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Le but de cette étude est de retracer les événements-jalons qui ont marqué le rayonnement de l’archivistique au Brésil ainsi que de dresser le bilan de l’état actuel des choses.

Notre survol commence au XIXe siècle avec le transfert de la Cour portugaise à Rio de Janeiro en 1808 jusqu’à la création des Archives Nationales en 1838. L’archivistique brésilienne a été jalonnée par des événements historiques et politiques ayant plus ou moins contribué à son développement. Nous traverserons donc ensuite le XXe siècle, période durant laquelle l’archivistique se professionnalise, en passant par l’influence des écoles étrangères, y compris celle du Québec

Pour conclure, nous allons établir des points de contact entre le Brésil et le Québec, en abordant les lois, les influences, les mouvements associatifs et d’autres éléments formateurs, tels que l’histoire de la discipline. Notre but, dans ce cas, n’est pas de faire une comparaison approfondie mais plutôt effectuer un bref parallèle historique.

L’archivistique au Brésil

Les origines de l’archivistique brésilienne remontent au début du XIXe siècle, avec le transfert de la Cour portugaise à Rio de Janeiro, en 1808, pour échapper aux persécutions napoléoniennes. Lors de son transfert sur les terres brésiliennes, la Cour apporte avec elle une grosse partie de ses biens, comprenant des documents, cartes, manuscrits, estampes entre autres objets. Ce qui a contribué à la création d’un établissement pouvant les gérer. Par conséquent, en 1838, voient le jour les Archives publiques de l’Empire. (Tanus et Araujo, 84) Au début, l’archivistique s’articulera autour de cette institution, jusqu’à ce qu’elle atteigne un caractère plus autonome entre les années 1960 et 1970.

Quoique les Archives Nationales (AN) représentent le berceau de l’archivistique brésilienne, cela ne se traduit pas par un épanouissement immédiat de la discipline. La première formation en archivistique s’établit en 1911, toujours à Rio de Janeiro, à travers le cours de diplomatique. Selon Ivan Coelho de Sa, ce cours est établi par un décret présentant les nouveaux règlements de l’institution et est structuré autour de quatre disciplines : paléographie, chronologie et critique historique, technologie diplomatique et règles de classification. Ces disciplines seraient assurées par les propres fonctionnaires des AN (Coelho de Sa 2013, 42-43).

En 1922, toujours selon Coelho de Sa, le président Epitacio Pessoa crée le Musée Historique National pour célébrer les cent ans de l’indépendance du Brésil. Par la suite, un nouveau projet détermine aussi la création d’un cours technique commun au Musée Historique National, à la Bibliothèque Nationale (BN) et aux Archives Nationales. Le but de ce cours était de donner une formation de base et générale aux techniciens en archives, bibliothèques et musées (Coelho de Sa 2013, 43).

Cette nouvelle organisation a automatiquement provoqué la suppression, en 1922, du cours de diplomatique des AN ainsi que du cours de bibliothéconomie de la BN, puisque le cours technique sera donné en partenariat entre les trois institutions et aura une durée de deux ans. Les responsables des cours sont les fonctionnaires de ces institutions. Par contre, le nouveau cours technique n’a eu qu’une existence légale dans des décrets, puisqu’il ne s’est jamais concrétisé dans la pratique, par manque de moyens financiers (Marques 2011, 204). Il faudra alors attendre plus de trente ans pour que l’archivistique regagne son souffle dans les AN (Coelho de Sa 2013, 52).

L’essor de l’archivistique en tant que formation professionnelle ne commence qu’à partir des années 1960, par l’entremise de José Honorio Rodrigues, alors directeur des Archives Nationales du Brésil de 1958 à 1964. L’administration de monsieur Rodrigues met l’accent sur la « qualification et formation du personnel, [l’]assistance technique, [l’]échange et [la] diffusion des savoirs » (Estevao et Fonseca 2010, 100). En 1959, Honorio Rodrigues réussit à conclure une entente avec l’attaché culturel français pour l’octroi de deux bourses d’études afin que les fonctionnaires brésiliens puissent suivre des stages aux Archives nationales de France. L’entente se concrétise en 1963 (Estevao et Fonseca 2010, 100-101).

