Article body

L’année 1919 fut une année cruciale pour l’Égypte, alors que le leader du mouvement nationaliste Saad Zaghlūl mena une révolution visant à renverser l’occupation britannique. Cette année fut aussi celle de la fondation de l’Université américaine au Caire ou American University in Cairo (AUC), qui célébra son centenaire au cours de l’année académique 2019-2020. Comme pour toute commémoration de cette envergure, l’établissement oeuvra à mettre en valeur son histoire et ses succès, et son service des archives joua un rôle central dans cette entreprise.

Les archives de l’AUC documentent un établissement unique en Égypte et, à l’échelle mondiale, un modèle d’éducation peu commun : elle est une parmi seulement quelques douzaines d’universités de style américain établies hors des États-Unis. Son fondateur, Charles Watson, fils de missionnaires protestants américains, grandit en Égypte. Sa propre mission fut d’importer un système d’éducation universitaire américain en Égypte, où il n’existait alors que deux universités. L’AUC débuta modestement ; n’offrant au départ que des cours de niveau secondaire, l’Université délivra ses premiers diplômes de licence en 1928. Pendant les années 1920, les inscriptions annuelles dépassèrent rarement les trois cent cinquante étudiants (Murphy, 1987, p. 267). Aujourd’hui l’Université compte environ sept mille étudiants de premier et deuxième cycles. Malgré sa taille modeste durant les premières années de son existence, l’AUC contribua à l’innovation de l’éducation en Égypte, introduisant notamment les travaux pratiques de laboratoire scientifique et l’athlétisme, et accueillant sa première étudiante en 1928.

Pendant les quatre-vingt-dix premières années de son existence, l’AUC était située au centre-ville, où se trouve aujourd’hui la place Tahrir. Elle y demeura jusqu’en 2009, année du transfert de la plupart de ses activités sur un nouveau campus situé en banlieue. C’est là que se trouvent actuellement la bibliothèque et le service des archives. Le déménagement s’avérait nécessaire en raison de l’accroissement progressif du nombre d’inscriptions et de programmes offerts, notamment dans les domaines des sciences et de l’ingénierie. En dépit de cette relocalisation et tout au long des cent premières années de son existence, les ambitions premières de l’Université sont demeurées les mêmes : offrir une éducation de type américain basée sur l’enseignement des arts libéraux et l’engagement d’apporter une contribution à l’Égypte.

Un aspect fondamental de la célébration par l’AUC de son centenaire consistait à mettre en lumière son identité et ses succès en faisant appel à sa mémoire institutionnelle, ce qui s’inscrivait parfaitement dans la mission première du service des archives de l’Université. Établi en 1970, à une période où étaient implantés plusieurs services d’archives universitaires aux États-Unis, le service des archives de l’AUC doit sa création à la publication d’un ouvrage sur l’histoire de l’institution (Meyer, 2011 ; Murphy, 1987, p. vii). Bien que le service des archives ne résultait pas d’une commémoration en soi, son rôle dans le façonnement de la mémoire de l’AUC et dans l’expression de son identité était clair. Ce service devint par conséquent un centre d’opération incontournable pour l’organisation et la mise en oeuvre des célébrations du centenaire.

Le centenaire a représenté un croisement d’opportunités et de défis pour le service des archives de l’AUC, comme nous le démontrerons dans cet article. Quelle autre occasion pouvait générer autant de demandes d’informations factuelles, de statistiques, de photos et d’interprétations ? L’approche de cet anniversaire a certainement orienté la mission et la vision du service des archives de l’Université, qui s’appuyait sur une planification institutionnelle à long terme de l’événement et sur un calendrier comportant un objectif précis. Suivant cet objectif, les nombreux projets développés par le service des archives s’orientèrent sur le centenaire, comme le démontrera la section portant sur les projets de numérisation. Comme les besoins des archives s’inscrivaient dans des priorités institutionnelles (la célébration du centenaire étant une de ces priorités), concrètement cela nous assurait un accès aux ressources nécessaires.

Les défis posés par un projet de commémoration aussi important sont nombreux, alors que l’attention de l’institution est dispersée en plusieurs directions. Parmi les défis rencontrés par le service des archives pendant l’organisation du centenaire, le développement d’une bonne collaboration « interservice » fut sans doute le plus important, tout en constituant, probablement, l’expérience la plus gratifiante.

