Revue Gouvernance
Governance Review
Volume 19, Number 2, 2022 Varia
Table of contents (5 articles)
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Accès aux services de santé en français et gouverne en réseau : différentes représentations et stratégies d’action
Stéphanie Collin, Gabrielle Grenier, Martine McIntyre and Shanie Roy
pp. 1–24
AbstractFR:
Au Canada, l’enjeu de l’amélioration de l’accès aux services de santé en français, surtout dans les provinces hors Québec, s’inscrit dans des relations complexes entre différents acteurs qui poursuivent des objectifs variés. En 2008, au Nouveau-Brunswick, l’État a remplacé les huit régies régionales existantes par deux nouvelles régies, soit la Régie régionale de la santé A (Réseau de santé Vitalité) et la Régie régionale de la santé B (Réseau de santé Horizon). Plus tard, il a été établi que Vitalité fonctionnerait en français et Horizon en anglais, et que les réseaux assureraient la prestation des services de santé dans la langue officielle du choix des citoyens. Ainsi, l’objectif général de la recherche était de comprendre l’influence des dynamiques entre les acteurs d’une gouverne en réseau sur le traitement de l’enjeu que représente l’accès aux services de santé en français. Une méthode qualitative comprenant notamment des entretiens semi-directifs (n=26) a été retenue. Les résultats montrent que, d’une part, l’offre de services dans la langue du choix des citoyens, qui est conditionnée par le cadre juridique sur les droits linguistiques, pousse les acteurs à mobiliser des stratégies axées sur la qualité et la sécurité. D’autre part, l’accès révèle une dimension symbolique, puisqu’il est associé aux notions d’équité et de gouvernance. L’accès aux services de santé en français est un sujet délicat pour l’État, qui demeure en retrait par rapport à celui-ci. Afin de mieux répondre aux besoins en santé des citoyens, cet acteur doit faire émerger des liens de confiance et formuler des objectifs clairs.
EN:
In Canada, the issue of improving access to French-language health services, especially in provinces outside of Quebec, lies within a complex relational dynamic between different actors who pursue various objectives. In 2008, the Government of New Brunswick merged the eight existing regional health authorities into two, Regional Health Authority A (Vitalité Health Network) and Regional Authority B (Horizon Health Network). Later, it was determined that Vitalité would operate in French and Horizon, in English, while ensuring the delivery of health services in the citizens’ official language of choice. The general objective of the research was to understand how the dynamics between the actors of a network governance influence the way the issue of access to health services in French is managed. The research was based on a qualitative method and included semi-structured interviews (n=26). The results show that the legal framework of language rights’ requirement to offer services in the language of choice pushes the actors to mobilize strategies focused on quality and security. The notion of access also has a symbolic dimension, as it is associated with notions of equity and governance. Access to health services in French is a sensitive issue for the government, which tends to steer clear of it. To better address the health needs of citizens, this actor must build trust and set clear objectives.
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La pêche artisanale sénégalaise à l’épreuve de la cogestion : le local désormais utilisé comme échelle de planification des politiques de pêche
El hadj Bara Dème, Patrice Brehmer and Pierre Failler
pp. 25–50
AbstractFR:
L’objectif de cet article est de présenter les potentiels et les limites de la cogestion des pêcheries artisanales au Sénégal. La méthode a consisté à mener un long travail d’investigation dans les différents conseils locaux de pêche artisanale (CLPA) implantés le long de la côte sénégalaise. Les outils de la collecte soumis aux acteurs de la pêche et aux dirigeants des CLPA se sont focalisés sur 40 indicateurs inspirés de la littérature scientifique. Ces indicateurs sont répartis en trois catégories : « Institutions et gouvernance », « Systèmes naturels » et « Personnes et moyens de subsistance ». Ils couvrent toutes les dimensions de la cogestion telle que mise en oeuvre au Sénégal. L’analyse révèle que les CLPA peinent à assumer pleinement le rôle de leadership qui leur est assigné par l’État et leur base sociale. Compte tenu de leur dépendance financière vis-à-vis de l’État et des partenaires de développement, leur capacité d’influence reste faible et leur positionnement sociopolitique, limité. Cette faible affirmation à l’échelle locale est également liée à la fragilité de leur base organisationnelle, qui compromet finalement leur performance économique et écologique. Le cadre de gouvernance locale est marqué par la superposition de plusieurs entités locales (groupements d’intérêt économique [GIE] et associations) sans coordination qui évoluent dans une logique de concurrence. Malgré ces limites d’ordre principalement organisationnel et économique, la cogestion de la pêche artisanale présente des potentialités. En plus de se positionner comme un nouveau cadre local pour la gestion des pêches, les CLPA ont entamé une recomposition de l’architecture institutionnelle locale et constituent des espaces de construction d’initiatives techniques (pour la durabilité des ressources halieutiques) et socioéconomiques (pour l’amélioration des moyens d’existence des acteurs de la pêche). Globalement, la gouvernance des pêches au Sénégal est partagée entre une gestion directive qui s’effrite progressivement et une nouvelle forme, la cogestion, qui tarde à s’imposer efficacement.
