Volume 53, Number 4, December 2012
Table of contents (11 articles)
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Présentation : l’avenir de la liberté d’expression : quels enjeux, quelles menaces ?
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La signification du droit à la liberté d’expression au crépuscule de l’idéal
Stéphane Bernatchez
pp. 687–713
AbstractFR:
Fondée sur le libéralisme politique, la liberté d’expression est souvent considérée comme la plus fondamentale des libertés en régime démocratique. Dans sa jurisprudence, la Cour suprême du Canada a réaffirmé ces fondements, en reprenant la métaphore du marché libre des idées et le principe de la neutralité de l’État. De plus, elle a accepté la limitation de la liberté d’expression en vertu de la théorie du préjudice. Le présent article tente de montrer les insuffisances d’une telle conceptualisation et défend la thèse que les débats juridiques relatifs au droit à la liberté d’expression relèvent plutôt de désaccords quant à la signification sociale de l’expression, substituant ainsi une approche pragmatiste à l’idéal libéral.
EN:
Grounded in political liberalism, freedom of speech is often con-sidered to be the most fundamental of liberties within a democratic regime. Decisions of the Supreme Court of Canada have reasserted such basic tenets by reasserting the marketplace of ideas metaphor and the principle of State neutrality. Moreover, it has accepted the limiting of freedom of speech owing to the harm principle. This article seeks to demonstrate the insufficiencies of such conceptualization and rather defends the thesis that legal debates pertaining to freedom of speech rather issue from disagreements as to the social meaning of the expression, thereby substituting a pragmatic approach to the liberal ideology.
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Histoire et liberté d’expression
Jean Morange
pp. 715–737
AbstractFR:
Parmi les enjeux de la liberté d’expression, dans les décennies à venir, on peut, paradoxalement, citer le récit historique. Depuis l’Antiquité, l’histoire a été utilisée à des fins très variées, parfois peu avouables. Elle a été et reste manipulée par les régimes autoritaires. Dans les démocraties libérales contemporaines, les conflits portant sur sa présentation peuvent donner lieu à des recours fondés sur l’atteinte aux droits des personnes, au respect de leur vie privée ou sur l’incitation à la discrimination ou à la haine. Les juridictions saisies doivent concilier la liberté d’expression avec les droits opposés. L’équilibre n’est pas toujours facile à réaliser comme le prouve, par exemple, la confrontation du droit français avec le droit européen des droits de l’homme. Il appartient donc aux pouvoirs publics non pas de proclamer la « vérité historique », même s’ils l’ont parfois tenté, mais plutôt de favoriser les conditions d’une recherche honnête et la diffusion d’une connaissance et d’un débat objectifs, notamment, dans le cadre universitaire.
EN:
Among freedom of speech issues, in times to come one may paradoxically make reference to narrative history. Emerging from the obscurity of antiquity, « history » has been invoked in highly varied circumstances, and occasionally in some rather dubious situations. It has been and remains manipulated by authoritarian regimes. In contemporary liberal democracies, conflicts based upon its presentation may lead to actions based upon the denial of individuals’ personal rights, the respect of their personal private life or upon inciting them to discrimination or hatred. Jurisdictions confronted therewith must reconcile freedom of speech with opposing rights and freedoms. Equilibrium does not come easy as illustrated, for instance, in the confrontation of French law with European law in human rights issues. Hence, it is up to ruling officials, not to proclaim « historic truth » notwithstanding their frequent temptation to do so, but rather to support an environment of honest enquiry and dissemination of knowledge and objective debating, especially within university surroundings.
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La protection renforcée de la liberté d’expression politique dans le contexte de la Convention européenne des droits de l’homme
Xavier Bioy
pp. 739–760
AbstractFR:
La liberté d’expression est, en soi, un des droits les mieux protégés par la Cour européenne des droits de l’homme. Le domaine de l’expression politique, particulièrement lorsqu’il s’agit du temps des campagnes électorales, en constitue encore un « noyau dur ». Il fait l’objet d’une protection conjointe de plusieurs dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et d’une interprétation bienveillante qui peut conduire à admettre des discours contraires aux valeurs de la démocratie libérale.
EN:
Freedom of speech is in itself one of the rights most highly protected by the European Court of Human Rights. In the field of expressing political viewpoints, especially in times of elections, it remains indeed a « hard core ». It is the subject of joint protection under several provisions of the Convention and also from accommodating interpretation that may lead to admitting discourse counter to the values of liberal democracy.