Une telle commémoration représentait une opportunité inégalée de valoriser le rôle des archives, offrant de nombreuses occasions de mettre en lumière le travail, souvent invisible, de l’archiviste : celui de constituer des collections témoignant de l’histoire institutionnelle et de révéler les histoires qu’elles racontent. Le centenaire offrit de nombreuses occasions de tisser les liens avec la communauté universitaire, rarement disponible en temps normal, que ce soit dans le cadre de l’organisation d’expositions, de la production de publications, de la création d’espaces numériques, ou encore d’entrevues ou d’événements. Ce fut pour nous l’occasion de jouer un rôle officiel de gardiens d’un siècle de mémoire et d’identité à l’AUC.

Notre participation au centenaire de 2019 commença dès 2012, lorsque le Bureau du Président de l’AUC nous contacta pour demander notre assistance dans la planification de la commémoration. Le Bureau souhaitait particulièrement obtenir des informations sur la façon dont les anniversaires précédents avaient été soulignés, notamment celui du 75e anniversaire célébré en 1994. En consultant les archives et les publications, le personnel des archives constata qu’à l’occasion de ses 25e et 50e anniversaires, l’Université n’avait pratiquement organisé aucune célébration. En 1944, l’Université était surtout occupée à survivre à la crise engendrée par la Seconde Guerre mondiale, et durant l’année académique 1969-1970, elle se rétablissait encore de l’impact qu’avait eu la guerre des Six Jours (menée en 1967) sur l’Égypte et sur l’établissement.

Toutefois, des traces des préparatifs de ces anniversaires furent retrouvées. Certaines idées suggérées alors, comme une publication ou des parades d’étudiants, furent enfin mises en oeuvre pour le centenaire. Quelques événements avaient eu lieu en 1970, pour le 50e anniversaire de l’Université. Par exemple, l’épouse d’un professeur, ancienne gagnante d’un concours de beauté, chanta des airs d’opéra en tenue de cowboy (Khaliyl, 1973). Cependant, aucune des activités proposées ou tenues dans le cadre de ces anniversaires ne comportait la présentation de documents historiques, l’Université ne comptant alors aucun service d’archives pour les alimenter en cette matière.

Les archives témoignant de l’organisation du 75e anniversaire de l’Université, célébré en 1994, furent plus abondantes qu’aux anniversaires précédents. Ces archives, comme celles produites par le Fundraising Office (bureau des campagnes de financement) de l’AUC à partir des années 1990, offraient un cadre de travail propice au genre de festivités qui allaient être organisées 25 ans plus tard. Les activités menées dans le cadre du 75e anniversaire pouvaient servir de modèle, mais dans une certaine mesure. À titre d’exemple, Mme Suzanne Moubarak, ancienne élève de l’AUC, Première dame d’Égypte et invitée d’honneur au 75e anniversaire de 1994, ne participa pas au centenaire tenu dans une Égypte postrévolutionnaire. Les archives du 75e anniversaire s’avérèrent également utiles à la planification de nos propres activités et de nos futurs travaux d’appui à la recherche, en particulier pour les chronologies et pour les articles de la revue de l’Université.

En 2009, l’AUC et le service des archives bénéficièrent en quelque sorte d’un « tour d’essai » pour le centenaire, alors que la célébration du 90e anniversaire de l’Université coïncida avec son déménagement vers un nouveau campus dans la périphérie du Caire. Le service des archives de l’Université participa à la commémoration, dont le titre Refaire l’histoire illustrait à la fois l’anniversaire de la fondation et le déménagement. Le personnel des archives prêta assistance à d’autres unités comme le Communications Office (Bureau des communications) de l’AUC, par le prêt d’images pour des publications illustrant, en particulier, les bâtiments de l’ancien et du nouveau campus. L’équipe des archives travailla aussi avec un producteur de vidéo engagé pour réaliser un film commémoratif. Ce genre de collaboration se renouvela dix ans plus tard avec l’auteur de la publication sur le centenaire. Ainsi le 90e anniversaire servit en quelque sorte de modèle pour le centenaire, grâce à la présence du même personnel lors des deux occasions. Intégrée dans la « mémoire musculaire » des archives, cette expérience s’avéra très précieuse pour gérer nos propres activités et guider d’autres entités à l’intérieur et à l’extérieur de l’Université.

