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Introduction

Bien que de 10 à 15% de la population générale qui entend des voix n’ait pas de diagnostic ou de suivi psychiatrique (Sommer et coll., 2010), cette réalité est fréquente chez les personnes atteintes de schizophrénie. Selon une vaste recherche internationale réalisée auprès de 1 080 personnes atteintes de ce trouble, le pourcentage d’hallucinations auditives (HA) varie, selon l’origine culturelle, de 67 à 91% (Bauer et coll., 2011). Par ailleurs, les HA sont persistantes chez 25 à 50% de ces personnes malgré la prise de médicaments neuroleptiques (Newton et coll., 2005). Une approche qui a démontré son efficacité auprès de ces personnes est l’intervention de groupe, que ce soit d’ordre cognitivo-comportemental ou de soutien (McLeod, Morris, Birchwood & Dovey, 2007; Penn et coll., 2009; Rudlle, Mason & Wykes, 2011; Wykes et coll., 2005). Ce type d’intervention permet l’échange de stratégies, la hausse de l’estime personnelle ainsi que la diminution de la stigmatisation. Le groupe est un contexte privilégié pour rencontrer des personnes vivant une même réalité. Les personnes se sentent moins isolées dans leur situation, ce qui diminue la détresse vécue et est porteur d’espoir, phénomène central au processus de rétablissement.

Le Hearing Voices Network, un réseau d’entendeurs de voix[1] en Angleterre inspiré par les travaux pionniers du psychiatre social hollandais Marius Romme, a fait émerger une nouvelle façon de concevoir l’intervention auprès des personnes entendant des voix. Selon ce réseau, la présence des voix est associée à l’histoire de vie des personnes, par exemple à la suite d’un traumatisme (Romme & Escher, 2010). Dès 1988, au Royaume-Uni, le premier groupe d’entendeurs de voix a été mis sur pied et, aujourd’hui, on en dénombre environ 180 (Soucy & St-Onge, 2012). Cette nouvelle conception permet de faire part de l’expérience des personnes directement concernées par le phénomène des voix et est l’occasion de créer un milieu sécuritaire et sécurisant où ces personnes peuvent parler de ce qu’elles vivent sans se censurer et sans craindre les préjugés (Dillon & Longden, 2012; Ruddle et coll., 2011).

Dans la région de Québec, le Pavois, un organisme communautaire voué à l’intégration socioprofessionnelle et scolaire oeuvrant auprès de personnes d’âge adulte ayant un trouble mental, s’inspire de ce mouvement pour ses interventions auprès des personnes qui entendent des voix (Le Pavois, 2010). Depuis le printemps 2007, il offre le programme « Mieux vivre avec les voix », qui consiste en un groupe axé sur le soutien mutuel et la formation auprès de ces personnes. Depuis 2010, faisant suite à l’évaluation des premiers groupes (Ngo Nkouth, St-Onge, Lepage, Soucy & Savard, 2009; St-Onge, Lepage, Soucy & Savard, 2008)[2], cette intervention a été couplée à un suivi individualisé axé sur les forces et est offerte en continu. Ce suivi novateur s’inspire des principes du modèle développé par Rapp et Goscha (2006) ainsi que par Ridgway, McDiarmid, Davidson, Bayes et Ratzlaff (2009). Ce suivi a pour objectif de permettre aux personnes de s’engager dans des projets significatifs dans une optique de rétablissement, c’est-à-dire de remplir des rôles sociaux valorisants. Dans son mandat, l’organisme vise le développement de l’employabilité grâce à des stages en milieu de travail qui sont réalisés dans divers secteurs soit dans des organismes reliés à la santé mentale, des entreprises ou encore des établissements publics.

À notre connaissance, au Québec, aucune intervention de groupe pour les personnes entendant des voix n’a combiné cette approche à un suivi individualisé axé sur les forces dans le but de potentialiser leurs aspirations et éventuellement favoriser une plus grande participation sociale. Dans cette perspective, notre recherche s’appuie sur un modèle novateur et il faut considérer ses résultats comme étant émergents. L’objectif de cet article est donc de traiter de la perception chez les personnes entendant des voix de cette nouvelle façon de faire en lien avec leur participation sociale. Dans les prochains paragraphes, nous présentons des résultats de recherche issus d’écrits scientifiques permettant de démontrer l’efficacité et les bienfaits de l’intervention de groupe auprès des personnes qui entendent des voix. Le modèle axé sur les forces duquel s’inspire le suivi individualisé au Pavois est également présenté. Par la suite, nous exposons la méthodologie de l’étude[3], une partie des résultats et leurs interprétations sous l’angle du modèle bioécologique. Les principales limites de cette étude à prendre en considération ainsi que des pistes pour l’intervention en travail social concluent l’article.

