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Le Conseil du statut de la femme (CSF) a joué un rôle déterminant dans la société québécoise à travers son engagement soutenu envers le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes, une valeur consensuelle grâce aux interventions des féministes et des organisations comme le CSF qui ont travaillé activement à rendre ce principe acceptable. Au Québec, le féminisme est un mouvement social fort et organisé ; des centaines de groupes aux missions diverses sont présents sur le terrain et ce, depuis fort longtemps. Avec ces éléments posés en toile de fond, l’objectif de ce texte est de montrer que le CSF a été davantage qu’un organisme gouvernemental. Il a été un laboratoire d’idées qui a exercé une influence réelle sur l’État et sur la société québécoise.

Au point de départ, le CSF a été investi d’une mission importante pour laquelle il a été doté de moyens matériels substantiels et d’une bonne marge de manoeuvre. La majorité des présidentes qui y ont siégé avaient des liens avec le mouvement des femmes et des convictions profondes ; ces femmes ont conduit cet organisme à jouer un rôle de premier plan dans le changement social et dans la promotion de l’égalité. Nous examinerons donc le mandat à l’origine du CSF, mais aussi certains autres mandats qui furent donnés à l’organisme par le gouvernement du Québec, entre autres celui de trouver une position liant les intérêts des femmes aux débats constitutionnels à partir années 1970 jusqu’à la fin des années 1990. Nous relaterons la controverse qui a émergé au milieu des années 2000 lorsqu’il a été question de changer la vocation du CSF pour en faire un Conseil de l’égalité afin de représenter les enjeux d’égalité non seulement du point de vue des femmes, mais aussi du point de vue des hommes. Enfin, notre analyse se conclut avec un bilan de l’influence exercée par cet organisme.

Le CSF, plus qu’une structure gouvernementale

Le Conseil du statut de la femme a été créé en 1973 en tant qu’organisme d’étude et de consultation. Il relève directement du premier ministre qui en a confié la responsabilité à une ministre à la Condition féminine. Deux mandats lui sont attribués :

le Conseil doit donner son avis sur tout sujet concernant l’égalité, le respect des droits et le statut de la femme. Il peut également, de sa propre initiative, saisir la ou le ministre de toute question qui, selon lui, nécessite l’action gouvernementale. Pour s’acquitter de ses responsabilités, le Conseil peut entreprendre ou faire effectuer les études et les recherches qu’il juge utiles ou nécessaires, recevoir les requêtes du public et examiner les suggestions qui lui sont faites sur des sujets qui touchent la condition féminine[1].

Il dispose d’un budget annuel d’un peu plus de trois millions de dollars, en baisse constante depuis 2010 (Figure 1).

Figure 1

Budget annuel du CSF depuis 1998*

Budget annuel du CSF depuis 1998*

* Nos remerciements à Guillaume Lamy, qui a réalisé les quatre tableaux du texte et a compilé toutes les données nécessaires à leur production, et à Carolanne Magnan-St-Onge, pour son travail de recherche sur le Conseil du statut de la femme.

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Outre sa première fonction qui consiste à informer le gouvernement des questions et enjeux liés à la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes, le Conseil a hérité d’un second mandat, celui d’informer la population : « non seulement peut-il informer la population au sujet de ses études, recherches et avis, mais il peut aussi fournir de l’information au public sur toute question individuelle et collective concernant l’égalité et le respect des droits et du statut des femmes[2]. » Le CSF est distinct du Secrétariat à la condition féminine du gouvernement du Québec, lequel fournit l’expertise professionnelle et le soutien administratif nécessaires à la réalisation du mandat de la ministre responsable de la condition féminine. Le Secrétariat à la condition féminine coordonne et assure le suivi des actions gouvernementales en matière d’égalité des sexes et assume la responsabilité de l’application de certaines mesures[3].

Le CSF a reçu dès sa création des mandats suffisamment larges pour pouvoir exercer une influence auprès des gouvernements et de la population. Doté de moyens pour faire de la recherche, le CSF a réalisé au cours des quarante-cinq dernières années un nombre impressionnant d’études, lesquelles ont alimenté l’analyse des inégalités et servies à informer et à conscientiser le public et les femmes. Ces études ont été diffusées au moyen de documents, souvent gratuits, mais aussi par des bulletins de communication. Le journal mensuel La Gazette des femmes, distribué gratuitement entre 1979 et 1995, a permis de rejoindre la population en général et de faire circuler des idées et de l’information au sujet des droits des femmes, des inégalités et de l’actualité féministe[4]. En 1993, le tirage du magazine était de 60 000 exemplaires[5].

[Mais] la gratuité des seize premières années a pu contribuer au sentiment que le magazine publié par le Conseil du statut de la femme était sans histoire, voué à une existence paisible et sans danger. Pourtant, La Gazette des femmes a vécu des heures sombres qui auraient pu l’emporter. L’étape périlleuse de la commercialisation, en 1995, aurait pu lui être fatale. Pris dans la spirale des restrictions budgétaires, le Conseil du statut de la femme (CSF) s’est alors vu dans l’obligation de chercher des sources de financement pour la revue. […] De 60 000 exemplaires, le tirage a brusquement chuté à 6000[6].

