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Introduction

Les réflexions sur l’université émergent avec les chercheurs anglo-saxons qui étudient l’université sous l’angle de la sociologie des organisations. Cette étude va s’étendre en Europe, puis ailleurs. Les prouesses de la gouvernance vont conduire à son appropriation par les dirigeants qui vont introduire les manières de gérer l’entreprise à l’université. On parlera alors de la gouvernance universitaire. L’emprunt et la transposition de la gouvernance à l’enseignement supérieur vont changer les considérations heuristiques sur cet objet et cadre d’analyse. La gouvernance universitaire suscite l’intérêt tant pour les pouvoirs publics et les chercheurs que pour les partenaires publics et privés, les entreprises, et même les médias (Salam Sall, 2017). Elle est l’objet de politique publique pour les pouvoirs publics, objet de recherche pour les enseignants- chercheurs, et socle de l’économie pour les entreprises.

Les trajectoires des universités orientent les définitions et caractéristiques de la gouvernance propre à chaque système universitaire ou à chaque espace géographique. En Grande-Bretagne, la gouvernance universitaire fait référence à « l’exercice formel et informel de l’autorité dans le cadre des lois, des politiques et des règles qui articulent les droits et les responsabilités de divers acteurs, y compris les règles selon lesquelles ils interagissent » (Hirsh et Weber, 2001, cités dans Salam Sall, 2017, p. 10). Les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) conçoivent la gouvernance universitaire comme « une notion complexe qui recouvre le cadre législatif, les caractéristiques des établissements et leurs articulations avec l’ensemble du système, le mode d’affectation des moyens financiers aux établissements et la façon dont ces derniers doivent rendre compte de l’usage qu’ils en font » (Salam Sall, 2017, p.11).

Michaela Martin (2012) va au-delà de cette conception normative de la gouvernance universitaire. Pour elle, la gouvernance dans l’enseignement universitaire englobe « le cadre dans lequel un établissement poursuit ses buts, objectifs et politiques de manière cohérente et coordonnée » (p. 16). C’est dans ce sens que Samuel Mercier (1999, cité dans Leroux et Pupion (2012) appréhende la gouvernance comme « l’ensemble des dispositions qui permettent de s’assurer que les objectifs poursuivis par les dirigeants sont légitimes et que les moyens mis en oeuvre pour atteindre ces objectifs sont adaptés » (p. 255). La gouvernance universitaire « s’intéresse non seulement à la répartition des pouvoirs au sein de [l’université] mais aussi aux différentes logiques d’action, aux modes de coopération ainsi qu’aux processus de décision des acteurs concernés par ces pouvoirs » (Leroux et Pupion, 2012, p. 255).

La pluralité des systèmes universitaires entraîne la pluralité des conceptions des modes d’administration de l’université. Certains systèmes universitaires ont introduit la logique de marché à l’université ; c’est l’approche défendue par les Anglo-Saxons (voir Martin et Ouellet, 2011 et Mok et Lo, 2002). D’autres systèmes y voient la collégialité comme nouveau mode de gouvernance (Bissonnette et Porter, 2013) ; d’autres encore s’attellent à l’introduction du nouveau management public (Mazouz, 2014 ; voir aussi Mazouz et Tardif, 2010) ; tandis que d’autres s’attachent à l’octroi d’une plus grande autonomie et à l’indépendance de l’université vis-à-vis des pouvoirs publics (Prost, 2007). Quelle que soit l’orientation que les systèmes donnent à la gouvernance universitaire, elle a pour finalité l’efficacité de l’université au service du développement.

Dans toutes ces recherches de la meilleure forme de gouvernance, les systèmes universitaires subsahariens semblent rester en marge. En effet, les universités publiques subsahariennes sont marquées par leur inféodation au politique (Adjo Quashie, 1994 ; voir aussi Ngwé et al., 2006) tant il est vrai que leur création et leur gestion relèvent des pouvoirs publics[2]. Elles sont de ce fait des universités administratives[3]. Cette disposition expose un mode de gestion bureaucratique de l’université qui cadre mal avec l’efficacité attendue. En réalité, les structures administratives de l’université et la tutelle qu’est le ministère de l’Enseignement supérieur[4] sont hautement centralisées.

Quoiqu’en marge, les systèmes universitaires subsahariens adoptent les modèles de gouvernance élaborés ailleurs. L’adoption des modèles de gouvernance universitaire s’analyse sous le paradigme de la mondialisation. Cette dernière a un fort ancrage économique. Elle est le reflet de l’intégration des économies nationales en une économie internationale à travers le commerce, l’investissement direct étranger (IDE), les flux de capitaux, les flux migratoires ainsi que les transferts technologiques (Bhagwati, 2004, cité dans Nyahoho, 2012). Dans cette définition, l’intégration retient l’attention car elle est une caractéristique pertinente de la globalisation. Elle s’emploie pour refléter la généralisation des pratiques dans les champs politiques, économiques, culturelles et scientifiques. Cette généralisation se conçoit comme une « action visant à susciter l’adhésion la plus large possible à des principes, des règles, des valeurs dominantes » (Commission générale de terminologie, 2014). C’est donc sous l’angle de la généralisation des pratiques de gouvernance que se perçoit ici la mondialisation.

En effet, l’interaction des systèmes universitaires entraîne les échanges des technologies élaborées par les acteurs pertinents extérieurs[5]. L’échange est l’essence de la mondialisation. Les systèmes universitaires échangent les savoir et les savoir-faire culturels, scientifiques et managériaux constituants des idéaux-types de normes et pratiques en vigueur au niveau international. Ces échanges permettent à d’autres systèmes d’intégrer ces idéaux-types et de réaliser la cohésion de telle sorte que les savoirs partagés, dans leur essence, se retrouvent dans tous les pôles. L’échange est ainsi bien présent dans l’économie du savoir car les universités sont ouvertes au monde. Elles coopèrent entre elles, ainsi qu’avec les institutions internationales, les industries et les organisations non gouvernementales (ONG) internationales. La coopération est le point de départ de la mondialisation. Les acteurs extérieurs de l’enseignement supérieur partagent ainsi les recettes de gouvernance qui ont fait leurs preuves dans leur système. Les acteurs intérieurs les adoptent et les intègrent dans leur système universitaire en vue d’une grande adaptabilité à l’environnement international.