L’intervention de groupe auprès des personnes qui entendent des voix dérangeantes

Différentes recherches ont présenté les effets des interventions de groupe auprès de personnes atteintes de schizophrénie entendant des voix. Nous faisons d’abord un survol de quelques-unes d’entre elles. Penn et ses collaborateurs (2009) ont comparé les effets d’un groupe de thérapie cognitive (n = 32) avec un groupe de thérapie de soutien (n = 33) auprès de ces personnes. Ils ont fait ressortir des effets bénéfiques chez les deux groupes, mais après 12 mois, seulement les participants du groupe de soutien démontraient une diminution de leurs croyances négatives par rapport aux voix. Ces auteurs concluent que le groupe de soutien a eu plus d’impact sur les voix alors que le groupe de thérapie cognitive a eu un impact général sur les symptômes psychotiques. McLeod et ses collègues (2007) ont démontré quant à eux la supériorité de l’intervention de groupe par rapport à la thérapie individuelle auprès de ces personnes. Dans une méta-analyse sur les mécanismes de changement et l’efficacité de ces groupes, Ruddle et ses collaborateurs (2011) présentent, entre autres, les interventions de groupe auprès des entendeurs de voix comme étant une occasion pour les personnes de ressentir différents effets bénéfiques : la réduction du stress causé par les voix, l’échange d’une expérience commune au sein du groupe et l’identification de différentes stratégies pour composer avec les voix.

La recherche évaluative réalisée à la suite des deux premières moutures du groupe offert au Pavois a fait ressortir des facteurs thérapeutiques tels que : la formation, l’universalisation de l’expérience, la révélation de soi, le sentiment d’appartenance, la déstigmatisation et enfin l’instillation de l’espoir (Ngo Knouth, St-Onge & Lepage, 2010; Yalom & Leszsz, 2005; Wykes et coll., 2005). La participation au groupe est lié également à une diminution de la détresse par rapport aux voix, à une diminution de la fréquence des voix et à un changement du contenu qualitatif des voix (Ngo Nkouth et coll., 2009; St-Onge et coll., 2008). Par ailleurs, à l’instar des chercheurs britanniques s’intéressant à ce phénomène, nous avons constaté un lien entre un degré plus élevé de dépression et la nature malveillante des voix (St-Onge, Lepage, Ngo Knouth & Breault-Ruel, 2013). Ce type de résultats suggère l’importance de travailler avec les voix, c’est-à-dire de comprendre l’origine de ces voix et le sens qu’elles ont pour la personne, en partant du système de croyances des personnes (Kingdon & Turkington, 2005; Romme & Escher, 2012)[4]. Le groupe « Mieux vivre avec les voix » adhère à ce principe de travailler à partir du système de croyances de la personne tout en ajoutant, ce qui fait son originalité, un suivi individualisé axé sur les forces.

Le suivi communautaire axé sur les forces

Dans le modèle axé sur les forces, duquel s’inspire le suivi individualisé, on considère comme une condition sine qua non que les forces de la communauté soient combinées à celles des personnes ayant un trouble mental afin que ces dernières atteignent leurs buts en s’intégrant dans un « créneau habilitant » (Rapp & Goscha, 2012; Ridgway et coll., 2009; Saleebey, 1996). Les « forces » renvoient aux qualités, aux talents, à la culture des personnes et de la communauté (Saleebey, 2009). On entend par « créneau habilitant » un milieu qui permet aux personnes de potentialiser leurs forces et leurs aspirations. Le fait de s’inscrire dans un tel créneau a pour objectif que ces personnes participent pleinement à la communauté au même titre que toute autre personne. Il ne faut pas oublier que les voix servent de compagnons en l’absence d’une intégration concrète dans un réseau social (St-Onge, 2013). Rapp et Goscha (2012) insistent par ailleurs sur le fait que ce créneau se situe en dehors des ressources en santé mentale, dans un milieu où les personnes ne sont pas étiquetées en fonction de leur diagnostic, mais considérées à part entière et égales aux autres. Ils insistent également sur l’intégration, avec soutien, au marché régulier de l’emploi pour ces personnes ou l’intégration dans des activités valorisantes. Bien que le soutien d’un intervenant au sein d’un organisme en santé mentale soit déterminant pour la personne ayant à franchir plusieurs barrières à son intégration, une relation de confiance et de collaboration doit se développer avec une personne de la communauté, ce qui facilite par la suite l’intégration et la participation dans un créneau au sein de cette communauté (Rapp & Goscha, 2012).