EN:
The objective of this article is to present the potential and limits of the co-management of artisanal fisheries in Senegal. The method consisted of carrying out extensive investigation work in the various local artisanal fishing councils (CLPAs) established along the Senegalese coast. The interview guide and questionnaire submitted to fishery stakeholders and CLPA leaders focused on 40 indicators inspired by scientific literature. These indicators are divided into three categories : “governance”, “natural systems” and “populations and livelihoods”. They cover all dimensions of co-management as implemented in Senegal. The analysis reveals that the CLPAs struggle to fully assume the leadership role assigned to them by the State and their social base. Given their financial dependence on the State and development partners, they have little capacity for influence and limited socio-political positioning. This weak self-assertion at the local level is also linked to the fragility of their organizational base, which ultimately compromises their economic and ecological performance. The local governance framework is characterized by the superposition of several local entities (economic interest groups [EIG] and associations) that lack any coordination and operate in a logic of competition. Despite these limitations, which are mainly organizational and economic in nature, the co-management of artisanal fishing has potential. Beyond positioning themselves as a new local framework for fishery management, the CLPAs have started restructuring the local institutional architecture and offer spaces where to build initiatives, both technical (to ensure the sustainability of fishery resources) and socioeconomic (to improve the livelihoods of fishing stakeholders). Overall, the governance of fisheries in Senegal is split into a directive management framework which is gradually crumbling and a new style (co-management) which is slow to take hold.
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L’appropriation de la gouvernance universitaire en Afrique subsaharienne : les dynamiques de la mondialisation
Moudjouri M. Bienvenue
pp. 51–76
AbstractFR:
Cet article porte principalement sur l’idée selon laquelle l’appropriation de la gouvernance universitaire en Afrique subsaharienne s’inscrit dans le paradigme de la mondialisation. En effet, les systèmes universitaires subsahariens sont socialisés à la gouvernance par les acteurs extérieurs que sont les institutions internationales, les instituts spécialisés et les agences de coopération universitaire. Ces acteurs transmettent aux systèmes universitaires africains les piliers de la nouvelle donne managériale. Les systèmes universitaires subsahariens les adoptent et les intègrent en se réformant. L’adoption de ces piliers est une réponse concrète à l’uniformisation des manières de gouverner l’université. Cela leur permet de coopérer avec les universités occidentales, d’obtenir des ressources techniques et financières des institutions financières et des institutions spécialisées. Les systèmes universitaires subsahariens se trouvent enrôlés dans le phénomène de gouvernance universitaire qui est d’actualité dans l’économie du savoir.
EN:
This article is based on the idea that the appropriation of university governance in sub-Saharan Africa is registered in a globalization paradigm. In fact, sub-Saharan academic systems are socialized to governance by external actors, namely international institutions, specialized institutions and university cooperation agencies which give African academic systems a foundation of new managerial technics. Sub-Saharan academic systems adopt this foundation and integrate it into a reform process. These reforms are concrete answer to the standardization of university governance, thereby allowing them to cooperate with Western universities, as well as financial and specialized institutions to obtain technical and financial resources. Sub-sahrians academic systems are included in the university governance phenomenon, which is a topical issue in a knowledge economy.