En réalité, les sociétés politiques demeurent depuis le début des années 1990 dans un monde mondialisé du fait de la tendance à l’uniformisation des systèmes politiques et économiques et du mode de vie des populations. L’interaction entre les différents systèmes politiques facilite l’agrégation à la mondialisation. L’université située dans la société politique n’échappe pas à cette dynamique. Elle se mondialise eu égard à l’internationalisation de l’enseignement supérieur, à l’exode des cerveaux (brain drain), au classement des universités, etc. Par conséquent, cette mondialisation influence les universités africaines tant dans leurs systèmes de formation[6] que dans leur mode de gestion. Ainsi, quel est le mécanisme de la globalisation de la gouvernance et quels sont ses effets sur les systèmes universitaires subsahariens ?

L’acquisition de la culture de gouvernance dans les universités subsahariennes s’effectue par le mécanisme de la socialisation à la gouvernance par les acteurs pertinents. Celle-ci entraîne la mutation des systèmes universitaires après l’acquisition et l’intégration de la culture de la gouvernance. La mondialisation de la gouvernance des universités se réalise alors pour la grande adaptabilité et la résilience des systèmes subsahariens à l’environnement international, à la concurrence des systèmes universitaires et aux exigences des marchés internationaux.

L’appropriation de la gouvernance universitaire en Afrique subsaharienne s’analyse avec le néo-institutionnalisme historique et l’analyse stratégique. Le néo-institutionnalisme historique permet de comprendre les mutations de l’université subsaharienne, ainsi que l’implication des différents acteurs dans la mondialisation, et l’analyse stratégique permet de dégager les stratégies de diffusion de la gouvernance par les acteurs extérieurs et les enjeux de son adoption par les systèmes universitaires subsahariens.

L’analyse conduit à accorder une place de choix à la socialisation à la gouvernance des systèmes universitaires subsahariens (1) et aux mutations dans la pratique de cette ingénierie managériale dans les universités (2).

1. La socialisation à la gouvernance des systèmes universitaires subsahariens

La gouvernance universitaire en Afrique subsaharienne est fortement influencée par les systèmes universitaires des pays du Nord. Dans le contexte de la mondialisation, plusieurs initiatives ont contribué à la socialisation des systèmes universitaires subsahariens à la gouvernance. La diffusion de la gouvernance (1.1) et les discours savants y afférents (1.2) facilitent l’acquisition et l’intégration de la culture de la gouvernance.

1.1 La diffusion de la gouvernance universitaire en Afrique subsaharienne

La mondialisation traduit le voeu d’uniformisation des modes de penser, d’agir et de faire. Dans l’enseignement supérieur, elle vise l’uniformisation des savoirs, des savoir-faire et des manières de gérer en tenant compte du contexte. L’Afrique subsaharienne flirte avec l’environnement extérieur qui l’oblige à s’arrimer à l’évolution. La diffusion des modes de gouvernance est très souvent l’action des acteurs institutionnels (1.1.1) et de l’interaction des coopérations universitaires (1.1.2).

1.1.1 Les acteurs institutionnels significatifs de la diffusion de la gouvernance universitaire

Les organisations internationales sont à l’avant-garde de la mondialisation. Elles diffusent, au sein des États membres des valeurs et des technologies qui sont transmises par les autorités publiques au public cible. Dans le volet de l’éducation en général, l’Organisation des Nations-Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et la Banque mondiale auxquelles nous ajoutons l’OCDE, sont des acteurs institutionnels de la mondialisation. Ces institutions internationales obtiennent d’être considérées comme des acteurs pertinents de la mondialisation par leur caractère international et par leurs ressources, qui leur donnent la capacité d’agir dans le sens de la généralisation des pratiques.

D’abord, l’UNESCO contribue à la mondialisation de la gouvernance universitaire en Afrique subsaharienne. Ses ressources se composent de son statut d’institution internationale, de son expertise dans ses champs d’action et enfin de sa capacité financière qui lui permet de financer une activité universitaire. L’UNESCO organise des conférences dans lesquelles sont exposés les outils managériaux des systèmes éducatifs, les défis à relever et les moyens qui peuvent rendre l’éducation compatible avec le développement des États. La conférence sur l’enseignement supérieur en Afrique en 2009 (UNESCO, 2009), sans toutefois minorer la conférence mondiale sur l’enseignement supérieur de 1998, constitue un cadre de transmission des éléments constitutifs de la gouvernance considéré comme universel. Les conférences sur l’enseignement supérieur sont des espaces de réflexion sur les modes de gouvernance de l’université. Elles véhiculent la « bonne gouvernance » qui est « fondée sur une responsabilisation claire et des principes financiers sains » (UNESCO, 2009, p. 8).

L’UNESCO soutient la mise sur pied du mécanisme d’assurance qualité au niveau régional, l’ouverture de l’enseignement à distance et en ligne ainsi que la pertinence des programmes. Elle encourage également les partenariats public-privé qui permettent d’augmenter le financement des universités (UNESCO, 2009). Cette institution renforce l’idée de la professionnalisation de l’enseignement supérieur. En bref, elle stimule la mise sur pied d’un « modèle de gouvernance capable d’accompagner, d’une manière congruente, l’émergence des développements spectaculaires qui reflètent les nouvelles aspirations de toutes les composantes [des] systèmes : de l’éducation, de la recherche scientifique et de la formation et ce, verticalement et horizontalement » (Curbatov et al., 2017, p.14).

Ces leçons de l’UNESCO sur les piliers de la gouvernance sont basées sur les expériences de la gouvernance des systèmes universitaires des pays développés qui allient les objectifs pertinents de la gouvernance aux résultats escomptés. Ces piliers ne sont pas sans effets sur les systèmes universitaires subsahariens. Les pouvoirs publics inscrivent les politiques universitaires dans le sens mondial en faisant converger les universités sous leur autorité à la nouvelle donne.

Ensuite, la Banque mondiale contribue à sa manière à l’introduction des outils de la gouvernance dans les universités subsahariennes. Elle entretient des partenariats avec les universités africaines par le canal de l’Association des universités africaines (AUA) et de l’Association internationale de développement (IDA). L’AUA a pour rôle d’« améliorer la qualité et la pertinence de l’enseignement supérieur en Afrique et de renforcer sa contribution au développement de l’Afrique » (AUA).