Si la revue a survécu au passage du temps et à la crise des médias, c’est probablement parce qu’elle a su s’adapter et qu’elle est aujourd’hui distribuée gratuitement en ligne. Par ailleurs, entre 1993 et 2016, le CSF a réussi à maintenir sa présence médiatique comme le montre la Figure 2, où sont compilées les occurrences du Conseil du statut de la femme dans cinq quotidiens imprimés francophones du Québec[7].

Avec presque un demi-siècle d’existence, le CSF continue d’exercer une vigilance constante pour que les décisions prises par l’État demeurent respectueuses des besoins et des intérêts des femmes et que ces décisions favorisent l’égalité de celles-ci avec les hommes. Il agit comme un organisme phare qui éclaire les actions gouvernementales en matière d’égalité. Il contribue ainsi aux orientations du Québec sur les plans économique, politique, social et culturel en mettant en lumière les obstacles à l’atteinte de l’égalité et en suggérant aux décideuses et aux décideurs des solutions appropriées pour la faire progresser[8].

Si le CSF a été dès sa création plus qu’un simple organisme gouvernemental, jouant un véritable rôle de laboratoire d’idées, c’est parce qu’il a été proche du mouvement des femmes, à qui il doit en quelque sorte sa mise sur pied, et qu’il a été dirigé par des féministes provenant du mouvement des femmes pendant une bonne partie de son existence. En 1971, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) a entrepris les démarches pour demander au gouvernement du Québec de se doter d’un Office de la femme. Elle a demandé que cet organisme ait le pouvoir de juger et de rejeter les lois non conformes à l’égalité[9]. Cette revendication de la FFQ a été formulée au moment où l’ONU décrétait que 1975 serait l’Année internationale de la femme[10]. En donnant suite aux demandes de la Fédération des femmes du Québec et à certaines recommandations de la Commission royale d’enquête sur la condition de la femme au Canada, dont le rapport avait été déposé en 1970, le gouvernement du Québec a posé un premier geste pour permettre aux femmes de participer directement à l’élaboration des politiques et des lois qui touchent tous les aspects de leur vie[11].

Figure 2

Mentions annuelles du CSF dans cinq quotidiens imprimés québécois de 1993 à 2016

Mentions annuelles du CSF dans cinq quotidiens imprimés québécois de 1993 à 2016

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Les origines du CSF ont donc été déterminantes dans son positionnement par rapport aux revendications formulées par le mouvement des femmes et ces liens présents dès le départ avec ce mouvement ont permis au CSF d’agir comme influenceur en servant de courroie de transmission entre le mouvement des femmes et le gouvernement du Québec. Cette fonction sera plus marquée lorsque le CSF sera dirigé par des présidentes ayant des liens forts avec le mouvement des femmes. La première présidente du CSF, Laurette Champigny-Robillard, en poste entre 1973 et 1978, avait participé très activement à la démarche de la FFQ pour la création du Conseil[12]. Par la suite, c’est Claire Bonenfant qui a occupé la fonction entre 1978 et 1984, et celle-ci a fait de l’intensification des liens entre le Conseil et le mouvement des femmes l’une de ses principales préoccupations[13].

Dans un article publié en 1984 dans la revue Châtelaine, Hélène de Billy écrivait que le mandat de Claire Bonenfant a été mouvementé et qu’à plusieurs reprises, la présidente du CSF s’est opposée aux décisions gouvernementales et a exigé des comptes du Cabinet[14]. Marie Lavigne, qui a été présidente du CSF entre 1988 et 1995 a aussi exprimé, au moment de sa nomination, un engagement à garder des liens forts entre le CSF et le mouvement des femmes :

Le Conseil doit non seulement donner de l’information aux femmes sur leurs conditions de vie, mais aussi véhiculer cette information auprès des partenaires sociaux dont les attitudes et les actions ont un impact sur la vie des femmes. […] Cet objectif, Marie Lavigne compte le réaliser dans le plus grand respect des groupes de femmes. […] Le Conseil doit, dans la mesure de ses moyens, outiller au maximum les groupes en termes de documentation et d’information tout en assumant la responsabilité d’être l’interface entre les diverses associations et le gouvernement[15].

Marie Lavigne a décrit les rapports entre le CSF et le mouvement des femmes au moment de son mandat en ces termes : « Le Conseil entretient avec les groupes de femmes du Québec des rapports constants. Ces groupes sont systématiquement informés de tous les travaux du Conseil et sont le plus souvent consultés avant la production des avis. […] Tout en étant solidaire des actions des groupes de femmes, le Conseil ne se considère toutefois pas leur porte-parole[16]. »

Le CSF, un lien entre le mouvement des femmes et l’appareil gouvernemental

Le CSF a exercé une influence soutenue sur le gouvernement et sur la société québécoise parce qu’il a su s’appuyer sur sa structure perméable et en interaction avec le mouvement des femmes, et parce qu’il a été capable d’effectuer bon nombre d’études sur des questions féministes du moment tout en disposant d’un réseau pour la diffusion de ces études qui lui permettront de faire la promotion de nouvelles idées. Depuis sa création, le CSF a servi à relayer un ensemble de revendications issues du féminisme contemporain vers l’appareil gouvernemental. Ce féminisme contemporain se déploie en une multitude de propositions théoriques et pratiques pour interroger et comprendre l’expérience des femmes. Il offre des réponses variées pour expliquer le maintien et la reconduction des inégalités entre les femmes et les hommes. Dans le contexte québécois, il s’incarne dans un mouvement social pluriel et multiforme, le mouvement des femmes[17], qui est en quelque sorte le volet militant de ce projet[18].

