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Introduction

Alors que la plupart des bibliothèques universitaires du Québec (BUQ) voyaient l’infrastructure matérielle de leur système intégré de gestion de bibliothèque (SIGB) en fin de vie, le projet d’un partenariat (PBUQ) sous l’égide du Bureau de coopération interuniversitaire (BCI) en vue d’acquérir une plateforme de services de bibliothèque (PSB) en infonuagique s’est rapidement concrétisé.

Ainsi, au terme d’un appel d’offres, le produit WorldShare Management Services (WMS) d’OCLC ainsi que l’outil de découverte Discovery ont été retenus en juin 2019. Outre les particularités propres aux différents modules de cette plateforme de services, la nouvelle approche collaborative du catalogage dans la base bibliographique WorldCat d’OCLC dans laquelle travailleront désormais les établissements BUQ s’avère complètement différente des pratiques locales antérieures.

La migration des catalogues des différents établissements s’est déroulée en juin 2020 et les différentes équipes de traitement documentaire ont commencé à évoluer dans ce nouvel environnement. Ce texte se veut un premier bilan et une réflexion générale sur l’intégration des établissements francophones BUQ dans ce nouveau cadre de travail et du mode collaboratif pour le traitement documentaire dans WorldCat[1].

La plateforme WMS

WMS représente l’un des nombreux PSB disponible dans un marché hautement compétitif. Les données les plus récentes (Breeding, 2020) indiquent qu’il a été implanté dans 627 bibliothèques dont 477 possèdent un profil académique. Bien que se déployant à l’international, les instances de WMS se concentrent essentiellement sur le territoire américain avec 536 établissements, soit 85,4 % des installations. Tous les modules traditionnels d’un SIGB sont présents en plus d’une composante dédiée spécifiquement à la gestion des ressources numériques.

Soulignons qu’à l’échelle internationale, les établissements BUQ représentent le consortium possédant le catalogue collectif le plus important à avoir adopté WMS. Cette présence permettra assurément de sensibiliser OCLC devant les préoccupations de la communauté francophone et d’influencer certains aspects du développement futur de WMS (BCI, 2020).

Pour le traitement documentaire, sa caractéristique principale demeure l’accès aux notices bibliographiques du réservoir WorldCat[2]. Ainsi, une bibliothèque utilisant WMS

(…) would manage its local collection by attaching item-specific records to its holdings as represented in WorldCat

Breeding, 2015 : 31

Toutefois, dans l’espace francophone de WorldCat, l’apparente simplicité de ce modèle est souvent complexifiée par la grande occurrence des doublons et par la forte présence de notices d’origine européenne créées à l’aide d’autres normes de catalogage. Terminons en précisant que le réservoir de notices WorldCat demeure central dans les diverses opérations de traitement bibliographique et dans les différents services offerts par OCLC.

Catalogage collaboratif

L’adhésion des établissements BUQ à ce PSB en infonuagique signifie la mise en place d’un catalogue commun alimenté par la base bibliographique, WorldCat, et l’éventuelle adoption de pratiques de traitement documentaire collaboratives.

À l’exception du réseau de l’Université du Québec[3] qui, déjà, possédait un catalogue collectif et fonctionnait en mode collaboratif, toutes les autres bibliothèques travaillaient isolément, chacune avec ses pratiques locales, multipliant de cette façon le travail consacré au traitement documentaire. Par conséquent, le catalogage d’une ressource documentaire était effectué par chacun des établissements BUQ avec une certaine « couleur » locale, notamment au niveau de l’indexation et des notes. De plus, chaque établissement possédait et gérait son propre fichier d’autorités. On devine aisément à l’échelle globale des bibliothèques l’aspect répétitif de certaines tâches : une même ressource documentaire décrite séparément par différents établissements de même que la création de notices d’autorité pour identifier les mêmes entités.

