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Au cours des deux dernières décennies, un nombre croissant d’institutions vouées à l’enseignement supérieur et à la recherche en Études internationales sont apparues en Amérique du Nord, en Europe et ailleurs. Cette évolution indique diverses continuités et discontinuités dans l’étude des phénomènes internationaux. Notamment, le passage des « Relations » vers les « Études » internationales est porteur de promesses vers l’intégration graduelle de perspectives disciplinaires connexes, auparavant considérées en vase clos[1]. En comparaison avec le champ des Relations internationales – traditionnellement associé à la science politique en Amérique du Nord – la diversité disciplinaire des Études internationales est par exemple suggérée par la définition récente de Patrick T. Jackson. Celui-ci propose ainsi que l’objet des Études internationales est « tout ce qui implique des rencontres et des confrontations transfrontalières avec la différence » ([nous traduisons] 2015 : 945). Cette définition large dépasse ainsi le cadre des interactions politiques et étatiques, qui caractérise particulièrement les Relations internationales en Amérique du Nord, mais aussi ailleurs. Toutefois, l’accélération du développement et le processus intégrateur qu’opèrent les Études internationales, au cours des vingt dernières années, rendent de plus en plus nécessaire un examen approfondi de l’organisation de ce champ d'étude et de recherche.
Par-delà les « soucis de l’identité [et] de la différence » qui caractérisent les disciplines universitaires (Michel 2012 : 86), il apparaît particulièrement important de mieux comprendre quels sont les objets d’études, les questions et les approches partagées en Études internationales. Il est aussi pertinent de se demander jusqu’où ira (ou peut aller) ce processus d’intégration interdisciplinaire et dans quelle mesure cette intégration marque une césure avec des contextes disciplinaires plus « traditionnels » comme celui des Relations internationales. De manière encore plus pratique, on peut aussi se questionner sur les défis épistémologiques, ontologiques et organisationnels associés à ce parcours intégrateur. Ce numéro thématique a donc pour objectif de partager réflexions, expériences et pistes d’avenir sur ces questions et, plus largement, de fournir un outillage conceptuel renouvelé afin de mieux comprendre le développement récent et l’organisation des Études internationales.
Contexte de production et objet principal du numéro thématique
Parallèlement à ces questionnements essentiels, ce numéro thématique s’insère aussi dans un contexte institutionnel particulier pour la revue Études internationales. En effet, l’année 2014 était l’occasion de souligner le 20e anniversaire de la fondation de l’Institut québécois des hautes études internationales (HEI) à l’Université Laval, qui entretient un lien organique avec la revue[2]. Ce contexte institutionnel représentait un moment privilégié pour réfléchir au passé, au présent et au futur des Études internationales au Québec, dans l’espace francophone et au-delà. En mars 2015 se tenait d’ailleurs le colloque « Les Études internationales et les défis de l’interdisciplinarité » à l’Université Laval, qui avait pour objectif d’amorcer les échanges sur les enjeux sociologiques, politiques et épistémologiques associés au développement récent et à l’organisation des Études internationales. Ce colloque s’arrimait autour de quatre axes particuliers de réflexion, c’est-à-dire l’évolution historique des Études internationales, les problèmes d’intégration épistémologique de divers champs d'étude et de recherche, la conception des Études internationales francophones, et la pertinence sociale de ce champ.