Le travail des féministes d’État à l’intérieur de l’appareil gouvernemental québécois a permis de légitimer le féminisme et certaines de ses revendications principales comme l’égalité entre les femmes et les hommes auprès du gouvernement et de la classe politique. Les féministes d’État sont partie prenante du mouvement des femmes, assurant un rôle de transmission entre celui-ci et le gouvernement. La notion de féminisme d’État est apparue au cours des années 1980[19] ; elle réfère aux institutions étatiques ayant vocation à promouvoir le statut des femmes[20]. Les féministes d’État occupent des postes de fonctionnaires ou de bureaucrates dans les structures de promotion de l’égalité[21].

Le Conseil du statut de la femme est un organisme gouvernemental de consultations et d’études qui, depuis sa création en 1973, agit à l’intérieur des institutions démocratiques et à l’abri des groupes de pression[22]. Il opère selon les critères utilisés pour définir ce type d’organisme dans le contexte québécois ; c’est une entité juridique distincte ayant un statut et des pouvoirs qui lui sont propres et qui relève d’un.e ministre ; un tel organisme a une mission d’intérêt public et il est financé directement ou indirectement par les fonds publics en totalité ou en partie. Les organismes gouvernementaux jouissent d’une autonomie de décision et de gestion qui est encadrée par plusieurs types de contrôle[23]. Dans l’ensemble des organismes gouvernementaux, le CSF fait partie de la famille des organismes consultatifs, parmi lesquels se trouvent le Conseil des relations interculturelles, le Conseil supérieur de l’éducation et le Conseil de la science et de la technologie[24]. Ces Conseils sont au service du gouvernement, mais ils gardent leur indépendance d’action.

En tant qu’organisme créé et entièrement financé par le gouvernement du Québec, le CSF a assuré une fonction importante au sein de la société québécoise, en faisant office de liaison entre la société civile, les groupes de femmes et l’appareil gouvernemental. Bien qu’émanant du gouvernement du Québec, le CSF a fait montre d’indépendance et d’autonomie par rapport à l’État, en allant dans des directions souvent opposées aux lignes gouvernementales. Certains éléments ont permis au CSF de jouer ce rôle, comme la nomination de présidentes ayant des liens avec le mouvement des femmes, une question évoquée précédemment, ainsi que sa structure dotée de sièges de représentantes de différents milieux, soit les milieux syndical, universitaire, associatif ainsi que le monde des affaires. Bien que les nominations des membres du CSF soient entérinées par le ministère du Conseil exécutif, dans les faits les personnes une fois nommées gardent leur indépendance et peuvent ainsi introduire des perspectives et des enjeux autres que ceux déjà présents au sein de l’appareil gouvernemental.

Une structure comme le Conseil du statut de la femme peut donc contribuer grandement à faire avancer la cause du féminisme au sein de la société québécoise, mais elle nous oblige à poser le problème de l’institutionnalisation du féminisme, qui peut signifier l’atténuation de son aspect révolutionnaire :

Vue de l’étranger, la situation du mouvement des femmes au Québec peut paraître enviable. On note la présence d’un mouvement associatif important et diversifié, tant par ses structures organisationnelles et ses champs d’action que par sa répartition sur l’ensemble du territoire. On y observe des mécanismes de concertation entre différents niveaux de l’appareil gouvernemental, comme en témoigne la mise en place d’un Secrétariat à la condition féminine ou du Conseil du statut de la femme. […] Le Québec peut-il véritablement prétendre au titre de paradis féministe[25] ?

En effet, si le Québec dispose de ressources au niveau de l’appareil d’État pour faire la promotion des revendications issues du féminisme et du mouvement des femmes, est-ce bien par l’État que le changement est attendu ? À cette question, plusieurs réponses seraient possibles. Si certaines féministes voient dans l’institutionnalisation un processus amenuisant la portée des revendications et réduisant l’analyse de l’oppression des femmes à une liste d’épicerie dirigée envers l’État, d’autres considèrent que l’État est un maillon essentiel pour la mise en oeuvre des changements voulus : « S’il est vrai que le mouvement des femmes a, en quelque sorte, acquis droit de cité au Québec, c’est au prix, parfois lourd, d’une institutionnalisation[26]. » Cette institutionnalisation a signifié une perte de radicalité au niveau du discours, mais c’est un élément qui a également eu un aspect positif dans la mesure où il a permis au CSF d’être en dialogue avec l’ensemble de la société québécoise et d’opérer comme un laboratoire d’idées, faisant le relais des revendications produites par le féminisme de terrain vers l’État et la population.