D’une part, dans la logique du partenariat avec l’AUA, la Banque mondiale participe à la conception et à la mise en oeuvre des programmes de développement de l’enseignement supérieur en Afrique subsaharienne. Pour ce faire, elle conditionne les financements pour la modernisation de l’enseignement supérieur par l’adoption des piliers de la gouvernance et des bonnes pratiques managériales (Denef et Mvé-Ondo, 2015). Elle met sur pied des projets qui facilitent l’apprentissage de la gouvernance. À partir du projet des « Centres d’excellence en Afrique » (CEA) par exemple, elle introduit l’apprentissage du marché (Cussó et Gonzales, 2017). En effet, selon Deborah Wetzel (2020)[7], les CEA constituent un programme phare qui aide avec succès les universités africaines à offrir des formations de qualité et à développer des spécialisations régionales pour répondre aux besoins du marché de travail. C’est dans ce registre que l’Afrique de l’Ouest, en s’appuyant sur les CEA, renforce son offre d’enseignement supérieur pour répondre aux besoins des marchés en plein essor (Cussó et Gonzales, 2017).

D’autre part, à travers l’IDA, la Banque mondiale finance les projets de renforcement de la qualité des formations et la recherche appliquée dans les secteurs prioritaires tels que la science, la technologie, la santé et l’agriculture[8]. Elle soutient également la régionalisation de l’Enseignement supérieur car, « seule une approche régionale permettrait de partager les ressources et les connaissances entre les différents pays » (Cussó et Gonzales, 2017, p. 6). La régionalisation est un canal avéré de la mondialisation. Elle facilite la convergence des politiques d’enseignement supérieur des États d’un espace géographique ou d’une sous-région. C’est ainsi que les pays subsahariens par exemple ont créé des regroupements régionaux d’enseignement supérieur. Ces regroupements ont permis d’harmoniser la politique d’enseignement, les cursus, les curricula et la création d’établissements universitaires à vocation sous-régionale. Par ailleurs, la Banque mondiale encourage les partenariats avec le secteur privé qui donnent sens à la gouvernance des universités. Elle recommande l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans les stratégies pédagogiques et le renforcement des liens avec le monde du travail. La socialisation des universités subsahariennes à ces outils de la gouvernance permet leur rayonnement, d’une part, et leur intégration dans le système-monde universitaire, d’une autre part.

1.1.2 L’interaction des agences de coopération universitaire

Les pays africains entretiennent des partenariats bilatéraux et multilatéraux en matière d’enseignement supérieur. Ces partenariats se tissent avec les institutions spécialisées à l’exemple de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), l’Association des universités du Commonwealth (AUC) et de l’Association internationale des universités (AIU), ainsi qu’avec les universités extra-africaines.

En premier lieu, l’AUF[9] se présente comme un acteur de socialisation à la gouvernance universitaire (Moudjouri, 2021). Elle transfère la technologie de la gouvernance des universités en Afrique francophone par plusieurs moyens. Par exemple, au moyen des accords-cadres avec les ministères responsables de l’enseignement supérieur, elle participe à la modernisation de l’enseignement supérieur. L’AUF véhicule la modernisation des offres de formation via la professionnalisation des enseignements. Elle apporte son expertise sur les questions d’autonomie des universités, de la culture de l’assurance qualité et de la coopération université-entreprise[10], qui contribuent à la performance des universités. Par ailleurs, elle dispose des campus numériques francophones (CNF)[11], des campus numériques francophones partenaires (CNFP)[12] et de l’Institut de la Francophonie pour la gouvernance universitaire. Ces campus sont des pôles de diffusion directe et indirecte de gouvernance. Enfin, à travers le conseil régional d’orientation stratégique, l’AUF formule des propositions d’actions régionales susceptibles de dynamiser les relations entre l’université et l’entreprise. Cela contribue efficacement à l’insertion professionnelle des diplômés.

L’AUC participe elle aussi à la convergence de la gouvernance universitaire. Elle contribue à réduire les écarts entre les systèmes universitaires subsahariens et ceux des pays occidentaux. Elle stimule le changement dans la gestion des universités subsahariennes. Cet organisme spécialisé accorde une importance, dans sa collaboration, à la mise à niveau de l’infrastructure informatique[13] qui permet l’apprentissage en ligne[14]. Dans le même sillage, le partenariat avec l’AIU contribue à l’amélioration de l’enseignement supérieur au plus haut niveau.

Au demeurant, les partenariats constituent des espaces de diffusion de la gouvernance universitaire. Cette diffusion est renforcée par les discours savants sur celle-ci.

1.2 Le poids structurant des discours savants sur la gouvernance universitaire

La gouvernance universitaire trouve sa matrice dans les discours savants. Ces discours vulgarisent la gouvernance par les recherches (1.2.1) et par l’effet des établissements spécialisés (1.2.2).

1.2.1 La vulgarisation de la gouvernance par les recherches

Les organisations internationales et les établissements spécialisés entreprennent des recherches sur l’enseignement supérieur. Celles-ci ont deux objectifs, l’un explicite, l’autre implicite. Le premier est la contribution à la modernisation de l’enseignement supérieur et le second est la convergence des économies du savoir. Les recherches sont menées soit à l’initiative des institutions internationales, soit avec l’apport conjoint des centres de recherche spécialisés dans l’enseignement supérieur et la recherche. Par exemple, la Banque mondiale a financé la recherche sur l’amélioration de l’enseignement supérieur en Afrique subsaharienne (Materu, 2008). Cette étude portait sur « la nécessité d’améliorer la qualité des établissements d’enseignement supérieur, […] rassurer le public sur la qualité des prestataires privés et […] veiller à ce que l’enseignement offert dans les établissements d’enseignement supérieur publics et privés répondent à des normes locales et internationales acceptables » (Materu, 2008, p. XIII-XIV).

Dans ce registre, le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) a entrepris une étude sur l’état de la recherche, car celle-ci constitue un axe de la gouvernance. Le rapport de synthèse est intitulé État des lieux de la gouvernance de la recherche universitaire en Afrique de l’Ouest et du Centre (Hatier, 2009). Il a pour enjeux l’amélioration du cadre institutionnel au niveau national, la rationalisation des centres et laboratoires de recherche, le développement des synergies entre les équipes de recherche, la réforme du système LMD (Licence, Master, Doctorat), la valorisation des résultats de la recherche et l’accroissement des ressources financières au profit de la recherche.

