Article body

Introduction et problématique

Entre novembre 2021 et mars 2022 se tenait une enquête inédite dans le milieu bibliothéconomique québécois : l’Enquête sur les services jeunesse dans les bibliothèques publiques du Québec. Menée par les autrices de cet article, cette enquête se voulait une réponse au manque de données scientifiques sur les services jeunesse des bibliothèques publiques québécoises – manque soupçonné de longue date, et confirmé en 2019 par une revue de la littérature sur la profession de bibliothécaire jeunesse, qui faisait par ailleurs ressortir un regain d’intérêt, observé depuis au moins une décennie, des bibliothèques publiques québécoises pour les publics jeunesse (Cloutier-Marenger, 2019, 2-3).

Fortes de ces constats, nous nous sommes donné comme objectif de dresser le portrait des services jeunesse offerts dans les bibliothèques publiques de la province. Plus précisément, nous avons cherché, d’une part, à définir les publics jeunesse eux-mêmes ainsi que les services qui leur sont proposés (en général et dans un contexte d’urgence comme celui de la pandémie de COVID-19) ; d’autre part à définir la formation, les caractéristiques, les compétences et les responsabilités des prestataires de services jeunesse en bibliothèque publique.

Dans cet article, dans la même optique que celle de notre communication au récent Congrès des professionnel.le.s de l’information (CPI) 2022, nous présenterons plus particulièrement les résultats de cette enquête qui portent sur la collaboration dans les services jeunesse des bibliothèques publiques du Québec. Si ceux-ci montrent indéniablement que la prestation de services jeunesse s’y fait majoritairement à plusieurs mains, impliquant des collaborations et des partenariats[1] avec une variété de milieux, d’organismes ou d’individus d’horizons divers – suivant en cela les recommandations de la Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques (mieux connue sous l’acronyme anglais IFLA) dans ses IFLA Guidelines for library services to children aged 0-18 (2018, 8-9) –, qui sont précisément les collaborateurs ou les partenaires des bibliothèques publiques ?

Est-ce que les écoles en sont des partenaires privilégiés, comme elles l’ont été, selon Virginia A. Walter dans Twenty-first-century kids, twenty-first-century librarians (2010, 5), dès l’apparition des services jeunesse dans les bibliothèques publiques américaines au début du xxe siècle ? Le parent ou l’adulte accompagnateur de l’enfant est-il vu, dans les bibliothèques publiques québécoises, comme le partenaire du prestataire de services jeunesse dans les activités de littératie familiale, de la même façon qu’il peut l’être en Suède (Hedemark et Lindberg, 2018, 437), en France (Aurenche et Frelaut, 2016, 27) et aux États-Unis (Walter, 2010, 32) ? Les bibliothèques publiques québécoises, comme le préconise l’Association for Library Service to Children (ALSC) dans ses Competencies for librarians serving children in public libraries (2020), vont-elles à la rencontre de leurs publics jeunesse en leur offrant des activités hors les murs ?

Ces questions, et bien d’autres, ont servi de lignes directrices dans l’analyse des résultats que nous présentons ici, dans le but de mieux comprendre les dynamiques collaboratives qui sous-tendent le quotidien des services jeunesse en bibliothèque publique québécoise.

Méthodologie

Au regard de notre objectif de recherche, nous avons opté pour un devis d’enquête descriptive ponctuelle, reconnu pour sa capacité à décrire les caractéristiques d’une population ou d’un contexte. Nous avons par ailleurs retenu la formule du questionnaire en ligne autoadministré afin de joindre plus facilement les publics dispersés sur le territoire québécois. Les milieux visés par notre enquête ont été à la fois les bibliothèques publiques autonomes (BPA) et les bibliothèques membres d’un centre régional de services aux bibliothèques publiques (CRSBP ; aussi appelé Réseau BIBLIO), de façon à obtenir le portrait le plus complet possible de la prestation de services jeunesse en bibliothèque publique au Québec.

Comme nous désirions brosser un portrait général des services jeunesse, notre première population cible a été l’ensemble des responsables des BPA et des bibliothèques membres d’un CRSBP. Nous avons également ciblé les prestataires de services jeunesse comme deuxième population, dans le but d’avoir le portrait le plus près possible de la réalité de la prestation de services jeunesse. Deux questionnaires distincts ont ainsi été préparés, l’un pour les responsables de bibliothèques et l’autre pour les prestataires de services jeunesse. En raison des multiples dimensions à couvrir pour bien comprendre la prestation de services jeunesse en bibliothèque publique au Québec, les deux questionnaires comportaient de nombreuses questions. (Leur complexité et l’effort requis pour y répondre ont d’ailleurs été soulignés par certaines personnes répondantes.)