Le rapport Pour les Québécoises : égalité et indépendance : un point tournant

Quelques mois après sa mise sur pied, le CSF avait déjà identifié trois dossiers qui seraient ses priorités d’action, soit l’égalité des chances dans la fonction publique, la mise sur pied de garderies et l’étude de la transmission des valeurs par l’éducation et les médias[27]. En 1977, le Conseil des ministres du nouveau gouvernement du Parti québécois a confié au CSF la tâche de réaliser une étude en profondeur dans le but de formuler une politique d’ensemble de la condition féminine. En 1978, le CSF publie, sous la direction de Laurette Champigny-Robillard, un rapport au titre évocateur : Pour les Québécoises : égalité et indépendance[28]. Ce document formule plus de 300 recommandations et connaît un grand succès auprès de la population. Pour le Conseil, l’accueil positif fait à ce document est révélateur d’une évolution de l’opinion publique en matière de condition féminine alors que le gouvernement adopte d’emblée les propositions du Conseil et en fait sa politique officielle. Ce document précurseur annonce les positions qui seront défendues par une majorité de groupes de femmes dans le contexte entourant le référendum de 1980 sur la souveraineté du Québec. On réclame la réappropriation de certains pouvoirs au Québec, principalement ceux associés au droit de la famille, en matière de mariage et de divorce. Le document souligne les contradictions que génèrent, pour les femmes, les chevauchements de compétences entre le fédéral et Québec[29].

Selon Giraud, ce rapport sert de fondement au développement du féminisme québécois, tant du côté de l’État que du côté des groupes de femmes[30], alors que Lamoureux y voit une stratégie d’encadrement des pratiques féministes par l’État québécois : « Égalité et indépendance se présente comme le condensé des revendications féministes, ce qui est assez exact, mais confie la mise en oeuvre des transformations nécessaires à l’État et non aux femmes elles-mêmes[31]. » Alors que le Québec en est à définir son identité et entend prendre en charge son avenir politique, le document propose une liste de recommandations destinées à instaurer l’égalité entre les hommes et les femmes dans le Québec à construire[32].

Dans le contexte préréférendaire qui prévaut lorsqu’est publié le rapport, le moment semble bien choisi pour formuler une liste de revendications à l’endroit de l’État québécois. Mais l’analyse qui est proposée et les solutions qui sont mises de l’avant sont de l’ordre des politiques publiques, alors qu’une partie du mouvement des femmes milite en faveur de changements à un autre niveau, issus de la société civile plutôt que du cadre de l’État : « […] un des fils conducteurs de ce document c’est que, en démontrant le préjudice, en esquissant des solutions et en mobilisant les groupes de femmes, les transformations s’ensuivront nécessairement et qu’elles prendront essentiellement la forme de politiques publiques[33] ». Par ailleurs, le ton donné par le titre du rapport et ce, alors que le Québec s’apprête à tenir son premier référendum sur la souveraineté, laisse transparaître un certain opportunisme : « Le rapport publié par le CSF et ironiquement appelé “livre rose” avait de quoi choquer, pour divers motifs. D’abord, l’annexion de la cause féministe à la cause de l’indépendance du Québec était loin de faire l’unanimité[34]. »

En dépit des questions d’intérêt politique qui surgissent au moment de la publication du rapport, le document contient une liste de propositions originales et innovantes : « on y parlait d’une discrimination systémique à l’encontre des femmes ; il ne s’agissait donc pas d’un simple constat des inégalités entre les sexes, mais de la dénonciation d’un système d’oppression[35]. » Rappelons qu’au moment de la publication du rapport Pour les Québécoises : égalité et indépendance, le Conseil du statut de la femme est dirigé par Claire Bonenfant, et que celle-ci a exprimé haut et fort qu’elle ne voulait pas se contenter de conseiller le gouvernement en matière de « condition » féminine, mais qu’elle voulait également s’appuyer sur la mobilisation des groupes de femmes et s’en faire le relais dans l’appareil gouvernemental[36].

Lamoureux identifie clairement la fonction d’influence sur le gouvernement exercée par le CSF au cours des années 1970 et à travers le rapport :

[…] du fait que le CSF avait comme mandat de traduire en termes compatibles avec la logique étatique les revendications des femmes, il a occupé une place sans commune mesure avec son effet réel dans le mouvement des femmes, surtout dans la période qui va de 1976 à 1980, où il y a, d’une part, une ministre d’État à la condition féminine très sensible au discours égalitariste du mouvement (Lise Payette) et, d’autre part, une présidente du Conseil qui se perçoit comme interprète privilégiée des revendications des groupes de femmes (Claire Bonenfant)[37].

