Article body

Partant de la constatation que les organisations internationales humanitaires (oih), tant intergouvernementales que non gouvernementales, sont devenues un acteur incontournable des interventions à la suite de catastrophes naturelles ou humaines, l’auteur examine les questions de l’intérêt et de l’investissement de neuf organisations, présentes au Canada, dans les institutions locales. Il pose aussi la question de la différence entre leurs déclarations et leurs pratiques.

L’étude tient compte de la temporalité de l’action des oih : le court terme ou sauver des vies ; le moyen terme ou préparer la réponse aux crises et les prévenir ; et la reconstruction qui participe à l’aide au développement. Deux autres concepts s’opposent : le renforcement des capacités locales par des partenariats, ce qui peut amener les ong locales à remplacer les ong internationales ; et la survie institutionnelle des ong liée à leur légitimité, à la nécessité des collectes de fonds et au marketing vis-à-vis des bailleurs de fonds.

Parmi la vingtaine d’oih occidentales qui gèrent plus de 75 % des fonds, l’auteur en a choisi neuf pour ses recherches : Care Canada, Caritas, Handicap International Canada, Médecins sans frontières Canada, Save the Children Canada, Oxfam Québec, Vision Mondiale, Médecins du Monde Canada et la Croix-Rouge canadienne. Ces organisations sont toutes occidentalocentriques en ayant été fondées dans les pays du Nord. Pour sa démarche, l’auteur s’est appuyé sur les documents et les verbatim de ses entrevues concernant les budgets, les activités, les partenariats locaux, les ressources humaines et le comportement de ces institutions. Il a utilisé la méthode qualitative de la « théorisation ancrée » pour la conceptualisation des données empiriques.

L’étude montre que l’image de marque donnée par toutes les organisations étudiées ne présente qu’un intérêt très limité pour le renforcement des capacités locales. Dans les discours des organisations, le renforcement des capacités locales semble être un synonyme de partenariat : en fait, le but des partenariats est d’atteindre les résultats du projet pour répondre aux obligations des bailleurs de fonds, ou alors d’assurer la sécurité du personnel international avec la coopération étroite des ong locales.

Les bailleurs de fonds exercent une double influence institutionnelle coercitive avec l’imposition de politiques de développement et avec la possession des fonds publics d’aide humanitaire. La rivalité des oih pour obtenir ces fonds par le marketing ne contribue pas au renforcement des capacités locales, les ong locales pouvant se transformer en rivales. Les organisations du Nord préfèrent aussi les partenaires plus faibles, faciles à contrôler.

Sur le plan interne, l’auteur note que le personnel international des oih résiste au renforcement des capacités locales, par crainte des pertes d’emploi qui pourraient s’ensuivre. Il considère que les oih sont des entités ayant une rationalité limitée dont les décisions vont au-delà du fonctionnalisme basé sur les besoins. Les oih peuvent être considérées comme des entreprises privées qui évoluent dans un environnement anarchique et compétitif et qui prennent des décisions pour assurer leur survie. Il rappelle aussi les tensions et les compromis entre la base militante des membres et les bureaucrates salariés, ainsi que la dialectique, siège/terrain entre le siège social et les bureaux de pays, qui serait également présente dans les organisations des Nations Unies.

Enfin, les autres limites au renforcement des capacités locales sont l’urgence des situations nécessitant des décisions rapides concernant l’usage de ressources limitées et le manque de confiance à l’égard des institutions locales, jugées non transparentes ni compétentes.

Les oih ont le choix (théorique) entre trois options : renforcer les capacités locales, ce qui pourrait générer de la compétition ou même les remplacer ; une approche mixte de renforcement des capacités locales et d’intervention directe en parallèle ; ne pas renforcer les capacités locales et intervenir directement. Selon l’auteur, les décisions des oih devraient être fondées sur la complémentarité d’un choix rationnel, de compromis politiques et de contraintes bureaucratiques. Dans tous les cas, l’organisation choisira toujours l’option qui favorisera sa survie institutionnelle.

En conclusion, l’étude met en lumière le fait que la centralisation de l’aide humanitaire ne favorise pas les relations de partenariat avec les organisations locales : cette construction est à l’avantage des organisations occidentales, car elle légitime leur existence. Toutes les oih ont des logiques similaires, indépendamment du type de gouvernance. Le changement doit venir des oih elles-mêmes. Ces organisations donnent priorité à l’action humanitaire d’urgence qui renforce leur légitimité et protège leur survie institutionnelle, celles-ci ne manifestant qu’un intérêt limité pour le renforcement des capacités locales.

Enfin, l’auteur recommande la prudence avant de faire des généralisations ; l’étude n’a abordé que neuf organisations et elle s’est surtout concentrée sur les dynamiques et logiques bureaucratiques en excluant les paramètres historiques et les relations de pouvoir Nord-Sud.

Tenant compte de ces limites et des pistes soulevées, on pourrait souhaiter la réalisation de nouvelles études qui incluraient les autres acteurs humanitaires globaux, les gouvernements, les organisations intergouvernementales et les institutions philanthropiques, et qui exploreraient la question de leur responsabilité principale ou secondaire dans le renforcement des capacités locales.

Le cadre théorique et la méthodologie de l’étude sont de qualité. L’examen de chacune des neuf organisations offre des éléments importants sur leur mode de fonctionnement, bien que cela soit parfois répétitif et qu’il y ait des termes réservés aux spécialistes.