Nous avons adopté plusieurs stratégies pour renforcer la qualité de notre enquête. En premier lieu, afin d’assurer le respect des principes d’éthique en recherche, nous avons sollicité un certificat d’éthique du Comité d’éthique de la recherche en arts et humanités (CERAH) de l’Université de Montréal. Ainsi, les réponses aux questionnaires sont notamment restées anonymes et confidentielles. Nous avons également fait des prétests pour nos deux questionnaires. Une première vague de prétests a été effectuée pour le questionnaire destiné aux responsables auprès de trois personnes possédant des profils similaires à celui de la population cible. Ces prétests ont mené à des modifications majeures du questionnaire, qui a par la suite été validé par une quatrième personne. Cinq prétesteurs issus de BPA et de bibliothèques membres d’un CRSBP ont quant à elles validé le questionnaire destiné aux prestataires. Seules deux questions ayant été légèrement modifiées, une deuxième vague de prétests n’a pas été jugée nécessaire. Les questionnaires ont ainsi été déployés sur la plateforme LimeSurvey hébergée par les serveurs de l’Université de Montréal.

Nous avons joint l’ensemble des responsables des bibliothèques publiques en collaboration avec les Services aux milieux documentaires de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), qui nous ont gracieusement donné accès à leur liste de diffusion, que nous avons complétée manuellement au besoin, par exemple lorsque des adresses courriel n’étaient plus à jour. Les prestataires de services jeunesse ont quant à eux été sollicités à l’aide d’une stratégie d’échantillonnage boule de neige : les responsables de bibliothèques qui avaient rempli leur questionnaire étaient invités à faire suivre le lien vers le questionnaire destiné aux prestataires à leurs propres prestataires de services jeunesse, accompagné du code numérique associé à leur bibliothèque, code attribué automatiquement par l’environnement de sondage.

L’enquête a été officiellement lancée en novembre 2021 par l’envoi d’une invitation aux responsables de bibliothèques. À sa clôture en mars 2022, 194 responsables de bibliothèques et 27 prestataires de services jeunesse y avaient participé. Après avoir fait quelques traitements de base pour assurer la qualité des données obtenues, nous avons effectué des analyses statistiques des questions fermées, suivies d’une analyse de contenu qualitative pour les questions ouvertes, avec une validation entre les codeuses. Bien que le nombre de personnes répondantes ne permette pas de généraliser statistiquement les résultats de l’enquête à l’ensemble des bibliothèques publiques québécoises, les données recueillies dressent néanmoins un portrait riche de la situation des services jeunesse.

Résultats

Le profil des personnes répondantes

Le territoire couvert

Comme le montre le tableau 1, nous avons reçu des réponses de responsables de bibliothèques de 16 des 17 régions administratives du Québec, à l’exception de Gaspésie‒Îles-de-la-Madeleine. Certaines régions ont été plus nombreuses à répondre au questionnaire, notamment la Montérégie, Lanaudière et les Laurentides. Des prestataires de services jeunesse ont pour leur part participé à l’enquête dans 9 des 17 régions, la Montérégie et les Laurentides étant encore ici plus représentées. Quoi qu’il en soit, même en l’absence de réponses de prestataires de services jeunesse dans certaines régions, la grande expérience de terrain démontrée par les responsables dans leurs réponses permet d’obtenir un portrait suffisamment précis, et très intéressant en matière de couverture géographique.

Tableau 1

Distribution des personnes répondantes par régions administratives

Distribution des personnes répondantes par régions administratives

-> See the list of tables

Les types de bibliothèques

Comme nous pouvons le voir dans le tableau 2, des responsables d’un nombre égal de BPA et de bibliothèques membres d’un CRSBP ont participé à l’enquête. Vingt-huit répondants ont indiqué appartenir à un réseau, mais sans préciser s’il s’agissait d’une BPA ou d’un CRSBP. (Notons que, dans certains cas, des responsables de BPA ont répondu au questionnaire pour l’ensemble des succursales de leur réseau.) Les prestataires de services jeunesse travaillant dans des BPA ont été plus nombreux à répondre à l’enquête, peut-être parce que la prestation de services jeunesse y est plus explicitement reconnue.