Comme mentionné précédemment, l’approche du centenaire était à l’esprit du personnel des archives plusieurs années avant la tenue de l’événement. Elle servit de moteur pour notre planification et nos opérations. Bien entendu, il y avait d’autres priorités et exigences, mais le centenaire à l’horizon eut certainement son impact. Par exemple, le traitement des archives fut organisé en fonction des objectifs de 2019, ce qui impliqua une révision des priorités au profit des collections qui seraient les plus utilisées, comme celles contenant les documents des présidents de l’AUC. Les efforts se sont également concentrés sur la collection d’archives photographiques de l’Université. Ces nouvelles priorités entraînèrent la suspension de projets impliquant d’autres collections, comme les collections d’archives privées.

L’approche du centenaire servit aussi de moteur aux projets numériques. Depuis le milieu des années 2000, le travail de numérisation de la Rare Books and Special Collections Library s’était surtout concentré sur les fonds des Special Collections, comme les plans architecturaux et les photos historiques de l’Égypte. Sachant que des publications historiques de l’Université comme les annuaires et journaux étudiants seraient en forte demande pour le centenaire, tant pour les besoins de l’Université que pour nos propres recherches, dès 2015 nous avons amorcé leur numérisation et commencé à compléter la bibliothèque numérique. Dans un même ordre d’idées, nous avons reconnu comme documents essentiels les procès-verbaux du Board of Trustees (conseil d’administration), un corpus à consulter pour documenter les grandes décisions prises par l’Université. Un projet de numérisation de ces documents a également été entrepris. Le projet du centenaire fournissant un objectif et un calendrier précis, nous avons pu concentrer nos efforts sur ces activités de numérisation et justifier les ressources nécessaires à ces initiatives.

L’expérience du 90e anniversaire et la production d’une vidéo pour cette occasion nous ont aussi démontré l’intérêt de numériser les ressources cinématographiques. Les archives de l’Université comptent plus de vingt films destinés à faire la promotion de l’Université et produits entre 1920 et 1980. Ce corpus comprend des séquences brutes et des productions finales. Un de ces films numérisé pour l’anniversaire de 2009 nous a démontré le potentiel de numérisation du reste de la série. En 2015, la bibliothèque a pu confier ce travail à un fournisseur aux États-Unis, citant le centenaire comme justificatif pour une demande de fonds. De plus récentes collections audiovisuelles conservées à l’AUC nous parurent importantes pour illustrer la participation de membres de la communauté universitaire, aussi avons-nous fait numériser des vidéos des nouvelles diffusées par des étudiants en journalisme de la fin des années 1980 jusqu’au début des années 2000.

Un autre domaine sur lequel nous avons concentré notre attention a été celui de l’histoire orale. Depuis 2005, le personnel des archives menait des entrevues avec des administrateurs, des professeurs, du personnel et des étudiants de l’AUC. Nous disposions également d’une collection de cassettes contenant des histoires orales remontant aux années 1960, sous la forme d’entrevues avec certains des premiers membres du personnel et étudiants de l’Université. Au cours des préparatifs du 90e anniversaire, le service des archives avait réussi à trouver du financement pour la numérisation de ces cassettes, qui étaient difficiles à consulter en raison de la fragilité des bandes et de la rareté des appareils de lecture. Ces enregistrements s’étaient avérés très utiles pour le 90e anniversaire, aussi les gardions-nous à l’esprit comme des ressources à exploiter pour le centenaire.

Il était évident que les histoires orales constitueraient une source importante d’information pour nombre de projets commémoratifs (un projet de livre, par exemple) et pour les demandes de recherches associées à ces projets. À partir de 2005, les histoires orales ont été produites en format numérique. L’enjeu n’était donc pas la migration vers un support numérique, mais l’optimisation de l’accès à ces archives, à la fois pour les archivistes, les autres membres de l’Université et un plus large public. Des transcriptions textuelles de ces enregistrements étaient essentielles aux recherches par mots-clés tels que des noms de personnes et, pour ce faire, la plate-forme de transcription automatisée trint.com fut utilisée. Une fois produites, les transcriptions devaient encore être révisées, aussi avons-nous recruté des étudiants du programme travail-étude de l’AUC pour ce travail de révision. Une fois révisées, les transcriptions et les fiches audio furent ajoutées à la Rare Books and Special Collections Digital Library, accompagnées d’un résumé de chaque entrevue rédigée par les étudiants ou le personnel des archives. Comme nous le verrons, les transcriptions d’histoires orales allaient s’avérer une ressource précieuse pour les activités commémoratives du centenaire.

