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En 1980, l’Unesco adoptait la Recommandation relative à la condition de l’artiste[1] dans laquelle elle reconnaissait, entre autres, « que, dans leur acception la plus complète et la plus large, les arts font et doivent faire partie intégrante de la vie et qu’il est nécessaire et approprié que les gouvernements contribuent à instituer et à maintenir non seulement un climat propice à la liberté d’expression artistique, mais aussi les conditions matérielles facilitant l’expression de ce talent créateur[2] ». Le texte liait la réalisation de ces conditions matérielles à la protection des personnes mêmes produisant l’art en affirmant « les droits de l’artiste à être considéré, s’il le désire, comme un travailleur culturel et à bénéficier, en conséquence, de tous les avantages juridiques, sociaux et économiques afférents à la condition de travailleur, compte tenu des particularités qui peuvent s’attacher à sa condition d’artiste[3] ». La Recommandation s’attardait notamment à la possibilité pour les artistes de s’associer afin d’améliorer, par la représentation collective, leurs conditions socioéconomiques.

Dans la foulée de la Recommandation et à la suite de revendications en ce sens par certaines associations d’artistes, le Québec s’est doté d’un régime législatif encadrant spécifiquement les relations du travail des artistes oeuvrant dans les domaines de la scène, du disque et du cinéma au Québec en 1987[4]. La Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma[5] visait à pallier l’incertitude entourant le statut juridique de ces travailleurs ainsi que le vide juridique dans lequel ils risquaient de se trouver. D’un côté, il pouvait être difficile pour plusieurs de se faire reconnaître comme « salariés », en raison du mode d’organisation du travail caractéristique de leur industrie. Celui-ci implique en majeure partie pour chaque artiste une multiplicité d’engagements, souvent simultanés, sur de courtes périodes, pour des durées déterminées, avec différents donneurs d’ouvrage au sein de différentes équipes de production. Le refus de les considérer comme des salariés et de plutôt les assimiler à la catégorie juridique d’entrepreneur indépendant entraîne leur exclusion du régime général de rapports collectifs du travail établi au Québec[6] et des autres lois protectrices du travail[7]. D’un autre côté, même pour les travailleurs pouvant éventuellement être considérés comme « salariés » dans le cadre de relations contractuelles ponctuelles avec leur donneur d’ouvrage, l’inadéquation des lois du travail par rapport au mode d’organisation du travail spécifique aux secteurs artistiques entraîne l’inefficacité de celles-ci dans plusieurs cas[8].

Le régime juridique élaboré en réponse à ce problème reconnaît d’abord un statut professionnel aux artistes à titre de travailleurs autonomes, établissant que le régime s’applique à la personne « qui pratique un art à son propre compte[9] ». Le régime promeut leur autonomie collective d’une manière qui s’inspire du régime général établi par le Code du travail[10] : il établit les règles entourant l’octroi de la reconnaissance des associations d’artistes et de producteurs[11] ; il facilite la formation de telles associations en accordant un monopole de représentation syndicale à l’association représentant la majorité des artistes d’un domaine de production[12] et en imposant aux entités constituant le vis-à-vis dans les relations du travail de reconnaître l’association bénéficiant de la reconnaissance des autorités publiques comme unique représentant des artistes en cause[13] ; il impose une obligation de négociation aux parties (dès l’initiative à cet effet de l’une d’elles)[14] et prévoit des mesures complémentaires pour conduire à la conclusion d’ententes collectives, soit la médiation[15], l’arbitrage de différends[16] et la possibilité d’entreprendre des actions concertées[17] ; il octroie une force obligatoire à ces ententes entre les parties et établit le devoir pour les parties de prévoir dans les ententes collectives un mode de règlement de conflits (arbitrage de griefs)[18].

Par ailleurs, le régime juridique prévu par la Loi présente des règles particulières par rapport au régime général. Ces règles visent à répondre aux caractéristiques spécifiques du mode d’organisation du travail dans le domaine artistique des travailleurs en cause[19]. D’abord, non seulement les ententes collectives ont force obligatoire entre les parties, mais elles s’appliquent également à tous les artistes du domaine de production visé par les normes collectives ainsi adoptées[20]. Aussi, le type de négociation envisagé par le régime est sectoriel et concerne tout autant une échelle individuelle (un seul producteur) qu’une échelle multipatronale. Il permet ainsi d’adapter l’encadrement des rapports collectifs des artistes et des producteurs à la réalité du mode d’organisation du travail dans ce domaine. Enfin, la particularité du régime comparé au régime général établi par le Code du travail tient également du fait que les normes négociées collectivement imposent des normes minimales[21]. Le régime offre une garantie d’élaboration et d’application de normes collectives minimales, en laissant intact le pouvoir de négociation individuel au-delà de ces minimaux pour les artistes qui en ont un.

Au regard de la spécificité du régime adopté en 1987, la Loi établissait également un forum particulier voué à l’application du régime, soit la Commission de reconnaissance des associations d’artistes et des associations de producteurs (CRAAAP)[22]. En 2009, la Loi fut modifiée, notamment afin d’abolir la CRAAAP et de transférer ses compétences à la Commission des relations du travail (CRT)[23]. Alors qu’un nouveau remaniement dans les tribunaux compétents en droit du travail au Québec est entré en vigueur le 1er janvier 2016[24], il est pertinent de dresser un bilan au sujet de l’étendue du champ d’application de la Loi en regard de l’objectif de celle-ci. En effet, l’étendue du champ d’application est fonction de l’interprétation qui est retenue par les décideurs. Il est intéressant de voir comment elle a été construite jusqu’à ce jour. Pour ce faire, après avoir décrit comment les différentes commissions ont cerné les objectifs de la Loi (section 1), il sera possible d’analyser les effets de leur interprétation sur l’étendue de la Loi quant aux travailleurs qu’elle vise (section 2).

1 De l’intention du législateur à l’identification des objectifs de la Loi tels que compris par la CRAAAP et la CRT

Tant la CRAAAP que la CRT, lorsqu’appelées à définir les contours d’application de la Loi, font appel à la théorie de l’interprétation des lois. Pour ce faire, elles invoquent quasi exclusivement la théorie telle qu’elle est présentée par l’auteur Pierre-André Côté[25]. Au coeur de cet exercice se trouve la détermination de l’intention du législateur[26]. Il s’agit de « mettre au jour le sens que le législateur avait confié au texte afin d’en assurer l’exécution[27] ».

Un auteur notait récemment que cette façon de procéder, qui est fréquente, se fonde sur la conception même du processus d’adoption des lois dans un État démocratique, processus reflétant l’idée de représentation :

Pour ce qui est de la recherche de l’intention du législateur, cet objectif demeure prépondérant dans le processus de l’interprétation des lois. Tant la doctrine d’ailleurs que les tribunaux continuent d’en faire le leitmotiv de l’interprétation législative. Cette approche intentionnaliste, prédominante encore une fois en ce qui concerne l’interprétation juridique, est étroitement liée au concept de représentation[28].