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La manifestation : une forme d’expression collective
Gabriel Babineau
pp. 761–792
AbstractFR:
En tant qu’activité expressive, la manifestation bénéficie présentement d’une protection en vertu de l’article 2 (b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette protection lui serait par contre mal adaptée. Plusieurs arrestations de masse clairement injustifiées survenues au Canada pendant la dernière décennie illustre bien le statut précaire du droit de manifester. Le rattachement du droit de manifester à la liberté de réunion pacifique prévue par l’article 2 (c) de la Charte, liberté littéralement abandonnée depuis l’adoption de la Charte, permettrait aux tribunaux de développer une protection qui y serait mieux adaptée. À l’instar de la Cour européenne des droits de l’homme, les tribunaux canadiens devraient reconnaître l’importance de la liberté de réunion pacifique en tant que droit de nature politique fondamental dans une société démocratique. Comme corollaire de la liberté de réunion pacifique, le droit de manifester devrait bénéficier d’une meilleure protection par les tribunaux.
EN:
As a form of expression, protesting is currently protected under section 2 (b) of the Canadian Charter of Rights and Freedoms. However, this section fails to effectively protect the right to protest. The fact that there have been many instances of unjustified mass arrests in recent Canadian history serves to demonstrate that the right to protest is fragile. Although the right to peaceful assembly under section 2 (c) of the Charter has been virtually abandoned since the Charter’s adoption, conceiving of the right to protest as part of this right would allow Canadian courts to better safeguard protesting. Similarly to the European Court of Human Rights, Canadian courts should recognize the right to peaceful assembly as a fundamental political right in a democratic society. As a corollary to freedom of assembly, the right to protest should be afforded greater protection by Canadian courts.
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Qu’est-ce qu’un « délit d’opinion » ?
Thomas Hochmann
pp. 793–812
AbstractFR:
L’hostilité envers les « délits d’opinion » est un lieu commun du discours juridique français en matière de liberté d’expression. Une analyse des écrits doctrinaux montre que les auteurs, s’ils se dispensent en général d’une définition explicite, entendent désigner de la sorte les restrictions de la liberté d’expression qui définissent les propos visés essentiellement par leur signification, et indépendamment de leurs possibles conséquences.
L’interdiction des délits d’opinion constitue-t-elle une exigence juridique ou simplement un argument de philosophie politique ? Les régimes de la liberté d’expression en vigueur en Allemagne et aux États-Unis, beaucoup plus élaborés que le système français, permettent d’éclairer toutes les subtilités d’une telle exigence. Les délits d’opinion sont interdits, selon des modalités différentes, en Allemagne et aux États-Unis, mais pas en France. Ainsi, l’incrimination du négationnisme, si elle constitue un « délit d’opinion » dont il est possible de débattre du bien-fondé politique, ne pose pas à cet égard un problème de constitutionnalité en droit français.
EN:
French legal scholars share a hostility toward « crimes of opinion » (délits d’opinion). They rarely define this concept, but one can establish that it designates the restrictions of freedom of speech that forbid the expression of a specific meaning, regardless of the possible consequences that expression might provoke.
Is it legally forbidden to edict such crimes of opinion, or is this prohibition only a philosophical claim ? A study of the German, American and French legal systems leads to various answers. In Germany and in the United States, crimes of opinions are forbidden, though in different ways. In France, however, there is no constitutional norm prohibiting the legislator from edicting a crime of opinion, such as the criminalization of Holocaust denial.
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La liberté d’expression est-elle en phase avec l’action syndicale ?
Pierre Verge
pp. 813–829
AbstractFR:
L’article qui suit propose un aperçu d’ensemble de la protection juridique de la liberté d’expression en milieu syndical. S’applique-t-elle non seulement aux moyens usuels d’expression, mais également aux modes qui sont propres au syndicat, comme le piquetage ou la grève ? L’auteur fait aussi une examen de sa portée, d’abord à l’encontre d’une loi qui restreindrait la liberté d’expression syndicale, et ensuite dans la sphère des rapports privés régis par le droit commun.
Cependant, la liberté d’expression s’affirme en outre à l’intérieur de l’institution syndicale. En particulier, le salarié peut-il s’en réclamer à l’encontre de l’obligation légale de participer également aux frais du syndicat ou, encore, dans le cas fréquent d’une disposition conventionnelle l’obligeant à appartenir au groupement ?
EN:
This article presents an overview of legally protecting freedom of speech in labour union gatherings. Does such protection extend beyond ordinary means of self expression, thus including the ways and means used by trade unions such as pickets or strikes ? Also considering its scope, first by opposing a law that would curtail free speech in labour unions, then also in the realm of private exchanges governed by ordinary rules of law.
Yet freedom of speech also asserts itself within institutionalized unions. More specifically, may a wage-earner take a stance against the legal obligation to participate equally of union expenses, or still in the frequent case of a collective agreement provision requiring said wage-earner to belong to such a group ?
