Nous nous permettons de souligner de prime abord un point fort qui distingue ce livre, à savoir le style d’écriture adopté par l’auteur ; un style qui penche vers le récit au point que parfois le lecteur semble se retrouver avec un roman captivant. C’est dire, en d’autres termes, que le livre repose sur une analyse scientifique approfondie et rigoureuse qui, en plus, prend appui sur une description ethnographique fine, engagée et engageante, notamment dans certaines situations. Ceci s’explique par le fait que l’auteur reste malgré les distances (vivant au Québec depuis plusieurs années) naturellement fortement rattaché émotionnellement à son pays d’origine, la Tunisie. Cependant, en chercheur averti, il a été amené à porter un double regard intérieur/extérieur sur la société et la culture dans ce pays à travers le prisme du tourisme et du patrimoine, regard qui lui permet de prendre du recul, d’adopter une position de neutralité et d’arriver à une pensée critique totalement éclairée. Rappelons qu’Habib Saidi est professeur titulaire d’ethnologie et de muséologie ainsi que directeur de l’Institut du patrimoine culturel (IPAC) à l’Université Laval au Canada. Il est originaire de la Tunisie, et a effectué ses travaux d’études doctorales sur le tourisme tunisien en mettant l’accent sur l’importance de donner une nouvelle image au pays en sortant du regard colonial (Saidi, 2007). Dans sa thèse, il avait abordé la notion de ‘façade’ ou face cachée de la réalité touristique tunisienne. Il a à son acquis plus d’une vingtaine d’articles scientifiques sur le tourisme et le patrimoine tunisien, largement référencés et très souvent cités. De même qu’il a collaboré à plus de six ouvrages en présentant une contribution en lien avec la réalité touristique tunisienne. Il a également dirigé des collectifs et des numéros spéciaux de revues arbitrées, et organisé plusieurs colloques internationaux au Canada et à l’étranger, sur ces questions. Arrivons maintenant au contenu du livre. Celui-ci fait partie des rares ouvrages référencés sur l’évolution du tourisme tunisien au XXIe siècle. Il est le fruit d’un travail d’enquêtes sur plusieurs années. Il se divise en six chapitres qui débutent par l’histoire de la Tunisie de son indépendance à la dite Révolution de janvier 2011 et se terminent par une analyse de la situation postrévolutionnaire. Ce faisant, l’auteur a suivi une approche ethnographique multi-située, une approche d’investigation où il a analysé plusieurs localités temporelles. Par cette appellation il fait référence à différentes périodes marquées par des régimes et des hommes politiques ou des évènements importants qui ont eu une influence sur le cours de l’histoire du pays. À travers une relecture des informations multimédia (vidéos et écrites) suivies sur le Web, et des entrevues sur le terrain, l’auteur décortique et psychanalyse presque les retombées des évènements sociopolitiques sur l’économie touristique, mais plus encore sur l’impact socioculturel au sein d’une société arabo-musulmane qui se recherche et d’une jeunesse qui n’a pas le même vécu ni nécessairement les mêmes repères que les générations précédentes. Il parcourt la généalogie du tourisme qui évolue du balnéaire, vers le saharien en passant par le culturel et le naturel. On pourrait presque dire qu’il use de la thématique du tourisme pour parcourir en fait l’évolution sociopolitique du pays à travers les périodes historiques et vice-versa. Il le dit bien, il utilise le tourisme comme pré-texte. Il annonce un triptyque emballage-emballement-embellissement (19) analysant le recours par les pouvoirs politiques au développement d’un secteur touristique trébuchant pour appuyer un discours moderniste et qui recherchait une ouverture vers l’Occident. Cette stratégie avait débuté à l’indépendance (1956) par la création de la Société hôtelière et touristique de Tunisie (SHTT) (58) …
Saidi, Habib, 2017, Identité de façade et zones d’ombre. Tourisme, patrimoine et politique en Tunisie. Paris, Éditions PETRA, collection Terrains et théories anthropologiques, 214 Pp[Record]
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Selma Zaiane-Ghalia
Université de Moncton