Ces quatre axes ont entre autres été abordés durant une table ronde avec cinq hauts responsables d’écoles et d’instituts canadiens oeuvrant en Études internationales ou dans un champ connexe[3]. Cette table ronde a permis de discuter et de comparer les enjeux existants, les stratégies développées et les pratiques adoptées dans la majorité des institutions oeuvrant pour l’enseignement supérieur et la recherche en Études internationales au Canada. Au-delà de la diversité des stratégies organisationnelles et éducatives, cette table ronde a illustré l’importance des défis associés à l’interdisciplinarité en Études internationales. Plus particulièrement, tous les participants à cette table ronde ont souligné la nécessaire flexibilité organisationnelle afin de dépasser le « provincialisme » associé aux frontières disciplinaires (ou, en d’autres mots, la tendance à aborder les phénomènes internationaux à partir de points de vue disciplinaires restreints) tant dans les programmes orientés vers la recherche que vers la pratique non universitaire. Cette flexibilité représente d’ailleurs des défis pratiques autant en termes pédagogiques que pour les activités administratives et de recherche. Elle se traduit d’une part dans le type d’activités et le contenu livré durant les cours, selon des modes d’enseignement orienté sur des enjeux ou des projets « expérientiels »[4]. D’autre part, elle se traduit aussi par la nécessité d’accroître la communication, la coopération et la coordination interdépartementales entre chercheurs et administrateurs. Comme ces éléments de discussion l’illustrent, le rôle, les avantages et les défis pratiques associés à l’interdisciplinarité constituent des enjeux particulièrement importants pour la majorité des institutions d’enseignement supérieur et de recherche en Études internationales au Canada.
Vu son importance pour l’organisation des activités universitaires en Études internationales, l’axe interdisciplinaire constitue le coeur de ce numéro thématique et le lien entre les différentes contributions qui suivent. À la suite de David Long (2011), nous entendons ici l’interdisciplinarité comme un phénomène complexe et polymorphe incluant des pratiques et des arrangements multi, trans, et néodisciplinaires (voir les définitions de ces termes plus bas). Afin d’inscrire une cohérence aux discussions qui suivent, ce numéro thématique propose néanmoins d’appréhender l’interdisciplinarité de manière plus générale comme un processus cognitif et pratique de circulation et de recombinaison des savoirs permettant à la fois de dépasser les frontières disciplinaires et de reconstituer les champs et les institutions universitaires établies. Définir l’interdisciplinarité comme tel permet ainsi d’étudier le développement de la connaissance et des institutions associées aux Études internationales hors de trajectoires unidirectionnelles ou de représentations fixes. Comme le suggère Frédéric Darbellay, on peut plutôt considérer la dynamique interdisciplinaire à travers une « vision plus dialogique des liens de traduction, de reformulation et de transformation qui se tissent entre et au-delà des disciplines » (2012 : 20). Selon cette perspective, les Études internationales – tout comme d’autres champs interdisciplinaires d'étude et de recherche d’ailleurs – apparaissent comme un espace de production de la connaissance en recomposition intellectuelle et organisationnelle où les apports et transferts disciplinaires s’opèrent de manière réseautique et multidirectionnelle plutôt qu’homogène et linéaire. À partir d’une telle perspective, l’interdisciplinarité englobe une multitude de processus socialement complexes et marquée par la longue durée. Dans le contexte de ce numéro thématique, nous avons cependant accordé la liberté à ses contributeurs de définir un objet d’étude plus circonscrit. À travers les articles qui suivent, la réflexion engagée dans ce numéro thématique permet donc de mieux comprendre l’organisation intellectuelle et pratique des Études internationales, mais aussi, par comparaison, d’autres champs d’étude associés aux sciences humaines et sociales et des effets résultant de leurs configurations interdisciplinaires.
La sociologie des Relations et des Études internationales
En favorisant le développement de cette réflexion conceptuelle et pratique, ce numéro thématique s’inscrit d’ailleurs dans une vaste littérature analysant l’organisation des Études internationales, des Relations internationales ou des sciences humaines et sociales. Par exemple, la sociologie du champ des Relations internationales a été particulièrement marquée dans les dernières décennies par le débat sur le caractère américain du champ – débat notamment introduit par Stanley Hoffmann dans son article intitulé An American Social Science : International Relations (1977)[5]. Dans ce célèbre article, Hoffmann propose que les configurations dominantes du champ des Relations internationales, par exemple les tendances à l’application, l’objectivisme et l’empirisme, puissent être comprises à partir des prédispositions intellectuelles, des circonstances politiques et des opportunités institutionnelles associées au contexte américain de l’après-Deuxième Guerre mondiale. Dans les décennies qui ont suivi, un nombre croissant de chercheurs ont ainsi étudié le développement des Relations internationales à partir d’une perspective « géoépistémique », soulignant d’une part la domination et le provincialisme anglo-américain dans ce champ d’étude et d’autre part, la diversité des trajectoires et des influences disciplinaires développées dans différents contextes géographiques et culturels (Alker et Biersteker 1984 ; Tickner et Waever 2009 ; Balzacq et Ramel 2013)[6].
