Les ateliers de l'éthique
The Ethics Forum
Volume 16, Number 1, Winter 2021
Table of contents (8 articles)
Dossier : L’après COVID : enjeux éthiques, politiques, économiques et sociaux dans un monde postpandémique / After COVID: Ethical, Political, Economic and Social Issues in a Post-PandemicWorld
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Sous la direction de Peter Dietsch, Pablo Gilabert, Naïma Hamrouni, Justin Leroux, Vardit Ravitsky, Christine Tappolet et Kristin Voigt
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PAS DE PANIQUE ?
Constant Bonard and Juliette Vazard
pp. 4–17
AbstractFR:
Dans cet essai, nous nous attaquons à l’idée reçue selon laquelle la panique consiste simplement en un état où l’on se laisse « dépasser par sa peur ». La panique, selon nous, n’est pas une peur extrême qui pousse nécessairement la personne à des comportements dysfonctionnels, contre-productifs et irrationnels. Au contraire, comme nous allons tenter de le montrer ici, il s’agit d’une émotion à part entière qui a ses propres fonctions cognitives et motivationnelles. Nous analyserons ici la panique comme une réaction face à un danger perçu comme majeur, imminent et sans issue claire, dans le sens où le sujet n’a pas de plan d’action déterminé pour réagir face au danger. La panique implique ainsi un accès particulier à certaines informations ou certains faits – une perception ou appréhension d’un danger et de ses propriétés précises – et c’est en cela qu’elle a une fonction cognitive. Sur le plan motivationnel, nous défendrons l’idée selon laquelle la panique implique des tendances à l’action appropriées à la situation telle qu’elle est perçue. À contre-courant de l’opinion populaire et de celle des philosophes, nous proposerons donc une manière de concevoir la panique comme pouvant être fonctionnelle et ainsi, rationnelle, dans la mesure où cette émotion nous aide à atteindre nos buts étant donné les moyens dont nous disposons. Contrairement à ce nous pourrions penser, dans certaines situations il vaut la peine de paniquer.
EN:
In this essay, we tackle the misconception that panic is simply a state of being «overwhelmed by your fear.» Panic, in our view, is not an extreme fear that necessarily pushes the person into dysfunctional, counterproductive and irrational behaviors. On the contrary, as we will try to show here, it is an emotion in its own right that has its own cognitive and motivational functions. We will analyze panic here as a reaction to a danger perceived as major, imminent and without clear solution, in the sense that the subject does not have a determined action plan to react to the danger. Panic thus implies special access to certain information or certain facts - a perception or apprehension of a danger and its precise properties - and it is in this that it has a cognitive function. On the motivational level, we will defend the idea that panic involves tendencies to action appropriate to the situation as it is perceived. Contrary to popular opinion and that of philosophers, we will therefore propose a way of conceiving panic as being able to be functional and thus, rational, insofar as this emotion helps us to reach our goals given the means of which we dispose. Contrary to what we might think, in some situations it is worth panicking.
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ÉTHIQUE ET PANDÉMIE : LA COVID-19 DANS UNE PERSPECTIVE DE PHILOSOPHIE PRATIQUE
Alain Létourneau
pp. 18–40
AbstractFR:
L’actualité et le quotidien ont été progressivement monopolisés par la pandémie qui a fait surface à la fin de l’année 2019, en raison de son urgence et de sa gravité. L’on commencera par se demander comment les sciences nous permettent de la comprendre et pourquoi ce sont certaines sciences en particulier qui ont pris l’avant-plan. En réfléchissant aux questions relevant de la biodiversité et des rapports entre les humains et leurs divers contextes écosystémiques, il devient possible de reposer le problème en termes politiques et économiques, dans une approche qui met la prévention au coeur des attitudes requises. Une gouvernance polycentrique – faisant intervenir plusieurs pôles (Ostrom, 2005) – peut aider à renouveler notre façon de poser les problèmes de pandémie d’un point de vue éthique.
EN:
The pandemic is front page news every day and everywhere since 2020, because of the emergency of the crisis affecting everyone’s lives seriously. Division of the scientific work has first to be interrogated here. What is the scientific treatment of these issues, and should we not also consider these questions at the source, by not staying focused on a curative only approach? Looking at biodiversity issues and human societies’ relationships with ecosystem contexts, it becomes possible to consider the pandemic in political and economic terms, aiming at a preventive approach and attitude. A polycentric governance perspective (Ostrom, 2005) is posited as a practical way to renew our problematization of the issue, from an ethical perspective.
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THE ILLUSORY DISTINCTION BETWEEN RE- AND PREDISTRIBUTION
Åsbjørn Melkevik
pp. 41–56
AbstractEN:
The distinction between redistribution and predistribution is now embraced by many political philosophers, like Jacob Hacker or Martin O’Neill. This distinction, we could think, is particularly important for the question of how we react to crises, like the current coronavirus pandemic. If the policies take the form of taxes and transfers, like cash-flow assistance, it is redistribution, one could argue. If the policies are meant to alter pretax incomes, as policies changing the conditions for bankruptcy are, it is predistribution. This paper shows why that is not so. Re- and predistribution are only techniques of presentation. They are meant to put the emphasis on different ways we can depict the consequences of policies. Both the “pre-” of predistribution and the “re-” of redistribution are misnomers. This paper argues that we cannot establish a strong distinction between policies that are re- and those that are predistributive, as the case of the basic income will show. Given that classical liberals endorsed egalitarian policies, moreover, the idea of predistribution cannot be used by progressives who want to differentiate their social justice platforms from the classical liberal program.
