Chronique sur le métier de chercheur[Record]

  • Pierre Cossette

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  • Pierre Cossette
    ESG UQAM

Faire de la recherche, comme l’a bien exprimé Anne Huff (1999), c’est s’engager dans une « conversation » entre producteurs de connaissances. Que fait chacun d’eux exactement ? En se fondant sur des idées tirées des travaux des autres, y compris en les remettant en question, il pose une question à laquelle personne n’a encore répondu, une question en mesure de faire évoluer ces idées, donc une question ayant un intérêt théorique. Puis, il met en place un appareil conceptuel et méthodologique en vue de répondre à cette question de manière convaincante. En ce sens, le métier de chercheur, c’est de produire des connaissances. Ce qui signifie d’abord que, à strictement parler, l’univers du chercheur, c’est celui des connaissances, pas celui de la réalité elle-même. Le chercheur n’intervient pas directement sur la réalité, sinon lorsqu’il juge essentiel de le faire pour mieux la connaître ou la comprendre, comme dans le cas de la recherche-action. Fondamentalement, le travail du chercheur est toujours d’ordre intellectuel. Mais ces connaissances doivent également être d’ordre théorique. Pourtant, plusieurs recherches ayant requis énormément d’efforts ne nous apprennent à peu près rien de nouveau sur le plan théorique. Cette absence de contribution théorique constitue probablement la cause première du refus par un rédacteur ou une rédactrice en chef d’une revue savante de publier leurs résultats. Dans de nombreux cas, l’apport principal de ces travaux, lorsqu’il y en a un, est surtout social et aurait pu s’inscrire, avec quelques ajustements, dans le cadre de rapports préparés par des consultants pour des entreprises, associations, gouvernements ou autres organismes. Bien sûr, ces connaissances théoriques sont susceptibles d’avoir une pertinence sociale, c’est-à-dire d’intéresser gestionnaires ou autres intervenants et, conséquemment, d’avoir un impact sur la réalité concrète ; d’ailleurs, cette utilité des connaissances théoriques est devenue aujourd’hui un élément crucial pouvant justifier l’acceptation ou le rejet d’un texte soumis à une revue savante. Mais ce qu’on attend foncièrement du chercheur, c’est d’abord et avant tout que son travail apporte une contribution dite « théorique ». Cependant, cette notion n’est pas toujours très claire ou, à tout le moins, ne fait pas consensus. Si l’on se fie à l’usage qu’en font les chercheurs, une théorie peut désigner un ensemble de variables ou de facteurs liés de façon causale ou non, une hypothèse ou un ensemble d’hypothèses représentées graphiquement ou non, une explication de la relation constante qui existerait entre différentes variables et qui témoignerait ou non d’une loi de la nature, une ou plusieurs convictions tenues pour acquises (et associées à un paradigme ou une vision de la réalité), une interprétation d’un événement singulier comme on en fait chaque jour de notre vie, et d’autres choses encore. Dans la majorité des cas, au risque d’accommoder déraisonnablement tous ceux qui revendiquent le droit d’employer ce terme, une théorie renvoie à une explication plus ou moins générale d’événements plus ou moins singuliers (Cossette, 2004). Des termes comme « théorie », « modèle » et « cadre conceptuel » sont souvent confondus, malgré les efforts de certains chercheurs pour bien les distinguer. Ainsi, selon Shapira (2011), une théorie désigne « une structure analytique ou système qui cherche à expliquer un ensemble particulier de phénomènes empiriques » (p. 1313), alors qu’un modèle serait un outil évalué davantage en fonction de son utilité concrète que de sa valeur explicative profonde. Quant au cadre conceptuel, il fournirait une façon d’organiser ses observations de manière claire et cohérente, mais sans permettre de prédire, contrairement à une théorie ou à un modèle ; comme exemple de cadre conceptuel, on peut penser aux trois phases du processus de changement planifié proposées par …

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