Tableau 2

Distribution des personnes répondantes par types de bibliothèques

Distribution des personnes répondantes par types de bibliothèques

-> See the list of tables

La taille des populations servies

La bonne représentation des bibliothèques membres d’un CRSBP explique la présence marquée de bibliothèques servant des populations de moins de 5 000 habitants (voir figure 1).

Figure 1

Distribution des personnes répondantes par taille de population servie

Distribution des personnes répondantes par taille de population servie

-> See the list of figures

Le portrait obtenu par l’enquête représente autant la réalité de petites municipalités que de villes moyennes, voire très grandes. À l’exception des très grandes villes, des prestataires ont répondu aux questionnaires pour toutes les tailles de municipalités.

Le profil des prestataires de services jeunesse

L’analyse des titres de postes fournis par les prestataires de services jeunesse montre que ceux qui ont participé à l’enquête occupent différents types de postes, la prestation de services jeunesse relevant de profils variés (voir tableau 3). Nous remarquons toutefois que les techniciennes et les techniciens sont plus nombreux, suivis de près par les responsables, les chefs ou cheffes (de division) et les coordonnateurs ou coordonnatrices.

Tableau 3

Distribution des prestataires de services jeunesse par titres de postes (n = 26 prestataires)

Distribution des prestataires de services jeunesse par titres de postes (n = 26 prestataires)

1. Le total dépasse le nombre de prestataires puisque le titre donné recouvrait plusieurs réalités.

-> See the list of tables

La taille des populations servies

Cette variété dans les profils de postes correspond au portrait général des types de prestataires de services jeunesse tracé par les responsables (voir tableau 4).

Tableau 4

Types de prestataires de services jeunesse par types de bibliothèques

Types de prestataires de services jeunesse par types de bibliothèques

-> See the list of tables

Il est intéressant de noter que les types de prestataires de services jeunesse varient selon les types de milieux, les BPA comptant, du moins un bon nombre d’entre elles, des animateurs ou animatrices externes (66,3 %) ou internes (52,5 %), des techniciens ou techniciennes en documentation (68,8 %) et des commis, préposés ou préposées au prêt ou aides-bibliothécaires (52,5 %). À l’inverse, ces catégories sont peu présentes dans les bibliothèques publiques membres d’un CRSBP, alors que les bénévoles prédominent dans la prestation de services jeunesse (75,9 %) – bénévoles par ailleurs peu présents dans la prestation de services jeunesse dans les BPA (25,0 %).

Les bibliothécaires généralistes et les bibliothécaires jeunesse, pour leur part, se retrouvent peu comme prestataires de services jeunesse dans les BPA (respectivement 27,5 % et 15 %) et les bibliothèques membres d’un CRSPB (respectivement 5,1 % et 0,0 %). Les deuxièmes semblent toutefois plus présents dans les grands centres, comme en Montérégie et à Montréal.

La collaboration au coeur des services jeunesse

Les partenaires des bibliothèques en matière de services jeunesse et les retombées des collaborations

Signe que nous avions l’intuition que la collaboration est une réalité incontournable des services jeunesse en bibliothèque publique, plusieurs des questions de nos questionnaires s’y rapportaient directement ou indirectement. La question « Avec lequel ou lesquels des organismes suivants servant les publics jeunesse votre bibliothèque entretient-elle des collaborations ou des partenariats ? » arrivait ainsi deuxième dans le questionnaire à l’intention des responsables de bibliothèques, tout de suite après celle sur les types de prestataires de services jeunesse.

Comme nous pouvons le constater dans le tableau 5, sur 189 responsables répondants, seuls 5 ont affirmé n’entretenir aucune collaboration ou aucun partenariat dans leur prestation de services jeunesse, pour une proportion de 2,6 %. À l’inverse, ce sont donc 97,4 % des responsables répondants – une écrasante majorité – qui font appel à des collaborateurs ou à des partenaires pour offrir leurs services jeunesse.

Tableau 5

Types de partenaires des bibliothèques publiques en matière de services jeunesse

Types de partenaires des bibliothèques publiques en matière de services jeunesse

1. La somme des pourcentages dépasse 100 % puisque plusieurs choix pouvaient être cochés.

2. Les centres de la petite enfance (CPE) ont été considérés comme « autres services publics nationaux » et, dans ce tableau, ont été dissociés des garderies.