Pendant le mandat de Claire Bonenfant, c’est l’autonomie économique des femmes qui devient la principale préoccupation du CSF alors que les stéréotypes sexistes dans la publicité deviendront une autre priorité du Conseil[38]. La troisième présidente du CSF, Francine C. McKenzie (1984-1988), est nommée dans la controverse, alors que des voix s’élèvent pour s’opposer à sa nomination, lui reprochant sa distance envers le mouvement des femmes. Selon l’interprétation de l’historienne Micheline Dumont et de la politologue Louise Toupin, cette nomination exprimait une volonté de mise au pas du mouvement des femmes de la part du gouvernement dans le contexte post-référendaire des années 1980 :

En 1984, à l’occasion du départ de Claire Bonenfant de la présidence du CSF, la ministre déléguée à la Condition féminine d’alors, Denise Leblanc-Bantey, annonce que le Conseil du statut de la femme doit, à l’avenir, donner une voix à la ″majorité silencieuseˮ des femmes et délaisser le ton de la dénonciation au profit de celui de la négociation. Une pluie de protestations accueille sa déclaration, ainsi que le choix de la nouvelle présidente de l’organisme, Francine McKenzie, qui n’est pas celle proposée par les groupes de femmes consultés[39].

Cette nomination d’une femme qui n’est pas identifiée au féminisme constitue une rupture de ton significative, puisque jusqu’à ce moment le CSF avait travaillé main dans la main avec le mouvement des femmes, un groupe de pression fort et particulièrement bien organisé dans les années 1980 et qui se percevait comme un acteur politique important de la société québécoise[40]. En utilisant l’argument qu’elle choisissait de donner une voix à celles qu’elle désignait comme la majorité silencieuse, la ministre insinuait également qu’il y avait une division entre le mouvement des femmes et les femmes, s’auto-désignant dans le camp opposé au mouvement des femmes.

Dans les pages de la revue féministe La vie en rose, Lise Moisan fait une lecture très critique de la nomination de Francine Mckenzie, qu’elle envisage comme une rupture entre le Conseil et le mouvement des femmes : « Voici qu’au printemps dernier, madame Denise Leblanc-Bantey, alors ministre déléguée à la Condition féminine, appelait publiquement à l’ordre un Conseil qu’elle jugeait trop dénonciateur, trop à la remorque d’une élite de femmes organisées. Faisant fi des suggestions des groupes, elle nommait sa candidate à la présidence de l’organisme, madame Francine McKenzie[41]. » En dépit de ses liens distants avec le mouvement des femmes, la présidente maintiendra l’atteinte de l’autonomie économique par les femmes comme priorité d’action pour le CSF[42]. Sous la gouverne de Marie Lavigne, qui dirigera le CSF entre 1988 et 1995, le thème de l’autonomie financière des femmes est toujours présent et il se conjugue à de nouvelles réalités comme le nombre croissant de femmes appartenant à des groupes culturels variés, les changements démographiques significatifs et l’apparition de nouvelles formes d’échange comme l’économie sociale[43].

À la suite du référendum québécois de 1980 et dans la foulée du rapatriement de la Constitution canadienne, le CSF a tenté d’influencer le cours des choses en exprimant sa réticence à l’endroit d’une clause d’égalité entre les hommes et les femmes qui serait intégrée à la Charte canadienne. Claire Bonenfant s’est alors positionnée avec les féministes québécoises qui ne voulaient pas d’une Constitution imposée qui offrirait aux Québécoises des droits qui leur étaient déjà garantis par la Charte québécoise, adoptée en 1975. Pour Bonenfant, les femmes étaient les grandes absentes du débat constitutionnel à ce moment-là alors que la proposition de clause égalité dans la nouvelle Charte canadienne posait la question de l’autorité de la Cour suprême dans ce dossier. Celle-ci déclarait : « S’il y a une nouvelle constitution, il y a bien des chances qu’elle soit une deuxième fois le reflet d’un consensus de nouveaux pères de la Confédération[44]. »

Alors que les féministes du Canada anglais voyaient dans cette clause une menace pour le droit à l’égalité des femmes contenu dans la Charte canadienne et l’article 28, le CSF réitérait sa confiance envers le gouvernement du Québec en soulignant les nombreux acquis des Québécoises en matière de droit de la famille et de programmes d’accès à l’égalité, lesquels témoignaient de l’influence que le mouvement des femmes exerçait alors sur le gouvernement. Dans les années qui ont suivi l’échec de l’accord du lac Meech et dans les mois qui ont précédé le référendum québécois de 1995, le gouvernement du Québec a mis sur pied les commissions sur l’avenir du Québec.

[Le CSQ] a jugé que la mise sur pied de ces commissions constituait un événement important dans le débat relatif à l’avenir du Québec auquel les femmes devaient participer et un lieu d’intervention pertinent pour soulever des questions fondamentales concernant les droits des femmes. C’est dans cet esprit qu’il a posé une série de gestes visant à influencer une composition équilibrée des commissions, à inciter les femmes à participer aux travaux de ces commissions, à soutenir les femmes dans leurs actions et à faire connaître son propre point de vue sur certains sujets. La présidente, Marie Lavigne, signe une lettre ouverte où elle écrit qu’il est fondamental que les Québécoises soient partie prenante aux discussions sur l’avenir du Québec. Dans le but de remplir son mandat d’information, le CSF a préparé une série de documents sur des sujets ayant trait au statut constitutionnel du Québec[45].