De même, l’UNESCO et l’IIEP (l’Institut international de planification de l’éducation) ont contribué à la modernisation de l’enseignement supérieur avec plusieurs productions dirigées par des experts. C’est le lieu de citer l’étude La gouvernance dans l’enseignement supérieur : quelles politiques avec quels effets ? de Martin (2012). Ce rapport évalue les effets des réformes de la gouvernance des systèmes universitaires de quatre pays soit le Burkina Faso, le Cameroun, le Maroc et le Sénégal[15], en abordant les questions relatives aux mesures de réforme de la gouvernance dans l’enseignement supérieur et l’efficacité des mesures de la gouvernance.

Les recherches engagées par ces organismes internationaux traduisent les stratégies de diffusion de la gouvernance des universités subsahariennes. Il s’agit pour les systèmes universitaires africains de s’arrimer à l’ordre scientifique mondial vecteur de la coopération universitaire internationale.

1.2.2 La diffusion de la gouvernance par les centres spécialisés

L’apparition de nouvelles technologies politiques et managériales s’est très souvent accompagnée de la création des établissements d’enseignement. Ces établissements analysent ces technologies et servent d’outils à leur théorisation et leur diffusion dans les administrations, les entreprises et dans la société[16]. Par exemple le Centre d’études en gouvernance de l’Université d’OTTAWA qui accorde l’intérêt pour les études de la gouvernance. Dans ce sens, la gouvernance universitaire emprunte les sentiers de l’institutionnalisation. C’est pourquoi de nombreux centres d’étude sur la gouvernance universitaire ont vu le jour. L’Unité de recherche sur la gouvernance de l’enseignement supérieur (HEGOM) de l’Université d’HELSINKI en Finlande, le Centre d’études sur la recherche et les politiques de recherche (CFA) de l’Université d’Aarhus au Danemark sont ainsi créés dans le but d’améliorer l’enseignement supérieur. Dans ce champ, l’IFGU de Yaoundé et l’IIEP font leur entrée dans le cercle des instituts qui offrent des expertises dans le champ de la gouvernance de l’enseignement supérieur. L’Initiative pour la Gouvernance dans le Nouvel espace universitaire francophone (IGNEUF) et le G3 Qualité[17] fédèrent leur expertise dans la gouvernance universitaire au service des établissements universitaires de l’espace Afrique subsaharienne.

L’IFGU, initialement l’Institut panafricain de la Gouvernance universitaire (IPAGU), est créé avec pour objectif « de servir de cadre d’échanges et d’outil de référence » (Préface de Bernard Cerquiglini dans DENEF et B. Mvé-Ondo, 2015) à la gouvernance des établissements d’enseignement supérieur. Il a pour mission de concourir à la bonne performance de l’enseignement supérieur dans la francophonie universitaire en vulgarisant les outils de la gouvernance. Ces outils permettent d’aider les établissements universitaires des pays africains à améliorer leur système de gouvernance par des échanges des bonnes pratiques (Moudjouri, 2021). Par son expertise, l’IFGU accompagne la modernisation de la gouvernance de l’enseignement supérieur grâce à la mise en place des modules de formations, des séminaires et d’ateliers[18] dans lesquels les outils spécifiques de gestion, d’analyse et d’évaluation sont transmis. Il étend ses actions sur l’ensemble des domaines de la gouvernance et il a une fonction d’observatoire de l’enseignement supérieur en Afrique (DENEF et B. Mvé-Ondo, 2015).

Quant à l’IIPE, il a été créé par l’UNESCO en 1963. Il est un institut spécialisé des Nations-Unies ayant pour mandat de renforcer la capacité des États membres à planifier et gérer leurs systèmes éducatifs. L’enseignement supérieur est une liaison covalente dans le système éducatif. Il est donc un objet et un cadre d’étude de l’IIPE. Ce dernier a pour vocation, comme tous les autres centres spécialisés dans l’enseignement, d’apporter son expertise aux établissements d’enseignement supérieur. Il contribue significativement à l’amélioration qualitative de l’éducation en s’adossant sur ses partenariats avec des centres spécialisés qui ont pour objectif la formation et la production d’outils méthodologiques et de connaissances.

La dimension partenariale est significative dans l’apport des nouvelles technologies managériales. Elle facilite l’intégration, et à terme, l’uniformisation des technologies éducatives. L’IIPE va dans le sens de tous les autres instituts qui accordent une attention particulière à l’enseignement. Ses discours sont fondés sur l’amélioration des résultats, la planification, la gouvernance, la transparence, la responsabilité et le financement durable de l’éducation. Il tient des programmes qui renforcent l’enseignement dans les universités africaines. C’est le lieu de relever, par exemple, le programme d’appui au pilotage de la qualité de l’éducation[19], lancé en 2018.

Au demeurant, les universités subsahariennes s’approprient la gouvernance par divers moyens, espaces et acteurs qui contribuent à la socialisation. Ceux-ci sont des leviers pertinents de mondialisation de la gouvernance.

2. Les dynamiques de la pratique de la gouvernance dans les universités subsahariennes

La socialisation à la gouvernance universitaire entraine la convergence des pratiques de gouvernance des systèmes universitaires subsahariens aux systèmes universitaires extérieurs. La multiplication des espaces de débats produit un changement évolutionnaire dans la pratique de la gouvernance. Ces changements sont perceptibles tant du point de vue substantiel (2.1) que du point de vue structurel (2.2).

2.1 Les dynamiques substantielles de la gouvernance dans les universités subsahariennes

La gouvernance universitaire accorde une importance particulière aux piliers qui lui donnent sens. C’est d’ailleurs dans ce sens que s’orientent la plupart des travaux de recherche et des ateliers. Ces activités scientifiques servent de socle à l’introduction des outils de la gouvernance universitaire dans les systèmes universitaires et dans les établissements d’enseignement supérieur (2.1.1). Par ailleurs, il s’y construit des cadres de réflexion pour l’introduction des valeurs dans la gestion des établissements universitaires (2.1.2).