-> See the list of tables

Parmi ces 97,4 % de responsables, 84,1 % disent entretenir des collaborations ou des partenariats avec les écoles, ce qui en fait de loin le type de partenaire le plus fréquent des bibliothèques. En effet, les autres services publics municipaux (pensons notamment au service des communications), qui arrivent en deuxième position des partenaires des bibliothèques publiques en matière de services jeunesse, n’ont été choisis « que » par 52,9 % des responsables. Par ailleurs, si nous cumulons les collaborations ou les partenariats avec tous les types d’organismes, ce sont ces derniers qui deviennent les partenaires les plus fréquents des bibliothèques, avec 178 partenariats déclarés sur 705, soit 25,3 %. Notons enfin que les bibliothèques scolaires apparaissent parmi les partenaires moins nommés, alors qu’elles se situent après les archives et musées et les instances régionales de concertation en persévérance scolaire (IRC).

Les responsables qui avaient affirmé entretenir des collaborations ou des partenariats étaient par la suite invités à préciser si ceux-ci avaient donné lieu à des activités ou à des projets particuliers, en d’autres termes, s’ils avaient eu des retombées concrètes, ce qui s’est avéré le cas pour 79,0 % d’entre eux. Les exemples de retombées de ces collaborations ou partenariats que nous avons recueillis sont nombreux et diversifiés. Parmi eux, les activités, animations, ateliers et conférences divers sont les plus fréquents (35,2 % des exemples donnés), suivis des visites de groupes (garderies, classes, etc.) (23,9 % des exemples) et des heures du conte (19,0 %). Viennent ensuite, par ordre d’importance des plus donnés en exemples, les fêtes, spectacles et événements spéciaux (soirées, festivals, etc.), les projets spéciaux (pour la littératie ou la numératie, l’inclusion, etc.), les clubs de lecture, les trousses et prêts thématiques, les programmes externes (Lire et faire lire, À GO, on lit !, etc.) ainsi que les conférences d’auteurs.

Du côté des prestataires, nous avions circonscrit la question des collaborations ou des partenariats au milieu éducatif : « En tant que prestataire de services jeunesse, consacrez-vous du temps à des collaborations ou à des partenariats avec le milieu éducatif ? Si oui, avec quels types de milieux ? » Quelque 73,1 % des personnes répondantes, soit 19 sur 26, rapportent la présence de collaborations avec le milieu éducatif. Ces collaborations impliquent différents types d’acteurs, au premier rang desquels figurent les écoles et les services de garde (garderies ou CPE), respectivement mentionnés par 15 et 10 prestataires. Quoique dans une moins large proportion, les professionnels de l’éducation, les centres de services scolaires, les services de garde scolaires, les camps de jour, les bibliothèques scolaires et le milieu communautaire ont eux aussi été mentionnés, à raison de une à trois fois chacun, comme collaborations ou partenariats auxquels les prestataires de services jeunesse consacrent de leur temps de travail.

Les programmes jeunesse externes et la littératie familiale

En sus des questions de notre enquête qui portaient explicitement sur la collaboration, plusieurs concernaient des formes de collaboration ou de partenariat peut-être moins directes, mais qui correspondent aux conceptions des sources sur lesquelles nous nous sommes appuyées. Dans cet esprit, suivant la définition de partenariat du Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française (2010), à savoir une « forme de coopération entre deux ou plusieurs organisations concourant à réaliser un projet par la mise en commun de moyens matériels, intellectuels, humains ou financiers », nous avons considéré l’adhésion à un ou à des programmes jeunesse externes comme une forme de collaboration entre les bibliothèques et les créateurs et « fournisseurs » de tels programmes, notamment les associations professionnelles comme l’Association des bibliothèques publiques du Québec (ABPQ) et ses filiales régionales, les CRSBP, les organismes ou les entreprises privées ou à but non lucratif.

Ainsi, à la question « À quels programmes jeunesse externes, ou comprenant un volet jeunesse, votre bibliothèque adhère-t-elle ? », les responsables de bibliothèques ont répondu comme suit (voir tableau 6).