Les interventions du CSF dans le débat constitutionnel ont donc été soutenues et ont permis de formuler et d’exprimer des positions féministes au sein des lieux où se sont tenus ces échanges. Sans l’engagement du CSF dans ces dossiers, on peut penser que la voix des groupes féministes qui ont souhaité contribuer au débat n’aurait pas été entendue avec la même force.

En ce qui concerne le rayonnement du CSF pour l’ensemble des dossiers sur lesquels il est intervenu, les Figures 3 et 4 compilent les mentions et les présences du CSF à l’Assemblée nationale du Québec depuis 1973. Les chiffres montrent que cet organisme est à la fois plus présent et qu’on s’y réfère davantage avec les années. En effet, entre 1973 et 2017, les 1115 mentions aux travaux et positions du CSF ainsi que les interventions répertoriées dans les journaux de l’Assemblée nationale, que ce soit lors des commissions parlementaires ou lors des débats en chambre, affichent une croissance statistique malgré la diminution des ressources qui sont mises à sa disposition.

Outre la présence dans les débats, par quels autres moyens l’influence du CSF s’est-elle exercée sur l’État québécois ? Marie Lavigne a proposé une synthèse de ces moyens dans laquelle elle illustre la pluralité des stratégies utilisées par le CSF au cours des années. Son premier exemple est celui de la politique d’ensemble sur la condition féminine proposée dans Pour les Québécoises : égalité et indépendance et qui a été analysée précédemment dans ce texte. Pour Lavigne, le CSF avait acquis la conviction que seule une volonté politique élaborée à partir d’une approche globale de la situation des femmes du Québec et d’une analyse de leurs problèmes pourrait amener les changements souhaitables. Adoptée d’emblée par le gouvernement, qui en a fait sa politique officielle, la politique d’ensemble a orienté pendant plusieurs années les actions des ministères. Lavigne mentionne également l’influence du CSF sur les modifications législatives, alors qu’au cours des années, les pressions exercées par le Conseil, jointes à celles de groupes de femmes, ont souvent permis de convaincre le gouvernement de la nécessité de légiférer dans un domaine précis ou de modifier des textes existants pour mieux protéger les intérêts des femmes. Lavigne cite à cet égard la réforme du droit de la famille, la loi créant un service de perception des pensions alimentaires, les modifications à la Charte des droits pour inclure certains motifs de discrimination, la loi instituant un patrimoine familial, les congés parentaux. Néanmoins, cette dernière estime qu’il demeure difficile de mesurer la part exacte de l’influence du Conseil sur ces modifications législatives puisqu’il a mené son action parallèlement à celle des groupes de femmes. Mais on peut supposer que la diffusion systématique des recherches, des études et des avis du Conseil de même que l’organisation ou le soutien à d’innombrables sessions d’information sur ces questions ont donné aux groupes du mouvement certains outils dont ils avaient besoin pour influer sur le processus législatif[46].

Figure 3

Compilation des mentions se référant au CSF et des interventions du CSF lors des commissions parlementaires, de 1973 à 2017

Compilation des mentions se référant au CSF et des interventions du CSF lors des commissions parlementaires, de 1973 à 2017

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En résumé, selon Lavigne, le CSF a contribué activement aux débats de société concernant les femmes et il a permis le développement des consensus au sein de la société québécoise, comme sur la question des congés parentaux. Lors d’un sondage réalisé en 1994 par le CSF, on rapportait que plus de 85 % des personnes interrogées appuyaient le mouvement des femmes, alors que 51 % se disaient féministes[47]. On peut présumer que le CSF a eu une influence favorable sur ces résultats en favorisant l’adhésion au féminisme et au principe de l’égalité entre les femmes et les hommes

Remplacer le CSF par un Conseil de l’égalité : la rupture

Au milieu des années 2000, le gouvernement libéral et la ministre Michèle Courchesne, responsable de la condition féminine, exploraient un scénario visant à transformer le Conseil du statut de la femme en Conseil de l’égalité. Le principe directeur de ce scénario était que les femmes ne devraient pas être les seules à porter le projet d’une société plus égalitaire. La proposition d’un nouveau contrat social pour l’égalité visait à faire de l’égalité entre les hommes et les femmes un enjeu socialement partagé et intégrant les hommes. La stratégie d’intégration des hommes établissait deux objectifs : associer les hommes à la remise en question des stéréotypes sexuels et à la transformation des rôles sociaux de sexe et travailler avec eux à la réduction des inégalités et des rapports de pouvoir afin d’orienter les actions dans le sens de la construction d’une société plus équitable. En un mot, le CSF proposait que les hommes soient des sujets, acteurs et concepteurs de politiques et d’actions favorisant l’égalité entre les sexes[48]. Le CSF souhaitait créer un conseil mixte, incluant des hommes, « afin de rejoindre les jeunes femmes qui ne se reconnaissaient pas dans le féminisme et désirent travailler avec les hommes pour l’atteinte de l’égalité[49] ».

