Article body
Charles Doran fait partie d’un petit groupe de spécialistes de la politique étrangère des États-Unis qui s’intéressent aux affaires canadiennes. La plupart de ces universitaires sont inquiets quant à l’éventualité de l’accession du Québec à la souveraineté. Pour sa part, Doran a fait la manchette en 1996 après la publication dans la prestigieuse revue Foreign Affairs d’un article sur le destin problématique du Canada advenant l’indépendance du Québec. Comme la majorité de ses collègues américains, il se range résolument dans le camp fédéraliste et son ouvrage, qui se situe à mi-chemin entre l’étude et l’essai, constitue une répudiation de la thèse souverainiste, qu’il associe à un nationalisme ethnique d’arrière-garde. Pour lui, le Québec est un cas type : si la province se séparait du Canada, le pluralisme démocratique serait en danger, non seulement en Amérique du Nord mais partout dans le monde. Aussi son livre est-il truffé de références à divers mouvements nationalistes, ce qui a l’avantage de mettre l’exemple québécois en contexte.
L’auteur fait une démonstration en huit chapitres. Il décrit premièrement les nombreuses menaces qui pèsent sur le pluralisme démocratique, « a condition in which diverse ethnic, racial, religious or social groupings maintain their autonomous participation in their traditional culture within the confines of a single civilization or state (p. 5) ». De toutes ces menaces, la plus dangereuse est le nationalisme ethnique, qui est généralement fondé sur la perception d’injustices passées envers le groupe. Qu’ils se l’avouent ou non, les séparatistes rêvent d’homogénéité linguistique et culturelle. Ayant ainsi jeté les bases de sa construction intellectuelle, Doran s’attache à expliquer dans le deuxième chapitre pourquoi les Américains favorisent le pluralisme démocratique. L’expérience historique des États-Unis, un attrait atavique pour les grandes unités politiques, la peur du chaos, sont évoqués tour à tour par l’auteur, qui intègre aussi à son explication des facteurs économiques et géostratégiques.
Dans le troisième chapitre, Doran se demande : « Le Québec se séparera-t-il ? » Pour répondre à cette question, il analyse les facteurs susceptibles de mener à l’indépendance de la province : le poids de la mémoire collective des Québécois, la concentration de la population, le régionalisme, les relations économiques Nord-Sud, l’émigration des anglophones, l’anxiété collective provoquée par le déclin de l’Église catholique et la nécessité de trouver un remplaçant à cette vénérable institution. Dans un élan de psychologisme, il écrit : « Quebec culture has replaced religion as a non-material value to revere /…/ But culture could not adequately supplant religion as a thing in which to ‘believe’ /…/ Nationalism thus superceded culture as the ultimate faith (pp. 81-82) ». Heureusement que d’autres facteurs contribuent à freiner le mouvement nationaliste : le système des trois partis, les coûts de la séparation, la menace de la partition du Québec par les Anglophones, l’immigration. L’auteur note aussi certaines tendances dont il est difficile de prévoir l’impact, tels l’urbanisation et la scolarisation de la population, l’orientation des nouvelles élites d’affaires, les cycles économiques, le leadership politique.
Mais qu’arrivera-t-il donc au reste du Canada advenant l’indépendance du Québec ? Les provinces atlantiques se trouveront isolées, les transferts de paiement prendront fin, l’Ouest deviendra encore plus aliéné et le reste du Canada (roc) devra composer avec la domination démographique et économique de l’Ontario. Est-ce que le nouveau Canada sera capable de demeurer uni ? Rien n’est moins certain.
Dans le chapitre 5, le docteur Doran revient sur les causes de la maladie qui ronge le Québec en se demandant si le séparatisme est né dans un corps défectueux ou est le résultat de la contagion. Il y a un peu des deux. Historiquement, le nationalisme apparaît à certains stades de l’évolution des États et il est influencé par le système international. C’est notamment le cas depuis la fin de la guerre froide. Au chapitre suivant, le psychologue et le médecin laissent la place à l’économiste qui s’interroge sur la relation entre la taille des États et les mouvements indépendantistes. Selon l’auteur, la question est complexe, mais il est certain que les petites nations croissent moins rapidement que les grandes : « Secession carries a burden for the small independent actor, regardless of whether it enters a regional trade bloc – secession will affect the rapidity with which it is likely to grow (p. 188) ».
Le Canada du xxie siècle constitue le sujet du chapitre 7. Doran décrit les défis posés par la gouvernance amérindienne, le fédéralisme asymétrique, la décentralisation et la nécessité d’accommoder le Québec dans le système fédéral. Il aborde également la question épineuse d’une possible déclaration unilatérale d’indépendance et la position que prendraient probablement les États-Unis face à cette éventualité et face au reste du Canada. Sans être absorbé complètement par son voisin du Sud, le pays pourrait garder une certaine autonomie en s’y affiliant, ce qui lui apporterait des avantages économiques et stratégiques. L’auteur conclut par ces mots : « There will always be a Canada. The question is, what kind of Canada will it be ? (p. 222) ».
Dans le dernier chapitre, Doran revient sur la menace du nationalisme ethnique pour le pluralisme démocratique. C’est ici que sa foi libérale s’exprime le plus éloquemment: l’individualisme est garant de progrès et d’harmonie, en contraste marqué avec les idéologies « communautaristes » : « If the law treats all individuals equally, then whether the individual lives in a majority community or in a minority community will not matter (p. 248) ». On ne saurait être plus clair : l’individualisme est le principe à l’aune duquel doivent être analysés les phénomènes sociaux et politiques. Pour Doran et ses collègues libéraux, le mouvement nationaliste québécois ne présente donc aucun élément positif.
Why Canadian Unity Matters and Why Americans Care est un mélange de science et d’idéologie. Aux passages fouillés et méthodologiquement bien assis succèdent des passages qui reposent sur des jugements superficiels. En raison de cela, la portée de l’ouvrage sera limitée.