Dès la fondation des AN jusqu’à la première moitié du XIXe siècle, l’archivistique brésilienne est profondément ancrée dans le modèle français. En guise d’exemple, rappelons les premières traductions de textes techniques, comme le soulignent les auteurs Estevao et Fonseca : « Une partie importante du vocabulaire technique employé aujourd’hui a son origine dans cette liaison avec la France, dans la langue parlée et traduite vers le portugais, dans la façon dont ont été traduits les premiers textes, dans la manière dont les termes ont été compris et réutilisés. » (Estevao et Fonseca 2010, 103)

Toujours soucieux de la situation précaire de la discipline et de la mauvaise gestion des documents au sein de cette institution de renom que sont les AN, monsieur Rodrigues décide d’envoyer une lettre à l’ambassade française pour demander la collaboration d’un archiviste français, à la fin des années 1950 (Tanus et Araujo 2013, 88). C’est ainsi que vers 1959-1960, le Brésil reçoit la visite de Henri Boullier de Branche qui, selon Lopes (2000-2001, 62-63), dresse un bilan fort problématique de la situation des archives brésiliennes dans un rapport publié en 1960.

Au cours des années soixante, le milieu archivistique brésilien évolue et se diversifie au moyen de stages, d’échanges, de congrès, de séminaires, de colloques et d’autres événements contribuant à l’ouverture du pays aux apports étrangers (Estevao et Fonseca 2010, 103). L’archivistique brésilienne étant ancrée sur le modèle français, dès la fondation des AN, la montée de l’empire américain après la Deuxième Guerre mondiale entraînera des changements, un détour vers l’Amérique du Nord. L’un des résultats de cette nouvelle influence est la visite de l’archiviste américain Theodore Roosevelt Schellenberg en 1960, lui aussi invité par José Honorio Rodrigues.

En dépit de ce mouvement dynamique qui s’opère dans le milieu des archives brésiliennes, Clarissa Schmidt croit qu’il est encore prématuré de parler d’un développement effectif de l’archivistique dans les années soixante (Schmidt 2012, 168-169). D’après la chercheuse, la vraie constitution de la discipline prendra place seulement à partir des années 1970, avec la création d’un champ et d’une communauté scientifique (Schmidt 2012, 172). Historiquement, l’état de Rio de Janeiro se fait remarquer comme précurseur. Parmi les événements majeurs pour l’archivistique dans cette décennie, on pourrait souligner : la création, en 1971, de l’Association des archivistes brésiliens (AAB) ; la permission donnée aux universités brésiliennes par le Conseil Fédéral d’Éducation en 1972 d’organiser des programmes de premier cycle en archivistique (Matos 2008, 5-6) ; l’ouverture officielle du cours d’archivistique dans le milieu universitaire – en 1976, à l’Université Fédérale de Santa Maria (UFSM), en 1977 à l’UNIRIO (Université Fédérale de l’État de Rio de Janeiro)[1], et en 1978 à l’Université Fédérale Fluminense (UFF). Cette année-là, on voit également la réglementation de la profession d’archiviste et de technicien en archives de même que la visite de Michel Duchein dans les AN.

Il n’en demeure pas moins que l’archivistique pratiquée aujourd’hui relève des années 1960, malgré sa fragilité et son manque de racines profondes (Lopes 2000-2001, 66). Ces années représentent un moment complexe et ambigu pour la société brésilienne en général et pour l’archivistique en particulier. Malgré le régime dictatorial qui, dès 1964, plonge le pays dans l’autoritarisme et dans la censure, on voit la promotion de l’éducation supérieure, de la science et de la technologie (Marques 2011, 227). D’une part, on assiste à un développement de l’archivistique par l’entremise de José Honorio Rodrigues qui promeut la visite d’archivistes étrangers. D’autre part, les archives elles-mêmes seront directement affectées. Outre les crimes contre les droits de la personne, le gouvernement dictatorial s’attaque à l’un des piliers fondateurs de la démocratie : l’accès à l’information. Autrement dit, il n’y a plus d’accès aux archives et aux documents, la mémoire brésilienne est temporairement interrompue. Selon Wallot et Grimard :