Présentation des deux volets du suivi offert au Pavois

Les rencontres du groupe « Mieux vivre avec les voix » ont lieu hebdomadairement et ont une durée de deux heures. Chaque rencontre est divisée en deux parties distinctes. Tout d’abord, les personnes partagent le déroulement de la semaine précédente en faisant part des activités qu’elles ont réalisées, de l’influence des voix durant la semaine, etc. À travers les différents témoignages, les personnes se soutiennent mutuellement. Ensuite il y a un partage d’informations sur des stratégies pour composer avec les voix. Concernant le suivi individualisé axé sur les forces, l’agent de rétablissement accompagne chacune des personnes dans l’exploration d’un mieux-être par rapport à ses voix et dans son processus de rétablissement. Il amène la personne à cibler un projet auquel elle souhaite prendre part. Celui-ci prend en considération les choix, capacités et aspirations de la personne. Ensuite, il prend contact avec une ressource de la communauté dans laquelle la personne pourra actualiser son projet ou son rêve.

Les aspects méthodologiques

Dans le cadre de cette recherche respectant un devis qualitatif, les informations ont été colligées par l’intermédiaire d’un canevas d’entrevue bâti spécifiquement pour ce projet. L’objectif était de recueillir la perception des répondants relativement à la combinaison de l’intervention de groupe au suivi individualisé axé sur les forces. Avant de réaliser les entrevues, la première auteure a eu l’opportunité d’assister à des séances de groupe afin d’observer le fonctionnement et d’établir un premier contact auprès des participants. Les règles éthiques stipulées par le Comité d’éthique et de la recherche de l’Université Laval (CÉRUL) ont été respectées et le comité a approuvé la réalisation du projet. Le projet a été présenté dans le cadre d’une séance du groupe « Mieux vivre avec les voix ».

Les participants à l’étude

Pour être éligibles à l’étude, les participants devaient prendre part au groupe et au suivi individualisé depuis au moins 6 mois. Ils devaient également avoir été présents à 70% des rencontres, ceci dans le but qu’ils puissent mieux témoigner de leur expérience. Sept personnes prenaient part au groupe, l’échantillon final est constitué de six personnes qui répondent aux critères d’inclusion pour participer à cette recherche. Il s’agit de trois femmes et trois hommes âgés entre 41 et 53 ans qui composent avec des voix dérangeantes et qui bénéficient d’un suivi psychiatrique. Considérant que selon l’approche du groupe on s’intéresse aux voix sous un angle autre que celui des troubles mentaux, nous ne nous sommes pas arrêtés à connaître spécifiquement le diagnostic des participants. Les personnes composant notre échantillon participaient au groupe depuis une période variant de 1 à 5 ans et bénéficiaient d’un suivi individualisé depuis une période allant de 6 à 15 mois. Ces personnes sont toutes célibataires et deux d’entre elles ont un enfant. Aucune n’a d’emploi rémunéré et la plupart sont prestataires de la sécurité du revenu.

Le déroulement des entrevues

Pour recueillir les données, une entrevue individuelle semi-structurée a été réalisée auprès de chacun des participants. La durée moyenne de chacune de ces entrevues fut d’une heure vingt minutes. Les questions étaient ouvertes, ce qui permettait aux participants de s’exprimer librement. La première entrevue réalisée a fait l’objet d’un prétest afin de veiller le plus possible à ce que les questions soient justes et pertinentes. Comme il n’y a pas eu de changements majeurs apportés au guide d’entrevue par la suite, les réponses de l’entrevue initiale ont été conservées lors de l’analyse.

L’analyse des données

Les entrevues ont été transcrites sous forme de verbatim. L’analyse a débuté par une lecture flottante de chaque verbatim pour prendre connaissance des données recueillies dans leur ensemble. Une analyse plus précise, question par question, a ensuite été réalisée pour pouvoir comparer les différents éléments de réponse. Ces éléments ont été catégorisés, ce qui a permis de créer une grille de codifications et de codifier l’ensemble du verbatim (Taylor-Powell & Renner, 2003). Quelques exemples de catégories sont présentés au Tableau 1.

Tableau 1

Quelques éléments de la grille de codification

Quelques éléments de la grille de codification

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L’ensemble des thèmes a été codé en fonction des catégories prédéterminées et des catégories émergentes (L’Écuyer, 1987). Lorsque la codification fut terminée, les citations les plus marquantes liées à chacun des codes ont été ressorties et nous avons procédé à la validation de la grille par une entente inter-juges de trois personnes. Un accord de 70% a été atteint, ce qui augmente la fiabilité des résultats (Mayer et coll., 2000). Les différentes données ont été mises en relation afin d’en dégager des thématiques. Au Tableau 2, nous présentons les thèmes abordés lors de cette entrevue ainsi que des exemples de questions posées. Dans le cadre de cet article, seuls les trois derniers thèmes sont abordés.