Tableau 6

Programmes jeunesse externes (n = 188 responsables)

Programmes jeunesse externes (n = 188 responsables)

-> See the list of tables

Par ailleurs, à l’exemple des chercheuses Åse Hedemark et Jenny Lindberg (2018), des bibliothécaires jeunesse Blandine Aurenche et Danielle Frelaut (2016) et de la bibliothécaire jeunesse et professeure en sciences de l’information Virginia A. Walter (2010), nous avons considéré les activités de littératie familiale comme une forme de partenariat ou de coopération, cette fois-ci avec le parent ou l’adulte accompagnateur, dont le prestataire de services jeunesse valorise les compétences et la qualité du lien avec l’enfant tout en le sensibilisant à l’importance de la lecture aux bébés, aux tout-petits et aux enfants d’âge préscolaire et en lui proposant des techniques et des stratégies pour l’aider à faire fleurir les habiletés de son enfant en littératie précoce.

Bien que ce type d’activités existent dans les bibliothèques publiques du Québec, force est de constater qu’elles restent sinon rares, du moins minoritaires, alors que seulement environ le tiers des bibliothèques sondées disent en offrir à leurs clientèles jeunesse (plus précisément 30,8 %). Parmi elles, d’après les exemples d’activités donnés par les responsables répondants, les plus offertes sont les diverses heures du conte (18 responsables sur 50, ou 36,0 %) et les différents ateliers ou activités d’éveil à la lecture et à l’écriture parents-enfants (11 sur 50, ou 22,0 %). Notons toutefois qu’une bibliothèque précise offrir une activité de « maintien des compétences en lecture avec modélisation parentale », assumant ainsi pleinement, nous semble-t-il, le rôle d’éducation du parent que peut prendre la bibliothèque, mais reconnaissant aussi l’importance de l’adulte accompagnateur dans l’activité offerte ou, en d’autres mots, son statut de partenaire du prestataire de services jeunesse.

Les programmes jeunesse hors les murs et l’implication sociocommunautaire

Près des trois quarts (74,3 %) des bibliothèques qui ont participé à l’enquête affirment qu’elles offrent des activités hors les murs. Dans la majorité des cas, ces activités impliquent une collaboration avec d’autres services municipaux (par exemple, des camps de jour ou des activités dans les parcs de la ville). Ces collaborations hors les murs se produisent aussi avec le milieu éducatif (avec des classes standard ou des classes d’accueil, par exemple), avec les services de garde ou encore avec des organismes (incluant des centres jeunesse, des maisons de jeunes et des centres communautaires).

Comme nous pouvons le constater dans le tableau 7, les activités hors les murs les plus répandues sont les activités dans les parcs (avec les tentes à lire, par exemple), le prêt dans les écoles, les services de garde et les maisons de jeunes, ou encore par le biais d’une biblio-mobile. Viennent ensuite différents types d’activités dans des classes, des classes d’accueil ou des services de garde.

Tableau 7

Exemples d’activités hors les murs (n = 135 responsables)

Exemples d’activités hors les murs (n = 135 responsables)

-> See the list of tables

Sur le plan de l’implication sociocommunautaire, d’autres résultats montrent qu’un nombre appréciable de prestataires qui ont répondu à l’enquête (soit un peu plus de 42,3 %) consacrent du temps à l’une de ses formes, que ce soit dans le cadre de comités ou de tables de discussion (5 prestataires répondants), de tables de concertation (5 prestataires également), d’organismes à but non lucratif (4 prestataires), d’associations ou de regroupements de partenaires (1 prestataire pour chacune de deux dernières catégories).

La collaboration pendant la COVID

Concernant la collaboration pendant la crise de la COVID-19, il apparaît que, lors des fermetures imposées comme mesures sanitaires, une forte majorité des bibliothèques répondantes (77,3 %) n’ont pas collaboré avec d’autres services publics ou organismes communautaires qui soutenaient les jeunes, par exemple les maisons de jeunes ou les banques alimentaires. Toutefois, parmi les bibliothèques qui affirment l’avoir fait (29), les écoles et les services de garde se sont avérés les partenaires les plus fréquents.

Des formes de collaboration indirecte

Les moyens utilisés pour cerner les besoins des clientèles jeunesse

Nous avons également considéré comme une forme de collaboration, quoique indirecte, les moyens auxquels le personnel des bibliothèques est susceptible d’avoir recours pour cerner les besoins des publics jeunesse, les usagères et les usagers étant conçus dans cette perspective comme des partenaires du personnel des bibliothèques et participant alors, en tant que destinataires, à l’élaboration des services.