2.1.1 L’introduction des piliers de la gouvernance dans les systèmes subsahariens

La gouvernance universitaire tient nécessairement compte des missions classiques notamment « assurer la formation des compétences […], la promotion et la diffusion des connaissances scientifiques et techniques et contribuer au progrès économique et social du pays par l’innovation et la valorisation du patrimoine culturel et humain du pays » (Denef et Mvé-Ondo, 2015, p. 50). Il ne s’agit donc pas de renvoyer ces missions au rabais du fait de la gouvernance, mais il s’agit de redynamiser l’université dans ses missions pour qu’elle constitue un réel instrument du développement des nations.

Pour ce faire, les pouvoirs publics des pays subsahariens ont engagé des réformes structurelles, managériales et instrumentales dans le but de s’arrimer aux pratiques qui ont cours ailleurs. Les réformes instrumentales touchent aux substances essentielles de la gouvernance que sont les outils de la gouvernance. Ces instruments sont, entre autres, la planification stratégique, l’autonomie, l’assurance qualité, l’évaluation, la professionnalisation des enseignements et la reddition des comptes. Ces piliers de la gouvernance universitaire n’ont pas seulement pour objectif de réformer l’université dans le sens de son rayonnement mais également de faire en sorte que la réforme contribue significativement au développement social et économique (Groffier, 2014).

Primo, la professionnalisation des enseignements qui a cours dans les systèmes universitaires nord-américains, anglo-saxons et européens est appropriée par les systèmes subsahariens. Elle est devenue un objet de politique publique. Au Cameroun, par exemple, le ministère de l’Enseignement Supérieur fait de la professionnalisation un objectif de la gouvernance universitaire (Moudjouri, 2020). Il en est de même au Mali où les autorités universitaires ont fait de la professionnalisation des formations un pilier de la gouvernance dans la réforme de 2011. La donne est partagée par le Burkina Faso qui a entrepris la refondation de son université en 2000. Cette refondation de l’université vise « à flexibiliser et à professionnaliser l’offre de formation » (Martin, 2012, p. 24). Au Sénégal, la professionnalisation de l’offre de formation est également de mise, avec la création en 2005 des pôles universitaires et de technologie. Elle se mondialise comme objet de politique publique dans les systèmes universitaires subsahariens. Elle vise immédiatement l’appui au développement du fait de la mutation des savoirs savants en savoir-faire. Ce sont ces derniers qui contribuent à court terme à l’employabilité des jeunes diplômés dans les entreprises, dans les organismes publics et privés et même à l’auto-emploi.

Cependant, il faut reconnaître que la professionnalisation des offres de formation en Afrique subsaharienne est limitée. Les systèmes universitaires connaissent des difficultés du fait de la déconnexion des besoins réels et de l’absence d’un tissu industriel économique pouvant stimuler les demandes en compétences (Nyamba, 2007). Sous un autre angle, les autorités universitaires ne facilitent pas l’intégration des professionnels des métiers dans les formations. Au Cameroun par exemple, l’accord-cadre stipule que la masse critique des enseignants dans les disciplines professionnelles est composée de 60 % de professionnels et de 40 % d’enseignants-chercheurs. Malheureusement, cette prescription n’est pas respectée. Les enseignants-chercheurs sont les principaux enseignants tandis que les professionnels interviennent très peu dans les formations des apprenants.

Secundo, la gouvernance universitaire s’accommode d’un pilier essentiel qui donne tout le sens à la gouvernance. Il s’agit de la planification stratégique. Elle « consiste à développer des projets en vue d’améliorer l’université » (Denef et Mvé-Ondo, 2015, p. 60). Selon la Commission européenne, la planification stratégique consiste à « concevoir, faire approuver puis mettre en oeuvre des projets destinés à améliorer l’université dans l’exécution de ses missions d’enseignement, de recherche et de service à la société » (Denef et Mvé-Ondo, 2015, p. 59). Les pouvoirs publics et les autorités universitaires vont élaborer de véritables plans stratégiques aux niveaux national et universitaire. Ces plans qui portent sur des changements structuraux, fonctionnels, pédagogiques et même réglementaires ou statutaires (Denef et Mvé-Ondo, 2015).

Les autorités universitaires du Cameroun par exemple ont adopté la stratégie opérationnelle de la nouvelle gouvernance universitaire. Il est « un plan d’action gouvernemental permettant de passer […] d’un enseignement supérieur inefficace, en mal de modernité à la matérialisation de la vision à long terme d’un enseignement supérieur moderne, professionnalisé, résolument ouvert sur la société et le monde, qui réponde à la double exigence de production des savoirs, des savoir-faire et des savoirs-être et savoirs de production de la ressource humaine quantitativement et qualitativement nécessaire à l’édification d’un “Cameroun émergent” » (Ministère de l’Enseignement Supérieur, 2009, p. 3). Ce plan stratégique s’étale sur sept chantiers qui visent la rénovation de l’université camerounaise[20] et son adéquation avec les universités extra- africaines. En Côte d’Ivoire, les autorités universitaires ont élaboré en 2011 un plan stratégique de développement de la recherche scientifique et de l’innovation qui aura permis la renaissance des universités et aura renforcé la gouvernance efficiente de la recherche dont la téléonomie est le développement. Il est néanmoins important de relever que les universités subsahariennes ont des difficultés à élaborer de bonnes planifications, car elles manquent de moyens financiers pour véritablement le faire, ne maîtrisent pas leur environnement et n’ont pas la culture d’anticipation nécessaire (Nyamba, 2007). Ces éléments nuisent à l’efficacité de la planification.

Tertio, les autorités publiques subsahariennes ont adopté le système LMD, issu du processus de Bologne. Si ce processus de Bologne semble être une marque déposée de l’Union européenne (Charlier et al., 2009), il est pourtant lui-même d’inspiration anglo-saxonne. Il met l’accent sur l’excellence, la créativité et la performance (Denef et Mvé-Ondo, 2015). L’harmonisation des diplômes et des cursus en Europe sous le LMD se mondialise. Les États africains s’approprient ce modèle et harmonisent leurs diplômes et cursus dans leur région. Ainsi, en Afrique centrale, les dirigeants publics s’accordent à adopter le système LMD[21], et ce, pour accroître l’adaptabilité, la comparabilité et la compétitivité des universités (Onana et Abessolo Nguema, 2011) de l’Espace commun d’enseignement et de recherche en zone CEMAC. En Afrique de l’Ouest, c’est le Réseau pour l’excellence de l’enseignement supérieur en Afrique de l’Ouest (REESAO) qui constitue l’espace d’appropriation du LMD.