Comme mentionné précédemment, la participation du service des archives au centenaire de l’AUC s’est traduite par une interaction entre les directives de l’administration de l’Université et notre propre planification et vision de ce qui serait nécessaire pour commémorer correctement cet événement historique. L’équipe des archives de l’Université n’a pas défini la programmation du centenaire de l’AUC, mais elle a certainement eu son mot à dire en tant que membre du Comité directeur du centenaire et de ses groupes de travail responsables des célébrations, des publications et du matériel de promotion. Pour mener à bien les plans développés par ces groupes, auxquels nous avons pris part dès 2016, nous avons établi des partenariats avec différentes unités au sein de l’Université.

Le partenariat le plus important fut celui partagé avec le Bureau des communications de l’Université, responsable de la promotion et de la publicité du centenaire. Le Bureau s’appuya sur le personnel du service des archives pour obtenir des idées, ainsi que du contenu visuel et factuel pour des publications telles que les numéros spéciaux de la revue de l’Université. Nous apportions aussi notre soutien à la gestion des plates-formes Web de l’AUC qui relevaient du Bureau en fournissant du contenu au site Internet consacré au centenaire, à des nouvelles hebdomadaires et aux publications de l’AUC sur les réseaux sociaux. Ce contenu comprenait le matériel numérisé préalablement au centenaire, comme les films historiques.

Travailler avec le Bureau des communications fut aisé, puisque nous entretenions une relation de longue date avec son personnel, qui avait apprécié notre assistance dans le passé, notamment dans le cadre de la célébration du 90e anniversaire de l’Université. Les contacts personnels ont facilité le travail, qu’il s’agisse de mes contacts (comme directeur des archives) avec les directeurs des différentes divisions du Bureau, ou des contacts établis entre notre stagiaire de bibliothèque affectée au projet du centenaire (un poste créé pour les besoins de l’anniversaire) et son homologue dans la division de la rédaction Web du Bureau. Les défis posés par le développement de nouvelles relations de travail sont analysés plus loin dans cet article.

Le Bureau des communications était aussi chargé de la présentation matérielle du centenaire sur le campus, ce qui incluait la création d’affiches. Ainsi, des photos de nos collections ont été utilisées pour orner des panneaux dispersés dans tout le campus et juxtaposant des images du passé et de périodes plus récentes : par exemple, la troupe de danse folklorique de l’AUC pendant les années 1960, puis pendant les années 1990 ; ou encore les athlètes universitaires des années 1920 aux côtés de leurs homologues du présent. Des installations à plus grande échelle furent également créées, tel un mur semi-circulaire arborant le slogan Devenez le futur et formé d’une mosaïque de photos d’archives montrant des étudiants à travers les décennies. Ces affiches contribuèrent à mieux faire connaître les archives, en amenant nos collections à la communauté universitaire plutôt que de les faire venir à nous.

Des expositions consacrées à l’histoire de l’AUC furent aussi organisées par des unités du campus, comme celle du Rhetoric Department (Département de rhétorique) retraçant l’évolution du journal des étudiants. Pour cette exposition, nous avons travaillé avec un professeur et ses étudiants sur le développement du thème de l’exposition et sur la sélection des documents à présenter. Ce genre d’activités avait déjà été rendu possible par le service des archives dans le passé. À la veille du centenaire, au début de 2019, nous avions apporté notre soutien à une exposition consacrée au 10e anniversaire du nouveau campus de l’AUC et présentée dans la bibliothèque, en fournissant des maquettes, des plans architecturaux et des photos.

Tandis que le service des archives apportait son soutien aux projets des autres unités du campus, fournissant les documents et les conseils nécessaires aux activités du centenaire et aux expositions du campus, certaines de nos propres initiatives furent mises de côté. Ce fut notamment le cas de notre exposition du centenaire prévue à la bibliothèque. L’exposition devait combiner des photos d’administrateurs, de professeurs, de membres du personnel et d’étudiants avec des citations tirées des entrevues d’histoire orale, dans une mosaïque affichant images et textes. L’objectif était de donner aux visiteurs de notre salle d’exposition une vision des personnes qui fréquentèrent l’Université au cours du dernier siècle, certaines d’entre elles ayant pu être leurs professeurs ou leurs camarades, tandis que d’autres ne sont connues que parce que leurs noms ont été donnés aux bâtiments.