À partir de la fin des années 1990, la sociologie du champ des Relations internationales suscite aussi une attention croissante notamment après la publication de l’article d’Ole Waever « The Sociology of a Not So International Discipline : American and European Developments in International Relations » (1998). En s’inspirant des écrits du sociologue des sciences sociales Peter Wagner, Waever (1998 : 694) propose, dans cet article, de comprendre l’organisation du champ des Relations internationales à partir de trois « couches sociologiques » irréductibles, c’est-à-dire les couches sociologiques intellectuelles, institutionnelles et politiques[7]. Bien que ces perspectives sociologiques soient souvent entremêlées dans l’usage des chercheurs, les travaux croissants associés à la sociologie des Relations internationales et les débats sur l’interdisciplinarité peuvent être compris à partir de ce cadre analytique. En effet, un nombre croissant de chercheurs s’est d’abord attardé à étudier diverses dimensions associées à la structure intellectuelle du champ. Ceux-ci ont notamment étudié ses diverses tendances théoriques (Breuning, Bredehoft et Walton 2005), thématiques (Hamati-Ataya 2012), communicationnelles (Kristensen 2012) et pédagogiques (Biersteker 2009) afin de mieux comprendre les rapports de force et l’organisation « interne » de la connaissance en Relations internationales. Comme il est expliqué dans la prochaine sous-section de cette introduction, une même perspective sur l’organisation sociologique interne a été largement utilisée afin de comprendre l’influence de diverses traditions et tendances disciplinaires en Études et en Relations internationales.
D’autres chercheurs ont aussi examiné comment les connaissances associées au champ des Relations internationales se développent grâce à l’interaction constante avec des acteurs « externes », c’est-à-dire associés à d’autres domaines d’activité comme la pratique de la politique internationale (Eriksson et Norman 2011 ; Büger et Bethke 2014). Similairement, l’analyse sociologique de type politique a aussi été développée par des chercheurs étudiant les effets de la production universitaire sur les activités internationales « non universitaires » (Büger et Villumsen 2007). En moins grand nombre, certains chercheurs ont aussi analysé les diverses configurations et dynamiques institutionnelles influençant la production de la connaissance en Relations internationales. Ceux-ci ont notamment souligné le rôle de différentes configurations institutionnelles comme les départements universitaires ou les écoles professionnelles (Plantan 2002 ; Eriksson et Sundelius 2005), du contexte institutionnel habituel (Kessler et Guillaume 2012), ou de diverses pratiques organisationnelles (Grenier 2015b) dans les processus de génération et de transmission de la connaissance en Relations internationales. Plusieurs des contributions qui suivent permettent d’ailleurs de développer cette réflexion sur la dimension institutionnelle des Relations et des Études internationales[8].
