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La littérature économique sur le phénomène des blocs régionaux est relativement abondante. D’abord, du point de vue théorique, plusieurs études visent à mesurer les effets de création et de détournement du commerce entraînés par la formation de telles ententes régionales et débouchent sur une évaluation d’impact de bien-être pour les résidants de ces zones. D’autres études portent sur le côté empirique, en mettant en relief les dispositifs spécifiques d’un bloc régional et ensuite apprécient, à la lumière des données disponibles, l’impact réel d’un tel bloc. L’ouvrage dirigé par José Salazar-Xirinachs et Maryse Robert tombe dans cette deuxième catégorie d’approche analytique, mais se distingue par son champ de couverture lequel est centré sur les expériences des blocs régionaux en Amérique.

Plus précisément, l’ouvrage poursuit l’objectif de décrire et d’analyser les efforts d’intégration économique dans l’hémisphère ouest afin de dégager les perspectives sur un éventuel traité de zone de libre-échange en Amérique (zléa, en anglais ftaa). Faisons ici remarquer que cet ouvrage s’attarde particulièrement à présenter chacune des ententes régionales que l’on retrouve en Amérique, dans leur constitution, leurs dispositifs particuliers et leurs modalités de fonctionnement. Cette approche analytique se justifie dans la mesure où un traité quelconque sur la zléa ne peut être élaboré qu’à partir des accords existants afin de voir à concilier les intérêts des uns et des autres. Ainsi, l’ouvrage est structuré en quatre parties.

La première partie est consacrée à une analyse du flux des échanges et des investissements dans l’ensemble de la zone d’hémisphère ouest, sous un seul chapitre, rédigé par Karsten Steinfatt et Patricio Contreras. On sait fort bien qu’une intégration régionale a d’autant plus de facilité de se constituer que l’intensité des échanges entre les pays membres est élevée. Que peut-on conclure alors de la direction et de l’amplitude des échanges actuels de biens et services entre les pays d’Amérique ? Selon l’analyse des deux auteurs, le commerce intra-régional (mesuré par les exportations et les importations) de marchandises affiche une tendance à la hausse pour la plupart des blocs du continent, nommément le Pacte Andin, le caricom, le Marché commun d’Amérique centrale (mcac), le mercosur, l’alena. Plus significatif encore, chacun de la plupart des pays d’Amérique a pour premier marché d’exportation, soit les États-Unis ou un autre pays de ce même continent. Sur les transactions de services, les données disponibles ne permettant pas de distinguer l’origine et la destination, ont mené les auteurs à situer simplement la part des exportations de l’hémisphère ouest par rapport au monde, laquelle passe de 23 % en 1990 à environ 25 % en 1999, et ensuite à classifier les pays de cette zone selon la proportion de la valeur de leurs exportations de service par rapport à leurs exportations totales.

Quant au flux de l’investissement direct étranger, il ressort que l’hémisphère Ouest et tout particulièrement les États-Unis en attire de plus en plus. Si les auteurs expliquent assez bien les raisons de l’attrait de l’Amérique pour les investisseurs étrangers, ils n’élaborent pas sur le flux de l’ide entre les pays de cette zone. Par ailleurs, la note optimiste sur la croissance du commerce intra-régional en Amérique qui se dégage de ce chapitre mérite à notre avis d’être tempérée. De fait, les données publiées tant par la cnuced que la Banque mondiale indiquent que presque tous les blocs de l’hémisphère ouest (à l’exception de l’alena) échangent encore principalement avec les pays tiers. Par exemple, en 1997, le commerce extra-bloc se situe à 90 % pour le Groupe andin, 84 % pour le mcac, 86 % pour le caricom, 83 % pour l’aladi et 75 % pour le mercosur. Bref, on peut ici faire l’analogie de la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine.

La deuxième partie du livre porte sur chacune des ententes régionales en Amérique et procède en distinguant celles qui s’associent à une union douanière, ensuite une zone de libre-échange et enfin un système préférentiel (Preferential and Partial Scope Trade Agreements).

Parmi les unions douanières, on note : le mcac, (Costa Rica, El Salvador, Guatemala, Honduras et Nicaragua), le Groupe andin, le caricom et le mercosur. Comme zone de libre-échange, on retrouve l’alena ainsi que neuf versions type alena dont l’Accord Amérique centrale-Mexique, Costa Rica-Mexique, Mexique-Nicaragua, Mexique-Triangle du Nord (El Salvador, Guatemala, Honduras), Groupe des trois (Colombie, Mexique, Venezuela), Bolivie-Mexique, Canada-Chili, Amérique centrale-République dominicaine, Amérique centrale-Chili. On voit bien que le Mexique multiplie des alliances avec ses voisins tant d’Amérique du Nord que du centre. Les systèmes préférentiels regroupent diverses entités dont : le Caribbean Basin Initiative (cbi) qui offre un accès privilégié au marché des États-Unis aux exportations des pays d’Amérique centrale et des Caraïbes ; l’Acte andin de commerce préférentiel (Andean Trade Preference Act) signé en 1994 par les États-Unis pour des importations privilégiées en provenance de la Bolivie, la Colombie, l’Équateur et du Pérou ; le Caribcan (les Caraïbes et le Canada) ; le caricom-Venezuela, le caricom-Colombie ; et enfin l’aladi (Association latino-américaine d’intégration).