Ainsi, au-delà de la déduction au contact des usagers et des usagères (75,5 % des responsables répondants) ou d’une déduction à partir de leur fréquentation de la bibliothèque (55,3 % des responsables), pour cerner les besoins des clientèles jeunesse, les personnes répondantes font état de différents moyens pour les évaluer, par exemple la consultation directe par l’entremise de demandes et de suggestions, les rencontres ponctuelles avec des jeunes, les sondages, les activités de cocréation et les conseils consultatifs de jeunes. Ces méthodes de programmation en collaboration, bien que présentes à divers degrés, paraissent néanmoins bien ancrées dans les pratiques des bibliothèques en matière de services jeunesse.

Notons par ailleurs que 55,9 % des responsables et 33,3 % des prestataires répondants affirment déterminer les besoins de leurs clientèles jeunesse au moyen d’échanges avec des professionnels de l’éducation, les partenariats fréquents avec les écoles pouvant vraisemblablement expliquer ces résultats.

Les moyens utilisés pour tenir compte de la diversité

Une forme de collaboration peut également être perçue dans la manière dont les prestataires de services jeunesse tiennent compte de la diversité lors de leur réflexion sur les services et de leur élaboration subséquente ‒ la diversité étant ici entendue en termes d’appartenance ethnoculturelle, de genre, d’orientation sexuelle ou de handicaps dits « invisibles ». Certaines personnes répondantes affirment en effet qu’elles sont susceptibles de collaborer avec des associations, des groupes et des organismes liés aux publics concernés ou encore de solliciter la participation des jeunes pour mieux concevoir leur offre de services. Autrement dit, ces différentes collaborations communautaires les aident à mettre en place une offre de services plus appropriée en matière de diversité.

Les prestataires répondants disent par ailleurs tenir compte de la diversité en manifestant des aptitudes relationnelles qui facilitent les relations de collaboration, comme la capacité d’écoute, l’empathie, une attitude d’ouverture et de sensibilité et un souci pour la représentativité.

La bibliothèque jeunesse comme environnement collaboratif

L’environnement physique

L’environnement physique pouvant comporter une dimension collaborative, nous nous sommes demandé dans quelle mesure la bibliothèque jeunesse est aménagée et opère à la manière d’un espace d’apprentissage collaboratif pour ses publics, questionnement auquel certains résultats de notre enquête répondent. Par exemple, 45,1 % des responsables répondants disent offrir au moins une salle de travail en équipe (deux personnes et plus, discussion permise) pour leurs publics.

Les résultats concernant la présence de laboratoires de création de type makerspace, fablab ou médialab, qui se définissent comme des espaces de création basés sur le partage et la collaboration, constituent également des indicateurs de collaboration. Ainsi, 22 responsables (11,3 %) déclarent que leurs bibliothèques sont équipées d’un laboratoire de création auquel les publics jeunesse ont accès. De ce nombre, deux laboratoires sont réservés à la clientèle adolescente. De plus, 13 responsables (6,7 %) affirment que leurs bibliothèques disposent d’un laboratoire de création mobile. Dans tous les cas, les publics jeunesse y sont admis. Deux laboratoires de création mobile sont destinés uniquement à la clientèle adolescente, tandis cinq sont destinés à la fois aux enfants et aux clientèles préadolescente et adolescente. Les six derniers laboratoires sont ouverts à l’ensemble des publics.

L’environnement en ligne

Enfin, l’environnement en ligne peut lui aussi être abordé dans une perspective de collaboration, alors que pour 29,4 % des bibliothèques, les espaces en ligne visant les publics jeunesse relèvent en tout ou en partie d’une autre instance. Parmi les bibliothèques qui délèguent partiellement ou complètement cette responsabilité, pour une majorité, c’est la Ville qui alimente ces espaces. Pour la plupart des autres, leur réseau de bibliothèques (CRSBP ou ensemble de succursales) se charge de cette tâche.

Discussion et conclusion

Au vu des résultats dévoilés dans cet article, nous pouvons constater qu’en matière de prestation de services jeunesse, les bibliothèques publiques du Québec entretiennent une grande diversité de collaborations et de partenariats productifs avec une variété d’organisations et d’individus. Bien que l’objectif de notre enquête soit de brosser un portrait de la prestation de services jeunesse dans les bibliothèques publiques de la province, et non de porter un jugement de valeur sur ce portrait, il n’en reste pas moins que certains constats, à défaut de surprendre, soulèvent des questions, au premier chef la place somme toute limitée que prennent les bibliothécaires généralistes et jeunesse dans cette prestation de services.