Bien que relativement moins prolifique, la sociologie des Études internationales a aussi été développée par certains chercheurs particulièrement, mais non exclusivement, aux États-Unis dans la dernière décennie. En s’attardant particulièrement à la structure intellectuelle et au contexte institutionnel des Études internationales, plusieurs chercheurs ont souligné que ce champ d'étude et de recherche est conçu de manière croissante comme étant distinct des Relations internationales (Rosow 2003 ; Hey 2004 ; Forest et al. 2009). John Ishiyama et Marike Breuning (2004) ont par exemple examiné la structure et l’organisation de programmes d’éducation supérieure associés dans 36 collèges et universités de l’Illinois, de l’Iowa et du Missouri afin de préciser les spécificités des Études internationales. Ces auteurs concluent ainsi que les programmes de premier cycle en Études internationales sont très diversifiés, mais que leur développement est fortement lié avec l’existence de programmes d’études supérieures en affaires internationales ou dans un champ connexe. De manière similaire, Jonathan Brown, Scott Pegg et Jacob Shively (2006) ont étendu l’analyse à 140 programmes de premier cycle en Études internationales aux États-Unis. Ces auteurs soulignent ainsi les principaux éléments de convergence, les prérequis, les principaux cours, les exigences de compétences linguistiques et de divergences, tels les programmes d’études à l’étranger, dans ces programmes d’enseignement.
L’interdisciplinarité comme point d’ancrage à notre réflexion
Bien que ce lien soit rarement explicite, les discussions élaborées sur les dimensions interdisciplinaires des Études internationales et des Relations internationales peuvent aussi être comprises à partir du cadre précédent d’analyse. La perspective sociologique interne a particulièrement été utilisée pour ce faire. En 2011, Patrick James (2011) présente, par exemple, un symposium sur les Études internationales qui discute des avantages intellectuels et des défis épistémologiques associés au développement interdisciplinaire du champ. James suggère que l’interdisciplinarité permet de « multiplier les idées et les apports intellectuels tout en évitant les tendances au réductionnisme. [Par contre], l’incohérence est le principal risque résultant de l’expansion de la diversité intellectuelle » ([nous traduisons] 2011 : 89). Ce symposium apporte aussi un éclairage important sur les apports potentiels de divers champs d’étude moins conventionnels en Études et en Relations internationales (par exemple la psychologie, les études sur la technologie et la neuro-économie), les collaborations interdisciplinaires étant plus communes avec des chercheurs originaires de la science politique, du droit ou de l’économie, du moins en Amérique du Nord.
En 2011 paraît aussi un ouvrage dont l’objet principal est d’explorer les Études internationales comme un champ interdisciplinaire et – par le fait même – plus large et relativement distinct des Relations internationales (Aalto et al. 2011). Cet ouvrage réunit diverses contributions conceptuelles et empiriques sur le rôle de l’interdisciplinarité sur le plan des traditions intellectuelles et de structure des idées associées aux Études internationales. Notamment, David Long (2011) propose une typologie permettant de distinguer les divers processus interdisciplinaires et usages de l’interdisciplinarité en Études internationales grâce aux concepts plus précis et « gradués » de multidisciplinarité, transdisciplinarité et néodisciplinarité. De manière synthétique et selon Long, la multidisciplinarité propose que « plus d’une perspective disciplinaire soit nécessaire pour comprendre certains sujets ou problèmes » ; la transdisciplinarité implique la « fertilisation croisée et la possibilité de transformation des paradigmes disciplinaires » ; tandis que la néodisciplinarité apparaît comme un nouveau champ d’études relativement cohérent, mais qui demeure en contradiction avec les disciplines établies puisqu’il traverse leurs frontières traditionnelles (2011 : 39-40, 52)[9]. Dans le même ouvrage, Iver B. Neumann (2011) supplémente cet outillage conceptuel en suggérant que les Études internationales représentent un cas de « fusion » – plutôt que de « fission » – interdisciplinaire. Faisant écho à James, il souligne aussi que le principal obstacle à leur développement demeure celui de cohérence ou de la cohésion épistémologique. Cet obstacle résulte non seulement de différents « types », mais surtout de ce que Ian Hacking qualifie de différents styles de raisonnement utilisés à travers les disciplines. En s’inspirant du travail majeur de Julie T. Klein sur l’interdisciplinarité, on peut ainsi suggérer que cette cohérence épistémologique s’articule plus facilement entre champs et tendances disciplinaires qui sont davantage engagés envers l’application de la connaissance aux « problèmes non résolus de la société » ([nous traduisons] 1990 : 42) qu’envers la poursuite d’objectifs plus « strictement » scientifiques (à ce sujet, voir aussi Alto et al. 2011).