Nous nous intéressons à ce moment dans l’histoire du CSF car il traduit bien le rôle d’influenceur que le CSF a joué au sein de la société québécoise tout en démontrant sa perméabilité aux questions en émergence et sa volonté d’en être la courroie de transmission. Au moment où le CSF explore la possibilité de se transformer en Conseil de l’égalité, le féminisme n’est pas très populaire auprès de certaines couches de la société québécoise et plusieurs défendent l’idée que l’égalité entre les hommes et les femmes est acquise et que le féminisme n’a plus sa raison d’être. Cette volonté de transformer le CSF était appuyée par plusieurs groupes masculinistes et « désormais, il n’y aurait plus de système d’inégalité entre les genres, mais simplement des manifestations d’inégalité, tantôt en faveur des hommes, tantôt en faveur des femmes[50] ».

Le gouvernement a alors mis sur pied une commission parlementaire sur l’égalité entre les hommes et les femmes et le CSF a présenté un avis intitulé : Vers un nouveau contrat social pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Deux membres du CSF ont rédigé la lettre d’opinion Bienvenue aux hommes dans laquelle elles demandaient au gouvernement d’adopter une approche intégrée de l’égalité dans l’évaluation de ses politiques, comme on le fait en Europe, une approche qui favorise l’intégration des hommes et des problématiques dites masculines dans le but de faire de l’égalité un objectif socialement partagé. Cette approche permettrait, selon Karine Foucault, « d’accroître l’efficacité des interventions visant l’égalité en complétant les mesures de soutien aux femmes par des mesures destinées aux hommes, puisque mieux comprendre la situation et les problèmes nous permettra probablement de déceler avec encore plus d’acuité la situation et les besoins des femmes[51] ».

Comme l’écrit Foucault, cette position dénote une distanciation envers le féminisme et une adhésion à un agenda masculiniste, qui peut être défini comme un discours visant à discréditer le féminisme, et qui nie l’évidence bien documentée que les inégalités ont un genre, que ce sont les femmes qui sont désavantagées en tant que groupe, tout en positionnant les hommes comme les nouvelles victimes des inégalités :

En rejetant la conception féministe de l’égalité, le CSF laissait entendre que les batailles et les gains des femmes ont nui aux hommes et qu’ils auraient engendré une opposition des sexes au lieu de favoriser la collaboration, comme le prétendent d’ailleurs plusieurs écrits masculinistes. Par conséquent, cela donnait l’impression que les hommes ont été exclus du mouvement féministe, mouvement qualifié, par des masculinistes, de ségrégationniste. Pourtant, les féministes collaborent depuis fort longtemps avec des hommes pour lutter contre le patriarcat et le machisme. Au contraire des masculinistes, ces « compagnons de route », pro-féministes, n’ont pas cherché à imposer leur vision de l’égalité et se sont fortement opposés à la création d’un Conseil de l’égalité[52].

La proposition de la ministre Michelle Courchesne de remplacer le CSF par un Conseil de l’égalité n’a jamais vu le jour et après le dépôt des mémoires et des audiences, les membres de la Commission parlementaire sur l’égalité entre les femmes et les hommes ont fortement recommandé à l’État de ne pas appliquer cette approche. Selon Foucault, cette conclusion est le résultat d’une forte mobilisation du mouvement des femmes, qui a présenté de nombreux mémoires et qui a été particulièrement actif pour contrer l’influence antiféministe et masculiniste. La tenue de cette commission a néanmoins démontré l’influence réelle des mouvements antiféministes, principalement dans un contexte de résurgence du conservatisme politique[53].

L’influence du CSF : quel bilan ?

L’influence exercée par le Conseil du statut de la femme sur la société québécoise est indéniable. Cette influence a cependant été modulée dans le temps et a fluctué selon plusieurs facteurs, dont : le profil des présidentes qui se sont succédé depuis 1973, certains éléments de conjoncture politique comme le référendum de 1980 ainsi que les moyens mis à la disposition du CSF pour remplir son mandat. Depuis 1973, le Conseil a été dirigé par neuf présidentes, mais on peut observer qu’à partir de 2006, les présidentes nommées par le premier ministre du Québec n’étaient pas issues du mouvement des femmes, ce qui peut avoir limité la portée de leurs interventions en faveur des dossiers féministes. Christiane Pelchat, présidente entre 2006 et 2011 a d’abord été une députée du Parti libéral à l’Assemblée nationale avant d’être nommée, Julie Miville-Dechêne, présidente entre 2011 et 2016, était journaliste à Radio-Canada ; Éva Ottawa, présidente entre 2016 et 2017, était grande chef de la Nation Atikamekw entre 2006 et 2013. Enfin, l’actuelle présidente, Louise Cordeau, a été avocate et gestionnaire dans l’univers des médias avant d’être nommée au CSF en 2017. Cette dernière a déclaré peu après sa nomination que l’égalité entre les femmes et les hommes étant pratiquement acquise, il faudrait envisager un changement de nom pour le CSF afin de mieux refléter l’évolution de la société[54], une question qui avait émergé au milieu des années 2000 et qui avait suscité beaucoup de réactions négatives de la part des féministes québécoises comme nous l’avons relaté précédemment. Depuis, madame Cordeau a nuancé sa position et elle ne cache pas son engagement plein et entier envers le féminisme : « Être féministe pour moi, c’est croire à l’égalité entre les hommes et les femmes. Et l’égalité n’est pas sorcier et cela n’exclut personne. La société québécoise est de plus en plus égalitaire, mais il y a encore du chemin à faire. Personnellement, j’ai encore la capacité d’apprendre et heureusement le pouvoir d’agir afin de rendre la société plus égalitaire[55]. »