De plus en plus, en vue d’optimiser les efforts déployés en matière de traitement documentaire, on assiste à un regroupement d’établissements partageant une base bibliographique commune[4]. En effet, la création de notices bibliographiques

(…) if individually replicated in the thousands of libraries around the world, it would be a laborious and costly endeavor, particularly if each record was hand-curated by experts in library sciences. It absolutely made sense in the world of digital information that efficiencies could be gained by having the network of libraries share both the work and their data collaboratively, thereby reducing unnecessary duplication and improving overall quality across the network

Carpenter, 2022

Les avantages découlant d’un modèle de catalogage collaboratif sont nombreux. Par exemple, présentant le Program for Cooperative Cataloging[5] (PCC), un représentant de la Library of Congress soulignait particulièrement : un meilleur accès aux ressources documentaires ; un catalogage plus fiable (par le biais de l’harmonisation de pratiques) et plus performant (résultant en moins de validation à effectuer) ; un catalogage plus rapide (car de moins en moins de catalogage original) ; un catalogage plus économique et la résolution de problèmes par la synergie du réseautage (Bishoff et Patton, 2020 : 214).

L’avantage principal du catalogage collaboratif peut se définir simplement par le bénéfice collectif découlant d’une intervention réalisée par un membre :

When one member library makes a correction or addition, all members libraries benefit

Copeland et Freeborn, 2010 : 129

Outre la réalisation ponctuelle de catalogage original, la tâche du catalogueur à l’intérieur d’une base bibliographique commune consistera essentiellement

(…) to verify this descriptive data against their item in hand and amend as needed. (…) In some instances, the cataloger may wish to edit the record they have found or enhance it with additional information. These changes can be made to the shared version of the record, making the process truly cooperative

Dobreski, 2021 : 234

Avec ce catalogue collectif, on présume qu’à l’échelle des établissements BUQ

(…) les besoins pour les tâches traditionnelles de traitement des collections diminueront

Couturier, 2019

Le modèle proposé par WMS (une notice par langue de catalogage par manifestation) avec les notices cataloguées en français du réservoir WorldCat suggère justement cette orientation.

En prévision de cette collaboration consortiale gravitant autour d’une base bibliographique commune, les effectifs des équipes BUQ du traitement documentaire ont été progressivement réduits depuis quelques années.

De plus, le regroupement des établissements BUQ dans un catalogue unique a coïncidé avec l’implantation du Programme francophone des autorités de noms (PFAN) permettant de contribuer à la base Canadiana, base d’autorités de noms francophones[6] créée et gérée par Bibliothèque et Archives Canada. Ce programme est calqué sur le modèle du Name Authority Cooperative Program (NACO) et désormais la création des points d’accès autorisés (agents, lieux, oeuvres, expressions) dans les notices bibliographiques suivra les directives du PFAN et s’arrimera à Canadiana[7]. Les équipes BUQ du traitement documentaire ont reçu une formation pour la création, la gestion et la bonification de ces notices d’autorité en avril 2020.

Le réservoir WorldCat

WorldCat représente incontestablement la base bibliographique la plus volumineuse disponible actuellement sur le marché. En effet, en décembre 2021, plus de 534 millions de notices bibliographiques peuplaient ce réservoir. Parmi les 483 langues de catalogage représentées (OCLC, 2022), l’anglais prédomine avec 203 millions (39 %) de notices, tandis que le français représente numériquement la troisième langue (9 %) se positionnant derrière l’allemand (12 %).

L’une des fonctions principales de la base WorldCat est de mettre à la disposition des membres des notices bibliographiques qui seront dérivées dans des catalogues locaux, sans oublier le signalement des fonds des bibliothèques pour faciliter le prêt entre bibliothèques. Il faut signaler que la majorité de ces notices est versée régulièrement en lot à partir des catalogues locaux par les établissements membres tandis que seule une infime fraction est créée directement dans WorldCat via WMS ou Connexion[8]. Les établissements ayant adopté WMS travaillent directement et exclusivement[9] dans WorldCat, en utilisant les notices disponibles avec la possibilité de les modifier ou d’en créer de nouvelles.

Les barrières pour les notices entrantes s’avèrent relativement poreuses afin de maximiser la rétention de nouvelles notices bibliographiques versées dans le réservoir pour le bénéfice des membres. Celles-ci sont clairement identifiées par un niveau d’enregistrement[10] propre à OCLC. Par la suite, lorsque ces notices seront validées ou bonifiées par un catalogueur, leur niveau d’enregistrement sera modifié afin de refléter la nature du changement.

Le modèle du catalogage collaboratif dans WorldCat implique l’utilisation, la bonification et l’enrichissement de ces notices par les membres pour le bénéfice de tous les membres. Aux interventions effectuées par les catalogueurs s’ajoutent également de nombreux processus d’enrichissement automatisé des notices par OCLC[11].