Malgré son importance dans le développement des Études internationales, la réflexion sur l’interdisciplinarité a aussi été utilisée pour comprendre les spécificités des Relations internationales. Par exemple, Lucian Ashworth (2009) analyse le rôle de l’interdisciplinarité dans l’histoire de ce champ et plus précisément durant trois périodes importantes pour son développement[10]. En se référant particulièrement à la structure intellectuelle des Relations internationales, Ashworth suggère, d’une part, que ce champ a toujours été organisé autour d’un « sujet interdisciplinaire », mais qu’il n’est pas, d’autre part, assez interdisciplinaire comme il « n’absorbe que tardivement la plupart des idées et des approches qui ont transformé les sciences sociales durant les décennies 1960 à 1980 » ([notre traduction] 2009 : 16). Ainsi, les Relations internationales apparaissent entretenir une relation relativement « étrangère » ou incertaine avec l’interdisciplinarité, et cela, particulièrement en Amérique du Nord où celles-ci sont généralement organisées comme un sous-champ de la science politique.
Au-delà de la sociologie des Études et des Relations internationales, les réflexions qui suivent s’inspirent aussi des apports de plusieurs travaux théoriques et empiriques majeurs sur les rôles, les processus et les pratiques associées à l’interdisciplinarité dans le champ universitaire (Klein 1990 ; Lattuca 2001 ; Garforth et Kerr 2011). Par contraste, ces travaux développent une réflexion sur la constitution de ce que Tony Becker et Paul R. Trowler (2001) définissent comme les différentes « cultures universitaires » ainsi que les institutions, « territoires », et « tribus » disciplinaires qui les accompagnent. Parmi ceux-ci, Mattei Dogan (1996 ; voir aussi Dogan et Pahre [1991]) offre une perspective historique et analytique particulièrement éclairante sur l’organisation de la connaissance dans les sciences sociales, et particulièrement sur les processus de transformation des disciplines que l’on associe ici à l’interdisciplinarité. Plus précisément, Dogan propose que le développement des sciences sociales soit affecté par un double processus de « fragmentation des disciplines formelles et de recombinaison des spécialités résultant de cette fragmentation » ([notre traduction] 1996 : 297). Ainsi, cet auteur suggère qu’il est plus réaliste de comprendre les projets et activités interdisciplinaires à partir de transformations graduelles telles la différenciation (ou la fragmentation) des disciplines en sous-spécialités et la combinaison (ou l’hybridation) des sous-spécialités émergentes, plutôt qu’en matière de combinaison de disciplines « complètes » (notamment en raison de l’étendue des connaissances associée à chaque discipline de nos jours). Cette perspective processuelle peut ainsi permettre de mieux comprendre la relation et l’émergence des Études internationales, dans les dernières décennies, à partir ou en relation avec d’autres champs tels les Relations internationales.
Organisation du numéro thématique
Les contributions suivantes s’inscrivent ainsi dans une riche littérature théorique et empirique, particulièrement anglophone, sur la sociologie des Études et des Relations internationales ainsi que sur le rôle et les processus relatifs à l’interdisciplinarité dans le champ universitaire. Pour ce faire, ce numéro thématique accueille des contributions issues de diverses cultures disciplinaires dans l’objectif d’offrir un jalon, du moins dans la littérature francophone, dans la réflexion sociologique et épistémologique sur le développement et l’organisation des Études internationales[11]. Plus précisément, ce numéro thématique présente cinq contributions analytiques permettant d’approfondir les questions précédemment énoncées. Ces contributions s’articulent autour de quatre perspectives spécifiques.