Le recours à cette idée d’intention du législateur s’explique par la compréhension du rôle de la fonction judiciaire et quasi judiciaire par rapport à la fonction législative :

L’interprétation juridique a d’abord été pensée à partir du principe de la suprématie du pouvoir législatif insufflé par le modèle de la démocratie représentative. L’interprétation judiciaire cherchait alors à concilier la détermination du sens des normes juridiques avec le postulat positiviste consacrant le monopole du législateur dans la production du droit. Les juges ont ainsi construit des principes d’interprétation fondés sur des présomptions d’intention du législateur[29].

Ainsi, une fois cernée cette intention du législateur, elle sert de point de départ à l’exercice d’interprétation auquel se livre l’instance décisionnelle. Cependant, une certaine confusion entre la recherche de l’intention du législateur et celle des objectifs sous-jacents à la loi à interpréter peut être relevée dans la jurisprudence[30]. En principe, l’objectif de la loi soulevant des difficultés influe sur la manière de trancher l’interprétation qui en est faite. Le législateur étant présumé être raisonnable et logique[31], il doit avoir rédigé la loi afin qu’elle permette l’atteinte de ces objectifs.

Ce glissement entre l’utilisation de l’expression « intention du législateur » pour désigner ce que le législateur a voulu accomplir en édictant une loi plutôt que de rechercher ce qu’il a voulu signifier par le texte édicté est présent dans les décisions entourant la Loi. Au gré des décisions, on constate que, bien que la CRAAAP énonce parfois explicitement rechercher l’intention du législateur, elle se prête en fait à l’exercice de déterminer les objectifs de la Loi[32]. C’est donc davantage l’identification de la finalité de la Loi, dans ce qu’elle cherche à accomplir qui retient l’attention (1.1). De son côté, la CRT adhère aux objectifs tels que compris par la CRAAAP en ce qui concerne la Loi. Elle se concentre surtout sur l’identification de l’objectif de la Loi modifiant la Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma et d’autres dispositions législatives[33], soit celle ayant transféré les pouvoirs de la CRAAAP vers la CRT (1.2). Aussi, il importe de s’attarder à l’identification des objectifs de la Loi par les décideurs afin de mieux apprécier ensuite l’interprétation qu’ils ont donnée à son champ d’application.

1.1 Une loi de protection visant la conclusion d’ententes collectives pour établir des conditions minimales de travail selon la CRAAAP

Dès les premières fois où la CRAAAP a dû se prononcer sur l’application de la Loi, elle a cherché à établir ce qu’elle identifie comme l’intention du législateur, mais ce qui est en fait l’objectif de la loi. Notant que l’économie de la Loi s’inspire du Code du travail, elle énonce que son objectif est de consacrer « la liberté d’association des artistes et la liberté de négociation pour conclure, avec les producteurs, une entente collective qui stipule les conditions minimales de l’engagement des artistes[34] » et « la liberté d’adhésion des artistes aux associations d’artistes et de négociation des conditions d’engagement des artistes par les producteurs[35] ».

Au gré de ses décisions dans la décennie qui suivra, aucun changement notoire dans l’énoncé de ces objectifs ne se manifeste. En plus de la réitération de cet objectif lié à la conclusion d’ententes collectives[36], la CRAAAP souligne également, à quelques occasions, la dimension protectrice de la Loi alors qu’elle déclare que « [t]oute l’économie de la Loi est à l’effet d’empêcher les producteurs d’exploiter indûment les artistes, comme le Code du travail a pour principal objet d’empêcher les patrons d’exploiter les travailleurs[37] ». La CRAAAP considère ainsi que cette loi est une loi remédiatrice ou réformatrice[38]. Elle énonce dès sa première décision qu’elle devrait bénéficier d’une interprétation large[39].

Ce n’est qu’en 2003 qu’une certaine nuance est apportée à cet énoncé. Cela s’est fait dans le cadre d’une décision qui soulevait l’application de la Loi en rapport avec la nature de la relation contractuelle entre des musiciens, représentés par la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec (GMMQ) et un café-bar où ils se produisaient. La CRAAAP déclare alors que l’économie de la Loi vise effectivement à procurer aux artistes les avantages de la négociation collective pour conclure des normes minimales d’engagement. Cependant, elle souligne de façon explicite que la Loi encadre des relations de travail atypiques. Elle explique que « [n]ormalement, en vertu des règles usuelles en droit du travail, les artistes se verraient confrontés à la difficulté, si ce n’est à l’impossibilité, de faire reconnaître leur droit de libre association et de négociation collective. Il s’agit d’un régime atypique, pour des relations qui le sont tout autant, entre artistes et producteurs[40]. » Bien que cette décision ait été révisée par la Cour supérieure[41], cette formulation légèrement différente des objectifs sous-jacents à la Loi est reprise dans les décisions ultérieures de la CRAAAP. Cette nuance est importante, car elle dénote une nouvelle préoccupation de la CRAAAP d’insister sur le caractère particulier du contexte dans lequel évolue la Loi, notamment des besoins spécifiques des travailleurs atypiques oeuvrant dans les domaines artistiques.

1.2 Une loi modifiée afin de préserver la paix industrielle, mais toujours « remédiatrice » et visant à protéger des travailleurs à la pige selon la CRT

En 2009, à la suite d’un conflit intersyndical dans le domaine de la production audiovisuelle, la Loi fut modifiée. Le conflit était lié à un problème d’interaction entre la Loi et le Code du travail. En principe, au Québec, les artistes créateurs, artisans et techniciens travaillant dans le domaine du cinéma étaient représentés par l’Alliance québécoise des techniciens de l’image et du son (AQTIS), et ce, depuis des dizaines d’années[42]. En 2005, lors d’un tournage américain de grande envergure à Montréal, un autre regroupement de travailleurs, lié à un syndicat américain, a saisi l’occasion pour s’implanter au Québec. Puisque plusieurs des artistes créateurs, artisans et techniciens travaillant sur le tournage étaient engagés envers le producteur pour plusieurs mois, le syndicat, après avoir fait signer suffisamment de cartes aux travailleurs engagés sur la production en les convainquant qu’ils seraient mieux représentés par lui que par l’AQTIS, demanda à la CRT une accréditation pour représenter ces travailleurs, le tout en vertu du Code du travail[43]. S’ensuivit une guerre de juridiction entre l’AQTIS, prétendant que les travailleurs étaient des artistes au sens de la Loi, déjà représentés par elle, et l’Alliance internationale des employés de scène, de théâtre, techniciens de l’image, artistes et métiers connexes des États-Unis, ses territoires et du Canada (International Alliance of Theatrical Stage Employees ou IATSE), prétendant plutôt que la Loi ne s’appliquait pas dans les cas où les artistes tombaient sous le couvert du Code du travail[44].

Parmi les modifications apportées à la Loi, l’abolition de la CRAAAP et le transfert de sa compétence à la CRT méritent d’être soulignés. Ce transfert de pouvoirs avait pour objectif de susciter une vision unificatrice entre le régime général de rapports collectifs de travail et le régime spécifique des artistes et éviter, dans le futur, ce genre de conflits. À ce sujet, le communiqué de presse émis par le bureau de la ministre responsable de la modification législative annonçait ainsi les modifications :

La ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, Mme Christine St-Pierre, est fière d’annoncer l’adoption de la Loi modifiant la Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma. Les modifications apportées ont pour effet de redéfinir les secteurs de négociation et la portée des reconnaissances syndicales dans l’industrie des productions audiovisuelles et d’étendre le champ d’application de la Loi sur le statut de l’artiste pour en faire bénéficier les techniciens et les artisans qui participent à ces productions. La loi prévoit également le transfert des responsabilités de la Commission de reconnaissance des associations d’artistes et des associations de producteurs (CRAAAP) vers la Commission des relations du travail (CRT).

