RecensionsBook reviews

GELLER, Peter Northern Exposures. Photographing and Filming the Canadian North, 1920-1945, Vancouver, Toronto, UBC Press, 258 pages.[Record]

  • Anne-Hélène Kerbiriou

…more information

Si les livres sur la photographie ne se comptent plus, les travaux réellement documentaires dans le domaine sont suffisamment rares pour que celui-ci mérite d’être signalé, d’autant plus qu’il présente de grandes qualités. C’est un ouvrage dense, précis, remarquablement fouillé, et dont l’écriture, ce qui ne gâte rien, est rapide, agréable, pertinente. Le propos de l’auteur est d’exposer la manière dont des groupes institutionnels (le gouvernement canadien, l’Église anglicane et la Compagnie de la Baie d’Hudson) ont élaboré et donné à voir une imagerie nordique au cours des premières décennies du XXe siècle. Dans ces groupes se détachent deux individus, Archibald Lang Flemming, missionnaire anglican, et Richard Finnie, prolifique photographe et cinéaste travaillant essentiellement pour le gouvernement. L’ouvrage se découpe en six chapitres. Le premier, «Taking pictures and making history», tient lieu d’introduction théorique aux représentations photographiques du Nord canadien. Après une (trop) brève évocation des difficultés et des ambiguïtés de l’analyse des «vérités construites» de la photographie, l’auteur propose d’aborder le sujet de manière très classique par l’étude de la production, de la circulation et de la réception des images (p. 8). La méthodologie choisie, prenant pour base le fait que les photographies ne prennent leur sens que par juxtaposition les unes avec les autres, paraît empiriquement juste, sachant que dans ce domaine, chaque chercheur est un peu livré à lui-même. Cela apparaît clairement d’ailleurs dans les références de l’auteur. Elles sont incontournables (Alan Trachtenberg, Bill Nichols, John Tagg), mais commencent aussi à dater (tous les ouvrages cités en référence dans le champ des études analytiques en photographie remontent à au moins 15, si ce n’est 20 ans) ; cela ne provient pas d’une lacune de l’auteur, mais du fait que ce champ d’études est plutôt délaissé actuellement. L’auteur interpelle le lecteur dès la préface, évoquant toutes les questions que l’on peut se poser, non seulement sur ce que l’on voit, mais aussi sur ce que l’on ne voit pas. La photographie, capture d’instants du réel, choisit, sélectionne, mais aussi «déréalise». L’un des défauts de cette étude sans doute est que, même si l’auteur en est conscient, il effleure à peine cette dimension. Mais il faut bien avouer qu’elle est particulièrement insaisissable. L’autre ambiguïté de la photographie tient du phénomène inverse: si un ensemble de prises de vues a le pouvoir de créer une image quelque peu mystificatrice (de l’autre, d’un territoire, d’une «atmosphère»), il n’en reste pas moins qu’elle se fonde sur le réel, et que ce réel lui-même joue son rôle dans l’image qui en sera ultérieurement donnée. Toutes les études en photographie achoppent sur cette articulation entre la réalité temporelle et «l’immortalisation» irréelle. L’auteur, dès ce chapitre d’introduction, pose bien la question primordiale, celle qui est particulièrement intrigante pour quiconque a abordé ce thème: «que signifie cette prépondérance des photographies et des films ayant le Nord pour sujet?» (p. 5), proportionnellement aux documents écrits s’entend, et comparativement à d’autres régions. Effectivement, l’un des paradoxes du Grand Nord est que, même s’il véhiculait toute une «mythologie» à l’époque des explorations, sa découverte s’est faite sur le mode de la «preuve»: les arpentages, les explorations, les contacts avec ses habitants coïncident chronologiquement avec les développements techniques des prises de vue, de la photographie et du film, qui, dans les premières décennies du XXe siècle, peuvent s’effectuer dans des conditions plus difficiles et atteindre les contrées les plus reculées. Dans le cas du Nord, photographies et films présentent clairement une dimension institutionnelle, sachant que peu de personnes pouvaient se livrer à de telles activités à titre individuel, pour des raisons simplement pratiques et de coût – aborder …