FR:
La distinction entre redistribution et prédistribution est maintenant acceptée par de nombreux philosophes politiques, comme Jacob Hacker ou Martin O’Neill. Cette distinction, pourrait-on penser, est particulièrement importante pour la question de savoir comment nous réagissons aux crises, comme l’actuelle pandémie de coronavirus. Si les politiques prennent la forme d’impôts et de transferts, il s’agit de redistribution, pourrait-on dire. Si les politiques visent à modifier les revenus avant impôts, comme les politiques modifiant les conditions de la faillite, il s’agit de la prédistribution. Cet article montre pourquoi ce n’est pas le cas. La redistribution et la prédistribution ne sont que des techniques de présentation. Ils visent à mettre l’accent sur différentes manières de décrire les conséquences des politiques publiques. Le « pré » de la prédistribution et le « re » de la redistribution sont tous deux trompeurs. Cet article soutient que nous ne pouvons pas établir une distinction forte entre les politiques redistributives et prédistributives, comme le montre le cas du revenu de base. Étant donné que les libéraux classiques ont approuvé plusieurs politiques égalitaires, de plus, l’idée de prédistribution ne peut pas être utilisée par les progressistes qui veulent différencier leurs plates-formes de justice sociale du programme libéral classique.
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WILL CARBON TAXES HELP ADDRESS CLIMATE CHANGE?
Kian Mintz-Woo
pp. 57–67
AbstractEN:
The coronavirus disease 2019 (COVID-19) crisis ought to serve as a reminder about the costs of failure to consider another long-term risk, climate change. For this reason, it is imperative to consider the merits of policies that may help to limit climate damages. This essay rebuts three common objections to carbon taxes: (1) that they do not change behaviour, (2) that they generate unfair burdens and increase inequality, and (3) that fundamental, systemic change is needed instead of carbon taxes. The responses are (1) that there is both theoretical and empirical reason to think that carbon taxes do change behaviour, with larger taxes changing it to a greater extent; (2) that undistributed carbon taxes are regressive but distributing the tax receipts can alleviate that regressivity (and, in many cases, make the overall effect progressive); and (3) that while small changes for increasing democratic decision-making may be helpful, (fundamental) change takes time and the climate crisis requires urgent action.
FR:
La crise de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) devrait servir de rappel sur les coûts de la non-prise en compte d’un autre risque à long terme, les changements climatiques. Pour cette raison, il est impératif de considérer les mérites des politiques susceptibles de contribuer à limiter les changements climatiques. Cet essai réfute trois objections courantes aux taxes sur le carbone : (1) qu’elles ne changent pas les comportements (2) qu’elles génèrent des charges injustes et augmentent les inégalités, et (3) qu’un changement fondamental et systémique est nécessaire au lieu de taxes sur le carbone. Les réponses sont (1) qu’il existe des raisons à la fois théoriques et empiriques de penser que les taxes sur le carbone modifient effectivement les comportements, et que des taxes plus élevées les modifient dans une plus grande mesure; (2) que les taxes sur le carbone non distribuées sont régressives, mais que la distribution des recettes fiscales peut atténuer cette régressivité (et, dans de nombreux cas, rendre l’effet global progressif); et (3) que, bien que de petits changements pour l’amélioration de la prise de décision démocratique peuvent être utiles, un changement (fondamental) prend du temps et la crise climatique exige une action urgente.
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COVID-19 AND THE FUTURE OF ZOOS
Angie Pepper and Kristin Voigt
pp. 68–87
AbstractEN:
The COVID-19 crisis has left zoos especially vulnerable to bankruptcy, and the precarity of their financial situation threatens the lives and well-being of the animals who live in them. In this paper, we argue that while we and our governments have a responsibility to ensure the protection of animals in struggling zoos, it is morally impermissible to make private donations or state subsidies to zoos because such actions serve to perpetuate an unjust institution. In order to protect zoo animals without perpetrating further injustice, governments should subsidize the transformation of zoos into sanctuaries and then facilitate the gradual closure of most of these sanctuaries.
FR:
La crise du COVID-19 a rendu les zoos particulièrement vulnérables à la faillite, et la précarité de leur situation financière menace la vie et le bien-être des animaux qui y vivent. Dans cet article, nous soutenons que si nous et nos gouvernements avons la responsabilité d’assurer la protection des animaux dans les zoos en difficulté financière, il est moralement inadmissible de faire des dons privés ou d’offrir des subventions étatiques aux zoos, car de telles actions servent à perpétuer une institution injuste. Afin de protéger les animaux des zoos sans commettre d’autres injustices, les gouvernements devraient subventionner la transformation des zoos en sanctuaires et ensuite faciliter la fermeture progressive de la plupart de ces sanctuaires.