Les étapes franchies à ce jour permettront pour ce volet de l’industrie des productions cinématographiques et télévisuelles d’établir des conditions qui permettraient d’éviter des conflits comme celui qui a pris naissance, en 2005, entre l’Alliance québécoise des techniciens de l’image et du son (AQTIS) et l’Alliance internationale des employés de scène, de théâtre, techniciens de l’image, artistes et métiers connexes des États-Unis, ses territoires et du Canada (AIEST). L’adoption de cette loi satisfera à une demande historique de reconnaissance des artisans et des techniciens de l’audiovisuel qui était demeurée sans réponse depuis l’adoption de la Loi S-32.1 en 1987[45].

De façon prévisible, la CRT a donc répété « qu’un des objectifs principaux de l’adoption de la Loi de 2009 est de favoriser la paix industrielle[46] ».

La CRT endosse le qualificatif de « remédiatrice » accolé à la Loi par la CRAAAP et l’interprétation large qui en découle[47]. Dans la même logique, elle donne une interprétation restrictive aux exceptions établies dans la Loi qui ont pour conséquence de réduire sa portée quant aux personnes pouvant bénéficier des avantages de celle-ci[48].

Par ailleurs, tout comme l’avait fait dans les dernières années où siégeait la CRAAAP, la CRT reprend cette idée que la Loi doit recevoir une interprétation qui reflète la spécificité des travailleurs auxquels elle s’applique, par opposition aux définitions et principes établis sous le Code du travail. Elle déclare ceci :

L’objectif de la reconnaissance prévue à la Loi est le même que celui visé par l’accréditation du Code : permettre la négociation et l’application d’ententes (ou de conventions) collectives. Par conséquent, l’analogie avec certains principes développés pour apprécier le caractère approprié d’une unité de négociation proposée dans le cadre d’une requête en accréditation relevant du Code s’impose, avec certaines nuances en raison de l’absence d’employeur (remplacé ici par une multitude de producteurs) et du fait que les reconnaissances visent des travailleurs autonomes[49].

Enfin, à l’égard de la modification législative survenue en 2009 quant au champ d’application de la Loi, la CRT énonce sans équivoque que celle-ci avait pour but d’étendre l’application à des « techniciens et artisans participant à une production audiovisuelle mentionnée à l’annexe 1 de celle-ci (les productions cinématographiques et télévisuelles, les films publicitaires et les vidéoclips)[50] ». Cela se fait en les « assimilant » à des artistes afin de les faire bénéficier de l’application de la Loi. Cela touche directement à l’étendue du champ d’application de la Loi, telle qu’elle est élaborée, au fil du temps, par la CRAAAP d’abord puis par la CRT.

2 L’étendue du champ d’application de la Loi telle que définie par la CRAAAP et la CRT

La Loi a donc pour objet de protéger les « artistes » dont les services sont retenus dans le cadre de la production d’oeuvres artistiques. Elle vise à pallier le faible pouvoir de négociation de ces travailleurs en leur permettant de se regrouper afin de négocier collectivement des conditions de travail minimales applicables à tous et imposées à ceux qui retiennent leurs services. La Loi est conçue afin de fournir aux artistes un cadre dans lequel exercer de façon effective leur liberté d’association, reconnaissant par là l’inadéquation du régime général établi par le Code du travail aux besoins spécifiques de ces derniers, notamment en raison du mode particulier d’organisation du travail dans leur industrie[51]. Le modèle général de rapports collectifs du travail au Canada, de même qu’au Québec, a été élaboré en ayant en tête un cadre particulier, soit celui désigné comme « the large industrial workplace[52] ». Les travailleurs, dans ce cadre, sont représentés en fonction d’une entreprise et non en fonction de leur occupation, profession ou habiletés spécifiques, et les négociations se font le plus souvent à l’échelle de l’établissement de l’entreprise. Pour cette raison, la représentation collective des travailleurs qui sont en relations contractuelles avec une multiplicité de donneurs d’ouvrage simultanément est difficilement réalisable dans ce cadre général[53].

À ce titre, la Loi est une loi du travail qui reflète la tension sous-jacente à toute loi de ce type en raison de sa nature : « le travail humain se trouvant toujours au point de rencontre des hommes et des choses, le juriste hésitera toujours à le ranger sous le droit des personnes ou sous le droit des biens, et ne pourra jamais éluder totalement l’un ou l’autre de ces aspects[54] ». Aussi, afin d’analyser l’étendue de la Loi, telle qu’interprétée par les décideurs, il est utile de retenir cette double dimension captant, d’une part, le travail et, d’autre part, le travailleur. Nous retiendrons la formulation de Supiot à cet effet : « Dès lors qu’on se situe dans le cadre de ces constructions, la qualification du travail doit nécessairement tenir compte de ces deux faces : celle du travail comme bien, comme objet de droit, et celle du travailleur comme personne, comme sujet de droit[55]. » Ce faisant, il est essentiel de ne pas perdre de vue que le travail n’est pas une marchandise[56]. L’interprétation des décideurs, qu’elle s’attarde à la définition du champ d’application de la Loi par l’objet visé (2.1) ou par le sujet visé (2.2) a, dans tous les cas, un impact sur les travailleurs en cause et sur la protection dont ils peuvent effectivement bénéficier.

2.1 L’objet visé par la Loi : la production d’une oeuvre artistique dans un sens restreint

Bien que la CRAAAP, à la lumière des objectifs de la Loi et de ce qu’elle désigne comme l’intention du législateur, ait déclaré que la Loi devait recevoir une interprétation large, elle a plutôt systématiquement suivi une vision réductionniste du travail artistique auquel s’applique la Loi.

En effet, pour qu’une association d’artistes puisse obtenir une reconnaissance légale en vertu de la Loi, elle doit proposer un secteur de négociation qui regroupe des fonctions artistiques et représenter les « artistes » qui oeuvrent à ces fonctions. Est artiste au sens de la Loi la personne pratiquant un « art » à titre de « créateur » ou d’« interprète[57] » dans un des domaines prévus par la Loi[58]. Au gré des demandes de reconnaissance d’associations d’artistes, la CRAAAP a dû dessiner les contours de ce que constituent des fonctions artistiques sous la Loi. Elle l’a fait alors que les expressions « art », « créateur » et « interprète » n’ont jamais été définies explicitement dans la Loi. Ce faisant, la CRAAAP a surtout cherché à départager les fonctions qui sont véritablement artistiques selon elle, parce qu’elles relèvent d’un acte de création, et celles qu’elle qualifie de travail manuel[59] ou technique[60]. Ainsi, dans l’affaire Association des producteurs de films et de vidéo du Québec et Syndicat des techniciennes et techniciens du cinéma et de la vidéo du Québec (STCVQ)[61], la CRAAAP décidait qu’elle devait se référer au sens donné dans le langage courant au terme « créateur », tel que défini par les dictionnaires. Elle retenait que l’artiste est celui qui « est appelé à concevoir, imaginer, engendrer et produire une forme de beauté où il met à contribution un savoir ou un talent exceptionnels », alors que le travailleur manuel « est un artisan qui exécute ou reproduit à l’occasion ce que l’artiste aura conçu, exprimé[62] ». Les motifs sous-jacents à l’importance que la CRAAAP attache à établir cette distinction ne sont pas explicités. Mais cette distinction est essentielle dans sa lecture de la Loi. Elle réitère à ce sujet :

La Commission doit identifier quels sont les postes dont les titulaires font état d’un talent ou d’un savoir exceptionnels pour créer ou exprimer une forme de beauté, à partir d’éléments existants ou non, qui est inédite. Ce sont là les éléments principaux de la définition qui distinguent les artistes des artisans. Ces derniers, quoique faisant preuve d’initiative ou d’ingéniosité dans l’exercice de leurs fonctions et même d’une grande compétence, ne sont pas appelés à créer ou exprimer des formes de beauté inédites[63].