Si collectivement nous admettons qu’un statut professionnel comme celui que possèdent les bibliothécaires comporte une valeur appréciable, notamment en ce qui a trait à la capacité collaborative, il nous semble en effet pertinent de nous interroger sur les conséquences de la relative absence de ce type de travailleuses – puisque ce sont majoritairement des femmes – dans les BPA et les bibliothèques membres des CRSBP. Les collaborations reposant fondamentalement sur des ressources humaines, et les bibliothécaires professionnelles étant formées pour mener des initiatives de développement communautaire stratégique basées sur des collaborations et des partenariats, la disparité de leur répartition peut être interprétée comme une source d’inégalités de services entre les différentes bibliothèques, voire une forme de privilège à la faveur des grands centres comme Montréal ou des régions avoisinantes comme la Montérégie. En ce sens, l’augmentation et la régionalisation de leur présence représenteraient sans aucun doute un gain notable tant pour les services jeunesse que pour les bibliothèques en général, les services jeunesse occupant une place prépondérante, pour ne pas dire vitale, en bibliothèque publique, d’après Walter et Gross (2017, 877).

Un autre élément qui soulève des questions à la lumière des résultats de notre enquête est celui du caractère marginal des initiatives de littératie familiale dans les bibliothèques publiques québécoises, alors que ces initiatives semblent se manifester principalement dans les municipalités bénéficiant de services professionnels en matière de bibliothéconomie jeunesse, encore une fois dans les grandes villes comme Montréal ou les régions à proximité comme la Montérégie, et ce, bien que les bénéfices de la collaboration entre les parents, les enfants et les prestataires de services jeunesse soient largement reconnus dans la littérature (Walter, 2010, 32 ; Aurenche et Frelaut, 2016, 27 ; Hedemark et Lindberg, 2018, 437), et que cette collaboration soit notamment au coeur de programmes d’envergure nationale comme Every Child Ready to Read @ your Library (ECRR) et Family Place Libraries aux États-Unis ou Biblio-Jeux au Québec[2]. Considérant le rôle clé des initiatives de littératie familiale dans le développement de l’enfant, nous croyons que d’autres recherches seraient nécessaires pour explorer plus spécifiquement ces résultats et la situation des différents milieux, dans le but d’éventuellement concevoir des interventions adaptées à chacun.

Enfin, un autre constat qui a particulièrement attiré notre attention est celui des collaborations nombreuses entre les bibliothèques publiques et les écoles, celles-ci constituant, et de loin, le type de partenaire le plus fréquent des bibliothèques. Ce constat soulève plusieurs questions qu’il nous apparaîtrait éclairant d’approfondir, par exemple : Quels rôles les services jeunesse des bibliothèques publiques jouent-ils plus précisément auprès des écoles ? Quels besoins comblent-ils ? Serait-il possible de brosser un portrait encore plus fin de ces collaborations et de leurs effets ? Comment les partenariats entre les deux types d’établissements se nouent-ils ? Et pourquoi les bibliothèques scolaires ne figurent-elles pas parmi les partenaires les plus fréquents des BPA ?

Comme nous le constatons, le sujet de la collaboration dans les services jeunesse des bibliothèques publiques, que nous avons exploré dans le contexte du CPI, et par conséquent dans cet article, est riche de pistes d’exploration. Nous sommes conscientes d’avoir traité les notions de collaboration et de partenariat de manière relativement équivalente, ce qui peut s’avérer une limite de notre étude. Rappelons toutefois que notre enquête ne portait pas spécifiquement sur ces thèmes et que d’autres études pourront creuser ces différents types de relations (collaborations ou partenariats) en tenant compte des distinctions appropriées. De très nombreux autres résultats, et qui portent sur un vaste registre de services pour les jeunes, ont été colligés grâce à l’Enquête sur les services jeunesse dans les bibliothèques publiques du Québec, notamment en ce qui concerne les collections, les espaces, les compétences, les cadres de référence et les valeurs du personnel, les publics servis, les services en ligne, etc. Il nous tarde de les dévoiler en vue de mieux comprendre la situation de la bibliothéconomie jeunesse au Québec.