Malheureusement, en raison de nombreuses demandes d’aide provenant des différentes unités du campus, il fut nécessaire de remettre à plus tard l’ouverture de cette exposition (initialement prévue pour le début des célébrations, en mai 2019). Reportée au printemps 2020, dernier semestre des célébrations, l’exposition dut finalement être annulée en conséquence de la pandémie mondiale du COVID-19, qui causa la fermeture du campus de l’AUC. Nous ne sommes évidemment pas les seules victimes de ces circonstances, mais les archivistes participant à une grande commémoration doivent savoir qu’ils risquent de voir leurs propres initiatives contrecarrées par leur obligation à soutenir les autres projets de leur institution.

Les événements organisés sur le campus constituèrent une partie essentielle du centenaire, et le rôle et la présence du service des archives de l’Université y furent prépondérants. Des images historiques et d’autres documents d’archives furent fournis pour l’ouverture des célébrations et pour différentes occasions, pour les besoins de diaporamas, de publicité et d’activités telles qu’un jeu-questionnaire vidéo sur l’histoire de l’AUC. Nous avions également fourni des documents d’archives de cette façon à l’occasion du 90e anniversaire. De plus, nous avons fait des expositions de documents, comme les annuaires et les journaux d’étudiants, et nous avons mis notre personnel à la disposition des participants de certaines activités tenues in situ telles que la cérémonie d’ouverture du centenaire, la réunion des anciens étudiants et les festivals organisés sur le campus.

Pour ces activités, nous avons utilisé comme modèles des événements organisés au cours des années précédentes et auxquels le service des archives de l’Université avait participé. Pendant plusieurs années, lors de la Journée communautaire annuelle de l’AUC, nous avons tenu un kiosque présentant des artefacts, des photos, des annuaires et des activités basées sur les archives comme un jeu-questionnaire sur ordinateur en lien avec l’histoire de l’Université. L’attraction qui remporta le plus grand succès fut la réplique du pianola, instrument actionné par des vendeurs ambulants dans les rues d’Égypte pour présenter des extraits de film, pendant la première moitié du XXe siècle. Nous avions placé dans la réplique un ordinateur portable qui projetait des films numérisés sur l’Université de 1920 à 1950 (une avant-première pour l’utilisation de ces sources numérisées lors d’une programmation publique). Cette attraction attirait toujours une longue file d’étudiants et de membres du personnel. Quelques années plus tard, nous allions adapter ces activités pour les festivités du centenaire. D’autres manifestations commémoratives servirent également de précurseurs ou de tours d’essai, comme la Journée communautaire de 2016, où le Bureau des communications ensevelit une capsule historique temporelle contenant des duplicatas et des reproductions d’archives rassemblés par le service des archives. Le projet de suivi de la capsule temporelle ne s’est pas matérialisé dans le cadre du centenaire, en raison du grand volume de demandes adressées au service des archives, mais aussi de la mise en terre trop récente de la capsule.

Le recours au service des archives de l’Université par les comités organisateurs du centenaire et d’autres unités pouvait poser un véritable défi quand ceux-ci n’avaient jamais utilisé nos services ou se trouvaient incapables de bien décrire leurs besoins. Ce fut le cas lorsque le personnel responsable des célébrations de l’Université nous approcha pour la production d’un spectacle multimédia à partir d’archives photographiques de l’Université. La première année des célébrations du centenaire était alors bien engagée, et leur projet de passage sous un tunnel se transforma en la projection d’images sur la façade de la bibliothèque. Leur thème fut long à développer, de sorte que cette unité nous demanda de remettre toutes les photos numérisées des archives au producteur multimédia, afin qu’il décide de la marche à suivre. Il s’agissait d’une idée intéressante, mais qui finalement n’a pas pu être développée en raison de l’absence de fil conducteur et du manque de temps. Cette initiative avortée fut une distraction coûteuse en temps et en effort, au détriment d’autres projets plus significatifs et déjà plus avancés. Le contraste entre cette expérience et celle que nous avions eue avec le Bureau des communications était considérable, démontrant les défis que posait le travail avec des unités qui n’avaient pas une relation bien établie avec notre équipe.