Cet immense réservoir, en expansion constante et ininterrompue, poursuit néanmoins deux fonctions difficiles à concilier : d’une part, une base bibliographique accueillant des notices d’origines et de qualités variables, et, d’autre part, un espace de travail balisé par diverses directives collaboratives émanant d’OCLC[12]. L’accumulation dans WorldCat de notices provenant de différents établissements ayant des pratiques différentes et une compréhension différente des règles de catalogage affectera la qualité des données. Inévitablement, cette base contiendra des

(…) errors, incomplete information, or missing access points, subject headings, and classification numbers

Hoffman, 2019 : 244

Profil des notices cataloguées en français

WorldCat permet l’accès à 47 M de notices cataloguées en français. Parmi les principaux producteurs de ces notices[13], nous observons que 16,2 M proviennent de la Bibliothèque nationale de France (BNF), l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur (ABES) y contribue à hauteur de 8,6 M, le Réseau des bibliothèques de la Suisse occidentale (RERO) à 7,9 M et les BUQ 4,9 M, suivis par Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) avec 1,3 M et par Bibliothèque et Archives Canada (BAC) avec 0,75 M.

Figure 1

Principaux fournisseurs/créateurs de notices francophones dans WorldCat

Principaux fournisseurs/créateurs de notices francophones dans WorldCat

-> See the list of figures

En analysant rapidement ces données, deux caractéristiques fondamentales émergent de cet ensemble : 95,96 % de l’ensemble des notices cataloguées en français ont été versées en lot[14] par différents établissements, donc de qualité variable et qui devront être nécessairement validées. De plus, la majorité des notices cataloguées en français disponibles dans WordCat sont des notices d’origine européenne créées selon le code AFNOR[15] qui diffère passablement du RDA, norme utilisée par les établissements francophones québécois.

Cette dernière caractéristique aura un impact indéniable sur le travail de catalogage. En effet, l’utilisation d’une notice WorldCat codée AFNOR devra être convertie à la norme RDA et corrigée manuellement. De plus, la forme des points d’accès devra également être corrigée et, éventuellement, ceux-ci devront être arrimés à la base d’autorités Canadiana.

Gestion et modélisation des métadonnées

Véritable tour de Babel bibliographique, l’organisation des notices dans WorldCat est effectuée par langue de catalogage. Ainsi, pour une même manifestation, il y aura des notices parallèles, c’est-à-dire cataloguées en différentes langues[16]. L’architecture de base est simple : une seule notice par langue de catalogage par manifestation, c’est la notice WorldCat (antérieurement dénommée notice maîtresse). Cette notice de référence sera utilisée par tous les membres d’OCLC pour du catalogage dérivé ou éventuellement pour une validation et une bonification dans l’espace WorldCat. Elle se veut la plus complète possible et certaines de ses métadonnées seront affichées[17] dans l’outil de découverte Discovery.

Pour les établissements utilisant WMS et l’outil de découverte Discovery (c’est-à-dire le catalogue Sofia pour les établissements BUQ), toute donnée à portée locale sera transcrite et enregistrée dans une composante nommée Données Bibliographiques Locales (DBL) qui correspond, ni plus ni moins, à un bloc distinct de la notice WorldCat formé de zones locales. Ces données ne doivent pas être présentes dans la notice WorldCat[18]. Une fois enregistrées dans la DBL, elles seront visibles et affichées uniquement dans l’instance locale de Discovery de l’établissement concerné.

Puis, toutes les données portant sur l’exemplaire seront enregistrées dans une Notice de Fonds Locaux (NFL) qui est, en fait, une notice MARC pour les fonds. Ainsi, pour les ressources documentaires physiques, la modélisation des métadonnées se veut tripartite et se distribue sur trois blocs de données, dont l’un (DBL) demeure facultatif.

Les points d’accès autorisés (1XX, 7XX, 6XX) feront appel à des thésaurus hébergés[19] dans WMS. Compte-tenu de la nature propre des notices provenant de différentes sources,

OCLC WorldCat is not under authority control. Many entities are represented by more than one form of heading in OCLC WorldCat

Yee, 2011 : 127

Les notices européennes cataloguées en français selon AFNOR illustrent bien cette situation : la forme des points d’accès est construite différemment et ceux-ci sont associés à une base d’autorités différente de celle utilisée par les BUQ. Cette absence de contrôle d’autorité pour les noms de personne peut affecter la recherche par l’index auteur.