Des 56 postes couverts par la convention soumise par le STCVQ aux fins de bénéficier de la présomption de la Loi, seuls 16 postes seront reconnus comme des postes répondant à la définition de l’expression « artiste créateur » en vertu de la Loi[64]. Les personnes occupant les autres postes[65] se retrouvent ainsi marginalisées par rapport à l’application de la Loi[66]. Ces travailleurs oeuvrant aux mêmes productions que les autres pour lesquelles le STCVQ est désormais légalement reconnu sont donc sous le couvert d’une convention sans protection d’aucune loi[67]. Il dépend de la bonne volonté du producteur de respecter la convention collective et de traiter avec le STCVQ pour ces personnes. À ce sujet, il est utile de mentionner que la CRAAAP a ultérieurement confirmé le pouvoir des associations d’artistes de négocier des conditions de travail pour des groupes de travailleurs qui ne seraient pas compris dans le secteur de négociation pour lequel l’association a obtenu une reconnaissance[68]. La CRAAAP soulignait même ceci :

Dans les domaines de production artistique, particulièrement quand une dimension technique est rattachée à la prestation, il arrive qu’une même entente collective comprenne des fonctions artistiques et des fonctions n’ayant pas cette même qualité au sens de la Loi. C’est le cas notamment pour plusieurs ententes dans le domaine du film.

À titre de syndicat professionnel et d’association reconnue, la GUILDE peut parfaitement conclure des ententes soumises à deux régimes différents, celui du Code civil du Québec et celui de la Loi, sans que cela n’indique ou n’affecte sa reconnaissance[69].

La CRAAAP décidera dans le même sens de cette exclusion des artistes techniciens ou artisans dans les années qui suivront. Ainsi, les directeurs de production[70], les recherchistes[71] et les aiguilleurs et les mixeurs sonores[72] connaîtront un sort similaire. Il est intéressant de souligner que la CRAAAP fait le choix explicite de refuser une définition plus large de l’art, définition proposée par un témoin expert dans l’affaire concernant les recherchistes. Selon cette définition, la création viserait « un ensemble de techniques qui produisent un résultat. Pratiquer un art, c’est exercer un métier et si le produit est unique et original, il y a création. La création consiste à fabriquer un objet unique, à transformer une matière de façon singulière et individuelle[73]. » La CRAAAP fait ce choix en invoquant que le mot « technicien » n’a pas été inclus dans la définition de ce qu’est un « artiste » dans la Loi. Elle réfère à ce sujet aux débats parlementaires entourant l’adoption de la Loi[74]. Elle précise son raisonnement en déclarant ce qui suit :

[L]es techniciens pratiquent un art à titre de moyen pour atteindre un résultat, tel que défini par le témoin Thérien [le témoin expert ayant proposé la définition plus large]. Le fait de travailler dans un domaine de production artistique ne fait pas d’une personne physique automatiquement un artiste ; il faut que sa participation constitue en soi la pratique d’un art à titre de créateur ou d’interprète. C’est du moins ce qui découle de la décision rendue par la Commission dans l’affaire du STCVQ[75].

Selon la CRAAAP, l’économie générale de la Loi milite en faveur de cette interprétation plus restrictive[76]. Elle a ainsi inscrit son interprétation dans une démarche visant à distinguer les artisans ou les techniciens des « vrais » artistes afin d’exclure les premiers de l’application de la Loi. Ce faisant, elle confirme les craintes énoncées par plusieurs associations d’artistes au moment de l’adoption de la Loi quant aux effets sur le champ d’application de la Loi en l’absence de l’inclusion expresse des « techniciens » dans les dispositions de la Loi[77].

Ensuite, la CRAAAP a précisé dans sa jurisprudence que, bien qu’une personne puisse être considérée comme une artiste en raison de son travail artistique, le fait de retenir les services de cette personne ne relève pas automatiquement de la Loi. Dans l’affaire Productions France Corbeil inc. et Association des professionnels de la vidéo du Québec[78], la CRAAAP a expliqué que la Loi ne couvre pas n’importe quelle relation contractuelle dans laquelle s’engage l’artiste, mais bien celle qui vise la production d’une oeuvre artistique. Elle tire cette conclusion en raison de l’interprétation qu’elle fait de la définition de « producteur ». Selon l’article 2, est producteur « une personne ou une société qui retient les services d’artistes en vue de produire ou de représenter en public une oeuvre artistique dans un domaine visé à l’article 1[79] ». La CRAAAP note que la définition contient une finalité en elle-même, soit celle de produire ou de représenter en public une oeuvre artistique. Elle en déduit que la rétention de services doit se faire pour l’une ou l’autre de ces fins précises pour que l’on puisse conclure à l’application de la Loi[80]. Il en résulte donc que l’oeuvre produite ou représentée en public doit pouvoir recevoir le qualificatif d’« artistique » pour que l’on soit en présence d’un producteur au sens de la Loi. À ce sujet, la CRAAAP souligne qu’elle se doit de retenir cette interprétation en raison des termes clairs de la définition : « Le texte de la Loi ne souffre pas d’ambiguïté quant à cette finalité et la Commission estime qu’aucune interprétation, si libérale soit-elle, ne permet de considérer comme accessoire une condition de la définition de “producteur” que le législateur a établie expressément et qu’il a, ce faisant, fixée comme l’une des exigences préalable et commune à tous les domaines visés par l’article 1[81]. » Elle rejette ainsi l’invitation qui est alors faite par l’APVQ d’interpréter largement la loi en raison de son caractère remédiateur.

En l’espèce, la CRAAAP devait décider si la captation d’événements sportifs sur vidéo constituait une production artistique au sens de la Loi. Puisque la CRAAAP retient de la preuve que les productions créées sous la direction du donneur d’ouvrage sont pour l’essentiel des captations d’événements « sportifs en vue de leur retransmission en direct ou en différé, en y ajoutant, le cas échéant, de brefs commentaires et des entrevues ayant pour objectif de mieux décrire l’action principale à la manière d’un reportage en direct[82] », elle considère qu’il n’y a pas de production d’oeuvre artistique.

