L’État des choses[Record]

  • Robert C. H. Sweeny

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  • Robert C. H. Sweeny
    UQAM et Memorial

Selon Martin Petitclerc, dans Why Did We Choose to Industrialize  ?, j’écarte la question centrale de la formation de l’État et ainsi relègue à l’arrière-plan toute question politique. Donc, mon livre « risque de limiter notre capacité à développer un savoir historique critique sur le capitalisme ». Pour moi, la question centrale fut autre chose : pourquoi, dans cette colonie de peuplement, avons-nous choisi de remplacer une économie morale par une économie libérale ? Afin de répondre à cette question, je l’aborde par le local et, ce faisant, je modifie considérablement notre vision de l’État. Au lieu de voir l’État par le haut, on le voit par le bas. Grâce à ce changement de perspective, on voit apparaître la raison d’être de l’État lui-même. Il se révèle comme une structure complexe de contrôle des échanges de choses, afin d’assurer la stabilité de l’unité économique de base de cette colonie de peuplement : les foyers de petits producteurs marchands, organisés pour la plupart en unités familiales. Cela n’est pas la seule tâche de l’État, mais dans cette colonie de peuplement, elle en constitue la plus importante. Cet « État des choses » intervient quotidiennement dans la vie des Montréalaises et Montréalais au début du XIXe siècle. Il encadre, compte, inspecte et rend légitimes des milliers de transactions par jour. Il contrôle la formation et supervise la dissolution des familles, car elles sont les unités productives clés. Cependant, ici à Montréal, en l’espace de quelques décennies, cet État des choses, qui se développe en Europe depuis près de mille ans, s’effondre. Ainsi, mon livre est plutôt une étude locale de la transformation de l’État que de sa formation. Une lutte démocratique précise domine l’historiographie québécoise de cette période, soit les Rébellions de 1837-1838. Or, vues de Montréal, les Rébellions me semblent prendre une tout autre signification que l’historiographie québécoise leur prête. J’analyse en détail l’élection partielle de 1832 et les événements à Montréal avant et après les Rébellions, mais ces moments sont insérés dans une chronique de lutte cosmopolite. Car je considère qu’on établit la nature des rapports avec le pouvoir impérial par la recherche historique ; ces rapports ne sont pas prédéterminés par une quelconque identité nationale préexistante. De plus, la formation de ces identités coloniales - complexes, contradictoires et cosmopolites comme elles le sont - mérite une attention particulière, vu leurs rôles fondamentaux dans le brouillage subséquent des inégalités socio-économiques et politiques au Canada, dont l’effacement historique des Premières Nations compte parmi les plus importants. Je commence par les perceptions populaires de la justice et les actes de désobéissances civiles aux marchés. Ma chronique des Rébellions prend fin avec la conceptualisation très restrictive de bien public prônée par le Conseil spécial dans sa refonte complète du droit bas-canadien entre 1838 et 1840. Je passe tout de suite à une analyse d’un cas d’étude de la formation de classe : la promotion sociale des médecins. Ce métier réussit à se tailler une place privilégiée grâce aux rentes et au contrôle de foyers dont la composition est complexe, reposant en grande partie sur une main-d’oeuvre féminine. L’agencement de ces deux discussions fut délibéré, car Dr Robertson, le magistrat qui a autorisé la fusillade meurtrière de mai 1832, et Dr Nelson, auteur de la déclaration d’indépendance de 1838, de même que Dr Arnoldi qui a visité les patriotes condamnés à mort au Pied du courant, ont tous employé les mêmes stratégies d’ascension sociale. Les rapports de genres sont fondamentaux ici. Les liens sont étroits et multiples entre la lutte pour une démocratie bourgeoise et la consolidation d’un nouveau régime patriarcal. À Montréal, …

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