…les archives, éléments primordiaux de la mémoire du monde, constituent un instrument privilégié de contribution au développement durable. À la fois preuves, témoignages et sources de renseignements, elles documentent la vie des sociétés, rendent les organismes et les gouvernements transparents et responsables face à leurs commettants, donc servent à la démocratie, prouvent les droits collectifs et individuels…

Wallot et Grimard 2009, 64

Les incertitudes et censures imposées par le régime dictatorial n’ont jamais arrêté le rayonnement de l’archivistique pour autant. Dans ce cadre, les années soixante-dix vont symboliser la deuxième époque charnière. Le premier événement important a lieu en 1971, avec la création de l’Association d’archivistes brésiliens (AAB). L’année suivante paraîtra la revue Arquivo & Administraçao – qui existe toujours – et, par la suite, se tiendra le Premier Congrès brésilien en archivistique. Finalement, un décret est publié en 1972 permettant aux universités brésiliennes la mise en place de cours d’archivistique dans les programmes de premier cycle (Matos 2008, 5).

La constitution du mouvement associatif articulé autour de l’AAB joue un rôle fondamental dans la création des cours de premier cycle en archivistique, de même que dans « l’institutionnalisation scientifique du champ/domaine des archives au Brésil » (Schmidt 2012, 266). Cette décennie est bouclée avec la première visite de l’archiviste Michel Duchein en 1978. Il reviendra au pays en 1982. Ce qui réaffirme la pérennité de la présence française. Duchein « a apporté au pays sa grande expérience professionnelle et une juste perception des problèmes archivistiques connus au Brésil. Aucun autre archiviste étranger n’a pu égaler ou surpasser Duchein dans l’exercice de l’altérité. » (Lopes 2000-2001, 64) Durant cette période sont créés les premiers cours universitaires d’archivistique, dont deux en 1977 et un autre en 1978. Selon Tanus et Araujo, les années 1970 scellent le destin de l’archivistique en tant que domaine d’études au Brésil (Tanus et Araujo 2013, 91).

Au cours des années quatre-vingt, l’archivistique connaîtra des hauts et des bas. D’entrée de jeu, en 1981, le Conseil National de Recherche Scientifique (CNPq) intègre la discipline comme un sous-domaine des sciences de l’information. Malgré tout, les difficultés de financement demeurent.

En ce qui concerne la législation, on doit remarquer la publication d’un avant-projet de loi d’inspiration française « portant des dispositions sur les archives publiques et privées » (Rodrigues 2011, 6). Son but était de « garantir la préservation des documents publics, ainsi que des documents privés d’intérêt public » (Rodrigues 2011, 6). Cependant, puisque la dictature était encore en place, la décision politique finale sur le projet est reportée et ne se concrétise qu’en 1991.

Bien qu’il y ait une interruption dans la mise en place de nouveaux cours de premier cycle au sein des établissements universitaires, le milieu archivistique demeure actif et dynamique avec la création de deux revues spécialisées, Agora en 1985 et Acervo en 1986, publiées encore aujourd’hui. De surcroît, à la même époque sont instaurés des cours de spécialisation (lato sensu) dans quelques universités (Tanus et Araujo 2013, 91). En dépit d’une crise dans l’enseignement dans les années quatre-vingt, l’archivistique poursuit son chemin.

Après plusieurs débats amorcés en 1981 – année de la remise d’un avant-projet sur les archives – un nouveau projet de loi sur les archives sera finalement approuvé en 1991. Le 8 janvier 1991 est implantée la Loi no 8.159[2] qui porte sur la politique nationale des archives publiques et privées, prévoyant en plus la création du Conseil national des archives (CONARQ). (Tanus et Araujo 2013, 92) Suite à la publication de cette loi, on aperçoit un accroissement des cours d’archivistique dans les universités ainsi qu’un développement de la recherche –- la qualification professionnelle s’épure. On observe également un approfondissement théorique grâce à l’ouverture des chercheurs et professeurs aux apports étrangers, au-delà du binarisme France/États-Unis.