L’adhésion des autorités publiques de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale au LMD montre que ceux-ci ont conscience de la nécessité de s’arrimer au nouvel ordre universitaire, pédagogique et curriculaire. Cet ordre est caractérisé par la concurrence et la compétitivité des universités et des enseignants chercheurs dans tous les domaines de la vie universitaire. Dans cet ordre, les systèmes universitaires sont appelés à collaborer tout en restant en concurrence. Cette dichotomie encourage les systèmes universitaires à intégrer les valeurs des universités compétitives et à accéder progressivement au cercle des universités les plus compétitives dans le monde. L’adhésion au processus de Bologne contribue à l’intégration de la qualité dans les axes de la gouvernance.

En clair, l’adhésion tous azimuts au LMD est une marque de la mondialisation qui tend à être universelle et obligatoire, si les universités subsahariennes veulent être reconnues et classées parmi les meilleures. Par ailleurs, elle constitue une conditionnalité de coopération interuniversitaire avec les universités des pays européens. L’adoption du LMD n’est de ce fait pas neutre, ou alors elle est un mimétisme pédagogique et curriculaire. Elle traduit l’intérêt que les acteurs du système universitaire accordent à la coopération car celle-ci accroît le transfert des technologies pédagogiques. Elle est génératrice des financements à la recherche, et permet la reconnaissance et l’homologation des diplômes et titres universitaires. L’adhésion à ce processus a pour fonction « d’harmoniser les systèmes d’enseignement supérieur […], aboutissant à un cadre des programmes, des diplômes et des compétences » (Materu, 2008, p. XVIII).

Quoique l’adoption du LMD soit entérinée par les systèmes universitaires subsahariens, il n’en demeure pas moins que cette donne universitaire connaît des limites structurelles. Les universités africaines subsahariennes n’ont pas rompu avec la densification des étudiants du fait de l’insuffisance des infrastructures malgré la démocratisation et la libéralisation de l’enseignement supérieur. Ainsi, la massification des étudiants et l’insuffisance des infrastructures fragilisent la mise en oeuvre efficace de ce système.

Consubstantiellement, la boîte à outils de la gouvernance universitaire comprend également l’assurance qualité (Materu, 2008). « Dans l’enseignement supérieur, l’assurance qualité renvoie aux politiques, procédures et pratiques conçues en vue de la garantie, du maintien ou de l’amélioration de la qualité telle qu’elle s’entend dans un contexte spécifique. » (Delpouve, 2015, p. 188). Elle constitue un instrument voire un axe de la gouvernance universitaire qui a pour but de promouvoir la qualité des programmes, des personnels enseignants, des étudiants et des universités. En s’inspirant de l’approche des systèmes occidentaux et en suivant les recommandations des institutions internationales, les décideurs universitaires subsahariens inscrivent désormais l’assurance qualité (Materu, 2008)[22] comme un instrument qui permet de relever le niveau des universités et d’« instaurer la confiance au sein des parties intéressées » (Delpouve, 2015, p. 188).

Les autorités publiques ont une vision prospective car l’évolution du monde exige l’attention sur la qualité des biens et des services. L’éducation, qui est un bien public, mérite donc la mise sur pied d’un instrument qui permet de contrôler la production et la diffusion des connaissances. La réponse des dirigeants africains est de suivre les pays coopérants dans l’optique de mondialiser les pratiques institutionnelles, car elles constituent une condition de coopération et de reconnaissance de la qualité des institutions mises sur pied.

Ainsi, certains pays comme le Nigéria[23], le Cameroun[24], la République de Maurice[25] et la Tanzanie[26] ont mis sur pied des agences d’assurance qualité qui habilitent les établissements privés d’enseignement supérieur. D’autres pays comme le Libéria[27], l’Afrique du Sud[28] et le Soudan[29] ont mis en oeuvre des programmes d’agrément (Materu, 2008). Le Sénégal pour sa part innove avec son agence d’assurance qualité. En effet, l’Autorité nationale d’assurance qualité de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (ANAQ-Sup) étend son action dans la sous-région de l’Afrique de l’Ouest, ce qui, pour une agence d’assurance qualité en Afrique francophone est une exception (Barro, 2020). Tout de même, les États ont montré leur bonne volonté en respectant les recommandations de la Banque mondiale qui permettent de relever le niveau de l’éducation. C’est pourquoi, la République Démocratique du Congo a sollicité l’aide financière de la Banque mondiale pour mettre sur pied son organe d’assurance qualité.

La coopération régionale contribue à la diffusion et au renforcement de l’assurance qualité dans les systèmes universitaires. Ainsi, l’Association des universités africaines avec l’appui de la Banque mondiale et d’autres partenaires au développement lance en 2007 un programme de renforcement des moyens de l’assurance qualité (Barro, 2020). Parallèlement, l’AUF a apporté un soutien au Conseil africain et malgache de l’enseignement supérieur (CAMES) dans la fabrique de l’assurance qualité. Ce dernier s’est constitué en une agence régionale d’assurance qualité. Il a élaboré ses référentiels d’assurance qualité (CAMES, 2014) auxquels les établissements universitaires ont quasiment tous adhéré.

On note désormais une nette amélioration dans la pratique d’assurance qualité au sein des établissements universitaires car le CAMES organise, chaque année depuis 2007, un atelier francophone sur l’assurance qualité (CAMES, 2014). Par ailleurs, les autorités universitaires font usage du guide d’utilisation des référentiels d’évaluation. Il est ainsi admis que « le développement de la pratique d’assurance qualité au sein des institutions est toujours un levier efficace pour l’amélioration de leur fonctionnement, de leurs activités et de leurs résultats » (CAMES, 2014, p. 14). En bref, la qualité est désormais une préoccupation majeure dans la plupart des pays francophones. Ainsi, les décideurs ont réaffirmé la nécessité de lui « accorder une plus grande priorité en tant que composante indispensable de la revitalisation de l’enseignement supérieur (…) » (Materu, 2008, p. 22).