Tableau 2

Thèmes abordés et exemples de questions posées aux participants

Thèmes abordés et exemples de questions posées aux participants

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Les résultats : la combinaison du suivi de groupe et du suivi individualisé

Les effets positifs de la participation au groupe

Le suivi de groupe combiné au suivi individualisé a permis à la majorité des participants de cheminer dans leur processus de rétablissement. La participation au groupe a entraîné une diminution de la présence des voix et de leur emprise dans la vie des personnes : « C’est surtout le groupe qui [est responsable de] mon changement, ça m’a beaucoup aidé. Avant j’entendais des voix quand je travaillais, en arrivant chez moi, en mangeant; j’en entendais tout le temps »[5]. Toutefois, ce n’est pas chez l’ensemble des participants que cela a été remarqué. Certains continuent à entendre autant de voix et la relation qu’ils ont avec celles-ci ne s’est pas modifiée. Le fait d’avoir des difficultés d’ordre social, dans le milieu de vie ou dans le stage semble amener une augmentation de la présence des voix.

Malgré cela, la participation au groupe permet à la majorité des participants d’avoir davantage confiance en eux-mêmes et de se centrer sur le positif, ce qui est une source d’espoir : «L’image que j’ai de moi-même a évolué, je me considère maintenant comme une bonne personne. Avant, je pensais ça aussi, mais mes voix me disaient que je n’étais pas une bonne personne […] » Les participants rencontrent des gens vivant une même réalité, ce qui est déterminant dans le rétablissement. Chez certains, de solides amitiés se sont créées et s’actualisent en dehors de l’organisme. Toutefois, ce n’est pas tout le monde qui ose entretenir ce réseau en dehors du groupe. La participation au groupe a également amené certaines personnes à interpréter l’expérience d’entendre des voix de façon différente : « Plus ça va et plus je m’aperçois que les voix ce n’est pas nécessairement un problème de santé mentale, ce n’est pas parce qu’on entend des voix qu’on est malade ». Par ailleurs, la plupart ont affirmé ne pas partager le vécu relié à leurs voix aux membres de leur famille, principalement en raison de leur crainte par rapport à d’éventuelles réactions : « Mes parents, mes frères et mes soeurs m’ont aidé en me jasant. Je ne leur parle pas de mes voix par contre, on parle des autres aspects de ma vie. »

L’ajout du suivi individualisé

Le suivi individualisé axé sur les forces est inspiré du modèle de Rapp et Goscha, qui a pour objectif que les personnes concrétisent leurs forces dans le cadre d’un projet de vie qu’elles pourront actualiser dans la communauté. Parmi les participants, quatre personnes avaient eu l’occasion de réaliser des rêves tels que d’améliorer leur apparence ou d’assister à des spectacles. Ici, la notion de rêve renvoie à une réalisation circonscrite dans le temps tandis qu’un projet de vie a une visée à plus long terme, soit l’actualisation de la personne. À cet égard, deux personnes étaient en démarche avec des organismes dans le but de réaliser un projet de vie, mais celui-ci n’était pas encore concrétisé au moment de l’entrevue.

À titre d’exemple, le projet de vie d’un participant est le désir d’un retour au travail en tant qu’intervenant. Pour parvenir à cet objectif, la personne a bénéficié d’un stage dans une ressource communautaire[6]. Ici la notion de stage renvoie à une expérience en pré-employabilité pour solidifier les habiletés socioprofessionnelles (savoir-faire, savoir-être) dans le but de se rapprocher du marché régulier. Il demeure important de distinguer un stage en milieu de travail d’un emploi sur le marché compétitif. À cet égard, la moitié des répondants ont mentionné leur désir d’avoir un travail rémunéré sur le marché compétitif : « J’aimerais ça faire vraiment un retour au travail […] ça peut être du temps partiel ou du temps plein, mais entre le faire et être capable de le faire c’est deux [choses différentes] parce que ça fait quand même plusieurs années que je ne travaille pas du tout ».

Nous avons observé que les personnes engagées dans un projet de vie significatif ont davantage de perspectives futures et identifient de façon plus claire une force personnelle à actualiser, des objectifs qu’elles souhaitent atteindre afin d’élargir leur réseau, de se redéfinir et de concrétiser leurs buts, ce qui correspond à des éléments essentiels du processus de rétablissement. Les différentes mises en action permettent aux personnes d’apprendre à se définir au-delà des voix, elles sont davantage connectées à elles-mêmes et retrouvent plaisir à la vie : « J’ai retrouvé le plaisir de pratiquer mon loisir […]. C’est ça que ça m’a apporté [le suivi individualisé]. C’est comme si je ressens plus la fibre de la personne que je suis, malgré les voix. Je suis moins envahi par l’extérieur ». Un participant partage que l’identification de son projet de vie et les démarches faites en ce sens lui ont permis de « trouver son chemin ». Pour la majorité des participants, le suivi individualisé a plutôt été une occasion de raviver un rêve circonscrit dans le temps et de le réaliser. Cette occasion privilégiée leur a permis de vivre un moment de réussite. Certains participants ont également amorcé un stage en milieu de travail axé sur leurs intérêts et compétences. Chez la majorité des participants, cette mise en action a procuré des bienfaits tels que l’augmentation de la confiance en soi et de l’estime personnelle ainsi que la diminution de la présence des voix. Bien que la combinaison de l’approche de groupe et du suivi individualisé semble apporter des bénéfices intéressants chez les participants, il va de soi qu’au coeur du processus de rétablissement se retrouve la personne elle-même et qu’il est crucial qu’elle s’y investisse afin d’évoluer.