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WHAT ISN’T NEW IN THE NEW NORMAL: A FEMINIST ETHICAL PERSPECTIVE ON COVID-19
Erinn Gilson
pp. 88–102
AbstractEN:
This essay argues that dominant responses to the COVID-19 pandemic redouble disparities in vulnerability to harms because these responses simply attempt to return to conditions prior to the outbreak of the virus. Although the widespread impact of COVID-19 has made interdependence more vivid, the underlying sociocultural devaluation of vulnerability, relationality, and dependency has intensified structural inequalities. People who were already disempowered and disadvantaged have been consigned to even more precarious conditions. A feminist ethical perspective avows vulnerability, relationality, and dependency as conditions that are both unavoidable and central to life. Such a perspective thus provides insight into why some dominant responses to the virus are unjust and what more ethical and more socially just responses to the pandemic, which foster social health as well as physical health, might look like.
FR:
Cet essai soutient que les réponses prédominantes à la pandémie de COVID-19 intensifient les disparités en termes de vulnérabilité aux torts parce que ces réponses tentent simplement de revenir aux conditions antérieures à l’épidémie du virus. Bien que l’impact généralisé du COVID-19 ait rendu l’interdépendance plus vive, la dévaluation socioculturelle sous-jacente de la vulnérabilité, de la relationnalité et de la dépendance a intensifié les inégalités structurelles. Des personnes déjà démunies et défavorisées ont été placées dans des conditions encore plus précaires. Une perspective éthique féministe reconnaît la vulnérabilité, la relationnalité et la dépendance comme des conditions à la fois inévitables et centrales à la vie. Une telle perspective permet ainsi de mieux comprendre pourquoi certaines réponses dominantes au virus sont injustes et à quoi, des réponses à la pandémie plus éthiques et socialement plus justes, favorisant la santé sociale ainsi que la santé physique, pourraient ressembler.
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UNIVERSALITY, VULNERABILITY, AND COLLECTIVE RESPONSIBILITY
Martha Albertson Fineman
pp. 103–116
AbstractEN:
Vulnerability theory as developed in the Vulnerability and Human Condition Initiative is an alternative to a rights-based or social contract paradigm for thinking about foundation concepts of state responsibility. One fundamental premise of the theory is that the individuals and groups currently described as “vulnerable populations” should not be labelled vulnerable, nor should they be sequestered in discreet categories for the purposes of law and policy. This plea for their inclusion in a larger whole is not to deny that discrimination, harm, and relative disadvantage arising from all sorts of circumstances and situations exist. Nor is it to suggest that particular instances of harm should not be addressed by appropriate state action. Rather, it is an argument that “vulnerability” is the wrong concept to use to define and isolate these groups, or any other specific group, from the whole of humanity. Human vulnerability is universal and constant, inherent in the human condition. Recognizing the theoretical mandates of accepting the universal, vulnerability theory presents a “vulnerable subject” as the only appropriate object of law and policy. This inclusive, universal legal subject incorporates the realities of the ontological body and its life-long dependence on social institutions and relationships, building a theory of essential (not voluntarily or consensual) social cohesion and reciprocity in which the state (or governing system) has the responsibility to see that these vital social institutions and relationships operate justly.
FR:
La théorie de la vulnérabilité telle que développée dans l’Initiative sur la vulnérabilité et la condition humaine (Vulnerability and Human Condition Initiative) est une alternative à un paradigme fondé sur les droits ou le contrat social pour réfléchir aux concepts fondateurs de la responsabilité de l’État. Une prémisse fondamentale de la théorie est que les individus et les groupes actuellement décrits comme des « populations vulnérables » ne doivent pas être qualifiés de vulnérables ni être séquestrés dans des catégories discrètes aux fins de la loi et de la politique. Ce plaidoyer en faveur de leur inclusion dans un tout plus large ne consiste pas à nier l’existence d’une discrimination, d’un préjudice et d’un désavantage relatif résultant de toutes sortes de circonstances et de situations. Cela ne signifie pas non plus que des cas particuliers de préjudice ne devraient pas être traités par une action appropriée de l’État. C’est plutôt un argument selon lequel la « vulnérabilité » est le mauvais concept à utiliser pour définir et isoler ces groupes, ou tout autre groupe spécifique, de l’ensemble de l’humanité. La vulnérabilité humaine est universelle et constante, inhérente à la condition humaine. Reconnaissant les mandats théoriques de l’acceptation de l’universel, la théorie de la vulnérabilité présente un « sujet vulnérable » comme le seul objet approprié du droit et de la politique. Ce sujet juridique inclusif et universel incorpore les réalités du corps ontologique et sa dépendance à vie aux institutions et aux relations sociales en construisant une théorie essentielle (non facultative ou consensuelle) de la cohésion et de la réciprocité sociales dans laquelle l’État (ou le système de gouvernement) a la responsabilité de veiller à ce que ces institutions et relations sociales vitales fonctionnent correctement.