Le centenaire fut aussi pour nous l’occasion de bâtir de nouvelles relations, parfois inattendues, dans la communauté universitaire. Par exemple, le Comité directeur du centenaire décida de faire produire des objets commémoratifs, parmi lesquels des présents pour les administrateurs, les dignitaires et les visiteurs. Les présents devaient être conçus par des étudiants du Graphic Design program (programme de conception graphique) de l’AUC et ainsi, par l’intermédiaire de leurs professeurs, ces étudiants furent invités à utiliser nos services pour leur recherche de contenu. À titre d’exemple, pour créer une pièce commémorative, ces étudiants consultèrent les plans architecturaux et les images historiques des bâtiments des ancien et nouveau campus de l’AUC. Comme le décrit un des étudiants designers, Ahmad Khalil :

Nous nous sommes rendus à la bibliothèque et aux archives et c’est de là que vint le design. Nous voulions baser notre design sur l’architecture de l’AUC, aussi avons-nous consulté des livres sur le sujet et étudié les photos du campus.

Davenport, 2019, p. 56

Pour un autre projet, les étudiants consultèrent les annuaires, les journaux d’étudiants et des photos d’étudiants de l’AUC des années antérieures, afin de créer des costumes historiques des années 1920 à 1980 pour un défilé de mode sur le campus. En guidant les étudiants dans leurs recherches, notre équipe a formé des liens avec les professeurs du programme de conception graphique et mis en place les bases d’une collaboration régulière qui se poursuit aujourd’hui, par le biais de projets d’étudiants et d’expositions.

Notre contribution à la production du livre du centenaire est un bon exemple du rôle de façonneur de la mémoire joué par le service des archives au bénéfice de l’Université. L’élaboration d’ouvrages sur l’histoire institutionnelle de l’AUC fut complexe. À l’occasion du 25e anniversaire, les administrateurs renoncèrent à la publication d’un ouvrage, croyant que raconter l’histoire des racines missionnaires chrétiennes de l’AUC porterait à controverse. The American University in Cairo : 1919-1987 de Lawrence Murphy, professeur d’histoire de l’AUC, fut rédigé dans les années 1970, mais finalement publié par les Presses universitaires de l’AUC (AUCPress) vers la fin des années 1980, l’Université ayant exigé un long processus de contrôle et de révision par les membres de la communauté de l’AUC. Et malgré cela, des personnes ayant des liens avec l’AUC se plaignirent de la façon dont l’histoire de l’Université et certaines personnes étaient décrites. Pour le 75e anniversaire, un administrateur de l’Université produisit un supplément de format magazine à l’ouvrage de Murphy, qui couvrait l’histoire de l’institution jusqu’en 1994.

Le Comité directeur du centenaire commanda un livre. Le sous-comité responsable voulut toutefois éviter une approche chronologique semblable à celles de l’ouvrage de Murphy et de son supplément, qui offraient de précieux récits factuels, mais peut-être pas le caractère attrayant et divertissant d’un livre à offrir en cadeau. L’auteur qu’ils sélectionnèrent, Andrew Humphreys, avait publié des ouvrages attrayants et abondamment illustrés sur l’histoire du tourisme en Égypte, un modèle idéal pour le volume souhaité. Le partenariat établi par le service des archives avec l’auteur du livre et son designer graphique représente l’une de ses contributions au centenaire les plus fructueuses.

Alors que l’auteur développait l’idée d’un livre thématique centré sur les personnes, le personnel des archives lui proposa d’utiliser six décennies d’histoires orales racontées par les membres de la communauté de l’AUC comme source d’inspiration. Nous avons aussi proposé des thèmes tirés de l’histoire de l’AUC, comme la place des femmes ou encore l’expérience de membres de la communauté de l’AUC pendant les manifestations révolutionnaires de la place Tahrir en 2011. Nous avons également suggéré des épisodes inoubliables comme celui du concert donné au début des années 1980 par le groupe The Police, qui fut différé en raison de la confiscation de ses instruments par les services de la douane égyptienne.

Humphreys accepta ces propositions et, avec le designer, il s’appuya aussi sur l’expérience du personnel des archives dans le choix des meilleures images pour illustrer l’ouvrage. Soulignons également la contribution essentielle d’un stagiaire financé par les Presses de l’AUC aux travaux de recherche nécessaires à la publication. Le recrutement de ce stagiaire démontre comment le service des archives a pu bénéficier des fonds alloués par l’Université au projet de centenaire.