Migration des notices bibliographiques des catalogues locaux

L’intégration des catalogues au réservoir WorldCat et l’utilisation de WMS ont entraîné la perte de métadonnées créées par les établissements BUQ. En effet, lors de la migration des notices de chacun des catalogues, une correspondance était effectuée entre la notice entrante BUQ et une notice WorldCat. Si une notice cataloguée en français, décrivant la même manifestation, existait dans WorldCat, les fonds de l’établissement BUQ étaient arrimés à cette notice. Ainsi, toutes les données de la notice entrante étaient évacuées au profit de la notice WorldCat. Toutefois, quelques zones absentes de la notice WorldCat pouvaient être ajoutées par le contenu de certaines zones[20] de la notice entrante. Par ce phénomène de correspondance et d’arrimage, une proportion significative des notices BUQ se sont ainsi associées à des notices de WorldCat codées AFNOR ou à des notices de qualité inférieure[21].

De plus, cette migration impliquait

(…) the potential loss of local data that may have been added to the bibliographic record in the local system

Bordeianu et Kohl, 2015 : 280

Signalons que préalablement à la migration, les BUQ ont dû prévoir la sauvegarde et le transport des données locales (9XX, 59X, etc) ou de données provenant de zones spécifiques qu’ils voulaient conserver dans WMS, c’est-à-dire dans les DBL. Toutefois, selon les stratégies adoptées par chaque établissement, lors de l’association de la notice entrante à une notice WorldCat, de nombreuses zones de notes 5XX, des points d’accès en 7XX ainsi que des sujets 6XX n’ont pas été conservés, effaçant ainsi à jamais des métadonnées propres aux établissements BUQ. L’intégrité du patrimoine bibliographique des BUQ a été passablement altérée par le passage vers WMS et l’adhésion à WorldCat.

Contrôle de qualité

La quantité astronomique de notices bibliographiques composant le réservoir WorldCat représente un défi constant au niveau du contrôle de la qualité. En effet, les activités de catalogage dans WorldCat sont essentiellement représentées par du catalogage dérivé (Copeland et Freeborn, 2010), d’où l’importance de la qualité des données représentées par les notices mises à la disposition des membres.

Ce contrôle de qualité ne doit pas être perçu uniquement comme un idéal à atteindre mais doit répondre à des impératifs économiques. En effet, si le personnel du traitement documentaire doit évaluer des doublons en vue de sélectionner la notice qui leur apparaît la plus conforme ou doit effectuer des corrections, cela affectera leur productivité (Copeland et Freeborn, 2010). WorldCat ne devrait contenir qu’une seule notice par langue de catalogage pour chaque manifestation représentée.

Il existe de nombreux doublons dans le réservoir WorldCat. À titre d’exemple, une recherche pour Voyage au bout de la nuit de Céline, publié dans la collection Folio, n° 28, donne 27 notices cataloguées en français[22]. Quelle est la bonne notice ? Laquelle choisir ?

Productivity decreases when catalogers have to evaluate duplicate records and choose between them (…) This problem has grown exponentially in recent years as we now look at many records and try to discern “the best”

Copeland et Freeborn, 2010 : 140

Ce choix ne touche pas uniquement les catalogueurs, mais également le personnel des acquisitions qui, lors d’une commande, doit sélectionner une notice du réservoir.

Dans un espace collaboratif aussi vaste que WorldCat, la validation et la correction des notices par les membres peuvent contribuer également à affecter la qualité de celles-ci, notamment lorsque

(…) some catalogers who did not follow the agreed-on national standards for making corrections in bibliographic records would either remove accurate information or add incorrect data elements. »

Copeland et Freeborn, 2010 : 140-141

On le constate aisément, rien n’est simple avec une base bibliographique de cette taille utilisée par de multiples acteurs provenant de différents horizons.

Les actions mises de l’avant par OCLC pour assurer ce contrôle de qualité sont réalisées par un mécanisme automatisé, le Duplicate Detection and Resolution (DDR), par les efforts de l’équipe du Quality Control[23] d’OCLC et par un programme volontaire de fusion manuelle impliquant les établissements membres.