L’histoire de l’approbation de la Loi sur les archives au Brésil a suivi un rythme plus ou moins semblable à celui de l’ouverture politique post-dictature. Autrement dit, la lenteur prévalait. Selon Georgete Medleg Rodrigues (2011), l’histoire de la législation brésilienne depuis 1991 peut être divisée en trois périodes. D’abord, jusqu’en 1992 la loi « prévoit un délai de restriction d’accès de trente ans en ce qui concerne la sécurité de l’État et la sécurité publique. » (Rodrigues 1991) Pour ce qui touche à l’honneur et à l’image des personnes, le délai était de cent ans. Ensuite, entre 1995 et 2002, sous le gouvernement du président Fernando Henrique Cardoso, sont institués des décrets qui réglementent l’accès aux documents secrets et mettent l’accent sur la confidentialité. Finalement, le changement de cap aura lieu sous le gouvernement de Luis Inacio Lula da Silva (2003-2010), avec la réglementation d’un décret permettant « l’accès aux documents et créant la Commission d’évaluation et analyse d’informations secrètes », en plus d’un décret qui permet le versement aux Archives nationales de fonds sensibles issus de la dictature, à savoir le Conseil de sécurité nationale (CSN), la Commission générale d’investigations (CGI) et le Service national d’informations (SNI). (Rodrigues 2011)

Chapitre à part entière dans l’histoire brésilienne, les archives secrètes mériteraient un travail supplémentaire qui échappe à notre dessein. Afin de résumer ce qui se passe aujourd’hui, soulignons que le mouvement vers l’ouverture des documents secrets est présent, comme le prouve la rencontre en 2014, du vice-président états-unien Joe Biden avec la présidente Dilma Rousseff, victime elle-même, de tortures et d’emprisonnement durant la dictature[3]. M. Biden est venu lui annoncer la remise des archives concernant le régime autoritaire et conservées aux États-Unis. Actuellement, ces documents sont regroupés dans un projet nommé Opening the Archives, un partenariat entre Brown University et l’Université Estadual de Maringa, au Brésil. Il est donc question de récupérer une partie de la mémoire brésilienne afin de mieux connaître la vraie histoire durant la dictature, et ce, par l’entremise des archives. La remise de ces documents au gouvernement brésilien ainsi que leur ample diffusion contribuent au maintien de la triple fonction archivistique dont parlent Wallot et Grimard (2009, 66) : preuve, information et témoignage.

L’archivistique brésilienne, malgré les difficultés structurales, est toujours en train de se renouveler. L’une des tendances actuelles les plus reconnues au Brésil est issue de l’archivistique québécoise. Le courant de pensée franco-canadien a renouvelé le concept de gestion de documents, « en déplaçant la conception des archives historiques, principalement, en tant que sources de recherche historique, et en les rapprochant de l’administration et des fonctions des archives courantes et intermédiaires » (Tanus et Araujo 2013, 93). L’expression « information organique consignée » a inauguré un nouvel objet d’étude pour l’archivistique, à savoir l’information. De ce fait, le domaine des archives témoigne d’une nouvelle influence qui trouvera écho soit dans les thématiques, soit dans les productions et formations académiques (Tanus et Araujo 2013, 93).

Il ne faut pas oublier que l’introduction de la pensée québécoise au Brésil se fait par l’intermédiaire de l’archiviste Luis Carlos Lopes, ancien chercheur postdoctoral à l’Université de Montréal (UdeM), qui a publié des articles dans des revues spécialisées, dont la revue Archives. Au Brésil, monsieur Lopes est considéré comme le responsable de la diffusion de l’archivistique intégrée. Selon ses propres mots, sur le plan international, la notion québécoise constitue

… l’expérience la plus enrichissante de l’archivistique pensée et pratiquée dans le monde entier […]. Elle est, d’après nous, le seul courant de pensée archivistique qui valorise la recherche en tant que méthode en plus d’être ouverte aux solutions des problèmes du XIXe siècle. À partir de la pensée archivistique québécoise, on pourra, peut-être, arriver aux solutions théoriques et pratiques qui sont en consonance avec la situation spécifique de chaque pays et à des méthodes de travail adaptables à des réalités différentes.

Lopes 2014

En 2007, suite au lancement d’un décret du gouvernement intitulé REUNI (Programme d’appui à des plans de restructuration et d’expansion des universités fédérales), six nouveaux cours d’archivistique sont mis en place dans des universités publiques (Tanus et Araujo 2013, 94). Le Brésil compte aujourd’hui seize cours de premier cycle dans les universités, en plus de neuf programmes de deuxième et troisième cycles en sciences de l’information, ayant la possibilité de débouchés en archivistique (Matos 2008, 7).