Étant étranger à l’AUC, Andrew Humphreys cherchait régulièrement conseil à mesure que l’ouvrage avançait. Grâce aux liens que nous avions développés naturellement dans le cadre de notre travail d’archivistes, nous avons pu le référer à des personnes à l’Université à même de lui fournir du contexte ou des citations utiles à la compréhension des événements, comme des professeurs de longue date ou d’anciens étudiants (Humphreys, 2020, p. 326). L’auteur faisait également appel à nous quand il se trouvait dans l’impasse pour sa rédaction. À titre d’exemple, il nous consulta au sujet des conséquences sur les professeurs, membres du personnel et étudiants du déménagement du campus universitaire en banlieue, à quarante kilomètres du centre du Caire.

L’auteur demandait aussi, à moi-même et à d’autres membres du service des archives, notre avis sur les ébauches de chapitres de son ouvrage. Il nous envoyait régulièrement ces ébauches pour commentaires, ce qui nous offrait l’occasion de faire des remarques que peut-être seul un archiviste familier avec l’histoire de l’AUC pouvait faire. Les changements que nous lui suggérions prenaient souvent la forme de corrections de noms ou de dates, ou encore de vérification des faits, ce qui nous conférait à l’occasion le rôle de démystificateur. Dans un cas particulier, nous avons démontré comment l’affirmation d’un employé résidant en Égypte à l’effet qu’il était l’auteur du logo de l’AUC était contredite par des documents contenant les esquisses originales du logo, créées par un designer graphique de New York.

Plus importante, sans doute, fut notre contribution à l’interprétation de l’histoire de l’AUC. Parfois, nos commentaires suggéraient à l’auteur un ton différent pour décrire un événement du passé ou des corrections dans la présentation de certains thèmes, afin que l’ouvrage aille au-delà du simple éloge. À titre d’exemple, la description de l’oeuvre des administrateurs à l’AUC semblait trop influencée par certains entretiens avec des membres du conseil actuel, aussi avons-nous partagé avec l’auteur un contexte historique plus représentatif du rôle évolutif des administrateurs à l’Université. Nous l’avons également encouragé à produire une histoire plus inclusive, plus représentative des expériences d’étudiants et de membres du personnel, en couvrant notamment l’action syndicale et les protestations sur le campus.

Cette entente mutuelle à laquelle nous sommes parvenus avec l’auteur Andrew Humphreys démontre le type de partenariat idéal qui peut naître au cours d’un projet de commémoration. L’expérience qu’avait l’auteur avec les archives et les archivistes a certainement facilité les choses, mais le véritable facteur de réussite fut son ouverture à notre contribution. Le fait que Humphreys permette à l’équipe des archives de raconter sa propre histoire et qu’il intègre des descriptions de notre mission et de notre travail a été particulièrement apprécié.

L’ouvrage sur l’histoire de l’Université, les événements tenus sur le campus, les expositions et la diffusion de contenu historique sur l’AUC en ligne et dans des publications furent autant de moyens d’accroître la visibilité du service des archives auprès de la communauté universitaire. Nous avons profité de ces divers projets pour étendre notre collecte d’archives. En premier lieu, nous avons pu profiter d’un contexte où l’accent était mis sur l’histoire de l’AUC pour encourager les membres de la communauté à participer à des entrevues d’histoire orale. Les administrateurs, professeurs et étudiants étant généralement très occupés, la courte durée des célébrations du centenaire a contribué à susciter leur intérêt. La perspective de commémorer l’héritage de certaines personnes à l’AUC a également eu un impact positif. Les étudiants et anciens étudiants étaient peu représentés dans nos archives d’histoire orale, notamment en raison de la difficulté que nous avions à les contacter et à les rencontrer. Les événements du centenaire contribuèrent à combler cette lacune. Nous avons aussi profité des événements sur le campus pour promouvoir notre programme d’histoire orale, pour rencontrer les anciens étudiants en personne, pour les inviter à des entrevues portant sur leur vie universitaire et pour obtenir d’eux les coordonnées d’anciens camarades. Ces efforts furent profitables, puisque nous avons réussi à enregistrer des entrevues que nous n’aurions pu réaliser autrement. C’est le cas, notamment, d’entrevues réalisées avec d’anciens étudiants de l’AUC venus de l’étranger – du Canada par exemple – spécialement pour la commémoration. Nous avons aussi profité du site Internet du centenaire, dont une fonction permettait aux membres de la communauté universitaire de laisser un témoignage de leur expérience à l’AUC. Leurs commentaires furent archivés et nous avons pu inviter leurs auteurs à participer à des entrevues.