La CRAAAP en fait de même lorsqu’elle est appelée à se prononcer sur le caractère artistique du travail d’une musicienne lors des parties de hockey au Centre Molson[83]. Le travail de cette dernière consiste en de l’animation de foule au moyen de deux orgues et de trois claviers durant les parties. Elle intervient en direct durant les arrêts de jeu et avant la partie. La CRAAAP retient ceci de la preuve :

[L]a représentation en public qu’effectue madame Bibaud demeure, en substance, un amalgame de sons purement techniques, répétitifs ne faisant appel à aucune recherche artistique ou esthétique particulière. Il ne fait aucun doute que madame Bibaud est musicienne de son état et qu’elle travaille contre rémunération. Mais, suivant son propre témoignage et celui de monsieur Saint-Amour pour LE CLUB, ce ne sont pas les services de l’artiste qui sont retenus, mais ceux d’une technicienne de son aux fins de l’animation du public amateur de hockey[84].

La CRAAAP est consciente que, ce faisant, elle limite la protection offerte aux artistes. Toutefois, selon elle, conclure autrement trahirait l’intention du législateur :

Conclure en l’espèce, comme le voudrait la GUILDE, en présence d’une preuve directe que la prestation de madame Bibaud dans son ensemble équivaut à une représentation en public d’une oeuvre artistique, aux motifs qu’elle a statut de musicienne professionnelle et que tout son qu’elle reproduit devient une interprétation musicale, tient du glissement de sens et introduit de la confusion quant à la portée de la Loi. Une telle interprétation irait à l’encontre de l’intention du législateur en omettant de considérer une finalité propre à la définition de « producteur » qui consiste, pour une personne ou société, à retenir les services d’artistes « en vue de produire ou de représenter en public une oeuvre artistique dans un domaine visé à l’article 1 »[85].

Ainsi, si la CRAAAP a déduit avec justesse de la définition de « producteur » contenue dans la Loi la nécessité que le travail de l’artiste s’inscrive dans une production artistique pour que la relation entre l’artiste et le producteur soit encadrée par la Loi, il n’en demeure pas moins qu’elle a choisi de retenir une compréhension limitée de ce qu’est une production « artistique ».

Par ailleurs, lorsque la question de l’application de la Loi au domaine du multimédia s’est posée[86], la CRAAAP a à nouveau retenu une interprétation stricte de la Loi[87]. Après avoir rappelé l’objectif général de la Loi et mentionné le fait qu’il s’agit d’une loi réformatrice, la CRAAAP choisit de s’attarder au libellé de la Loi, adoptant une méthode littérale dans sa lecture de la Loi. En particulier, la CRAAAP souligne que la définition de l’article 1 contient une énumération qui doit être considérée comme étant limitative en l’absence de termes comme « incluant », « comprend », « notamment[88] ». Elle retient de l’énumération des domaines visés que le libellé vient limiter le sens des mots « domaines de production artistique » et que l’intention du législateur était ainsi de restreindre à ces domaines précis l’application de la Loi[89].

Surtout, la CRAAAP décide que le terme « film » retenu par le législateur, à la place du terme « cinéma[90] », ne peut pas englober le nouveau mode de production du multimédia. Elle fait ce choix alors qu’elle reconnaît que ce type de production audiovisuelle est en essor en raison du développement des nouvelles technologies et qu’il implique le recours fréquent à la prestation de divers artistes qui sont « sollicités dans leur discipline respective et dans l’exercice de leur art[91] ». Elle déclare ainsi ceci :

Suivant les règles d’interprétation qui ont de façon constante inspiré la Commission, le sens courant des mots indique que, prise dans son ensemble, la production multimédia interactive ne peut équivaloir à un domaine visé par l’article 1. Il appert que le législateur n’a pas prévu assujettir l’ensemble de ce type de production à la Loi, à titre de production artistique[92].

La CRAAAP a tout de même reconnu que, si la production multimédia, dans son ensemble, n’était pas couverte par la Loi, il était possible en raison de la nature de ce mode de production qu’elle s’insère de façon ponctuelle dans une production qui, elle, est autrement englobée par la Loi (qu’il s’agisse d’un film, d’un spectacle sur scène, etc.). Dans ces cas, la CRAAAP mentionnait que la Loi trouverait alors application[93]. Cette lecture limitative de la Loi[94] a induit le législateur à modifier une seconde fois la Loi en 2004. Il clarifie son application au domaine artistique du multimédia en incluant ce terme à la liste des domaines énumérés de façon explicite à l’article 1[95].

En somme, on peut retenir que la jurisprudence de la CRAAAP pointait vers une interprétation assez limitée de ce que constitue un travail artistique couvert par la Loi, et ce, malgré la volonté expresse de la CRAAAP de suivre une interprétation large afin de donner plein effet à l’objectif de la Loi. L’entrée en scène de la CRT a apporté un changement à cet aspect.

En 2010, la CRT a dû réfléchir à la notion d’interprète contenue dans la Loi. Retenant que l’interprète est celui qui assure l’interprétation d’un rôle ou d’une oeuvre, la CRT mentionnera que, outre l’acteur, le chanteur, le musicien et le comédien, les conteurs et les poètes qui récitent des oeuvres sont aussi des interprètes. Elle adoptera une interprétation large du terme afin de conclure que les animateurs, dans le cadre d’animations historiques organisées et ayant lieu dans les rues à des fins touristiques ainsi que dans des écoles à des fins pédagogiques, sont des interprètes au sens de la Loi. Elle retient de la preuve que les animateurs « personnifient un personnage précis (jésuite, coureur des bois, fille du Roy, etc.), le tout selon un cadre et un canevas précis[96] ». Par conséquent, elle estime que, « [m]ême si cette personnification est utilisée comme outil pour mieux transmettre un contenu et des connaissances, elle demeure l’incarnation d’un personnage, d’un rôle. Ces éléments sont suffisants pour conclure que de tels animateurs répondent à la définition d’interprète[97]. »

Dans cette même décision, la CRT doit également se pencher sur la définition d’une oeuvre artistique. À ce sujet, elle refuse l’argument du donneur d’ouvrage selon lequel les animations produites ne peuvent pas être qualifiées comme étant des oeuvres artistiques en raison de leur contenu, qui vise essentiellement des fins de transmission de connaissances historiques, ethnologiques et archéologiques. La CRT précisera qu’une oeuvre demeure artistique, peu importe que son contenu comporte une dimension pédagogique, didactique, historique, scientifique, ludique ou autre[98]. Elle adopte donc à ce niveau également une lecture plus souple de ce que constitue une oeuvre artistique, décidant que la finalité de la rétention de services selon la Loi n’empêche pas la présence d’autres finalités à cette rétention de services.