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La légalisation du cannabis au Canada : les stratégies de résistance du Québec à une politique unilatérale du fédéral
Maude Benoit and Gabriel Lévesque
pp. 77–98
AbstractFR:
Le 17 octobre 2018, le Canada est devenu le premier pays occidental à légaliser le cannabis à des fins récréatives. Ce processus s’est caractérisé par une logique décisionnelle de type top-down et souvent empreinte d’unilatéralisme de la part du gouvernement fédéral. Les provinces disposent néanmoins d’importantes prérogatives sur la question, qu’elles ont utilisées pour s’adapter, voire résister à la politique proposée par le fédéral. À l’aide du concept de stratégies de résistance, cet article analyse la manière dont certaines provinces, et particulièrement le Québec, ont tiré avantage du processus de légalisation pour offrir un contrepoids à la démarche du gouvernement fédéral. Le Québec a ainsi fait usage de stratégies tant offensives que défensives afin de résister à cette politique, de sa formulation à son implantation. Ces résultats mettent en évidence l’importance d’étudier l’étape de la mise en oeuvre de la légalisation, qui a conduit au Canada à une multiplication de politiques différenciées plutôt qu’à un encadrement uniforme.
EN:
On October 17, 2018, Canada became the first Western country to legalize cannabis for recreational use. The policymaking process was characterized by a top-down and often unilateral decision-making approach on the part of the federal government. Nevertheless, the provinces had important prerogatives, which they used to adapt or even resist the framework proposed by the federal government. Using the concept of resistance strategies, this article analyzes how some provinces, especially Quebec, took advantage of the policymaking process to provide a counterweight to the federal government’s coercive approach. Quebec used both offensive and defensive strategies to resist federal policy from the formulation to the implementation stage. The article emphasizes the importance of studying cannabis policy implementation in Canada, which has led to a variety of policies rather than to a uniform framework.
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Algorithmes et intelligence artificielle : une note sur l’état de la réglementation des technologies utilisant la reconnaissance faciale automatique au Canada et aux États-Unis
Stany Nzobonimpa
pp. 99–114
AbstractFR:
Que ce soit par des organismes privés ou publics, l’adoption des technologies de reconnaissance faciale est sujet de controverses, en particulier en raison du manque de lois spécifiques réglementant leur usage. Malgré les questionnements et débats qu’engendrent l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) et la prise de décision automatique dans les pays comme le Canada et les États-Unis, des services de police, entre autres, reconnaissent avoir eu recours à de telles technologies dans divers contextes. La littérature existante montre que les défis qu’apporte l’adoption des technologies ayant recours aux algorithmes de reconnaissance faciale vont des biais liés, notamment, aux erreurs d’identification et d’appariement aux questions d’éthique et de valeurs, en passant par des enjeux environnementaux. Alors qu’une prolifération de ces systèmes de haute technologie permettant l’identification biométrique automatique est de plus en plus remarquable, les outils juridiques et politiques en la matière tardent à s’adapter à un domaine en constante évolution. Cette note fait un tour d’horizon des politiques, des instruments juridiques et des cadres légaux en place au Canada et aux États-Unis vis-à-vis de l’adoption et de l’utilisation des technologies de reconnaissance faciale. En particulier, nous montrons que bien que cette adoption soit chose courante à travers différentes entités, les contextes politiques et les cadres légaux et réglementaires ne permettent pas de faire face à un système d’identification biométrique par l’IA. Les préoccupations en matière de droits de la personne, de vie privée et d’équité invitent à un examen plus approfondi de l’état des instruments en place.
EN:
Whether they are used by private or public entities, facial recognition technologies are subject to debate and controversy, notably around the lack of specific legislation on their use. Although artificial intelligence (AI) and automated decision-making systems have raised questions and sparked debate in Canada and the U.S., police departments have used such technologies in various contexts. Literature demonstrates the challenges brought by facial recognition algorithms range from biases related to errors of identification and matching to challenges of values and ethics, including environmental issues. Despite an increasing trend in the use of leading-edge automated biometric identification technologies, existing legal and policy instruments have not kept pace with the highly evolving field of high-tech. This note provides an overview of the policies and legal frameworks in Canada and in the U.S. with respect to the acquisition, use and integration of facial recognition technologies. In particular, we show that despite an increasing integration of such technologies across various entities, the policy, legal and regulatory frameworks are yet to be adapted to the new reality of AI biometric identification. Issues related to human rights, privacy and equity call for further examination of the instruments in place.