Hors-dossierRecensions

Gilles Morand, L’époque était rouge. Militer au Québec pour un avenir radieux dans un parti marxiste-léniniste, Saint-Joseph-du-Lac, M Éditeur, 2017, 150 p.[Record]

  • David St-Denis Lisée

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  • David St-Denis Lisée
    Candidat à la maîtrise en histoire, UQAM

Ces mémoires d’un militant marxiste-léniniste (m-l) dans le Québec de la fin des années 1970 et du début des années 1980 témoignent d’une facette de l’histoire politique du Québec de plus en plus documentée. Depuis vingt ans, quelques travaux ont abordé le sujet, que l’on pense à l’ouvrage de Jean-Philippe Warren (Ils voulaient changer le monde, 2007), au dossier thématique du BHP (« Histoire du mouvement marxiste-léniniste au Québec », 2004) et à quelques travaux universitaires. Fait intéressant et surtout assez rare, l’ouvrage de Morand offre un point de vue « de l’intérieur » de ce mouvement. Courant politique le plus visible à la gauche du Parti québécois (PQ) durant les années 1970, le mouvement m-l attira des centaines de militantes, regroupées dans plusieurs organisations, dont les plus importantes étaient la Ligue communiste (marxiste-léniniste) du Canada (LC (m-l) C) – devenue le Parti communiste ouvrier (PCO) en 1979 – et EN LUTTE !. Inspirés par les bastions du socialisme « antirévisionniste » (la Chine et l’Albanie), les m-l tentaient de regrouper l’avant-garde du prolétariat en un Parti révolutionnaire. Leurs forces se déployaient notamment dans la publication d’un journal, l’implication dans les luttes populaires et syndicales, la pratique d’un « internationalisme prolétarien », la critique impitoyable des partis bourgeois (le PQ en premier lieu) et une rivalité de tous les instants avec les groupes communistes rivaux. Comme le souligne Morand, les militantes étaient profondément engagées dans la cause qu’ils défendaient et y consacraient une bonne partie de leur temps. La disparition soudaine de ce courant politique au début des années 1980 n’est pas sans lien avec un certain essoufflement de ses adhérents après des années de militantisme débridé. Le récit de Morand présente plusieurs caractéristiques qui en font une contribution précieuse pour quiconque s’intéresse à l’histoire de l’extrême gauche québécoise. Originaire de Valleyfield, c’est dans la région du Suroît que l’auteur a déployé l’essentiel de son activité militante, ce qui rend son témoignage d’autant plus précieux. En effet, l’historiographie de la gauche des années 1960-1970 s’est la plupart du temps concentrée sur les grandes villes. Par ailleurs, Morand n’était pas un dirigeant, ni un « intellectuel » dans son organisation, mais un membre de la base, agrégé à une cellule comme une autre. Cet aspect s’avère important lorsqu’on compare ses mémoires à ceux d’autres militants des années 1970 (Pierre Beaudet, On a raison de se révolter, 2008 ; Charles Gagnon, Il était une fois…Conte à l’adresse de la jeunesse de mon pays, 2004), qui furent le fait d’ex-leaders. Gilles Morand découpe les mémoires de ses « années rouges » en une quinzaine d’épisodes fort bien rendus, chacun racontant un aspect particulier de la vie militante. La première partie du récit relate son adhésion à la LC (m-l) C en 1976. Sa motivation initiale, au-delà des grands principes, était de se joindre au « groupe culturel » formé de musiciennes reprenant les chansons du répertoire communiste. Rapidement, la recrue est intégrée à une cellule « de novices » et se voit affubler un « nom de guerre » : Robert. Ce dernier aspect, quelque peu folklorique, « devait servir à déjouer les plans des forces répressives aux cas où les choses tourneraient mal » (p. 23). Le souvenir de la Crise d’octobre n’était pas loin. Après avoir été embauché dans un entrepôt du West Island, le militant vit ses premières expériences d’agitateur communiste en milieu ouvrier. Il s’affaire à rallier des collègues de travail, en distribuant tracts et classiques de la littérature communiste, puis mène la bataille, …

Appendices