Discussion

La perception des participants relativement au suivi offert au Pavois : une perspective axée sur les forces

Les bienfaits rendus possibles grâce au suivi de groupe concordent avec les résultats d’études antérieures. L’ajout du suivi individualisé semble permettre des bienfaits supplémentaires entre autres grâce à la réalisation de rêves qui est un élément déclencheur du processus de rétablissement. Toutefois, c’est surtout dans le cadre des démarches en lien avec la réalisation d’un projet de vie que les personnes se projettent dans le futur et amorcent des démarches permettant de concrétiser leurs objectifs personnels en lien avec leurs forces.

Selon le modèle axé sur les forces, il est fondamental que les personnes développent une relation de confiance avec une personne inscrite dans un créneau habilitant pouvant les accompagner et les épauler dans leur cheminement (Rapp & Goscha, 2012). Les personnes rencontrées dans le cadre de cette recherche ne semblent pas avoir créé de tels liens dans la communauté, mais la relation entretenue avec l’agent de rétablissement semble déterminante et leur a permis d’éveiller des rêves et de cheminer.

Par ailleurs, en ce qui concerne le Pavois, il est difficile d’appliquer le modèle axé sur les forces dans son intégralité puisque son mandat est orienté vers le développement de l’employabilité qui vise un accompagnement dans un milieu de stage. L’organisme s’inspire toutefois du modèle en accordant une place importante aux rêves, aux forces des personnes et à leurs projets. L’engagement dans un milieu de stage peut en outre représenter un tremplin pouvant potentiellement mener les personnes à être actives sur le marché du travail ou prendre part à des activités valorisantes. Lorsque les personnes obtiennent un emploi régulier, elles sont soutenues par ÉquiTravail, un organisme dont le mandat consiste à accompagner les personnes dans le marché régulier de l’emploi.

Il y a tout de même des effets positifs qui semblent ressortir de l’expérience de stage vécues par certaines personnes. Dans ce contexte, elles ont pu être mises en contact avec des partenaires de la communauté et de telles rencontres pourront leur permettre de se réaliser dans une activité valorisante dans la communauté ou encore d’intégrer le marché du travail régulier, comme ce fut le cas pour la personne actuellement en emploi. Il s’agit alors d’un pas de plus dans leur cheminement qui permet aux personnes de constater qu’elles ont des capacités au même titre que tout le monde : « Même si je suis en stage, je me suis rendu compte que je travaille pareil comme un autre ». Il ressort néanmoins que l’actualisation des personnes dans un milieu de la communauté est plus aisée lorsqu’il y a une démarche en lien avec un projet de vie. Une telle démarche implique que la personne soit accompagnée dans son processus par des gens du milieu afin que son intégration se fasse graduellement et selon ses forces. Il ne faut pas que les mises en action dépendent de la présence des intervenants, d’où l’importance de créer un lien significatif au sein du créneau où est intégrée la personne. Sinon, les personnes présentant un trouble mental risquent de fréquenter les lieux qui leur sont spécifiquement destinés, ce qui risque d’entrainer une ghettoïsation (Ramon, Healy & Renouf, 2007; Rapp & Goscha, 2012).

Être en contact et actif au sein des ressources fréquentées par la population favorise l’intégration dans la société, la participation à la communauté et aide à diminuer la marginalisation et l’oppression dont peuvent être victimes les personnes entendant des voix (Lawton Barry, Zeber, Blow & Valenstein, 2003; Rapp & Goscha, 2012; Watkins, 2007). Ces personnes possèdent des forces qui les distinguent et sont capables de contribuer à la vie en société comme toute autre personne. Cette contribution pourrait passer par l’intégration au sein d’un travail compétitif accompagné d’un soutien (Crowther et coll., 2001 dans Charles 2009; Rapp & Goscha, 2012). Toutefois, il doit d’abord y avoir un travail de sensibilisation et d’éducation auprès de l’ensemble des partenaires.