Puis, dans les années qui suivent, la CRT se prononce également sur l’inclusion de fonctions artistiques techniques autres que celles expressément énumérées dans la Loi depuis sa modification de 2009. À chaque occasion, elle développe son raisonnement de manière à inclure le travail artistique technique sous la couverture de la Loi[99]. Évidemment, la modification législative n’est pas étrangère à ce changement puisque la Loi vise dorénavant des fonctions considérées auparavant par la CRAAAP comme techniques. L’article 1.2 prévoit ceci à cet effet :

Dans le cadre d’une production audiovisuelle mentionnée à l’annexe I, est assimilée à un artiste, qu’elle puisse ou non être visée par l’article 1.1, la personne physique qui exerce à son propre compte l’une des fonctions suivantes ou une fonction jugée analogue par le Tribunal, et qui offre ses services moyennant rémunération :

1° les fonctions liées à la conception, la planification, la mise en place ou à la réalisation de costumes, de coiffures, de prothèses ou de maquillages, de marionnettes, de scènes, de décors, d’éclairages, d’images, de prises de vues, de sons, d’effets visuels ou sonores, d’effets spéciaux et celles liées à l’enregistrement ;

2° les fonctions liées à la réalisation de montages et d’enchaînements, sur les plans sonore et visuel ;

3° les fonctions de scripte, de recherche de lieux de tournage et les fonctions liées à la régie ou à la logistique d’un tournage efficace et sécuritaire, à l’extérieur comme à l’intérieur, dont le transport et la manipulation d’équipements ou d’accessoires ;

4° les fonctions d’apprenti, de chef d’équipe et d’assistance auprès de personnes exerçant des fonctions visées par le présent article ou par l’article 1.1.

Ne sont toutefois pas visées par le présent article les fonctions qui relèvent de services de comptabilité, de vérification, de représentation ou de gestion, de services juridiques, de services publicitaires et tout autre travail administratif similaire dont l’apport ou l’intérêt n’est que périphérique dans la création de l’oeuvre[100].

Aussi, la CRT considère ce libellé comme ouvert et profite de cette rédaction pour adopter une position davantage inclusive. À ce titre, elle choisit de faire une lecture limitative de l’exclusion des fonctions administratives prévue par le second alinéa de l’article 1.2 en la considérant comme une exception au principe d’application de la Loi[101]. Elle retient qu’« une fonction peut comprendre un certain nombre de tâches administratives sans constituer, dans son essence, une fonction administrative[102] » et qu’elle ne sera alors pas exclue. La CRT privilégie ainsi l’inclusion, consciente que l’interprétation qu’elle retient quant à la qualification du travail a un impact sur la protection même du travailleur duquel ce travail émane. Cette conscience du rattachement du travail artistique à la personne même de qui il émane est fidèle à la nature des lois du travail. Comme un auteur le mentionnait, « [a]n important dimension of labour protection is its personal scope — the question of who is covered by labour law as opposed to some other body of law, such as commercial and general contract law[103] ». Il est donc important de se pencher également sur l’interprétation des décideurs quant au sujet visé par la Loi.

2.2 Le sujet visé par la Loi : le travailleur artiste pigiste dans un sens étendu

Contrairement à la position plus limitée de la CRAAAP quant à l’étendue de la Loi par son objet, l’interprétation de la Loi concernant le sujet qu’elle vise est plus généreuse. Pour ceux qui ont la chance d’être considérés comme travaillant à des fonctions artistiques afin de produire des oeuvres artistiques, la CRAAAP a manifesté le souci que la protection de la Loi soit efficace en pratique. D’abord, elle a décidé que le travail bénévole était couvert par la Loi, malgré l’exigence d’une rémunération en vertu de l’article 2, en autant qu’un producteur retienne les services de l’artiste en question. La CRAAAP énonçait :

En adoptant la Loi sur le statut de l’artiste, le législateur a voulu donner à ces derniers un moyen d’obtenir des conditions de travail justes et raisonnables, tout comme c’est le cas pour le Code du travail à l’endroit des travailleurs salariés. Cela implique, entre autres, le paiement de cachets convenables et, à plus forte raison, exclut la gratuité des services rendus. Admettre le droit pour un artiste de travailler gratuitement pour un producteur sous prétexte qu’il s’agit d’un loisir aurait pour effet de détourner complètement la Loi de son objectif et ignorer totalement l’intention du législateur[104].

Ensuite, après avoir défini plusieurs secteurs de négociation en incluant une exclusion expressément mentionnée concernant les salariés sans tenir de véritable débat sur cette question[105], lorsque la question de la différence entre les statuts d’artiste et de salarié et la relation entre les deux quant à l’application de la Loi a été soulevée, la CRAAAP a adopté une interprétation souple. Cette interprétation est directement influencée par la façon dont elle a nuancé les objectifs de la Loi à partir de 2003[106].

Dans l’affaire Guilde des musiciens du Québec et Cabane à sucre Chez Dany[107], la CRAAAP devait décider si l’accordéoniste engagé par la cabane à sucre pouvait être couvert par la Loi. La cabane invoquait son statut de salarié afin d’exclure l’application de la Loi et justifier son refus de négocier avec la GMMQ. Dans son raisonnement, la CRAAAP explique qu’elle doit tenir compte des articles 1, 2, 5 et 6 de la Loi. Elle souligne que l’article 5 vient préciser le champ d’application de la Loi. Il vise à limiter l’application de la Loi non pas à tous les salariés, mais plutôt à ceux dont la fonction est ciblée par une accréditation ou par un décret[108]. Comme l’article 5 prévoit une restriction au principe général inclus dans une loi d’ordre public et réformatrice, cette restriction doit être interprétée de façon étroite[109]. Au sujet de l’article 6, la CRAAAP énonce qu’il établit une présomption qui vise ceci :

[Lever] toute incertitude juridique sur le statut d’une personne qui, contrairement à la définition de l’article 2, ne travaille pas à son propre compte parce qu’elle s’oblige habituellement envers un ou des producteurs. Réputée pratiquer un art à son propre compte, cette même personne physique qui répondrait, par ailleurs, aux autres conditions de la définition d’artiste prévue à l’article 2, demeure un artiste au sens de la Loi, une condition essentielle à son application[110].

Autrement dit, même si le travailleur en question pouvait être qualifié de salarié en vertu d’autres lois du travail, la présomption de l’article 6 lui permet d’être considéré comme un artiste en vertu de la Loi. La CRAAAP concluait en soulignant que « [c]’est ainsi que le législateur a aménagé des régimes collectifs de travail connexes, de manière à ce que, à son propre compte ou non, l’artiste ne soit pas privé des avantages de l’accréditation quand elle existe ou, à défaut, de la reconnaissance accordée en vertu de la Loi[111] ». Dans le cas précis de l’accordéoniste, elle applique la présomption de l’article 6 et considère que l’exclusion de l’article 5 ne trouve pas application.

La CRAAAP réitère son interprétation de l’article 5 de la Loi dans l’affaire Alliance québécoise des techniciens de l’image et du son et Spiderwick Productions inc.. Elle y mentionne cette fois que, si les artistes pour lesquels un avis de négociation est envoyé par l’association bénéficiant de la reconnaissance légale font aussi partie d’un groupe pour lequel une demande d’accréditation en vertu du Code du travail est déposée, de manière concurrente, cela n’a pas pour effet d’entraîner l’inapplication de la Loi. L’article 5 traitant d’une accréditation, la CRAAAP considère que l’exclusion prend effet uniquement une fois qu’une accréditation est effectivement accordée[112].