Même hantée par les échos de la dictature et le souci du secret, la politique des archives ne cesse d’avancer, comme le prouve la Loi d’accès à l’information sanctionnée en 2011 :

On croit que cette loi d’accès à l’information ouvre des voies à un plus grand contrôle social de l’information par les divers secteurs de la société, en leur donnant un caractère plus transparent et actif en ce qui touche au concept d’accès à l’information, ce qui renforce, par conséquent, les activités de gestion documentaire prévues dans la loi précédente […], ainsi que le rôle des archives en tant que mécanismes assureurs de la démocratie et porteurs d’information historico-culturelle.

Tanus et Araujo 2013, 95

Québec et Brésil : intersections

Mises à part les différences historiques et culturelles, le Québec et le Brésil se ressemblent en certains points. En ce qui a trait à la colonisation, par exemple, les deux pays ont eu comme source première l’apport européen. De plus, tous les deux nourrissent le désir d’indépendance – ce qui s’accomplit au Brésil en 1822, au moins du point de vue politique. L’influence de l’archivistique française et américaine devient un autre aspect en commun.

Dès leur jeune âge, les deux pays produisaient des documents d’archives, constituaient une mémoire. Au Québec, « c’est à la Confédération que l’on doit la mise en place de structures qui vont favoriser la conservation des archives » (Gagnon-Arguin 1992, 12). Parallèlement à ce qui se passe dans le contexte brésilien, la fonction d’archiviste au Québec prendra forme, selon Gagnon-Arguin, entre le XIXe siècle et 1960. Jacques Grimard rappelle que « dès 1830, la jeune Quebec Literary and Historical Society s’intéresse à la localisation des archives nécessaires à la connaissance de l’histoire du Canada, et fait mener par ses membres des missions de reconnaissance à Londres, Paris et New York. » (Grimard 2009, 179)

De même qu’au Brésil, l’essor de l’archivistique québécoise sera propulsé durant les années 1960. Sur le plan politique, en revanche, le Québec et le Brésil se situent dans des positions diamétralement opposées. Dans ce dernier, la montée d’un régime antidémocratique impose des restrictions au développement de la société brésilienne. Sous la dictature, le Brésil adoptera un décret visant à limiter davantage les libertés civiles, « donc loin d’une conception de droit d’accès à l’information » (Rodrigues 2011).

Le Québec, à son tour, se distingue par la Révolution tranquille, une période de modernisation dans tous les niveaux (politique, social, économique et culturel) : « [O]n assiste à une amélioration générale du niveau de vie, à une augmentation du niveau de scolarité de la population et à l’accroissement des services aux citoyens, particulièrement dans le domaine de la santé et des services sociaux. » (Gagnon-Arguin 1992, 36) Avec la création du ministère des Affaires culturelles, en 1961, « la profession [d’archiviste] commence à être reconnue ainsi que les exigences professionnelles et matérielles nécessaires à son action » (Gagnon-Arguin1992, 19). L’Association des archivistes du Québec (AAQ) est créée en 1967, ayant pour mission d’encadrer la profession d’archiviste en plus de contribuer au développement de l’archivistique (Ducharme 2014, 50). Dans son sillage, la revue Archives paraîtra en 1969. L’association joue un rôle primordial dans la défense des intérêts des archivistes, situation pareille à celle qui surviendra dans le milieu archivistique brésilien au début des années 1970.

Depuis 1975, au Québec, la formation en archivistique intégrée à la formation en technique de la documentation est donnée aux cégeps, mais il faudra attendre les années 1980 pour commémorer la création des premiers certificats en archivistique – à l’Université de Montréal et à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) en 1983, et à l’Université Laval en 1985-1986. D’après Carol Couture, « cette accession à l’université revêt une importance indiscutable [car] cela amène les spécialistes de l’archivistique à redoubler leurs efforts de recherche » (Couture 2000-2001, 44). À l’Université Laval et à l’UQAM, l’archivistique relève des départements d’histoire, ce qui va à l’encontre de la tendance mondiale (Ducharme 2014, 51).