La participation sociale sous l’angle du modèle bioécologique de Bronfenbrenner

Pour analyser la participation sociale des répondants à la recherche, nous avons utilisé le modèle bioécologique de Bronfenbrenner qui s’intéresse aux relations entre la personne et les systèmes de son environnement dans lesquels elle est inscrite (Bronfenbrenner, 2005). La personne et son environnement sont constamment en interaction et s’interinfluencent. Nous mettons ici l’accent sur le contexte dans lequel évolue la personne, ce qui renvoie aux cinq principaux systèmes : l’ontosystème, le microsystème, le mésosystème, l’exosystème et le macrosystème.

L’ontosystème renvoie aux caractéristiques biopsychosociales de la personne selon trois dimensions : (1) celles qui agissent comme stimuli sociaux pour les personnes de l’entourage qui encouragent ou à l’inverse inhibent le processus d’interactions réciproques, (2) celles qui concernent les dispositions personnelles, comme une orientation plus ou moins active des personnes vers les autres, et (3) enfin les ressources individuelles qui se développent tout au cours de la vie (Drapeau, 2008). Relativement à l’ontosystème, nous avons été en mesure de constater que chaque personne possède des caractéristiques déterminantes dans son cheminement. Plus particulièrement, les personnes en processus de réaliser un projet de vie ont mis leurs habiletés au coeur de leur éventuel projet, ce qui démontre l’importance de partir de ses propres ressources. Un travail plus personnalisé dans le cadre du suivi individualisé axé sur les forces est donc une occasion pour chacun de prendre conscience de ses talents et d’identifier des façons concrètes dans lesquelles il est possible de les mettre en application et devenir ainsi plus « attrayantes » pour leur entourage.

Le microsystème comprend les milieux dans lesquels la personne est directement inscrite par exemple sa famille, son travail ou un organisme communautaire (Drapeau, 2008; Tudge, Mokrova, Hatfield & Karnik, 2009). Chacun des participants est impliqué dans différentes microsystèmes. Le réseau social et familial ainsi que le milieu de vie ont inévitablement une influence sur ce cheminement. La plupart des participants semblent satisfaits de leur réseau et de leur milieu de vie, mais lorsqu’ils y rencontrent des difficultés, cela a des impacts sur la présence des voix. Le suivi offert a permis l’intégration des personnes dans un microsystème central, soit le groupe « Mieux vivre avec les voix ». Au moins deux des facteurs thérapeutiques de groupe préalablement identifiés lors des premières évaluations (Ngo Knouth, St-Onge & Lepage, 2010) sont ressortis des entrevues individuelles. Les personnes ont constaté qu’elles ne sont pas seules à vivre la réalité d’entendre des voix renvoyant à l’universalisation de l’expérience : « Le groupe c’était le premier endroit où je pouvais partager avec d’autres personnes un phénomène à peu près semblable, qui peut prendre des dimensions différentes ». L’instillation de l’espoir est également déterminante dans leur expérience. Cet espoir est généré par les échanges dans le groupe, mais aussi par ceux suscités avec l’agent de rétablissement dans le cadre du suivi individualisé qui permet d’éveiller les rêves des personnes : « [L’agent de rétablissement] a parlé souvent des rêves réalisés, qu’on peut les faire pour nous autres ». L’ajout du suivi individualisé a également permis aux personnes d’être inscrites dans un nouveau microsystème, soit le lieu correspondant à la réalisation de leur rêve ou de leur stage.

Le mésosystème correspond aux différentes interactions entre ces microsystèmes (Bonner, 2004). Il peut s’agir des interactions entre un employeur et un membre de la famille. Si l’accent était encore davantage mis sur la réalisation d’un projet de vie, cela permettrait aux personnes d’intégrer différents milieux et ainsi, il pourrait y avoir des interactions entre ces milieux et les personnes qui les composent. La réalisation d’un projet de vie offrirait la possibilité aux gens d’être davantage en contact avec les milieux de la communauté et ainsi d’être intégrés et actifs au sein de nouveaux microsystèmes. À ce jour, ces interactions correspondent principalement à des relations au sein d’un système qui s’extériorisent dans un autre, par exemple rencontrer une personne dans le cadre du groupe et la côtoyer dans des activités extérieures. Davantage d’interactions entre les systèmes favoriserait le rétablissement des personnes entendant des voix, mais permettrait également aux gens de la communauté d’être informés et sensibilisés à la réalité que vivent ces personnes.