Le DDR

Un peu à l’image d’un système immunitaire veillant sur l’intégrité de WorldCat, la mission du DDR est d’identifier des doublons de notices représentant une manifestation dans le réservoir et de les fusionner pour ne conserver qu’une seule notice[24]. Celle-ci pourra éventuellement conserver certaines données provenant de la notice fusionnée. Ce mécanisme a connu une première version en 1991 s’appliquant uniquement au format du livre imprimé. Une nouvelle version fut élaborée en 2005 et englobait alors de nouveaux formats. Ce mécanisme automatisé vérifie sur une base quotidienne les nouvelles notices entrantes ainsi que les notices modifiées afin de détecter un éventuel doublon[25]. Entre 2009 et 2020, 843 M de notices ont été traitées, permettant ainsi de supprimer 50,1 M doublons, ce qui correspond à 5,94 % du total des notices soumises au DDR (Weitz, 2020).

Malgré des résultats positifs obtenus, OCLC est toutefois conscient que le

(…) DDR is an automated process, and no matter how painstakingly we have planned, designed, developed, and tested, no such process can ever be as exacting as a human cataloger. (…) Given the sheer size of WorldCat, the wide expanse of cataloging practices, and the seemingly infinite variety of errors that both human and automated creators of bibliographic records can make, DDR is imperfectible, in spite of our best efforts.

Weitz, 2020

La mise en place d’une gouvernance au sein des BUQ

Avant le choix de la PSB et en préparation de la migration des données bibliographiques, un groupe du PBUQ, le Groupe de travail Description et métadonnées (DESMET) amorçait une réflexion sur une approche consortiale concernant la description des contenus et des métadonnées dans un espace collaboratif. DESMET avait d’ailleurs émis plusieurs recommandations à l’intention du futur groupe permanent.

Une fois la migration complétée, le Groupe de travail du traitement des ressources documentaires (GTTRD), structure permanente, formé d’un président ainsi que d’un représentant de chaque établissement de même qu’un des coprésidents du Groupe de travail des bibliothèques universitaires du Québec pour les autorités (GT BUQ-Autorités) a pris la relève avec le mandat général

(…) d’opérationnaliser la vision consortiale définie dans les principes directeurs par le Sous-comité des bibliothèques en matière de traitement documentaire, en accord avec les Principes directeurs pour le traitement des notices bibliographiques établis par le Groupe de travail Description et métadonnées et en tenant compte des règles propres au fournisseur.

GTTRD, 2020

Parmi les nombreuses responsabilités découlant de ce mandat, retenons notamment celles d’encourager le développement d’un esprit partenarial basé sur la collaboration et le partage de bonnes pratiques, celle de susciter l’émergence de communautés de pratiques répondant à des besoins particuliers en matière de traitement de ressources documentaires et permettant ainsi de soutenir l’harmonisation des politiques et le travail collaboratif et celle d’évaluer et de répondre aux besoins de formations relatives au traitement des membres du BUQ. Et, se profilant derrière ces préoccupations, l’usager est toujours placé au coeur des décisions.

Pour répondre efficacement à des besoins exprimés par les équipes de traitement documentaire BUQ, trois communautés de pratique ont été créées[26] et ont commencé leurs activités : une, nommée généraliste, préoccupée par divers aspects touchant le catalogage indépendamment du format, une traitant spécifiquement le matériel didactique et une sur le catalogage et les autorités des ressources musicales. Ces communautés, composées d’experts,

(…) permettront de consulter l’ensemble des participants sur des points précis de traitement documentaire, de partager des compétences et de s’assurer d’une interprétation commune des normes et/ou format de catalogage (RDA, MARC 21). Les directives et/ou orientations qui découleront des rencontres des participants seront rendues accessibles par l’intermédiaire d’une plateforme web.

GTTRD, 2021a

Plateforme de diffusion des recommandations consortiales

Bien qu’OCLC prodigue des directives relatives au catalogage dans sa documentation, les établissements BUQ veulent assurer une certaine constance et des pratiques communes dans leur travail collaboratif en tenant compte du contexte francophone. La disponibilité et la création d’une documentation consortiale s’avère ainsi d’une importance capitale pour le bon fonctionnement des activités de traitement documentaire.

Une plateforme de diffusion[27] est actuellement en phase de construction. Des règles éditoriales, des mécanismes de communication entre les communautés de pratique, le GTTRD et le comité éditorial, de même que le formatage de l’information sont actuellement en voie d’élaboration afin de d’alimenter cette ressource.