2.1.2 Les mutations avérées dans la gestion opérationnelle des établissements universitaires

La gouvernance universitaire s’accommode avec le changement dans la gestion opérationnelle ou le management des établissements d’enseignement supérieur. D’ailleurs, la gouvernance se laisse appréhender sous la substance de la gestion efficace et efficiente. Dans l’enseignement supérieur, les organisations internationales et les agences de coopération universitaire sont unanimes pour l’introduction des nouvelles valeurs dans la gestion de l’université. Il s’agit prioritairement de la reddition des comptes et de la modernisation des modes de gestion. La reddition des comptes est une caractéristique de la gouvernance financière qui est une autre composante de la gouvernance universitaire. La Banque mondiale a joué un rôle prépondérant dans sa mise en place ; elle en fait une condition de financement des universités publiques. La contrainte d’instauration de la reddition des comptes exerce une influence symbolique sur les pouvoirs publics qui s’engagent sur cette voie.

L’exemple du Cameroun est un cas d’école. Pour assurer l’effectivité de la reddition des comptes, les pouvoirs publics ont mis à la disposition des universités des personnels administratifs et financiers qui ne relèvent pas de l’université. Ce sont des fonctionnaires distincts des enseignants-chercheurs (Fouda Ndjodo et Awono Onana, 2012). Ensuite, les pouvoirs publics appliquent la décentralisation dans la gestion financière au sein des établissements constitutifs de l’université. En effet, avant la réforme de l’enseignement supérieur de 1993, la question financière relevait exclusivement du chancelier de l’université qui était l’unique ordonnateur. À partir de ladite réforme, la gestion financière se fragmente car chaque hiérarchie de l’université devient un pôle de gestion. Ainsi, les recteurs, doyens ou directeurs deviennent des gestionnaires à des degrés variables en fonction de la position dans la hiérarchie. Ce qui est constant, c’est l’autonomie dont jouit chaque gestionnaire à l’égard des ressources financières qui lui sont allouées. L’autonomie est pour ainsi dire une caractéristique et une mesure de la gouvernance. Elle participe à son évaluation, tant dans son efficacité que dans sa pertinence. L’objectif de l’autonomie est de rendre les segments de l’administration plus efficaces en supprimant les lenteurs, les lourdeurs que produit la centralisation dans la gestion. La reddition des comptes permet d’évaluer la transparence dans la gestion des budgets alloués aux divers gestionnaires de l’université.

Le Sénégal, tout comme la Côte d’Ivoire, a introduit la reddition des comptes par le biais de la Banque mondiale (Mbengue, 2018) et des agences de coopération évoquées ci-dessus. La reddition des comptes découle du contrat d’objectifs et de performance que les ministères responsables de l’enseignement supérieur ont signé avec les bailleurs de fonds comme la Banque mondiale. « Le contrat de performance […] est un mécanisme de financement axé sur les résultats et la reddition des comptes » (Mbengue, 2018, p. 15). Ce mécanisme permet d’évaluer l’utilisation des ressources financières tant pour les comparer aux objectifs[30] que pour évaluer les résultats. Le contrat de performance permet la mise à jour de la gestion et de la transparence dans l’utilisation des deniers publics. Les autorités universitaires du Sénégal ont créé des structures d’audit interne dans l’objectif de contrôler l’utilisation des ressources financières générées par l’université (Salam Sall, 2017). Un mécanisme semblable, le contrat d’objectifs et de performance est également mis en place en Côte d’Ivoire par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique avec le soutien de la Banque mondiale et de l’AUF (Banque Mondiale, 2017). Cet outil « permet de donner une visibilité pluriannuelle pour la gestion financière, la gestion des effectifs et l’offre de formation » (Banque Mondiale, 2017, p. 17).

Après l’analyse des dynamiques substantielles de la gouvernance universitaire en Afrique subsaharienne, il est tout aussi pertinent d’objectiver les aspects structurels de ces mutations.

2.2 Les mutations structurelles dans la gouvernance universitaire en Afrique subsaharienne

L’organisation de l’université est soutenue par des structures de gouvernance. Ces structures ont, si elles existaient, muté, ou alors les pouvoirs publics ont créé de nouvelles structures qui répondent aux objectifs de la gouvernance universitaire. La culture de gouvernance a trouvé un terrain fertile dans les universités subsahariennes car les pouvoirs publics ont entrepris des réformes qui ont touché à la gestion interne de l’université (2.2.1) et à la création des espaces d’excellence (2.2.2).

2.2.1 Les mutations dans la gestion interne de l’université

Les pouvoirs publics ont engagé des réformes qui ont visé pour la plupart les structures de l’université et leur mode de gestion. La dynamique prend ses racines de l’extérieur, car les gouvernants occidentaux ont attribué de nouvelles missions à l’université. Celles-ci se sont accompagnées de la mise en place de structures capables d’harmoniser les objectifs aux résultats escomptés. Les changements opérés dans les missions de l’université des pays occidentaux se sont pour leur part accompagnés de la modernisation des organes de gestion. La Loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités (LRU), en France est un exemple où les pouvoirs publics ont élaboré une nouvelle la politique de gestion interne de l’université (Denef et Mvé Ondo, 2015).

Une telle dynamique a également touché les universités subsahariennes. En effet, les dirigeants subsahariens ont fait évoluer à leur tour les missions de leurs universités même si les contenus et les objectifs ne sont pas les mêmes. À titre d’exemple, au Sénégal : « Outre les missions classiques de l’enseignement supérieur, la recherche, la formation, les services à la société, il lui est demandé [l’université], entre autres, de traiter de l’employabilité des diplômés, de permettre une requalification tout au long de la vie, d’élargir le marché du travail et de permettre un savoir-vivre ensemble, la paix dans la diversité et la compréhension mutuelle » (Salam Sall, 2017, p. 9). Les changements entrepris par les autorités africaines s’inscrivent dans la logique du rapprochement de la norme internationale en matière d’enseignement supérieur (Denef et Mvé Ondo, 2015).

Il s’ensuit des modifications des structures de gouvernance qui ont consubstantiellement changé les modes de gestion interne des universités. Ces changements facilitent la coopération avec les universités extra-africaines. Au Cameroun par exemple, le poste de chancelier de l’université est supprimé et, le conseil d’administration est restructuré et doté de nouvelles missions. Le conseil de direction de l’université est désormais constitué du recteur et de trois vice-recteurs. Le conseil d’administration qui était un organe de promotion des enseignants prend la figure d’un véritable organe délibérant qui statue effectivement sur les affaires de l’université. Il est constitué des universitaires, des étudiants, des autorités administratives et des personnels du monde socioprofessionnel.

