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Le mensonge fait partie de l’expérience anthropologique, il n’y a pas de vérité sans mensonges. La vérité de ce que veut dire « rendre compte d’une société humaine », ce que recherche le travail de l’anthropologue, ne vise pas à « dévisager enfin la vérité ». On peut l’envisager, pas plus. Le livre de Metcalf est honnête et rude pour les croyants de la vérité anthropologique qui prétendrait dire la vérité du groupe humain à l’étude. Comme le dit l’auteur de différentes façons, nous ne sortons jamais des malentendus et nous arrivons au mieux à fabriquer les cercueils honoraires qui évoquent et célèbrent quelques pans des cultures en disparition. Ce n’est pas négligeable, mais l’anthropologie se trouve ainsi réduite à n’être qu’une source, de plus en plus précieuse, pour les travaux des historiens.

«This is an essay about lies : white lies and ones black as night, evasions, exaggerations, delusions, half-truths, and credible denials […]. It is a matter not only of lies told by anthropologists, however, but also of lies told to anthropologists » (p. 1). On le voit, ce livre ira droit au but de son propos. Metcalf n’est pas naïf, son livre n’est pas une plainte adressée à l’impureté des ethnographies qui nous servent à penser. Il décrit plutôt l’histoire de son travail sur les rites mortuaires chez les Berawan au centre Nord de l’île de Bornéo où il eut à affronter ce que tout ethnographe rencontre : les lacunes obligées de son savoir, les demi-vérités intéressées de ses informateurs, la recomposition risquée de son ethnographie, la méfiance et le respect étroitement coprésents, inéluctablement liés. Le mensonge, les évitements, les plus ou moins, les savantes manoeuvres sont là, à l’oeuvre, autour, en dedans de quelques précieuses compréhensions. D’autant plus que l’anthropologue arrive toujours en terrain piégé, piégé par les publications qui l’ont précédé, par les circonstances historiques qui ont nourri les incompréhensions et les aveuglements précédents, par les rumeurs bien installées. Non, l’anthropologue ne prendra pas le contrôle des inconvénients qu’il rencontre. Il est dommage que, la plupart du temps, il fasse comme si son ethnographie disait de simples vérités.

Cet ouvrage est salutaire, il dit en clair ce que nous savons tous, ne sachant comment nous en déprendre. Metcalf ne parle pas que de lui, il relève le travail de cette conscience chez de nombreux anthropologues, anime le débat qu’ils suscitent et conclut sagement :

What I have called the ethnographic perspective is, at its best, an example of mobile positioning. What the ethnographer can do, in a way that it is very hard for any particular informant to do, is shift the point of vantage repeatedly, placing first this ethnicity in the foreground, and then another, within some fairly restricted field. None of this is to deny the subject positioning of the ethnographer, nor to disclaim that « objectification » is the result, as much as « objectivity ». It is simply the best of that can be done.

p.107

Au bout de l’anthropologie, qu’aurons-nous fait? Fabriquer la version des autres dont nous étions capables. Cette version vivra avec celles que fabriqueront les sociétés dont nous parlons. Laquelle sera retenue? Pour quelle époque? On le voit, le mensonge est nécessaire, tout simplement parce que la vérité du groupe humain nous échappe et que nous persistons à prétendre dire le vrai sur le compte des autres. Paradoxe nécessaire, à ne pas fuir, à réfléchir. Qu’y a-t-il de scientifique dans le discours de l’anthropologie? Rien sans doute, cela permet au moins d’avancer des vérités suffisamment variées et divergentes pour que les interprétations restent possibles sans espoir d’y mettre fin. Cela n’a-t-il pas toujours été le cas? Dans ce cas, nous devons conclure que notre ethnographie fabrique l’autre autant qu’elle l’évoque.

Le livre de Peter Metcalf, subtil et informé, critique et attentif, aborde quelques vraies questions clés quant à l’autorité trop aisément supposée des vérités anthropologiques que nous publions.