Dans l’esprit des membres du GTTRD et des différentes équipes de traitement documentaire BUQ, la présence et l’actualisation en continu de cette plateforme regroupant les recommandations issues des communautés de pratique concrétisera véritablement la dimension consortiale de leur action dans WorldCat. N’oublions pas que les établissements BUQ représentent la première communauté francophone d’importance active[28] dans l’espace WorldCat. Elle peut suggérer et instaurer des pratiques qui pourront éventuellement être utiles à de futurs membres francophones.

Modification du DDR : contexte francophone

Nous l’avons signalé précédemment, une très forte proportion des notices cataloguées en français de WorldCat sont d’origine européenne, s’alignent sur les règles AFNOR, et, en quelque sorte, demeurent lointaines des règles RDA.

Dans un premier temps, le GTTRD a élaboré un tableau de conversion[29] manuelle des notices AFNOR en RDA qui a été soumis et approuvé par OCLC. Ainsi, lorsque la notice disponible sur laquelle devait s’accrocher la ressource documentaire était codée en AFNOR, elle était transformée manuellement en RDA. Ce travail de conversion représente une étape supplémentaire pour les équipes de traitement documentaire.

Avec le temps, les équipes de catalogage des établissements BUQ remarquèrent que des notices créées et codées en RDA disparaissaient et se retrouvaient fusionnées dans des notices entrantes AFNOR. Le DDR appliquait aveuglément son algorithme sur la base de la langue de catalogage sans tenir compte du code de catalogage. Pour les notices cataloguées en anglais qui sont essentiellement codées RCAA2 ou RDA, ces différents codes ont peu d’impact puisque ces deux codes ont une filiation historique et conceptuelle commune tout en ayant sensiblement les mêmes PAA en 1XX et 7XX. Mais la situation est différente pour les notices cataloguées en français !

OCLC fut informé de cette situation et le GTTRD proposa un correctif basé sur l’intégration du code de catalogage identifié en 040 $e pour déterminer la notice conservée. Sans entrer dans les détails techniques, mentionnons qu’OCLC a priorisé dans le processus de fusion du DDR pour les notices cataloguées en français celles ayant la règle RDA et un niveau d’enregistrement complet ou minimal. Désormais, la fusion des notices cataloguées en français tient compte du code de catalogage[30] et du niveau d’enregistrement.

En plus de ce mécanisme automatisé, il existe chez OCLC un programme de fusion manuelle des doublons. Pour le moment, seulement deux établissements BUQ[31] ont entamé cette formation et, d’ici peu, pourront fusionner localement des doublons. Ce travail de fusion manuelle sera effectué uniquement sur les notices ayant un fonds chez l’un des établissements BUQ. Éventuellement, d’autres établissements se joindront à ce programme.

Enrichissement des notices

Le contrat conclu avec OCLC stipulait la création d’un mécanisme automatisé d’enrichissement des notices, c’est-à-dire la conversion de sujets RVM en ses équivalents LCSH, MeSH et AAT. Et inversement. À ce moment-ci, cette automatisation est pratiquement opérationnelle. C’est grâce aux zones d’équivalence 75X des notices du RVM que cet enrichissement automatisé a pu être intégré dans WMS. Ce mécanisme ajoutera de nouveaux points d’accès sujets pour le repérage et, de ce fait, permettra d’augmenter la découvrabilité des ressources documentaires.

Figure 2

Enrichissement des accès sujets à partir des LCSH (650 _0) présents dans la notice

Enrichissement des accès sujets à partir des LCSH (650 _0) présents dans la notice

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Les ressources numériques[32]

L’un des avantages du PSB sur les SIGB est illustré par

(…) a technical architecture better able to meet new expectations surrounding the movement towards greater numbers of electronic and digital materials -particularly amongst university libraries

Benedetti, 2022 : 14

De plus en plus, le développement des collections documentaires des établissements BUQ s’appuie sur les ressources numériques, et la récente pandémie a accéléré cette tendance.

Dans WMS, le module Gestion des collections permet la gestion des accès vers ces ressources. À cet effet, il existe une base de connaissance pour les ressources numériques alimentée par les fournisseurs et les établissements membres. Le contenu de ces données demeure essentiellement en anglais et celui émanant des fournisseurs ne peut être modifié par les équipes locales de traitement documentaire.

