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D’aucuns admettent que les premières années d’enseignement sont remplies de défis et qu’il importe d’offrir des mesures de soutien aux enseignants débutants (Brault-Labbé, 2013; Desmeules et Hamel, 2017). À cet égard, il s’avère essentiel de connaître la nature des besoins de soutien que ressentent les nouveaux enseignants, afin de leur offrir du soutien pertinent en adéquation avec leurs types de besoins, tel que nous l’avons fait valoir dans une précédente chronique (Carpentier, 2017). Dans le cadre de notre recherche doctorale (Carpentier, 2019), nous avons donc élaboré une typologie des besoins de soutien des enseignants débutants à l’aide d’analyses factorielles (Field, 2013) et nous avons également dressé un portrait statistique de leurs types de besoins de soutien. Près d’un an après le dépôt final de notre thèse, nous présentons ci-après certains résultats issus de cette recherche et nous proposons quelques pistes de réflexion et de questionnement qu’ils suscitent.
D’abord, des analyses factorielles confirmatoires ont permis de valider une typologie composée de cinq types de besoins de soutien : 1) les besoins de soutien liés à la socialisation organisationnelle renvoient à l’intégration et à l’acclimatation des enseignants débutants dans leur nouveau milieu de travail; 2) les besoins de soutien liés à l’enseignement réfèrent au développement des compétences professionnelles propres à l’acte d’enseigner; 3) les besoins de soutien liés à la gestion de la classe touchent l’environnement socioéducatif de la classe ainsi que la gestion des comportements dérangeants; 4) les besoins de soutien liés à la différenciation pédagogique font référence au développement des compétences nécessaires pour répondre aux besoins des différents élèves; 5) les besoins de soutien de nature personnelle et psychologique englobent les aspects affectifs de l’insertion professionnelle de l’enseignant.
Ensuite, cette typologie ainsi que des analyses descriptives ont permis de dresser un portrait des types de besoins de soutien véritablement ressentis par les enseignants débutants. Mentionnons d’emblée que la majorité des répondants estiment ressentir un besoin de soutien moyen ou important pour tous les types de besoins de soutien. Ce sont les besoins liés à la gestion de classe et à la différenciation pédagogique qui sont les plus répandus (78 % des répondants), mais les besoins liés à la socialisation organisationnelle (71 %), ceux de nature personnelle et psychologique (69 %) et ceux liés à l’enseignement (65) demeurent importants pour la majorité des enseignants interrogés (n = 156).
En observant et en comparant les fréquences obtenues chez les enseignants selon leur nombre d’années d’expérience (entre 1 et 5), nous avons pu remarquer que pour les besoins de soutien liés à la socialisation organisationnelle, les besoins sont plus présents lors des deux premières années de l’entrée en carrière, alors que pour les quatre autres types de besoins de soutien, les fréquences demeuraient assez stables. Ainsi, la majorité des types de besoins de soutien ressentis par les enseignants débutants ne semblent pas diminuer ou s’atténuer durant les cinq premières années de la carrière, en dépit de tous les efforts déployés par le milieu pour les soutenir. Ce résultat peut, en partie, expliquer une inadéquation perçue par certains enseignants entre leurs types de besoins de soutien ressentis et leur perception du soutien reçu. Effectivement, les analyses révèlent que la majorité (entre 64 % et 79 %) des participants estiment avoir reçu peu ou pas de soutien quant aux besoins qu’ils éprouvaient.
Les entrevues réalisées afin de comprendre ces résultats ont mis en lumière différents éléments, dont le fait que les débutants ne peuvent généralement pas choisir le soutien qui leur sera octroyé, au regard de leurs propres types de besoins. De plus, beaucoup de soutien est prévu dans les deux premières années d’insertion, alors que certains nouveaux enseignants estiment que c’est une période de survie et qu’ils sont moins disposés à être formés. Nos résultats montrent donc que de nombreux enseignants débutants ressentent de grands besoins de soutien qui perdurent dans le temps, puisque plusieurs perçoivent peu ou pas de soutien.