Cette classification des ententes régionales est brièvement expliquée à partir de la typologie habituelle (zone de libre-échange, union douanière, marché commun, union économique) et compte tenu des objectifs déclarés de ces ententes ainsi que des résultats déjà obtenus. Par exemple, l’on apprend que les quatre blocs que sont le mcac, le Groupe andin, le caricom et le mercosur se caractérisent comme union douanière en dépit de leurs objectifs visant le marché commun. Peu importe la validité de cette classification, c’est l’analyse fournie qui devrait retenir l’attention. De fait, chaque entente régionale précitée est décrite dans ses origines, son cadre institutionnel et surtout dans ses résultats de politique commerciale (concrétisation des mesures de libéralisation des échanges). Il s’ensuit une discussion sur l’état actuel des relations commerciales du groupe avec les pays tiers. Cette partie de l’ouvrage, concise et bien documentée aide à mieux comprendre la nature et le fonctionnement de chacune des ententes régionales. Les règles précises de libéralisation des échanges font l’objet d’une description détaillée dans cette troisième partie de l’ouvrage. On aborde notamment, pour chaque entente régionale: les mesures tarifaires et non tarifaires, les règles d’origine, les mesures de sauvegarde ; les normes techniques ; les services ; l’investissement ; la propriété intellectuelle ; les politiques de concurrence ; le marché public ; et enfin le règlement de litige. Chacun de ces sujets est traité séparément, d’où l’on retrouve huit chapitres dans cette troisième partie du livre. Les défis de conclusion d’un traité sur la zléa sont évalués pour chacun de ces domaines litigieux. De fait, les auteurs expliquent clairement s’il y a divergence ou convergence dans les règles adoptées par chacune des ententes régionales en Amérique. C’est particulièrement dans cette partie que l’on retrouve l’élément distinctif du manuel par rapport aux études existantes. Arrêtons-nous quelques instants sur le cas du dossier des services dont la libéralisation passe nécessairement par l’abolition des mesures non tarifaires, lesquelles ne sont guère faciles à définir. Dans ce manuel, l’auteure Sherry Stephenson fait une bonne analyse comparative des règles de libéralisation des échanges de services adoptées par le gats et chacune des ententes régionales en Amérique. Par exemple, toutes les 14 ententes régionales de l’hémisphère ont adopté la clause du traitement national et celle de la transparence. Quant à la clause de la nation la plus favorisée, elle est également adoptée par toutes ces ententes, à l’exception du caricom. Sur le point de stratégie de négociation des services, on retrouve généralement deux approches : i) une approche de liste positive (on nomme les stratégies de services sujets à une libéralisation) ; ii) une approche de liste négative (on libéralise tous les services sauf ceux qui sont annexés à l’Accord). Stephenson indique qu’à l’instar du gats, l’approche de liste positive est suivie seulement par le mercosur. Toutes les autres ententes sauf le caricom, ont adopté l’approche de la liste négative. Stephenson en vient à identifier trois défis pour la conclusion d’un traité sur la zléa. Le premier est de s’entendre sur l’approche de libéralisation (liste positive vs négative). Le deuxième est de savoir s’il faut aller au-delà des efforts présents de libéralisation. Enfin, il importe de rendre compatibles les règles de libéralisation des services et celles sur l’investissement.

La quatrième partie de l’ouvrage examine les démarches entreprises entre le lancement des négociations du Sommet des Amériques à Santiago en avril 1998 et la rencontre des chefs d’État dans la ville de Québec en avril 2001 et débouche sur des considérations d’interdépendance en Amérique. Le projet du libre-échange est appelé à incorporer non seulement des thèmes économiques, mais aussi diverses préoccupations dont la défense de la démocratie et des droits de l’homme, la lutte à la corruption, les trafics de drogue, et bien entendu de la coopération entre les états membres.

Cet ouvrage, dirigé par José Salazar-Xirinachs et Maryse Robert demeure important tant pour les décideurs de politiques commerciales que pour les professeurs, les chercheurs, et les étudiants intéressés à l’intégration économique régionale. En peu de pages (334), il nous donne toutes les informations requises pour suivre l’origine et l’évolution de quatorze ententes régionales en Amérique et pour formuler notre propre analyse sur une éventuelle grande zone de libre-échange dans ce continent.