WMS tire parti de la base bibliographique de WorldCat en liant les accès numériques à des notices, ce qui permet le repérage et l’affichage des ressources numériques dans Discovery. Certaines de ces ressources ne sont liées à aucune notice bibliographique au moment de l’activation de la ressource : il faut alors repérer une notice présente dans le réservoir WorldCat ou en créer une[33].

De plus, parallèlement à la base de connaissance, des mécanismes automatisés distincts opérant dans l’outil de découverte Discovery vont associer un accès numérique à une notice. Souvent, cet accès est attaché à un format différent de la ressource et à une langue différente. L’objectif de ce mécanisme est de lier un accès numérique à une notice représentant la ressource, indépendamment du format et de la langue, pour des fins de repérabilité dans Discovery.

Devant la quantité colossale de ressources numériques pour lesquelles les établissements BUQ ont un accès pérenne ou temporaire par un abonnement, ou dans le cadre de certains modèles d’acquisitions[34], il demeure utopique et irréalisable de créer une notice cataloguée en français pour chacune de ces ressources. Des choix sont donc effectués, en fonction des besoins de chaque établissement et de leur capacité de traitement. L’enrichissement automatique des sujets permettra, à tout le moins, d’intégrer des points d’accès français dans des notices cataloguées en anglais et, d’une certaine façon, permettra la découvrabilité de ces ressources numériques dans l’outil de découverte[35].

Le module Gestion des collections fait l’objet de développements périodiques de la part d’OCLC afin d’en améliorer l’efficacité[36].

Bilan : que nous réserve l’avenir ?

Après légèrement plus de deux années à travailler ensemble dans l’environnement WorldCat en mode consortial avec l’outil WMS[37], nous pouvons maintenant esquisser un premier bilan et formuler certaines interrogations.

La notice Worldcat, même si elle a été validée, enrichie et bonifiée par un établissement BUQ ne devient pas la notice consortiale des établissements BUQ, elle est la notice de tous les membres d’OCLC utilisant WorldCat. Ainsi, elle est susceptible à tout moment d’être modifiée soit par des membres ou soit par un des nombreux mécanismes automatisés qui sillonnent inlassablement le réservoir. Cette simple constatation a toutefois pris un certain temps à se cristalliser dans l’approche de certaines équipes de catalogage. Des chaînes de travail et des processus de traitement liés à des pratiques locales antérieures[38] ont largement contribué, au début, à une certaine forme de mésadaptation face à l’environnement WorldCat.

OCLC mise essentiellement sur l’autoformation par l’intermédiaire du contenu de ses pages Web. La documentation disponible n’a pas été adaptée au contexte et aux préoccupations de la communauté francophone. Souvent, lorsque disponible[39], elle n’est qu’une mauvaise traduction de la version originale anglaise. De plus, les principes fondamentaux d’OCLC guidant l’action des catalogueurs sur les notices WorldCat demeurent vagues et sujets à de nombreuses interprétations. Bien que les équipes BUQ aient au fil du temps assimilé l’essentiel en vue de travailler dans le réservoir, la disponibilité incomplète et la qualité inégale de cette documentation en français a néanmoins passablement ralenti l’intégration.

Il faut constamment conserver à l’esprit que le réservoir WorldCat est un environnement dynamique, sans cesse fluctuant. Ainsi, les notices WorldCat se caractérisent par une grande diversité des normes d’entrée, des niveaux d’enregistrement et de la qualité des métadonnées inscrites qui contribuent à la prolifération de doublons. Plusieurs notices cataloguées en français pour une même manifestation sont disponibles et il faut que le catalogueur sélectionne celle qui s’avère la plus complète et, au besoin, la bonifier.

Mentionnons également la prépondérance des notices AFNOR dans l’espace francophone et la présence de fournisseurs européens[40] versant régulièrement d’énormes quantités de notices. Cette forte densité de notices européennes AFNOR a un impact indéniable sur le travail des établissements BUQ. En effet, souvent, la notice sur laquelle devra être accrochée les exemplaires d’un établissement BUQ sera une notice AFNOR. Il faudra alors convertir manuellement en RDA, créer les points d’accès et éventuellement les arrimer à la base Canadiana. Dans cette situation, il n’y a aucun gain de productivité !

