Abstracts
Résumé
L’article examine le discours religieux sur le roman tel qu’il se manifeste dans un roman édifiant de la fin du xviiie siècle, Le Comte de Valmont, ou les égarements de la raison (1774), de l’écrivain antiphilosophique Philippe-Louis Gérard (1737-1813). Ce roman épistolaire est une des rares oeuvres de l’époque à critiquer aussi violemment le genre romanesque. Loin de se cantonner aux traditionnelles attaques sur la moralité du roman, la critique de Gérard insiste particulièrement sur les effets pernicieux de l’imagination telle que l’exploite le roman, laquelle opère une distorsion dans l’esprit du lecteur qui en vient à confondre le réel et l’imaginaire. Pour Gérard, l’imagination est ainsi non seulement la source des passions, mais également l’ennemie de la raison qui seule peut atteindre la vérité, c’est-à-dire les dogmes fondamentaux du christianisme. En mettant de l’avant une conception de l’imagination réduite à une puissance qui égare la raison, Gérard s’oppose à une longue tradition de penseurs qui, d’Aristote à Pascal en passant par Montaigne et François de Sales, ont réservé à l’imagination une place légitime dans les processus cognitifs. Son roman Le Comte de Valmont manifeste ce rejet complet de l’imagination par l’exploitation d’une poétique de la raison : l’oeuvre est structurée en fonction des thèmes abordés et des discussions philosophiques et théologiques qui sont les véritables moteurs de l’action dans le roman. Le cas de Gérard permet ainsi de constater que le débat sur le roman doit être envisagé comme une partie intégrante de débats plus larges, qui mettent en cause le potentiel cognitif de la fiction narrative et, plus généralement, le rapport de l’homme à la vérité.
Abstract
The article examines the religious discourse on the novel as it manifests itself in an edifying novel of the late eighteenth century, Le Comte de Valmont, ou les égarements de la raison (1774), written by the “antiphilosophe” author Philippe-Louis Gérard (1737-1813). This epistolary novel is one of the few works of the time to criticize with such violence the novelistic genre. Far from being confined to traditional attacks on the morality of the novel, the criticism of Gérard puts particular emphasis on the pernicious effects of imagination as exploited by the novel, which operates a distortion in the mind of the reader who then confuses the real and the imaginary. For Gérard, the imagination is thus not only the source of passions, but also the enemy of reason which alone can attain the truth, that is to say the fundamental dogmas of Christianity. In putting forward a conception of imagination reduced to a power misleading reason, Gérard opposes a long tradition of thinkers, from Aristotle to Pascal, Montaigne, and François de Sales, that reserved to imagination a legitimate place in cognitive processes. His novel Le Comte de Valmont manifests the complete rejection of imagination by the exploitation of a poetic of reason. The work is accordingly structured by the themes and philosophical and theological discussions that are the true narrative motor of the novel. The case of Gérard shows that the debate on the novel must be seen as an integral part of wider debates that involve the cognitive potential of narrative fiction and, more generally, the relationship of man to truth.