020, le mouvement Black Lives Matter qui milite contre le racisme anti-Noir·e·s s’est mobilisé à une échelle mondiale en réaction au meurtre de George Floyd. Le mouvement a pris de l’ampleur au Québec également, lorsque la sur-surveillance de certains quartiers de Montréal par la police et les inégalités économiques et sociales mises au grand jour par la pandémie ont été aggravées par le refus de la part des politicien·ne·s de prendre au sérieux le racisme systémique dans la province. À l’automne 2020, la mort de Joyce Echaquan, une femme atikamekw, décédée à l’hôpital de Joliette dans des circonstances troublantes, révéla le mépris raciste institutionnel envers les femmes autochtones. À l’été 2021, de nombreux sites où gisent les dépouilles d’enfants décédé·e·s ont été identifiés sur les lieux d’anciens pensionnats autochtones partout au Canada. Cet événement suscita un débat sur la manière de rendre compte des séquelles de la colonisation au Québec, un débat public qui, d’après l’anthropologue Marie-Pierre Bousquet, n’a pas eu lieu lors de la venue à Montréal de la Commission de vérité et réconciliation en avril 2013. Bousquet a constaté que les médias québécois ont, à l’époque, traité l’histoire des pensionnats comme « s’il s’agissait d’abord et avant tout d’une réalité extérieure » (2016 : 171). À l’aube de la deuxième décennie du xxie siècle, y aurait-il une reconnaissance provinciale réelle des injustices coloniales et racistes passées et actuelles ? On avance, de toute évidence, sur des sols mouvants : ce contexte social et ce moment culturel ont confirmé la nécessité, voire l’urgence, de créer un espace qui fera circuler un discours critique sur l’intersection du colonialisme et de la race. Nous avons donc voulu situer le présent dossier dans le prolongement des travaux de Scott, tout en ouvrant la …

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