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La liberté d’expression en contexte de crise : le cas de la grève étudiante
Christian Brunelle, Louis-Philippe Lampron and Myriam Roussel
pp. 831–859
AbstractFR:
En 2012, le recours à la grève exercé par plusieurs associations étudiantes afin de protester contre la hausse des droits de scolarité annoncée par le gouvernement du Québec a provoqué une véritable crise sociale. Alors que cette levée collective de cours était votée démocratiquement par les membres de ces associations — lesquelles détiennent, par l’effet de la loi, un monopole de représentation de l’ensemble des étudiants —, les tribunaux n’ont pas hésité à prononcer, à la faveur d’étudiants « dissidents », des ordonnances en vue de leur permettre d’accéder librement aux salles de cours, malgré le piquetage exercé à la porte des établissements. Ce choc entre droits collectifs et droits individuels a suscité, chez certains, une remise en question de la légalité même de la grève — incidemment réduite au rang de simple boycott pour mieux saper sa dimension collective — comme moyen de pression en contexte étudiant. Les auteurs concluent que le cadre historique et juridique dans lequel évoluent les associations étudiantes les autorise, au nom de la liberté d’expression et de la liberté d’association garanties par les chartes des droits, à exercer la grève et à dresser des piquets de grève en conséquence.
EN:
In 2012, the strike action taken by several student organizations to protest against the tuition fee increase announced by the Quebec government led to a genuine social crisis. Although the strikes were decided democratically by the members of the associations concerned — which hold, by law, a monopoly on the representation of all students — the courts were quick to issue orders allowing dissenting students free access to classrooms, despite the picket lines set up around building entrances. This clash between individual and collective rights led some people to question the legality of a strike — incidentally reduced to a mere boycott to better undermine its collective dimension — as a means for students to exert pressure. The authors conclude that the historical and legal context within which the student associations are working authorizes them, on the basis of the freedom of expression and freedom of association guaranteed by the Charters of Rights, to exercise the right to strike and to draw picket lines accordingly.
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La liberté d’expression face aux sentiments religieux : approche européenne
Ruth Dijoux
pp. 861–876
AbstractFR:
La confrontation de la liberté d’expression et de la liberté religieuse soulève de nombreuses tensions. Pour certains, il convient de favoriser la liberté d’expression, fondement même d’une démocratie. Pour d’autres, au contraire, il convient de protéger la liberté de religion particulièrement contre la liberté d’expression. Afin de solutionner ces oppositions et de trouver un équilibre entre les libertés visées, le choix opéré par la Cour européenne des droits de l’homme, savoir le contrôle de proportionnalité, apparaît comme une solution efficace.
EN:
The opposition between freedom of expression and freedom of religion creates various tensions. While some believe that priority should be given to freedom of expression, the very foundation of democracy, others prefer to protect freedom of religion, in particular against freedom of expression. To resolve this confrontation and strike a balance between the two freedoms, the choice by the European Court of Human Rights to impose a test of proportionality appears to offer an effective solution.
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Trademarks Worth a Thousand Words : Freedom of Expression and the Use of the Trademarks of Others
Teresa Scassa
pp. 877–907
AbstractEN:
Trademarks play an important role in facilitating critical speech in an increasingly corporate capitalist society. Not only do they serve as markers for expressive content on the Internet, they can also be used as vehicles for the communication of critical messages about the trademark owner or its products or services. In this paper, the author examines the implicit balance in the Trade-marks Act between freedom of expression values and trademark rights, and argues that it is being significantly altered by the contemporary push for greater trademark protection. The author identifies specific problems that emerge from Canadian case law relating to freedom of expression and trademark law. These include the treatment by courts of intellectual property rights as private property rights, inattention to the trademark/copyright overlap, the troublesome distinction between commercial and non-commercial uses, and the phenomenon of trademark bullying. The author argues for a sharp evolution in Canadian case law that would establish clear parameters for critical speech using trademarks.
FR:
Les marques de commerce jouent un rôle important dans l’expression du discours critique au sein de notre société de plus en plus capitaliste et corporative. Elles servent non seulement de repères pour explorer le contenu expressif sur Internet, mais elles peuvent en outre constituer des outils pour communiquer des messages de nature critique au sujet du titulaire de la marque de commerce ou de ses produits ou services. Dans l’article qui suit, l’auteure examine l’équilibre implicite qui, dans la Loi sur les marques de commerce, existe entre la protection des marques de commerce et le principe de la liberté d’expression. Selon elle, cet équilibre est menacé par la protection grandissante accordée aux marques de commerce. Elle met en évidence des problèmes spécifiques soulevés par la jurisprudence canadienne à ce sujet. Il s’agit notamment du fait que les tribunaux traitent les droits de propriété intellectuelle au même titre que les droits privés de propriété, de l’inattention quant au chevauchement existant entre le droit des marques de commerce et le droit d’auteur, de la distinction problématique entre les emplois commerciaux et non commerciaux ainsi que du phénomène des poursuites abusives. L’auteure soutient que la jurisprudence canadienne doit, sans tarder, évoluer de façon à établir les paramètres précis de l’utilisation des marques de commerce dans une perspective critique.
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