La plupart des présidentes du CSF de la première génération (1973-2006) ont eu des relations de proximité beaucoup plus marquées avec le mouvement des femmes. Laurette Champigny-Robillard et Claire Bonenfant, les premières présidentes, avaient leurs racines à la Fédération des femmes du Québec. Marie Lavigne, présidente entre 1988 et 1995, a d’abord été connue par ses travaux d’historienne féministe engagée, cette dernière ayant cosigné un ouvrage important, L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles[56]. On peut penser que le CSF a davantage été en mesure de jouer le rôle de laboratoire d’idées en étant une courroie de transmission et un interlocuteur du mouvement des femmes jusqu’en 2006 à travers les présidentes qui l’ont dirigé jusque-là. Par la suite, l’influence du CSF va s’étioler alors que ses liens avec le mouvement des femmes seront moins forts.

En parallèle, les ressources dont dispose l’organisme pour assurer son mandat seront considérablement réduites (voir la Figure 1). On a déjà compté onze bureaux régionaux du CSF dans le passé ; en 2015, les quatre derniers de ces bureaux régionaux ont fermé leurs portes. Les crédits alloués au Conseil ont diminué constamment. Le budget du CSF s’élevait à 4,48 M en 2010, en 2015 il était de 3,81 M[57]. Dans son plus récent plan stratégique, alors que le CSF célèbre son 45e anniversaire, sa mission est maintenant définie en ces termes : « le Conseil se positionne comme un organisme qui rallie le plus grand nombre de personnes de la société québécoise en vue de l’atteinte de l’égalité entre les femmes et les hommes. Il est un lieu de rencontre de tous les féminismes, une voix incontournable en matière d’égalité entre les femmes et les hommes[58]. »

Malgré les réductions de ressources, le CSF a fait en 2018 un bilan positif de son action, soulignant que le gouvernement du Québec a posé des gestes concrets pour favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes et qu’il a mis en place des politiques et des stratégies pour lutter contre les inégalités. On trouve dans cette liste de gestes posés par le gouvernement : une politique familiale avant-gardiste, des actions éducatives pertinentes et des mesures législatives d’envergure, telles la Loi sur l’équité salariale ainsi que la Loi modifiant le Code civil du Québec et d’autres dispositions législatives afin de favoriser l’égalité économique des époux en créant le patrimoine familial. Plus récemment, de nouvelles actions ont été entreprises. Le gouvernement du Québec a rendu publique la Stratégie gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes vers 2021. L’Assemblée nationale a adopté la Loi 151 visant à prévenir et à combattre les violences sexuelles dans les établissements d’enseignement supérieur. Un programme en éducation à la sexualité pour tous les élèves du primaire et du secondaire a été mis en oeuvre en lien avec la question des violences sexuelles[59].

En 2018, le CSF a fait état d’un nouveau positionnement par rapport au féminisme dans lequel il met l’accent sur la complexité des enjeux en matière d’égalité tout en introduisant le thème de la diversité :

La multiplication des voix féministes, associée à la prise de conscience de la grande diversité des femmes au Québec, a complexifié les efforts pour faire disparaître les inégalités entre les sexes. La réussite de certaines femmes, qui mérite d’être mieux célébrée, ne doit pas dissimuler les difficultés vécues par celles qui subissent des discriminations et peinent à améliorer leur sort. Pensons aux femmes autochtones, immigrantes, issues de la diversité ou vivant avec un handicap ainsi qu’aux femmes en situation de pauvreté ou peu scolarisées. Le Conseil se doit d’être réceptif aux préoccupations de toutes les femmes pour proposer des pistes d’action qui tiennent compte de leurs différences et de leurs réalités, et ainsi permettre au gouvernement d’agir à des niveaux de spécificité multiples[60].

Le CSF reconnaît que la mise en oeuvre de l’égalité entre les sexes requiert un changement de mentalités et de pratiques, et que pour que s’opère ce changement, « une diffusion plus large des travaux et des messages du Conseil est nécessaire[61] ». On propose également d’accroître le rayonnement du Conseil par l’utilisation stratégique de plateformes numériques et par l’établissement de partenariats novateurs dans différents milieux.

À l’heure actuelle, l’un des défis identifiés dans le dernier plan stratégique produit par l’organisme est d’actualiser les moyens par lesquels le CSF tente de rejoindre la société québécoise pour diffuser sa recherche et susciter le changement. Tout compte fait, il est indéniable que le CSF a influencé la société québécoise et permis au Québec d’avancer vers l’adhésion au principe de l’égalité entre les femmes et les hommes puis à sa mise en opération. Le travail accompli est immense, mais rien n’est acquis.