Tout d’abord, les deux premières contributions jettent un nouvel éclairage sur le développement et les grands contours des Études internationales, avec un accent particulier sur son apport à l’interdisciplinarité. Afin de faciliter un réel passage de l’enseignement des Relations internationales vers les Études internationales, Thomas Biersteker indique qu’il existe trois grands défis à surmonter, malgré des progrès importants en ce sens depuis les 30 dernières années. Précisément, il propose que nos programmes doivent transcender la monodisciplinarité, surmonter notre tendance au retranchement vers notre discipline mère (que ce soit la Science politique, le Droit ou la Sociologie, parmi d’autres), et finalement intégrer les connaissances pratiques dans nos enseignements. Dans l’optique des défis lancés par Biersteker, l’article suivant d’Anne-Marie D’Aoust et de David Grondin nous trace un portrait contemporain des Études internationales au Canada et au Québec. En développant la réflexion associée à ce numéro thématique, les auteurs proposent notamment d’adopter une approche « indisciplinée » en Relations internationales. Leur contribution analytique et empirique fait ressortir les particularités canadiennes et québécoises face à ces enjeux et ouvre une réflexion importante sur les cadres conventionnels, et particulièrement théoriques, associés au champ (et leur remise en question).
Les deux articles suivants nous informent sur les façons dont les Études internationales inspirent des recherches originales, dont les frontières ne dépassaient guère, auparavant, les confins disciplinaires. Dans un premier temps, Nicolas Pedro Falomir Lockhart utilise une approche interdisciplinaire, s’appuyant sur le Droit et les Relations internationales, pour mieux expliquer une application inconsistante des clauses démocratiques dans les traités des organisations régionales. Pour sa part, Jean-Michel Marcoux propose un regard unifié sur les mêmes disciplines pour analyser l’évolution de la codification des responsabilités des investisseurs étrangers. Ces deux articles démontrent qu’un retranchement vers la monodisciplinarité présente une image tronquée, sinon biaisée, de grands enjeux internationaux contemporains.
Ce numéro thématique se conclut avec un examen rétrospectif et prospectif sur l’élargissement, le renouvellement et les points de rupture des programmes d’Études internationales. Gabriel Arruda et Gilles Breton démontrent, avec données à l’appui, que les Études internationales s’inscrivent non seulement en réaction aux champs disciplinaires, mais aussi dans un effort de redéfinition de son propre apport à l’étude de phénomènes internationaux. Il s’agit là du lourd fardeau que porte un champ émergeant, qui peine à faire sa place au firmament des explications possibles des grands enjeux internationaux, transnationaux et globaux.
Conclusion
Ce numéro thématique constitue à la fois en effort collectif pour tracer l’évolution ontologique, épistémologique et empirique des Études internationales depuis la création des HEI il y a plus de 20 ans, et une évaluation introspective des défis actuels et futurs qu’il nous incombe de relever. C’est le lot d’un champ émergent qui vient secouer les remparts des grandes disciplines d’études classiques des phénomènes internationaux. Il est porteur d’espoir, tout en étant source d’anxiété. Face aux programmes d’Études internationales, ses disciplines fondatrices vivent une certaine crise d’identité. Si les programmes d’Études internationales s’imposent dans les enceintes universitaires, que reste-t-il de la contribution des Relations internationales, du Droit international ou de la Sociologie appliquée aux phénomènes internationaux à leurs disciplines respectives ? Ne s’agirait-il pas là d’un thème important que devrait couvrir un futur ouvrage collectif ?
Appendices
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier Louis Bélanger, Pauline Curien, Nicolas Diotte, les réviseurs d’Études internationales ayant évalué ce numéro thématique ainsi que les membres du comité scientifique du colloque « Les Études internationales et les défis de l’interdisciplinarité » pour leur appui à ce projet de numéro thématique et au colloque associé ayant été organisé en mars 2015 à l’Université Laval. Nous tenons aussi à remercier Corinne Bégin-Blanchet pour l’assistance de grande qualité qu’elle a offerte pour l’organisation du colloque et la préparation de ce numéro thématique. Enfin, nous tenons à souligner l’appui du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada et de l’Institut québécois des hautes études internationales pour leur appui à ce projet.