L’exosystème renvoie aux milieux ou instances dans lesquels la personne n’est pas directement engagée, mais qui ont une incidence sur sa vie (Drapeau, 2008) par exemple, les politiques gouvernementales. L’impact de ce système est également ressorti dans les témoignages des participants. Ces derniers ont abordé leur situation économique, qui dépend, pour la plupart, de l’assistance financière gouvernementale (Loiselle, Bourdaleix-Manin, Potvin & Joly, 2011). Certains sont limités dans leurs activités en raison de leur revenu. Lorsque les personnes sont en stage, un montant supplémentaire de 100$ leur est alloué mensuellement. Cette limite est fixée afin de ne pas avoir d’impact sur le montant alloué par la sécurité du revenu (Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, 2012). Une telle mesure est une arme à double tranchant puisque bien que les personnes aient davantage d’argent par mois, elles craignent de prendre un emploi qui parfois ne dépasse guère ce montant, en plus d’offrir des conditions précaires et de perdre certaines couvertures offertes par la mesure (Charles, 2009). Les mandats des différents organismes font également partie de l’exosystème. Rapp et Goscha (2012) énoncent que les organismes de développement de l’employabilité limitent l’intégration des personnes au sein de la communauté, car leur mandat confine les personnes dans des milieux de stage et limite l’accès au marché du travail régulier. Pourtant, inciter la personne à intégrer un emploi sur le marché compétitif rapidement est plus efficace que de passer par les programmes de réintégration à l’emploi (Corbière & Lecomte, 2009; Corrigan, Mueser, Bond, Drake & Solomon, 2008; Latimer & Lecomte, 2002). Toutefois, de tels programmes représentent une étape que certaines personnes ont besoin de franchir afin d’accéder au marché du travail ou de s’engager dans des activités valorisantes. Cependant, dans la perspective du modèle axé sur les forces on met de l’avant l’importance de « faire un pas de plus » (Rapp & Goscha, 2012), c’est-à-dire « d’oser » prendre des risques, entre autres de perdre certains bénéfices pécuniaires. Ce « pas de plus » conduira éventuellement les personnes à réduire leur anxiété à réintégrer le marché du travail. Un des aspects peu documentés de leur difficulté à réintégrer le marché de l’emploi consiste en effet en l’évitement de situations jugées à risque entre autres liées aux voix qu’elles entendent; ce phénomène contribue malheureusement à augmenter leur anxiété (Trower, Birchwood & Meaden, 2010).

Le macrosystème comprend les croyances, les valeurs, les us et coutumes et la culture d’une société (Malo, 2000). Cela peut référer aux préjugés de la société à l’égard des personnes qui entendent des voix. Ces préjugés affectent le processus de rétablissement. La société a tendance à étiqueter les personnes comme étant « malades », ce qui influence négativement leur perception d’elles-mêmes. La peur de la réaction des autres limite les personnes à partager ce qu’elles vivent, même à leurs proches et à des gens de confiance (Rapp & Goscha, 2012). Au quotidien, les personnes ont peu d’occasion de parler de leur réalité (Newton, Larkin, Melhuish & Wykes, 2007), mais le fait de participer à un groupe de soutien permet de pallier cela (May & Longden, 2010). Bien que le suivi novateur ait des bénéfices sur la perception que les personnes ont d’elles-mêmes, certaines ne se considèrent pas comme « Monsieur et Madame tout le monde », elles ne se considèrent pas « normales ». De plus elles ont de la difficulté à en parler à l’extérieur du groupe, même à leur famille. L’intégration des personnes passe par une normalisation de leur expérience et cela ne peut se faire que si l’on réduit les écarts de perception entre les personnes entendant des voix et celles n’en entendant pas. La réalisation de rêves et de projets de vie est un facteur contribuant à la normalisation, puisque cela amène certains participants à considérer qu’il leur est possible d’avoir des rêves, de les réaliser et qu’ils possèdent des forces et des capacités.

Les principales limites de l’étude

Une des limites de cette recherche est le fait d’être basée sur un échantillon restreint, mais considérant que la quasi-totalité des membres du groupe a participé à notre projet, nous pouvons supposer que les résultats représentent une réalité des personnes entendant des voix dérangeantes. Il faut également prendre en considération la subjectivité des réponses qui peuvent être teintées de désirabilité sociale à l’égard de l’intervieweuse et également des services offerts par l’organisme. Il est possible que les personnes aient voulu offrir un point de vue favorable en lien avec leur cheminement et les services de l’organisme. Malgré ces limites, les éléments ressortis par les participants permettent d’avoir un aperçu global de leur perception relative au suivi offert et nous avons été soucieuses d’être le plus rigoureuses possible dans l’ensemble de la démarche.

Pistes pour l’intervention en travail social

Le Commissaire à la santé et au bien-être (2012), à la suite d’une vaste consultation auprès de la population québécoise, soutient que les programmes en lien avec l’intégration socioprofessionnelle devraient viser le travail sur le marché compétitif de l’emploi pour les personnes ayant un trouble mental et ce, en les accompagnant dans leurs démarches en se basant sur leurs besoins et leurs forces. En théorie, selon les nouveaux guides de pratique élaborés à la suite de la Loi 21, les travailleuses et travailleurs sociaux devraient axer leurs interventions selon l’optique du rétablissement et sur le modèle axé sur les forces (Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux, 2011). Dans cette optique, il apparait fondamental qu’ils considèrent les forces et les aspirations des personnes de même que les forces de la communauté. Leur travail doit tenir compte des sphères dans lesquelles évolue la personne et une attention doit être portée sur tous les facteurs influençant sa situation. Un travail orienté vers l’approche axée sur les forces permettrait la concrétisation d’un projet de vie dans un créneau habilitant en vue de développer un sentiment d’appartenance et d’élargir son réseau.