Pour les établissements francophones BUQ, travailler directement dans WorldCat implique beaucoup d’efforts pour « nettoyer » cet espace qui sera utile non seulement aux membres BUQ mais aux membres de WorldCat. La structure de WorldCat fait que le travail est effectué pour l’ensemble des membres de WorldCat ayant des préoccupations différentes et non uniquement pour les membres BUQ.

Le consortium ne dispose pas d’un espace dans WorldCat contenant ses propres notices, d’un sous-ensemble indépendant du réservoir où les notices seraient formatées selon les directives des BUQ à l’intention des établissements BUQ. Faudrait-il éventuellement songer à l’instar du Program for cooperative cataloging (PCC) à instaurer une version francophone, ce qui permettrait une certaine cohérence des notices créées par le consortium et qui ne pourraient être modifiées par des membres hors-communauté ?

Le modèle actuel de WorldCat s’assimile à un gigantesque entrepôt recueillant et abritant des millions de notices créées à l’origine par différentes bibliothèques. Ces notices, par la suite, sont enrichies par des mécanismes automatisés et par le travail des membres travaillant directement dans WorldCat. Ces notices ont été transformées et diverses métadonnées s’y agglutinent au fil du temps, quelquefois de façon incohérente. La notice WorldCat doit être perçue comme une notice brute utile dans un contexte de catalogage dérivé où elle sera transformée ultérieurement selon les besoins d’un catalogue local. Indéniablement, la grande force de WorldCat réside comme source dans les activités de catalogage dérivé.

À notre avis, les difficultés surgissent lorsque l’on intervient directement dans l’espace WorldCat où les opérations de traitement documentaire visent essentiellement à conserver, préserver et corriger toutes les métadonnées peuplant la notice WorldCat en tenant compte des différentes directives d’OCLC. Sans compter les nombreux mécanismes automatisés de contrôle de qualité et d’enrichissement[41] qui peuvent modifier à tout moment les notices. Le catalogueur perd une certaine souplesse d’exécution et une certaine part de contrôle dans l’exécution de son travail.

Le jugement du catalogueur est davantage sollicité[42], ce qui présuppose une certaine expérience permettant de soupeser la valeur et la justesse des métadonnées, de choisir parmi plusieurs doublons et d’y effectuer éventuellement une bonification.

La dépendance de plus en plus marquée devant les notices WorldCat de qualité variable provoquera à moyen long terme une érosion de notre expertise en traitement documentaire, puisque nos équipes feront de moins en moins de catalogage original[43].

À l’intérieur d’un réservoir de la taille de WorldCat où les notices sont d’origine et de qualité variable, nous n’avons guère le choix que de relativiser l’importance de la cohérence de la description bibliographique, c’est-à-dire sortir d’un gabarit unique. Il faut s’assurer simplement que les métadonnées de la notice décrivent correctement la manifestation afin de répondre aux besoins de l’usager.

Descriptive cataloging is not intended to yield a perfect representation of a resource. Rather, it is meant to support the needs of catalog users, capturing crucial metadata needed to perform functional tasks (i.e. find, identify, select, obtain, explore) and allow the catalog to answer user’s questions. Combined with other cataloging data, descriptive cataloging yields functional bibliographic records that power the catalog and, ultimately, serve the needs of the user.

Dobreski, 2021 ; 238

Désormais, l’effort du traitement documentaire des établissements BUQ sera plutôt orienté sur les points d’accès autorisés liés à la base d’autorités Canadiana plutôt que sur l’uniformité de la description bibliographique. Ce travail rigoureux sur les points d’accès, réglementé par les directives du PFAN, permettra ultérieurement l’utilisation de ces données dans le web sémantique. Ici, encore, cet effort est en grande partie limité par la disponibilité des équipes de travail des établissements BUQ.

Dans ces conditions, au niveau du traitement documentaire (bibliographique), il demeure illusoire d’afficher une certaine couleur consortiale propre aux établissements francophones BUQ dans WorldCat. Pour le moment, nous ne disposons pas encore d’une masse critique de notices cataloguées en français. L’atteinte de cette masse critique prendra de nombreuses années.

Devant les particularités de cet écosystème bibliographique et dans une perspective à long terme, la question qu’il faut se poser est la suivante : Worldcat, et par extension WMS, représente-t-il l’espace de travail et l’outil idéal qui convient le mieux aux besoins d’un catalogue consortial des établissements francophones BUQ ? N’y aurait-il pas lieu de considérer d’autres options ? La question est posée…