La configuration archivistique brésilienne s’affiche légèrement de façon distincte puisque des seize cours de premier cycle offerts au pays, la plupart sont liés aux départements de bibliothéconomie et sciences de l’information. Nonobstant ce fait, dans deux universités, une situation exceptionnelle retient notre attention : à l’UNIRIO, il existe l’École d’archivistique, indépendante de l’École de bibliothéconomie, alors que l’Université Fédérale de l’Espirito Santo (UFES) a fondé le Département d’archivistique.

Carol Couture envisage les années 1980 comme une période-jalon de l’archivistique québécoise grâce à la mise en place de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics en 1982 ainsi que de la Loi sur les archives en 1983. Pour faire le lien comparatif avec le Brésil, rappelons que son projet de loi archivistique fut proposé en 1981 et retardé de dix ans en raison du régime militaire.

Une autre des différences entre l’archivistique brésilienne et québécoise est soulignée par Couture et Lajeunesse. Le statut de professeur d’archivistique au Brésil « est reconnu comme catégorie professionnelle depuis 2002, alors qu’au Québec les archivistes n’ont pas un statut leur permettant de s’ériger en ordre professionnel et doivent en attendant se regrouper en une association » (Couture et Lajeunesse 2014, 200).

En ce qui concerne le rapprochement entre la pratique et la théorie, le Québec se présente comme un cas exemplaire. En d’autres termes, les apports étrangers se sont rencontrés et acclimatés dans le creuset québécois pour délivrer, en amont, une approche de l’archivistique intégrée et « originale car elle se situe au carrefour des pratiques européennes d’inspiration classique basées sur les concepts de fonds et de respect des fonds, et des méthodes nord-américaines de la gestion des documents (records management). » (Gadoury et Nahuet 2005, 16)

L’archivistique québécoise constitue une source plus récente, mais non moins importante, que celle pratiquée au Brésil. D’après Santos, aux influences française et américaine qui ont prédominé jusqu’aux années soixante-dix viennent s’ajouter les contributions fournies par d’autres institutions d’enseignement supérieur : « parmi lesquelles on souligne celle d’origine canadienne, représentée par les travaux du groupe d’archivistes du Québec, attachés à l’Université de Montréal, et l’espagnole, avec la tradition des études produites dans le milieu de l’administration et de la formation universitaire » (Santos 2008, 96).

En guise de conclusion

Le tableau que nous venons de brosser constitue un aperçu général de la formation archivistique au Brésil ainsi que des ressemblances et des différences entre l’archivistique québécoise et brésilienne. En ce qui a trait à leurs points de contact, il est important de souligner le développement plutôt récent de la discipline au cours des années soixante, la lutte des archivistes pour être reconnus – voire connus –, la mise en place de formations universitaires dès les années 1970-1980, les influences française et américaine, les législations approuvées, etc.

L’archivistique québécoise, par son caractère innovateur et son indépendance vis-à-vis ses sources initiales, se distingue de celle pratiquée au Brésil. Les contours de l’identité archivistique québécoise sont, aujourd’hui, plus nets. Même si, « comme l’a écrit Carol Couture, il s’agit encore d’une discipline en émergence, ses perspectives d’avenir s’avèrent plus solides que jamais » (Ducharme 2014, 59). En outre, le fait que l’archivistique québécoise soit devenue une nouvelle source d’inspiration pour les archivistes brésiliens montre en quelque sorte son envergure.

D’après Angelica Alves da Cunha Marques :

… la pensée archivistique brésilienne est imprégnée de la pensée archivistique internationale, surtout par les échanges découlant des visites des étrangers et par la traduction des oeuvres étrangères vers le portugais. Le Brésil donne aussi ses contributions à l’archivistique internationale, soit en participant à des événements internationaux, soit en intégrant des comités d’institutions étrangères et en produisant des oeuvres qui, au fur et à mesure, seraient reconnues par d’autres pays.

Marques 2011, 254

Malgré toutes les difficultés subies par l’archivistique brésilienne, dès ses débuts au XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui, force est de reconnaître qu’elle suit un rythme en constante évolution – les lois, les cours universitaires, les congrès, les publications spécialisées sont autant d’indices qui témoignent de son dynamisme et de son regard vers l’avenir. Dans le carrefour des influences, l’archivistique brésilienne est sans cesse en train de tracer son chemin en vue de trouver sa propre identité.