En 2008, la question de l’effet combiné des articles 5 et 6 de la Loi est à nouveau débattue devant la CRAAAP[113]. Elle retient le même raisonnement que celui appliqué dans l’affaire Cabane à sucre Chez Dany, en invoquant l’effet limité de la décision de la révision judiciaire, confirmée en appel, sur son raisonnement quant au droit applicable. Elle estime ainsi que la création d’une catégorie d’artistes[114] fondée sur la définition de salarié, une notion absente de la Loi, et entraînant l’exclusion de certains travailleurs du secteur de négociation en cause, est contraire à la Loi et à son esprit[115]. À nouveau, la décision de la CRAAAP a fait l’objet d’une demande de révision judiciaire qui a été acceptée[116]. Cette décision de la Cour supérieure a une fois de plus été portée en appel. La Cour d’appel accueille l’appel et confirme le caractère raisonnable de l’interprétation de la CRAAAP. La Cour d’appel résume l’interprétation de l’article 6 de la Loi en écrivant que, « ce n’est pas parce qu’un artiste est réputé pratiquer un art à son propre compte selon la Loi, qu’il ne peut prouver qu’il est un salarié, donc soumis à un lien de subordination, pour l’application d’autres dispositions législatives[117] ». La Cour d’appel donne donc son aval à l’interprétation retenue par la CRAAAP en concluant ceci :

Les artistes qui sont des salariés, mais qui ne sont pas visés par une accréditation ou assujettis à un décret adopté en vertu de la Loi sur les décrets de convention collective, ne sont donc pas exclus du champ d’application de la Loi qui se trouve ainsi à constituer en pratique le régime de droit commun applicable à ces artistes.

Étant donné que la Loi veut remédier en partie aux difficultés socio-économiques auxquelles les artistes font face, il est logique de l’interpréter de manière large. Décider que les artistes qui peuvent être qualifiés de salariés au sens du Code du travail ne peuvent jamais être visés par la Loi revient à nier à ceux qui ne sont pas visés par une accréditation ou un décret de convention collective la possibilité de bénéficier de conditions favorables négociées avec des producteurs[118].

Enfin, la CRAAAP est appelée à se prononcer sur un dernier aspect concernant le champ d’application de la Loi lié à la possibilité que celle-ci s’applique lorsqu’un artiste agit à la fois comme artiste et comme producteur dans le cadre d’une production artistique. La CRAAAP souligne que la situation d’« autoproduction », invoquée par la partie qui refuse d’être reconnue comme producteur, et donc soumise à l’obligation de négocier avec une association d’artistes, n’est pas prévue dans la Loi[119]. Ainsi, il importe de déterminer si les services de l’artiste sont effectivement retenus pour produire une oeuvre ou pour la représenter en public. La CRAAAP considère ainsi à deux reprises qu’une entreprise qui offre à ses clients de venir sur place pour voir des spectacles de musique est un producteur au sens de la Loi[120]. Elle choisit de protéger les artistes dans leurs rapports avec ces entreprises. Dans un cas, elle le fait en refusant l’argument selon lequel ces artistes « autoproducteurs » ont une relation strictement commerciale avec un diffuseur plutôt qu’une relation de travail avec un producteur[121]. À ce sujet, elle souligne ce qui suit :

[L]a transposition sans précaution des principes applicables en droit du travail au régime particulier prévu par la Loi ne peut être retenue. Le Code civil, le Code du travail et la Loi sur les normes du travail peuvent bien parfois, à titre supplétif ou par analogie, éclairer l’interprète de la Loi, mais lorsqu’il s’agit de la relation artiste-producteur, ce sont des lois visant fondamentalement des personnes différentes et comportant leur régime spécifique. En l’occurrence, il n’est pas question d’employeur, pas davantage de salariés, mais d’artistes au sens de la Loi qui, par définition, pratiquent un art à leur propre compte et offrent leurs services. Ceci implique nécessairement un lien de subordination moins strict quand vient le moment d’établir s’il existe une relation artiste-producteur et si l’on retient leurs services[122].

La CRAAAP manifeste une sensibilité à la réalité de l’organisation du travail dans le domaine de la scène musicale pour les artistes de la relève et les petits producteurs. Elle évalue donc avec une certaine souplesse les règles de droit dégagées de la Loi afin de permettre à la Loi d’encadrer ces situations factuelles bien réelles :

Le simple fait qu’il y ait, de manière récurrente, le jeudi, vendredi et samedi en soirée, à heures relativement fixes et d’achalandage plus grand, des représentations au Sarajevo témoigne d’une volonté commune entre ce dernier et les artistes exécutants de produire ou de représenter en public une oeuvre artistique au sens de l’article 2 de la Loi. En outre, l’ensemble des conditions entourant l’entente verbale intervenant entre le Café et les artistes permet de conclure que les parties sont plutôt en situation de troc, ce qui constitue une rémunération au sens de la Loi et n’a rien d’inusité dans le milieu des bistrots, bars et restaurants[123].

La CRAAAP privilégie donc une approche souple de manière à donner effet aux objectifs de protection de la Loi[124].

Lorsque la CRT entre en scène, elle n’a pas à se prononcer quant à la question de l’application de la Loi à des artistes qui pourraient par ailleurs être reconnus comme salariés sous d’autres lois du travail. Par contre, en ce qui concerne l’application de la Loi aux artistes lorsqu’ils agissent également à titre de producteurs, la CRT adopte une position différente de la CRAAAP.

La CRT déclare dans un premier temps sans équivoque que la Loi est inapplicable à l’artiste en situation d’autoproduction puisqu’elle le protège dans ses relations avec un producteur[125]. En l’absence de producteur, la Loi est donc sans objet. Dans un deuxième temps, elle se penche sur la distinction entre la notion de producteur et de diffuseur. C’est sur cet aspect que son interprétation tranche avec celle de la CRAAAP alors qu’elle interprète la notion de rétention de services de manière plus stricte que ne le fait la CRAAAP. À ce sujet, la CRT a refusé l’interprétation avancée par l’Union des artistes (UDA) suggérant que la rétention pour la seule représentation puisse mener à une conclusion d’application de la Loi[126] :

Cette entente doit être relative à une rétention de services. Qu’un artiste ou un groupe présente un spectacle dans un lieu ne signifie pas que le propriétaire de ce lieu a conclu une entente de rétention de services avec cet artiste ou ce groupe […] l’ajout des termes « ou de représenter en public » à cette définition n’apparaît pas suffisant pour conclure à l’intention du législateur d’étendre la notion de producteur aux personnes qui achètent des représentations de spectacles déjà existants comme l’ont fait les Festivals, pour la seule raison que ces spectacles sont représentés en public[127].

De plus, dans la qualification du cocontractant, la question du contrôle et de la direction que cette personne exerce à l’égard du spectacle est considérée comme étant déterminante :

Parce qu’elle intervient dans le but de produire ou de représenter en public une oeuvre artistique, la rétention de services professionnels présuppose également que le producteur participe à la direction et au contrôle de l’ensemble du spectacle et qu’il voit à l’élaboration du projet et à sa réalisation. De même, il doit pouvoir exercer un degré de contrôle ou de direction suffisant sur les conditions de l’ensemble de la prestation de services des artistes visés. Cela dit, il faut également tenir compte, dans l’analyse, que l’artiste lui-même crée le plus souvent son spectacle si bien qu’il exerce sur son contenu un contrôle évident. À l’inverse, si la création du spectacle est faite par la même personne qui voit à sa réalisation, il y a fort à parier que cette personne en est le producteur.