Note biographique
Érick Duchesne est professeur titulaire à l’Université Laval et Félix Grenier est chercheur associé à l’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève, Suisse.
Notes
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[1]
Il est opportun de rappeler que ces tendances interdisciplinaires ne sont pas inédites dans l’étude des phénomènes internationaux. En effet, de telles tendances ont aussi été observées, par exemple, durant la période de l’entre-deux-guerres (Zimmern 1939, dans Aalto et al. 2011 : 11). Par contre, il est de l’avis des directeurs de ce numéro thématique qu’il est nécessaire de distinguer ces tendances précédentes du mouvement plus récent de construction du champ des Études internationales, qui implique, entre autres, une institutionnalisation plus formelle dans l’espace académique.
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[2]
Depuis la fondation de cet institut, les HEI hébergent en effet la revue Études internationales.
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[3]
Plus précisément, les hauts responsables ayant contribué à cette table ronde sont Louis Bélanger (directeur des Hautes études internationales à l’Université Laval), Ron Levi (directeur adjoint de la Munk School of Global Affairs à l’Université de Toronto), Catherine Liston-Heyes (directrice de l’École supérieure en Affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa), John Ravenhill (directeur de la Balsillie School of International Affairs à l’Université de Waterloo), et Samy Yiagadeesen (directeur associé à la Norman Paterson School of International Affairs de l’Université Carleton).
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[4]
C’est-à-dire dans des activités telles que des stages, des ateliers ou des « camps de formation ».
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[5]
Comme l’a récemment souligné Henrik Breitenbauch (2013), l’argument de Hoffmann a été précédé par une analyse similaire d’Alfred Grosser publiée en 1954 dans la Revue française de science politique, mais qui a reçu relativement moins d’attention dans le champ.
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[6]
Pour une synthèse plus détaillée de cette littérature, voir Grenier (2015a).
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[7]
En termes synthétiques, la couche sociologique intellectuelle représente la structure sociale interne et les traditions intellectuelles qui caractérisent un champ universitaire. La couche institutionnelle réfère plutôt à leurs conditions organisationnelles et aux tendances et configurations disciplinaires. Enfin, la couche sociologique politique considère les relations entre le champ et la société plus largement, c’est-à-dire l’influence des idéologies, des traditions politiques et culturelles, les formes étatiques et sociétales ou encore de politique étrangère sur le développement des Relations internationales en tant que champ d'étude et de recherche.
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[8]
Voir particulièrement les contributions de Thomas Biersteker, Anne-Marie D’Aoust, Nicolas Falomir ainsi que Gilles Breton et Gabriel Arruda. Pour une discussion approfondie sur cette perspective sociologique en Relations internationales, voir particulièrement Grenier et Hagmann (à paraître).
-
[9]
Pour d’autres discussions conceptuelles et typologiques sur l’interdisciplinarité, voir Ross 2009 et Lengwiller 2006.
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[10]
Il s’agit de la période « fondatrice » et « trans-disciplinaire » de la fin du 19e et du début du 20e siècle, la période de développement « américano-centré » des décennies 1950 à 1970, et la période de diversification théorique qui s’ouvre à partir des années 1980.
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[11]
Les directeurs du numéro thématique sont conscients qu’une place prépondérante a été accordée à l’étude des relations entre les champs du Droit et des Relations internationales dans ce numéro thématique. L’objectif n’est pas ici de limiter la réflexion sur les processus interdisciplinaires en Études internationales à ces relations, mais plutôt d’ouvrir la discussion en offrant un point d’ancrage sur ceux-ci. Cette ouverture, nous l’espérons, permettra de générer d’autres contributions qui diversifieront les analyses sur les relations entre les Études internationales et plusieurs autres champs d'étude et de recherche tels que l’économie, la sociologie et l’histoire.
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