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L’ouvrage dirigé par Laëtitia Dablanc et Antoine Frémont est un bilan des recherches récentes sur les flux de marchandises au sein des espaces métropolitains. Les contributions qu’il rassemble montrent que le fonctionnement de la métropole logistique est lié à sa dimension spatiale. Ce fonctionnement renvoie à des choix d’aménagement et d’urbanisme qui impliquent l’avenir. Les contributions – 11 au total – y abordent le lien, peu exploré dans la littérature de langue française, entre métropoles et logistique. Elles soulignent, d’une part, que les métropoles sont à la recherche d’une logistique de plus en plus efficace pour mieux s’intégrer à la mondialisation et, d’autre part, qu’elles en redoutent aussi les conséquences. Étonnant paradoxe, qui constitue le point de départ des chercheurs.

L’objectif des auteurs est de montrer que cette relation entre métropoles et logistiques est un aspect méconnu, mais un aspect-clé de notre économie. Aborder cette relation exige de maîtriser une multitude de sous-problématiques : insertion dans l’économie mondiale, reconversion des espaces industriels, prépondérance du système routier, report modal, reformulation des liens entre urbanisation, transport maritime et ferroviaire, étalement urbain, pouvoir des acteurs transnationaux de l’immobilier logistique et fragmentation institutionnelle. Pour les directeurs de l’ouvrage, le fait significatif est que la logistique est une fonction métropolitaine majeure. Selon eux, l’organisation logistique contemporaine montre que l’économie est loin d’être dématérialisée – au contraire. Si le système de distribution des marchandises est déployé pour rendre les services attendus, cela se fait aussi au détriment des milieux urbains, de l’environnement et de la santé publique.

Livre collectif, La métropole logistique rassemble des contributions de professeurs, de chercheurs, de chargés de cours et de postdoctorants. La première partie, constituée de trois chapitres, vient cadrer la problématique: la logistique métropolitaine (chapitre I) ; les portes internationales que sont les ports et les aéroports (chapitre II) ; et la mégarégion comme échelle de référence (chapitre III). La deuxième partie, constituée de quatre chapitres, porte sur le cas de l’Île-de-France : la région logistique (chapitre IV) ; la messagerie comme segment particulier du transport de marchandises (chapitre V) ; la grande distribution (chapitre VI) ; et le cybercommerce (chapitre VII). La troisième partie, constituée de deux chapitres, présente des cas internationaux : Atlanta et Los Angeles comme centres de distribution (chapitre VIII) et les villes et la logistique chinoise (chapitre IX). La quatrième partie, comptant également deux chapitres, traite des enjeux politiques et de gouvernance : émergence d’une industrie immobilière logistique (chapitre X) et questions d’aménagement et d’urbanisme (chapitre XII). Dans l’ensemble, les auteurs nous entraînent dans un tour d’horizon, à la fois théorique et empirique, montrant la diversité d’articulations métropoles-systèmes logistiques.

Cinq hypothèses sont avancées, en introduction, par les directeurs de l’ouvrage : 1) la logistique est fondamentale au fonctionnement des villes (les flux permettent l’approvisionnement, nécessitent de l’organisation et de l’espace de stockage) ; 2) les entrepôts s’imposent comme le coeur de l’organisation logistique (ils permettent le tri, la transformation et le regroupement ou l’éclatement des flux) ; 3) la logistique participe au processus de métropolisation (elle renforce le processus d’agglomération et favorise la compétitivité) ; 4) la morphologie urbaine est façonnée par la logistique (la périphérie est remodelée en pôles qui contribuent à effacer la distinction entre le rural et l’urbain) ; enfin, 5) l’activité logistique se fait dans des territoires habités et administrés (les métropoles, les villes et les quartiers).

Quatre chapitres retiennent l’attention. Le chapitre I constitue une analyse du rôle des zones logistiques comme lieu de création de la valeur ajoutée. Ces zones sont décrites comme des espaces planifiés visant à regrouper certains facteurs de succès : insertion internationale, géographie urbaine avantageuse, rapidité de transit, accessibilité au réseau autoroutier et capacité de groupage/dégroupage.

Dans le chapitre II, on examine le rapport entre métropoles et portes internationales ou, si l’on veut, entre métropoles et ports et aéroports. À travers ces portes, on montre que se forment les réseaux, c’est-à-dire les relations entre territoires et flux de marchandises. Les portes ont cette qualité d’agir comme lieux de rupture de charge. À travers les terminaux, s’articulent les métropoles aux hinterlands et marchés. La difficulté est que les logiques des transporteurs maritimes et aériens ne sont pas toujours compatibles avec les milieux urbains. Il peut en résulter des nuisances, de la pollution, des conflits. Afin d’éviter ces frictions et se libérer des contraintes spatiales, la tentation est grande d’« exurbaniser » les fonctions portuaires et aéroportuaires. Puisque la maîtrise du développement portuaire et aéroportuaire est une variable-clé du fonctionnement et de la compétitivité des métropoles, les administrations portuaires et aéroportuaires cherchent à se libérer des fonctions opérationnelles et des terminaux pour se concentrer sur un rôle d’intermédiaire et de co-aménageur logistique. Le chapitre III présente la mégarégion comme échelle de référence de la métropole logistique. Par mégarégion, il faut entendre une entité multi-urbaine étendue, cohérente et facilitant l’exploitation des avantages comparatifs. C’est cette échelle qui constitue, pour les auteurs, le nouveau terrain d’observation des activités logistiques. Le chapitre XI porte sur l’aménagement et l’urbanisme logistiques. Alors que les décisions d’urbanisme sont prises par les municipalités, les auteurs suggèrent que la planification des équipements logistiques devrait plutôt relever du niveau métropolitain. Ils rappellent que le fret constitue une partie des économies métropolitaines. La rationalisation du transport est d’intérêt général. En effet, le fonctionnement logistique tient du projet territorial. Malgré la domination des grands groupes logistiques et l’importance des dynamiques d’auto-organisation, la fragmentation du processus décisionnel rend difficiles l’optimisation budgétaire et les choix publics. Il en découle la nécessité de l’intervention publique sur les fonctions logistiques, afin d’apporter une plus grande coordination entre les acteurs.

En somme, l’ouvrage de Laëtitia Dablanc et Antoine Frémont apporte une contribution originale à la compréhension des rapports entre transport de marchandises et territoire des grandes villes contemporaines. Si l’examen de la littérature permet de constater que de plus en plus de scientifiques s’intéressent au sujet, il manquait à ce jour un ouvrage de facture générale ayant la qualité de présenter un certain nombre de propositions fortes, et ce, en langue française. Malgré sa centration peut-être un peu trop importante sur le cas de l’Île-de-France – le tiers du livre lui est consacré –, il est à prévoir que l’ouvrage deviendra, dans l’avenir, une référence pour le lectorat francophone – évolution qui serait pleinement méritée. En effet, par le bilan des travaux les plus récents sur le sujet, et par son traitement de la question de l’aménagement et de l’urbanisme logistique, l’ouvrage vient jeter un éclairage à la fois large et original sur les dessous des métropoles, aujourd’hui. Recommandons, pour le lecteur pressé, en plus de l’introduction, les chapitres I à III et XI. Finalement, ce livre intéressera un public universitaire. Il pourra aussi être utile aux élus municipaux, aux professionnels du champ de l’aménagement et du développement, de la logistique ou du transport.