Note critique

Politique de la consommationQuestions nationales dans les récents écrits sur l’histoire de la consommationBAUER, Arnold J., Goods, Power, History : Latin America’s Material Culture (Cambridge, Cambridge University Press, 2001), xx-245 p.COHEN, Lizabeth, A Consumers’ Republic : The Politics of Mass Consumption in Postwar America (New York, Knopf, Distributed by Random House, 2003), 480 p.GRONOW, Jukka, Caviar with Champagne : Common Luxury and the Ideals of the Good Life in Stalin’s Russia (Oxford/New York, Berg, 2003), xii-196 p.HILTON, Matthew, Consumerism in 20th Century Britain : The Search for a Historical Movement (Cambridge, Cambridge University Press, 2003), 396 p.KORINEK, Valerie J., Roughing it in the Suburbs : Reading Chatelaine Magazine in the Fifties and Sixties (Toronto, University of Toronto Press, 2000), 512 p.TIERSTEN, Lisa, Marianne in the Market : Envisioning Consumer Society in Fin-de-Siècle France (Berkeley, University of California Press, 2001), xiii-321 p.[Record]

  • Jarrett Rudy

…more information

  • Jarrett Rudy
    Département d’histoire
    Université McGill

Pour les historiens, la consommation met en lien, d’une part, les interactions et les identités individuelles et d’autre part, des structures économiques et politiques plus vastes. Elle joue un rôle dans les relations interpersonnelles entre les individus. Cela est connu des spécialistes de l’histoire sociale depuis un certain temps déjà : depuis longtemps, des groupes ont le pouvoir de s’approvisionner en biens chez d’autres groupes, parfois en utilisant la force, parfois au nom du droit. De plus, la consommation joue également un rôle de représentation dans les relations de pouvoir, car l’individu se sert d’objets et de rituels de consommation pour exprimer son identité. Cette dernière est comprise d’autrui et elle gouverne les relations humaines. Les biens de consommation constituent une partie essentiellement matérielle d’une langue représentative et transformatrice qui définit les relations de pouvoir. Ces questions d’identité et de relations de pouvoir sont liées, concrètement, à la croissance économique, surtout dans le secteur des biens de consommation, où elles la catalysent. Toutes ces questions sont abordées, dans des contextes géographiques et temporels variés, dans plusieurs travaux récents sur l’histoire de la consommation analysés ci-après. Dans ces travaux, classe, genre et race sont des questions importantes qui occupent généralement une place centrale, et la politique est souvent liée à ces questions cruciales. De fait, cette dernière est une donnée clé dans tous les livres que nous présentons ici, bien que les auteurs concernés situent différemment leurs débats politiques. Chez ces auteurs, on distingue ainsi trois approches des questions de politique. La première s’inspire des études culturelles et elle place la politique dans l’analyse du discours. La seconde est influencée par l’histoire intellectuelle et elle présente une problématique de la politique de la consommation qui s’inscrit dans le domaine des idéologies dont s’inspirent les mouvements de consommateurs. Sur le plan méthodologique, ces deux approches étudient essentiellement des idéologies et des discours dont la cohérence interne est évidente, mais qui ne tiennent pas nécessairement compte d’hypothèses dérivées de sources extérieures. Nous montrerons que cela occasionne certains problèmes, surtout parce que ces auteurs revendiquent une envergure « nationale » pour leurs travaux. Enfin, avec un succès variable, la troisième approche tente d’apporter des solutions à ces problèmes nationaux. Influencée par l’histoire sociale et l’anthropologie, elle considère que le politique s’inscrit de manière diffuse en divers lieux de la société. Ce troisième groupe de monographies met en lumière les tensions entre ces lieux divers où s’exprime le politique, ainsi que les décalages entre les assertions idéologiques et les réalités matérielles. La première approche est illustrée par Lisa Tiersten, auteure de Marianne in the Market : Envisioning Consumer Society in Fin-de-Siècle France. Parmi tous les livres que nous présentons ici, l’analyse de la relation entre politique et consommation faite par Tiersten est celle qui est la moins matérielle et la plus discursive. Sa conception de la politique est basée sur l’étude des idéologies politiques de la France du xixe siècle. Cependant, au lieu de mettre en opposition de grands penseurs (comme cela peut se faire dans d’autres disciplines), Tiersten, historienne inspirée par les études culturelles, analyse les impressions fluctuantes et conflictuelles de la République, telles qu’elles sont débattues par une variété de commentateurs contemporains, qu’il s’agisse d’un romancier comme Zola, d’un politicien comme Clemenceau ou de nombreux spécialistes de la mode et du design intérieur, en affirmant qu’ils s’inspirent de penseurs politiques comme Rousseau. Tiersten montre que, de la Troisième République à la Première Guerre mondiale, quatre questions imbriquées ont joué un rôle important dans les discours sur la consommation : citoyenneté, démocratisation, transformation de genre dans certains milieux et craintes du déclin national. …