IntroductionRevisiter la problématique « westphalienne »[Record]

  • Jean-François Thibault

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  • Jean-François Thibault
    Département de science politique
    Université de Moncton

Le postulat selon lequel il existe une « différence de nature entre l’ordre interne aux cités et l’ordre entre les cités » a constitué l’une des principales pierres d’assise de l’étude des relations internationales tout au long du 20e siècle. Ouvrant sur des possibilités qui apparaîtront rapidement contradictoires, ce postulat plaçait la dynamique internationale dans une position d’apparente subordination par rapport à la dynamique domestique dont le développement aurait quant à lui largement dominé l’évolution de la pensée politique depuis ses origines. En effet, dès l’Antiquité et jusqu’à tout récemment encore, l’hypothèse qui a dominé est que la réflexion sur la vie morale et politique, c’est-à-dire sur la vie bonne, requérait l’existence préalable d’une société ou d’une communauté fermée sur elle-même et pour ainsi dire « indépendante et sans relations avec d’autres sociétés ». Dès lors, l’ordre entre les cités et, de manière plus générale, le problème des relations extérieures entretenues par ces cités les unes avec les autres, ont très rarement été appréciés comme étant directement reliés à la vie politique des communautés. Si l’on peut considérer que ce postulat d’une différence de nature est constitutif de l’évolution de la réflexion sur la vie politique depuis plus de 25 siècles maintenant, tout porte néanmoins à croire que la pensée politique moderne y donnera cette inflexion radicale qu’elle n’avait vraisemblablement pas auparavant. C’est que, comme le notera Leo Strauss, la question consistant à déterminer si une communauté morale et politique « existe ou doit exister » ne se posait alors tout simplement pas. Dès lors, en tant que principale menace à l’existence d’une telle communauté, la guerre ne trouvait pas non plus pour les Grecs son lieu de prédilection dans la vie politique. Ce n’est qu’à l’aube des temps modernes, alors que se mettent lentement en place les principaux paramètres de ce qui constituera ensuite le propre de l’État souverain, que ces communautés morales et politiques cessent d’être considérées comme des entités naturelles et, en conséquence, que leurs conditions d’existence commencent à faire l’objet d’une réflexion systématique. Alors seulement la guerre acquiert-elle un statut fondateur et devient-elle le moyen permettant de penser la politique, c’est-à-dire un moyen de penser le processus ontologique de constitution historique d’un « être commun pensé selon l’un, c’est-à-dire selon le souverain ». L’oeuvre de Thomas Hobbes apparaît tout à fait fondamentale ici car elle marque, selon la formule utilisée par Yves Charles Zarka, tout à la fois « un aboutissement et un point de départ ». Un aboutissement, puisqu’elle témoigne de la rupture qui oppose désormais la pensée politique classique et son interrogation sur la nature ou l’essence des choses morales et politiques, et la pensée politique moderne et son interrogation sur les conditions et la finitude de la vie politique dans un contexte désormais caractérisé par un profond vide éthique. Un point de départ, puisqu’elle circonscrit par ailleurs les limites spatio-temporelles d’une réflexion sur le champ des affaires humaines qui exercera une influence considérable sur le développement ultérieur de la pensée politique moderne. C’est à la frontière entre cet aboutissement et ce point de départ que Hobbes éprouve la nécessité de réinterpréter un concept sur lequel reposera l’ensemble de sa démarche – celui d’« état de nature » – dans la foulée duquel se développera précisément la problématique westphalienne. Car, si à l’origine le concept d’état de nature permet à Hobbes d’identifier les conditions à partir desquelles la vie politique devient possible pour une multitude d’hommes formellement libres, dès l’État formé et la frontière posée, cet état de guerre de tous contre tous resurgit à nouveau, non …

Appendices