Il est important également que les intervenants prennent eux aussi des risques et osent faire un pas de plus pour adhérer à une vision du rétablissement, mais aussi de changer leurs pratiques avec les personnes qui entendent des voix. Ce travail a historiquement été réservé aux psychiatres. Mais comme le soulignent Cameron et McGowan (2013), les personnes qui entendent des voix n’adhérant pas au langage de la psychiatrie biologique se voient parfois accuser de manquer d’insight et taxer de personnes résistantes au traitement. Ce langage, par ailleurs, est expérimenté par les personnes comme une voix malveillante et oppressive; donc de façon paradoxale, ceci accentue leur détresse (Cameron & McGowan, 2013). Ces auteurs invitent donc les travailleuses et travailleurs sociaux dans le domaine de la santé mentale à écouter activement les voix de ces personnes et à contribuer à valider leur expérience. Cameron et McGowan (2013) font également ressortir, à l’instar de Romme et Escher (2010), le lien qui existe entre une expérience traumatique dans l’enfance ou l’adolescence et le fait d’entendre des voix. Selon Kingdon et Turkington (2005), il est impératif d’identifier les éléments pertinents au trauma même s’il est survenu plusieurs années avant les symptômes psychotiques. Dans le contexte d’un traumatisme, des auteurs influents suggèrent la réécriture de l’expérience traumatique dans le but de l’intégrer dans son histoire de vie et y donner un sens (Allen, 2001; Coleman & Smith, 2007; Cyrulnik, 2012). Dans cette optique, les travailleuses et travailleurs sociaux pourraient s’inspirer de la thérapie narrative développée par Michael White pour contribuer à ce que les personnes qui entendent des voix « réécrivent » leur histoire dans un contexte de sécurité et d’attachement (Allen, 2001).

Il est également important de continuer à mettre de l’avant l’éducation et la sensibilisation de la population, des professionnels et des familles. À cet effet, la stigmatisation ne frappe pas seulement les personnes qui entendent des voix, mais également leur famille. Le rétablissement des familles doit être mis de l’avant dans l’intervention. En tant que microsystème, les familles sont un élément clé dans le cheminement des personnes et il est important qu’elles soient épaulées, qu’elles reçoivent du soutien et que leur rôle soit valorisé (Commission de la santé mentale du Canada, 2009; 2012). Une famille mieux informée est plus à l’écoute, plus ouverte et plus présente dans le cheminement de la personne. Dans cette optique, il serait intéressant que des groupes de soutien sur le phénomène des voix soit développés pour leur venir en aide. Enfin, des interventions d’ordre de l’action sociale de la part de travailleuses et travailleurs sociaux pourraient contribuer à faire modifier les politiques sociales liées à l’intégration à l’emploi pour les personnes aux prises avec un trouble mental. Dans ce contexte le modèle bioécologique de Bronfenbrenner pourrait être un précieux outil conceptuel pour l’évaluation du fonctionnement social dans le but d’orienter l’opinion professionnelle des travailleuses et travailleurs sociaux vers un plan d’action basé sur des pratiques habilitantes pour les personnes qui entendent des voix.

Conclusion

L’objectif de cette recherche était d’évaluer, dans une perspective qualitative, la participation à un suivi de groupe combiné à un suivi individualisé axé sur les forces sur la participation sociale des personnes entendant des voix. Ce suivi a permis aux personnes de faire de nouvelles rencontres, mais peu de liens se sont développés en dehors du contexte de l’organisme. Néanmoins, l’ajout du suivi individualisé a permis des mises en action qui ont rehaussé l’estime des personnes, de leur procurer un sentiment de fierté et de diminuer la présence des voix. Toutefois, la majorité des personnes ne sont pas davantage intégrées dans des milieux de la communauté. Une telle intégration permettrait non seulement d’être dans la communauté, mais également d’y participer. Le suivi novateur offert à l’organisme a amené des bienfaits qu’il est important de considérer, entre autres les mises en action et la réalisation de rêves, mais il reste encore du travail en ce sens et cela sera possible dans un contexte de partenariat avec les différentes instances de la communauté. Nous devons tous travailler en collaboration afin qu’il n’y ait plus de distinctions entre les personnes entendant des voix et les autres membres de la communauté.