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L’éthique est un thème de recher-che dont l’évocation ressuscite les guerres de religion paradigmatique qui ont marqué l’avènement des relations internationales comme science ; car, suivant la doxa, les Relations internationales se seraient constituées comme science positive sur la base de la réfutation de l’idéalisme. Dans le cadre de la confrontation entre idéalisme et réalisme, se serait joué un jeu à somme nulle dont aurait découlé la victoire totale du réalisme, marquant ainsi la répudiation de l’idéalisme et, partant, de l’éthique du champ des relations internationales en tant que pratique et savoir. C’est à cette connaissance doxique, plus précisément cette vulgate réaliste, que s’oppose pour mieux se poser l’ouvrage collectif dirigé par Patrick Hayden sous le titre Ethics and International Relations. Par conséquent, il convient d’entrée de jeu de faire ressortir l’importance du défi épistémologique que se fixent les auteurs de l’ouvrage, car ne constitue pas une entreprise aisée le fait de vouloir désagréger un préjugé qui s’est cristallisé au fil des siècles, notamment lorsque celui-ci est l’oeuvre des « savants » censés combattre les idées préconçues. C’est ici qu’apparaît le véritable tour de force épistémologique de l’ouvrage dirigé par Patrick Hayden, à savoir relativiser le clivage entre l’idéalisme et le réalisme et montrer que les relations internationales telles qu’elles sont et telles qu’elles se déroulent sont justiciables d’une analyse normative.
L’ouvrage dirigé par Patrick Hayden peut être compris comme une invitation à redécouvrir et à prendre au sérieux la dimension normative des relations internationales.
La redécouverte de la place des valeurs et de la morale dans les relations internationales s’appuie sur des traditions théoriques. Le réalisme, d’abord, les principaux auteurs étant accusés ici d’avoir procédé à une lecture sélective des ouvrages canoniques de Thucydide, de Machiavel et de Hobbes. Ils ont par conséquent fait de la partie une totalité, s’illustrant par là même comme étant des idéologues portés vers la justification et la défense d’une cause. Le libéralisme, dont les dimensions axiologique et praxéologique affectent les relations internationales tant on ne peut pas nier que la démocratie, le capitalisme et l’impérialisme, par exemple, soient des catégories de pensée et d’action, produisant des effets dans les transactions entre États, individus et groupes par-delà les frontières. Le cosmopolitisme, la théorie critique, le féminisme, le marxisme et le poststructuralisme, qui, bien qu’étant des paradigmes distincts, sont à la fois des critiques des relations internationales telles qu’elles sont et des propositions des relations internationales telles qu’elles devraient être (les relations internationales comme cadres d’émancipation des individus à l’égard des frontières des États et d’affirmation d’une communauté universelle/les relations internationales comme relations de lutte contre l’hégémonie et toutes les formes de domination/les relations internationales comme relations d’égalité/les relations internationales comme relations d’interconnaissance dans le respect mutuel).
La prise au sérieux de la place de l’éthique dans les relations internatio-nales est aussi liée à un souci de connexion permanente avec la réalité ; celle-ci n’est pas séparable de l’éthique dans ses caractéristiques fondamentales et ses dynamiques d’évolution. La guerre et la paix, considérées par les réalistes comme étant les activités qui constituent le domaine de définition des relations internationales, sont structurées par des considérations morales. En effet, faire la guerre et la paix ou, encore, concevoir la sécurité ne sont pas des activités neutres ; elles sont liées à des valeurs et à des normes qui influencent les acteurs. Les droits de l’homme, en tant que donnée majeure des relations internationales, participent de la consolidation de la dimension normative ; la promotion et la protection de l’universalité des droits de l’homme, l’affirmation des droits de l’enfant ou encore de l’égalité hommes-femmes relèvent des préoccupations éthiques. Il en est de même de la justice internationale. L’évolution vers une société globale réunissant et mettant en interaction des individus et des sociétés d’origines diverses constitue un nouveau cadre d’affirmation de l’éthique tant il est vrai qu’il n’y a pas de vécu collectif sans un minimum de valeurs en partage.
Ainsi, aussi bien dans leur structuration classique comme relations de guerre et de paix que dans leur agencement contemporain comme relations supranationales transcendant les États, les relations internationales sont des relations sociales comme les autres, travaillées par des valeurs et des normes. D’où la consubstantialité entre relations internationales et éthique : on ne peut pas comprendre de manière systématique les relations internationales en ignorant l’éthique qui l’influence et qu’elles produisent. Dès lors, l’introduction de l’analyse normative dans le champ des relations internationales ne fait pas suite à la contrebande, encore moins à une entrée par effraction. Parce que les normes, la morale et l’éthique sont des données des relations internationales, alors l’analyse normative a droit de cité, d’autant plus que le réalisme classique a tendance à les minimiser, voire à les méconnaître. C’est un mérite pour les auteurs de l’ouvrage collectif que d’avoir pu illustrer la fécondité heuristique de l’analyse normative. Toutefois, il reste que l’éthique des relations internationales présentée est une éthique désincarnée dont l’iden-tité des producteurs est occultée, dont semble niée la réalité du rapport de forces politiques et culturelles qui préside à son élaboration et à son imposition, dont la neutralité est plus postulée que démontrée. Cette lacune est liée aux oeillères paradigmatiques : le normativisme n’a pas le monopole de l’explication de l’éthique.