En plus des histoires orales et des souvenirs, le centenaire nous offrit l’occasion de faire la collecte d’autres d’archives. Dans des publications, sur le site Web du centenaire et sur les médias sociaux, nous fîmes appel à des dons d’annuaires, de photos, etc. auprès des anciens étudiants. En général, cette opération n’entraîna pas l’acquisition d’une grande quantité d’archives, mais des ajouts utiles furent faits à nos collections, comme celui d’anciens journaux d’étudiants. À titre d’exemple, un ancien étudiant dont le grand-père avait fait partie de la première classe de diplômés de l’AUC offrit des documents par le biais du site du centenaire. Il nous prêta des bulletins de notes, des diplômes et même des factures de frais de scolarité de son grand-père pour qu’ils soient numérisés et ajoutés à nos collections numériques. Ces documents furent diffusés sur le site Web (El Gendy, 2020) et utilisés dans le cadre de présentations à des visiteurs ou dans des classes. Les étudiants d’aujourd’hui sont généralement étonnés du faible coût de la scolarité semestrielle à l’AUC dans ses premières années. Nous avons aussi acquis des affiches d’un étudiant, guitariste rock dans les années 1970, et attendons une promesse de don de ses photos d’étudiant. Elles comprennent une photo de lui à un concert, roulant dans l’auditorium de l’AUC sur sa moto.

Les défis posés par un anniversaire important ou une commémoration sont nombreux pour un service universitaire d’archives ou un centre d’archives similaire. Tout d’abord, mentionnons le surplus de travail ; bien que le centenaire prît beaucoup de temps et d’énergie à l’équipe des archives, nos autres responsabilités ne diminuèrent pas : recherches de documents pour les administrateurs ou les départements académiques, organisation de l’accueil des visiteurs et de l’aide aux étudiants ou encore gestion et planification courantes, comme les commandes de fourniture. L’ampleur d’une commémoration majeure peut paraître écrasante, mais un bon point de départ consiste à réutiliser du matériel déjà produit et conservé dans les archives et à favoriser des activités déjà menées dans le passé. C’est ce que nous fîmes en revisitant nos contributions au 90e anniversaire de l’Université et aux activités de la Journée communautaire. Travailler à partir d’un modèle existant peut s’avérer très bénéfique.

Le plus difficile, peut-être, est de trouver l’équilibre entre le mandat de l’institution pour la commémoration, les capacités du service des archives et les initiatives de son personnel. En se mettant au service des autres projets de l’institution, l’équipe des archives risque de voir ses propres projets mis de côté, comme ce fut le cas pour l’exposition à la bibliothèque, qui fut différée puis annulée. Ajoutons que les rapports avec les unités de l’Université ne sont pas toujours faciles, alors que certaines proposent des idées mal définies ou ont des attentes peu réalistes, ou sont simplement de nouvelles utilisatrices des archives.

Mais les opportunités sont nombreuses aussi. Un anniversaire peut permettre à un service d’archives de se concentrer sur un projet particulier et apporter du dynamisme aux opérations à entreprendre, comme ce fut le cas pour l’initiative précentenaire de numérisation à l’AUC. Il peut également faciliter l’obtention des ressources nécessaires de l’institution mère. Bâtir les collections d’archives grâce à l’apport en histoires orales et en donations peut être un autre bénéfice. Une commémoration peut offrir l’occasion d’entretenir des partenariats existants, avec le Bureau des communications par exemple, et d’en établir de nouveaux, comme celui avec le programme de conception graphique de l’AUC. La collaboration avec une autre unité ou une personne, comme un auteur, est un exercice qui contribue à bâtir une expérience qui sera utile dans le cadre de futures initiatives du service des archives.

Plus encore, un anniversaire comme le centenaire de l’AUC est l’occasion pour un service d’archives de mieux se faire connaître à l’intérieur de l’institution, d’être reconnu comme étant plus qu’un dépôt : un centre de services actif et un gardien de la mémoire de l’institution et de son identité. Une commémoration importante peut offrir des opportunités pour façonner le récit de l’histoire de l’institution, pour jouer le rôle de démystificateur et pour mettre en lumière de nouveaux aspects de l’histoire de l’Université, comme nous avons réussi à le faire dans le cadre du projet de livre d’Andrew Humphreys.

Enfin, une commémoration peut être une période enrichissante pour une équipe d’archivistes. Toutefois, à l’issue des festivités, cette équipe sera sans doute heureuse d’avoir du temps d’ici à la prochaine célébration.