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Encore récemment, la place du commerce dans les espaces hérités du rural représentait un angle mort de l’approche en géographie, même si des thèses ont abordé, ces dernières années, cette problématique par le biais de l’accessibilité aux commerces dans les espaces périurbains et ruraux. C’est le grand intérêt de ce livre que de contribuer au défrichement de cet aspect encore trop confidentiel. L’ouvrage est issu d’un nombre important de recherches consacrées au commerce alimentaire dans la région Midi‑Pyrénées, que Pouzenc a dirigées ou auxquelles il a contribué.

Prenant pour point de départ et objet de débat la notion de « renaissance rurale » telle que proposée en 1990 par Bernard Kayser, Pouzenc présente les résultats de ses recherches en trois étapes. Dans un premier temps, il porte l’attention du lecteur sur la disparition du petit commerce alimentaire consécutive au déploiement de la Grande distribution, puis sur l’émergence de nouvelles pratiques de vente et d’achat qui contribueraient au processus de reterritorialisation du commerce alimentaire. Il boucle enfin sa réflexion en revisitant la notion de « renaissance rurale » à partir des acquis des recherches présentées dans son livre. Deux de ces acquis sont tout à fait nouveaux et convaincants, d’autant qu’ils s’appuient sur des analyses approfondies accompagnées de représentations cartographiques éloquentes.

Le premier acquis porte sur le déploiement de la Grande distribution hors des grandes villes. Pouzenc montre bien comment ce déploiement s’est effectué en deux temps avec, d’abord, l’application de modèles – différents suivant les opérateurs – dans les communes les plus importantes  ; puis, progressivement, la dissémination des surfaces alimentaires et la diversification de leurs formats, en même temps que leur adaptation aux réalités locales. Ainsi, avec le maillage territorial fin mis en place par les différents acteurs de la Grande distribution et l’effondrement du petit commerce qui a suivi, on saisit bien que l’armature commerciale actuelle des espaces hérités du rural est de nature et de répartition tout à fait différentes de ce qu’elle était au mitan du siècle dernier, sans pour autant avoir pour conséquence leur « désertification ».

Les recherches de Pouzenc mettent également en lumière le processus de réancrage territorial des activités commerciales et des pratiques d’achat par de nouvelles façons de produire, d’approvisionner et de consommer. Les travaux portant sur les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) sont particulièrement intéressants, notamment le repérage de la localisation des producteurs et des acheteurs impliqués, et le rapprochement diachronique avec les catégories de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Ces nouvelles pratiques « citoyennes » d’achat témoignent d’une sensibilité portée en particulier par de nouvelles populations attirées par les aménités de la campagne. Elles contribuent à la reformulation des problématiques agricoles, économiques, ou même anthropologiques, par le rapport renouvelé à la nature qu’elles portent. Et cette reformulation ne participe pas d’un quelconque « localisme » puisqu’on la retrouve aussi bien à l’échelle de la France métropolitaine qu’à l’échelle internationale. La figure du « terroir », avec les produits labellisés régionaux et les appellations d’origine contrôlée, largement instrumentalisée par la Grande distribution, fournit une autre preuve de ce processus de réancrage territorial.

Ces deux acquis des recherches présentées par Pouzenc justifient par eux‑mêmes le grand intérêt de l’ouvrage. Ce dernier apporte en effet un éclairage essentiel sur la manière dont la société contemporaine reconstruit en permanence son rapport productif avec ses espaces agricoles à la faveur du renouvellement des modes d’approvisionnement et de consommation alimentaires.

La contribution de l’auteur au débat urbain‑rural dénoncé en introduction paraît cependant moins convaincante, de même que sa défense de la ruralité. Mieux saisir en quoi la catégorie « rural » aide à comprendre les dynamiques du commerce alimentaire ne permet pas de faire l’économie d’une approche conjointe de ce que ce commerce est en ville, dans le périurbain et dans les espaces hérités du rural. N’assiste‑t‑on pas en effet à une « ruralisation » simultanée de la ville, du fait du développement récent de l’agriculture urbaine et de la consommation sans cesse croissante de produits locaux ou bios par les citadins ? À l’inverse, certaines pratiques d’approvisionnement alimentaire qui restent spécifiques aux espaces hérités du rural, mais qui échappent à toute logique commerciale, seraient susceptibles d’aller dans le sens d’une spécificité rurale inhérente à la prédominance d’une utilisation agropastorale du sol. On pense par exemple à l’autoproduction, au don ou au troc de produits maraîchers, fruitiers ou même animaliers, dont on constate la persistance ou le redéveloppement en réponse, notamment, aux situations de précarité de certaines populations. Le débat sur la pertinence de l’usage des catégories « urbain » et « rural », ou des notions de ruralité et de campagne – nouvelle, urbaine ou urbanisée – est loin d’être clos. Cet ouvrage l’alimente de manière experte.