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Heinz Monica (dir.), 2009, The Anthropology of Moralities. New York, Oxford, Berghahn Books, 230 p., bibliogr., index.Zigon Jarrett, 2008, Morality : An Anthropological Perspective. Oxford, New York, Berg, 180 p., index.[Record]

  • Raymond Massé

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  • Raymond Massé
    Département d’anthropologie
    Université Laval, Québec (Québec)

Quelle place l’anthropologie accorde-t-elle à la morale et à l’éthique au sein de la discipline? Quelle est la spécificité de l’approche anthropologique en ces domaines, sur les plans théorique et méthodologique? Sommes-nous d’ailleurs face à deux domaines séparés? Et surtout, quelles sont les interfaces entre, d’un côté, les règles et principes moraux codifiés dans lesquels l’individu est enculturé et, de l’autre, la liberté en tant qu’espace de réflexivité face aux divers codes moraux qui encadrent la vie en société? Chacun à leur façon, deux ouvrages récents tentent de répondre à ces questions en identifiant des balises méthodologiques et théoriques du champ de recherche défini comme « anthropologie de la moralité ». Le recueil de textes édité par Monica Heintz convie neuf anthropologues à débattre de ces questions à partir d’autant de problématiques et d’exemples ethnographiques, en mettant principalement l’accent sur les postures épistémologiques adaptées à l’analyse de la transmission, de l’interprétation, de la négociation et de la résistance aux discours moraux. Ces réflexions sont conduites autour de thèmes transversaux tels que les rapports entre relativisme et universalité des normes morales ; la question de la liberté dans les choix moraux ; l’évolution des valeurs en contexte de changements sociaux ; le pouvoir et les modèles moraux ; ou encore, l’éducation morale ou le rôle des émotions dans le discours moral. L’ouvrage de Jarret Zigon propose, pour sa part, un bilan des recherches anthropologiques liées à la morale et l’éthique, tout en se donnant pour but de combler les lacunes d’une sous-théorisation de la morale. L’auteur procède en analysant tout d’abord sommairement les grands courants qui ont marqué la philosophie morale au cours des deux derniers millénaires, accordant au passage une attention particulière aux travaux de Michel Foucault et à son analyse des rapports entre éthique et liberté. Puis, il fait des bilans des recherches anthropologiques sur la moralité autour des cinq champs d’étude classiques en anthropologie que sont la religion, la loi, le genre et la parenté, la médecine et la santé et le langage. Pour chacun de ces champs, l’auteur repère les analyses ethnographiques des raisonnements éthiques qui, selon son approche, illustrent les processus de construction des moralités. Même si tel n’était pas l’objectif explicite des travaux qu’il analyse, Zigon souligne cependant leur contribution à la compréhension de la façon dont « les individus conçoivent, négocient et pratiquent la moralité dans leur vie de tous les jours » (p. 3, ma traduction). Pourquoi devrait-il exister une anthropologie de la moralité? Si cette question est posée, c’est qu’elle présuppose la pertinence d’un tel champ de recherche. Tel est le questionnement initial de Heintz en introduction de l’ouvrage qu’elle édite, et ce, même si, reconnaît-elle, le champ des valeurs et de la morale est probablement l’un des plus complexes à conceptualiser lorsqu’il s’agit de comprendre l’autre. Ici, le champ de l’anthropologie de la moralité est proposé comme englobant à la fois celui de l’éthique et celui des valeurs morales. Contrairement à la position défendue par Zigon, qui y voit des champs de recherche complémentaires mais distincts, Heintz préfère ne pas s’aventurer dans une opposition entre anthropologie de la morale (fondée sur les valeurs en tant que normes partagées dans une société) et anthropologie de l’éthique (axée sur la liberté individuelle face à ces normes). Elle invoque alors l’impossibilité de tracer une ligne claire entre les valeurs morales sociétales et individuelles, tout en questionnant la présupposée universalité d’une telle liberté individuelle. Tout en reconnaissant les difficultés inhérentes au départage de ces deux domaines, Zigon, dans son ouvrage, retient pourtant la liberté et la réflexivité comme critères afin de départager la morale de …