Ces résultats, de même que notre implication dans différents projets en cours, soulèvent quelques questionnements et des pistes de réflexion. D’abord, est-ce possible que plusieurs enseignants qui ont dépassé la phase d’insertion professionnelle (plus de 5 ans d’expérience) ressentent les mêmes types de besoins de soutien que les enseignants débutants? Il est en effet possible de penser que les besoins de soutien des répondants qui étaient dans leur cinquième année d’enseignement ne disparaitront pas comme par magie l’année suivante. En collaborant à différents projets de recherche-action, nous remarquons que plusieurs enseignants plus expérimentés se sentent eux aussi dépassés, surchargés et sont avides de soutien. Nous croyons donc légitime de nous questionner sur la suite du développement professionnel, une fois passée la phase d’insertion dans la profession enseignante. Qu’arrive-t-il aux enseignants qui ont rejeté leur formation initiale qu’ils jugeaient trop loin du « réel » (Kaddouri, 2008; Sjølie, 2014), qui sont arrivés en insertion professionnelle en ressentant des besoins de soutien importants et qui ne jugent pas avoir obtenu le soutien escompté? Quel genre d’enseignants deviennent-ils? Quel genre de mentors sont-ils pour les nouveaux enseignants? Les résultats de notre thèse nous portent à croire que l’accueil dans la profession, ainsi que l’adéquation ou l’inadéquation entre les types de besoins de soutien ressentis et le soutien perçu pourraient être des déterminants importants dans la carrière enseignante et pourraient laisser des traces à long terme. En effet, il est possible de se questionner sur les pratiques pédagogiques, les pratiques d’évaluation et de gestion de classe, le sentiment d’efficacité personnelle, ainsi que sur le bienêtre des enseignants qui ont terminé leur formation initiale en ressentant de grands besoins de soutien et qui terminent leurs cinq premières années de carrière en éprouvant les mêmes grands besoins. Cette réflexion nous amène à une question qui nous confronte : est-ce que les besoins de soutien qui perdurent mettent un frein à la professionnalisation des enseignants? Tardif (2013) estime qu’un des trois grands objectifs du mouvement de professionnalisation de l’enseignement est le passage du métier à la profession et que pour y parvenir, les enseignants doivent se considérer et être considérés comme des experts de la pédagogie qui fondent leurs pratiques sur des connaissances issues de la science. En tenant compte du sentiment d’incompétence pédagogique des enseignants débutants (Martineau et Presseau, 2003) et de leurs besoins de soutien qui se maintiennent au-delà de leur insertion professionnelle (Carpentier, 2019), il est donc légitime de nous demander quand et comment ils pourront se considérer comme des experts. Nous n’avons évidemment pas de réponses à ces différentes questions et nous entamons notre carrière de professeure-chercheure avec la tête remplie d’idées de projets de recherche. En commençant un doctorat sur les types de besoins de soutien des enseignants débutants, nous n’avions évidemment pas prévu que nos résultats nous amèneraient à nous poser tant de questions sur la formation initiale et continue des enseignants.
Appendices
Bibliographie
- Brault-Labbé, A. (2013). Étude de la réalité professionnelle des enseignants du primaire et impact perçu sur la persévérance et la réussite des élèves : perspectives comparées d’enseignants novices, en mi-carrière et seniors. Repéré à http://www.frqsc.gouv.qc.ca/documents/11326/449044/PT_Brault-Labb%C3%A9A_rapport++2013_pers+compar%C3%A9es+ens/7f6b2dca-6469-4275-ad10-ece263b5e869
- Carpentier, G. (2017). Les types de besoins de soutien des enseignants débutants et leur perception de l’aide reçue par le biais des différentes mesures de soutien. Formation et profession, 25(1), 100-102. http://dx.doi.org/10.18162/fp.2017.a123
- Carpentier, G. (2019). Les types de besoins de soutien des enseignants en insertion professionnelle au Québec et leur perception de l’aide reçue (Thése de doctorat, Université de Sherbrooke). Repéré à https://savoirs.usherbrooke.ca/bitstream/handle/11143/15821/Carpentier_Genevieve_PhD_2019.pdf?sequence=6&isAllowed=y
- Desmeules, A. et Hamel, C. (2017). Les motifs évoqués par les enseignants débutants pour expliquer leur envie de quitter le métier et les implications pour soutenir leur persévérance. Formation et profession, 25(3), 18-35. http://dx.doi.org/10.18162/fp.2017.427
- Field, A. (2013). Discovering statistics using IBM SPSS statistics (4e éd.). Londres : Sage Publications.
- Kaddouri, M. (2008). L’alternance comme espace de transitions et de tensions identitaires. Dans E. Correa Molina et C. Gervais (dir.), Les stages en formation à l’enseignement : pratiques et perspectives théoriques (p. 59-81). Québec, QC : Presses de l’Université du Québec. http://dx.doi.org/10.14221/ajte.2014v40n3.10
- Martineau, S. et Presseau, A. (2003). Le sentiment d’incompétence pédagogique des enseignants en début de carrière et le soutien à l’insertion professionnelle. Brock Education Journal, 12(2), 54-67. http://dx.doi.org/10.26522/brocked.v12i2.37
- Sjølie, E. (2014). The role of theory in teacher education: reconsidered from a student teacher perspective. Journal of Curriculum Studies, 46(6), 729-750. http://dx.doi.org/10.1080/00220272.2013.871754
- Tardif, M. (2013). Où s’en va la professionnalisation de l’enseignement? Tréma, (40), 42-59. http://dx.doi.org/10.4000/trema.3066