[…]

De tout ce qui précède, la Commission conclut que la personne qui retient véritablement les services professionnels de l’artiste est celle qui, globalement, exerce le plus grand contrôle sur la prestation des services artistiques de l’artiste, allant de la création à la représentation, de même que sur ses conditions de travail eu égard aux aspects matériels et organisationnels de cette prestation. Les éléments appropriés à considérer pour évaluer ce contrôle sont les suivants : la sélection, l’embauche, l’assignation des tâches, la détermination de la durée des services, la rémunération, la mise en circulation et la distribution du spectacle, la supervision des représentations de même que les aspects artistiques de la prestation des artistes. Tous ces éléments doivent s’apprécier globalement, au cas par cas[128].

En révision, la Cour supérieure a confirmé l’interprétation de la CRT en considération des objectifs de la Loi sur le statut de l’artiste :

L’interprétation de la Commission s’accorde également avec l’esprit et l’objet de la Loi sur le statut de l’artiste (LSA), qui est de rétablir un équilibre de forces lors de la négociation des conditions de travail des artistes. La décision que le « producteur » est la personne « qui, globalement, exerce le plus grand contrôle sur la prestation des services artistiques de l’artiste » est cohérente avec l’objectif de la LSA de pallier aux effets pervers de ce contrôle[129].

En retenant une telle interprétation, les tribunaux empêchent de considérer le contrôle que peut exercer un diffuseur sur le travail de l’artiste par l’entremise du contrôle qu’il exerce sur la représentation d’une oeuvre. Pourtant, la CRT reconnaissait l’existence du contrôle exercé sur la diffusion de l’oeuvre par le diffuseur :

D’autre part, il faut éviter de confondre le contrôle sur une prestation de services artistiques de celui exercé par un diffuseur lorsqu’il procède à un achat de spectacle. En effet, la partie qui achète une représentation d’un spectacle exerce nécessairement un certain degré de contrôle sur l’objet de son achat, soit la représentation en question. À titre d’illustration, ce contrôle du diffuseur peut s’exercer sur le choix du lieu ou du moment de la représentation (date et heure), le prix de vente, les modalités d’accès au lieu accueillant les représentations (site ou bâtiment) ou l’utilisation de ce lieu[130].

La CRT a tout de même préféré une interprétation plus stricte de l’application de la Loi.

Conclusion

La théorie de l’interprétation des lois est invoquée par la CRAAAP et la CRT pour justifier le sens qu’elles donnent à la Loi quand vient le temps de déterminer à la fois l’objet qu’elle vise et son sujet. Ce faisant, les instances se sont attardées à identifier l’objectif de la Loi afin de convaincre que leur lecture de celle-ci était la bonne. Tant la CRAAAP que la CRT ont reconnu le caractère réformateur de la Loi, qui vise à protéger une catégorie de travailleurs. À ce titre, la Loi doit recevoir une interprétation large et libérale. Or, la revue de la jurisprudence de la CRAAAP montre plutôt que, quand est venu le temps de se prononcer sur le champ d’application de la Loi par son objet, soit en décidant ce qui constitue le travail artistique et l’art, elle a plutôt fait preuve d’une vision restreinte. Elle a surtout cherché à distinguer le travail qu’elle considère artistique de celui qu’elle qualifie de technique. Le changement législatif ayant entraîné le transfert de compétence à la CRT a eu pour conséquence une ouverture de cette dernière à cet égard. La raison de l’adoption de la modification législative visant l’élargissement explicite de la Loi aux techniciens dans les productions audiovisuelles y est évidemment pour beaucoup[131]. On note cependant que la CRT, dans le doute, a systématiquement penché vers une définition du travail artistique qui favorise l’inclusion plutôt que l’exclusion des travailleurs en cause. À l’inverse de sa position concernant l’objet visé par la Loi, la CRAAAP a adopté une approche souple quant au sujet visé par la Loi. Quand la question lui a été posée directement, elle a choisi de ne pas exclure d’emblée de la couverture de la Loi les artistes qui pourraient en même temps être considérés comme des salariés en vertu d’autres lois du travail. Elle l’a fait en apportant du même souffle une nuance à sa définition de l’objectif de la Loi. Elle a retenu une approche similaire lors de l’application de la Loi à l’artiste qui travaille de façon simultanée à titre d’artiste et de producteur dans la production de sa propre oeuvre afin d’inclure sa relation avec celui qui retient ses services comme « producteur ». Ce faisant, elle a insisté sur le caractère atypique des relations dans lequel s’inscrivent les relations artistes et donneur d’ouvrage. La CRT, sans revenir sur la question de l’inclusion des artistes pouvant bénéficier de la qualification juridique de salarié sous d’autres lois, a adopté une approche moins souple en ce qui concerne l’application de la Loi aux relations de l’artiste-producteur avec le donneur d’ouvrage.

Pourtant, pour une loi du travail, l’objet et le sujet visés sont complémentaires et peuvent tous deux influer sur la couverture effective dont peuvent bénéficier les travailleurs. Si le champ d’application de la Loi peut être restreint de façon évidente par une interprétation stricte du sujet qu’elle englobe, il peut l’être tout autant par l’adoption d’une interprétation stricte de l’objet qu’elle vise. Or, si l’on accepte l’idée que la Loi, par sa nature, doit recevoir une interprétation large et libérale, alors l’atteinte de l’objectif de la Loi devrait prendre une place importante dans l’exercice. Comme le rappelait un auteur, « [it] is generally accepted in many areas of laws and many countries that laws should be interpretated “purposively”, ie that terms in legislation should be given the meaning that best advances the purposes that the legislation is aimed to achieve[132] ». D’une part, il ne faut pas perdre de vue que derrière le travail artistique se trouve une personne. Et dans les cas d’oeuvres du domaine de la « scène, du disque et du cinéma » (auquel il faut ajouter le multimédia), ce sont souvent un groupe de personnes. Entrer dans un débat entourant la définition de ce qu’est du travail artistique en excluant certains des travailleurs au motif que, contrairement à leurs collègues oeuvrant tous à une même production, leur travail n’est que technique n’est pas souhaitable. Non seulement la décision mène à un résultat d’exclusion en pratique, mais le processus même d’une telle qualification entraîne un affront pour ces travailleurs qui se font ultimement dire qu’ils ne sont pas de « vrais » artistes. D’autre part, oublier que les modes d’organisation du travail dans les domaines artistiques visés par la Loi évoluent et qu’ils sont par essence atypiques et refuser d’englober en principe les cas où celui qui contracte avec l’artiste le fait en achetant une « oeuvre finie » plutôt que ses services pour produire une telle oeuvre peut ouvrir la porte à un choix d’organisation du travail de nature à exclure la relation du champ d’application de la Loi. Cela invite à rester vigilant. Dans tous les cas, il serait souhaitable de conserver en tête le fait suivant : « industrial relations in the arts should reflect the unique character of the arts and be inclusive of the many activities tied to the creative process[133] ». La Recommandation de l’Unesco encourageait les États à prendre des mesures pour protéger les travailleurs derrière l’oeuvre d’art. Qu’on les qualifie d’artistes ou autres et que l’on contracte avec ces personnes aux fins de produire une oeuvre ou pour se procurer une oeuvre qu’elles ont déjà produite, elles méritent une protection.