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Issu des travaux du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix créé en 2005, dont l’objectif est de diffuser électroniquement, en français, un maximum de renseignements sur celles-ci, ce dictionnaire se présente cette fois sous forme papier et traite des 187 opérations recensées jusqu’en novembre 2015. L’exercice réalisé par les auteurs et par d’autres collaborateurs a consisté à identifier les interventions internationales correspondant à ces opérations, à présenter l’historique de leur création et de leurs actions et à dresser la liste des dirigeants et des pays qui ont contribué aux opérations en envoyant du personnel.

L’examen de ces « fiches » est facilité par un avant-propos et une introduction exposant les grandes tendances historiques et thématiques de ces opérations qui furent, jusqu’en 1989, peu nombreuses. La fin de la guerre froide, les recompositions des frontières et les conflits identitaires allaient faire augmenter considérablement les interventions onusiennes et autres : 160 opérations au cours des 25 dernières années. Pour les auteurs tout comme pour les études qu’ils citent, les opérations de paix sont devenues populaires parce qu’elles produisent des résultats positifs mesurables et quantifiables, bien qu’il faille probablement nuancer cette affirmation selon les missions.

L’ouvrage est structuré de manière intelligible avec un petit chapitre intitulé « Comment lire le Dictionnaire ». Nous pouvons y trouver une méthode de recherche thématique (opération et mandat, contribution, biographies, doctrines, acronymes) mais aussi, en préambule, quatre sections spécifiques à savoir, primo, une analyse sur les conditions dans lesquelles les premières opérations ont vu le jour, secundo, les caractéristiques spécifiques des activités associées à l’outil militaire, tertio, les tensions doctrinales faisant naître bien des débats dans le monde politique et universitaire et, enfin, la section abordant la question de l’évaluation et de la mesure de leur utilité.

L’index n’est pas utile dès lors que la recherche d’une opération passe par des renvois à des chapitres spécifiques : acronymes de mission, pays concernés (contributeurs ou pays « hôte ») et nom des personnalités avec une petite biographie (chefs de mission, commandant de la force, commissaire de police, chef des observateurs, représentant spécial, etc.). Relevons que pour Michel Liégeois, la sélection des opérations passe par la mise en évidence des trois grands principes onusiens du maintien de la paix que sont le cessez-le-feu, le consentement des parties et l’impartialité. Dès lors, il peut être utile de reprendre sa définition, à savoir qu’une opération de paix est « une intervention multinationale revêtue de la légitimité internationale, visant à prévenir un conflit ou à rétablir, maintenir, stabiliser, consolider ou imposer la paix par le déploiement de personnel militaire, policier ou civil ».

Plus spécifiquement, cet exercice réalisé autour d’une analyse synthétique sur les opérations de paix dans le paysage international contemporain est des plus utiles. Il permet de saisir l’évolution du concept depuis sa « préhistoire » avec la Société des Nations jusqu’aux derniers développements en République centrafricaine, en passant par la résolution 377 de l’Onu (résolution Dean Acheson du 3 novembre 1950), où l’Assemblée générale contournait de possibles veto du Conseil de sécurité, l’apparition des premiers casques bleus en 1956 (Suez), l’Agenda pour la paix (1992) ou le Rapport Brahimi (2000).

Les auteurs montrent clairement combien l’apparition des missions et leurs développements doivent être analysés en tenant compte du contexte historique, de la position des États et du rôle essentiel de certaines personnalités qui furent les pères fondateurs du maintien de la paix. De même, ils explicitent le passage des missions d’observation aux stratégies d’interposition armée, ainsi que l’apparition des quatre piliers sur lesquels reposent les opérations de maintien de la paix de l’Onu : diplomatie préventive, rétablissement de la paix, maintien de la paix et consolidation de la paix. Il est aussi question de définir les opérations de « deuxième génération » post-guerre froide qui se caractérisent par leur multidimensionnalité et la prédominance des activités civiles et de reconstruction. Il s’agit alors d’activités de relance économique, juridique et humanitaire sur fond de désarmement et de réintégration des anciens combattants. Mais ces nouveaux environnements sécuritaires imposent souvent de modifier les règles d’engagement et de mieux protéger les casques bleus, en raison des tensions communautaires et identitaires sous-jacentes, des cessez-le-feu instables et imprévisibles et des État faillis. Les événements de Bosnie-Herzégovine, avec la Forpronu, et de Somalie (Onusom I et II) sont là pour nous le rappeler ; dans ces lieux, les casques bleus subirent les effets de la poursuite des hostilités.

En conséquence, l’Onu et les États s’accordèrent dans l’esprit du rapport Brahimi pour redéfinir les priorités des opérations de paix, tenter de mieux équiper les forces, mettre en oeuvre des mandats « clairs, crédibles et réalistes », tout en cherchant à améliorer les capacités de déploiement rapide. Nous pûmes aussi constater quelques années plus tard cet effort de rationalisation et de professionnalisation du maintien de la paix par de nouvelles mesures : accroissement des fonds disponibles, restructuration du Département des opérations (Domp), création d’une cellule de planification. C’est ce Département qui produisit une doctrine du maintien de la paix (doctrine Capstone) différenciant le maintien de la paix robuste (consentement des parties) et l’imposition de la paix (sans consentement), l’Onu étant concernée par la première catégorie. Les auteurs mettent également en avant les contraintes et les problèmes spécifiques à ces opérations à l’heure actuelle : complexité de la prévention des conflits, dimension régionale des crises, lenteur bureaucratique, prise d’initiatives sur le terrain, recrutement et financement, communication avec les populations locales, facteurs socioculturels sur le terrain, place du « genre », spécialisation et entraînement des troupes, soutien logistique, expertise et recrutement local.

L’ouvrage nous décrit aussi les principes structurants du maintien de la paix et la culture onusienne des opérations de maintien de la paix dont les objectifs, au final, restent la réduction de la violence, l’endiguement du conflit et son règlement. Il nous permet également d’approcher de manière brillante la question des différentes modalités opérationnelles des opérations de maintien de la paix et surtout de mieux appréhender la complexité des outils d’évaluation des opérations en termes de pertinence et d’efficacité.

Assurément, ce dictionnaire de référence est très pratique par la richesse exhaustive des missions et opérations de maintien de la paix, mais il constitue aussi une excellente introduction à la problématique par une analyse dense et claire des dilemmes qui leur sont associés.