Ces structures de gouvernance sont présentes dans d’autres universités subsahariennes et elles présentent quasiment la même composition que celles du Cameroun, remplissant les mêmes fonctions à des degrés variables. Ces organes sont créés au Sénégal, au Mali, au Burkina Faso, au Gabon, au Congo, au Togo et au Gabon. La différence se situe dans la dénomination de la direction qui peut être le président de l’université pour certains de ces pays. Les établissements sont dirigés par les doyens ou les directeurs, qui sont assistés des vice-doyens ou des vice-directeurs. Ces différents organes internes de la gouvernance universitaire sont dirigés par des responsables qui sont soit nommées par le pouvoir politique, ou soit élus par leurs pairs. Quelle que soit la modalité d’accès à la tête de ces organes, les critères qui déterminent la qualité de leur gestion sont leur fonctionnement et leurs résultats.

En Côte d’Ivoire, les pouvoirs publics ont créé le Conseil de gestion. Il est « l’organe suprême de gouvernance des universités ivoiriennes. Il est chargé notamment d’exercer sur les autres organes l’autorité et le contrôle permettant de suivre l’accomplissement des missions de service prescrites, de contrôler la préparation et l’exécution du budget et d’examiner le rapport financier de l’agent comptable et le rapport de fin d’exercice » (Banque mondiale, 2017, p. 20). Il est présidé par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique dans chaque établissement universitaire public. Au niveau des établissements, le gestionnaire est le directeur de l’Unité de formation et de recherche ; il est un ordonnateur délégué et gère le budget de l’Unité de formation.

2.2.2 La mise en place des espaces d’excellence

La gouvernance universitaire s’implante avec des structures qui permettent de lire la volonté des pouvoirs publics de faire de l’université un acteur et un vecteur de développement. Des espaces d’excellence sont créés à l’intérieur des États et d’autres ont une vocation plus mondiale, regroupant plusieurs pays. Ces espaces d’excellence bénéficient des soutiens techniques, pédagogiques et financiers des organismes comme la Banque mondiale, l’AUF, l’ACU, l’ACDI (Agence canadienne pour le développement international). Ces soutiens sont de véritables leviers de la mondialisation. Ces pôles d’excellence sont des espaces de coopération universitaire en Afrique et avec le reste du monde.

En Afrique de l’Ouest, les autorités universitaires ont mis sur pied le Réseau pour l’excellence de l’enseignement supérieur en Afrique de l’Ouest (REESAO), dont le siège se trouve au Togo[31]. Cet espace universitaire est le fruit du partenariat avec l’AUF. Dans cette même sous-région, la Conférence des institutions d’enseignement et de recherche a instauré le Programme de troisième cycle interuniversitaire en économie qui dispose des campus communs et un programme doctoral commun à tous les campus (Martin, 2012). Tandis qu’en Afrique centrale, les dirigeants ont, pour leur part, mis sur pied des Pôles d’excellence technologique universitaire (PETU) de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC). Ces pôles, spécialisés dans sept domaines et repartis dans tous les pays constitutifs en fonction de l’avantage comparatif universitaire (Fonds Africain de Développement, 2015), sont des espaces pertinents de la mondialisation.

Par ailleurs, la Banque mondiale et l’Association des universités africaines (AUA) ont lancé le programme des centres d’excellence africain (CEA) en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. Ces centres d’excellence, financé, par la Banque Mondiale[32], visent la formation et la recherche appliquée qui sont essentielles au développement de la région. Ils sont spécialisés dans des domaines de pointe[33] (Banque mondiale, 2020), ce qui renforce la spécialisation qui répond efficacement aux besoins des secteurs privés et publics, suivant le mécanisme de vases communicants entre les universités et les entreprises. Les CEA ont permis l’élargissement de l’accès aux études supérieures à des milliers d’étudiants africains et le développement des compétences dans les domaines prioritaires. Ils concourent au respect des normes internationales en matière de qualité et enfin à l’amélioration des conditions d’apprentissage et d’enseignement (Banque mondiale, 2020).

La mise sur pied des CEA a également des retombées sur le développement. À titre illustratif, le Centre d’excellence africain pour la génomique des maladies infectieuses (ACEGID) situé à l’Université Redeemer’s au Nigéria a réalisé le premier test de dépistage du virus Ebola en 2014. Dans le même registre, le Centre ouest-africain de biologie cellulaire des agents pathogènes infectieux (WACCBIP) de l’Université du Ghana a été le premier à séquencer le génome du coronavirus. Le Centre d’excellence africain en mathématiques, informatique et TIC (CEA-MITIC) de l’Université Gaston Berger, pour sa part, collabore avec l’hôpital de Saint-Louis pour produire les masques en impression 3D. Ces quelques exemples montrent bien les effets positifs de ces institutions dans développement de l’Afrique subsaharienne.

Conclusion

La problématique de l’appropriation de la gouvernance universitaire en Afrique subsaharienne s’inscrit dans le paradigme de la mondialisation. Elle ne constitue pas une transposition mimétique des modes de gouvernance extérieurs aux universités subsahariennes. Les organismes internationaux (la Banque mondiale et l’UNESCO), les agences de coopération universitaire (l’AUF, l’AUC, l’ACDI) et les universités occidentales jouent un rôle pertinent dans le transfert des principes de la gouvernance dans les universités subsahariennes. L’appropriation de ces principes et recettes de la gouvernance est une assimilation intelligente des recommandations mondialistes.

En réalité, l’évolution des affaires mondiales n’est pas limitée aux pays occidentaux, les pays subsahariens se trouvent assimilés voire enrôlés par l’esprit qui gouvernent les évolutions par la coopération. C’est ce qui facilite la reproduction des modèles occidentaux en Afrique ; cette reproduction concourt à la coopération entre les systèmes universitaires. La coopération pour sa part est un facteur de mondialisation. Bien plus, la mondialisation de la gouvernance universitaire est importante pour les universités africaines si elles veulent s’insérer dans l’économie du savoir. Elle est d’ailleurs inévitable, car les universités ne sont pas isolées et résilientes devant les forces du changement. L’appropriation n’est pas toujours du mimétisme, elle est plutôt intégratrice, fédératrice. Donc, la gouvernance universitaire en Afrique subsaharienne n’est pas une transposition mimétique. Elle s’appréhende sous le paradigme de la mondialisation.