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Les années 2020 et 2021 seront à tout jamais marquées par la crise du coronavirus. Une crise sans précédent, profonde et ubiquiste. Le Littré définit une crise comme étant notamment un « moment périlleux et décisif », ce qui caractérise certainement bien la période que nous vivons. La pandémie des années 2020 et 2021 est aussi un événement de type « cygne noir » : la théorie du même nom, développée par le statisticien Taleb (2007), est une métaphore qui décrit un événement imprévisible, ayant un effet majeur et étant souvent rationalisé de manière inappropriée a posteriori. Cela caractérise également bien la crise de la Covid-19. Économiquement, c’est un choc exogène pour tous les acteurs, notamment pour les PME et les entrepreneurs.
Cette situation alimente bon nombre de questionnements sur le plan entrepreneurial et managérial sur lesquels se sont déjà penchés et continuent à se pencher de nombreux auteurs et auxquels de nombreuses revues scientifiques consacrent des numéros spéciaux. Dans le cadre de sa mission de diffusion des travaux de recherche sur les petites et moyennes entreprises (PME) et l’entrepreneuriat, la Revue internationale PME souhaite contribuer à l’avancement des connaissances théoriques, sociétales et managériales de façon à tirer le maximum d’enseignements de cette crise singulière.
L’objectif de cette introduction au numéro spécial sur l’entrepreneuriat et la PME à l’heure de la Covid-19 est, avant d’introduire les cinq articles originaux retenus, de donner un bref aperçu des effets, connus à ce jour, de la pandémie affectant les entrepreneurs, tant au niveau de la dynamique macroéconomique, qu’organisationnelle et personnelle, et de s’interroger sur le lien entre l’entrepreneuriat et la crise de la Covid-19.
1. Les conséquences de la crise aux niveaux macro, organisationnel et personnel
La pandémie est donc une crise, à l’échelle mondiale, imprévisible et ayant une portée exceptionnelle. D’abord une crise sanitaire, la pandémie a rapidement été source de crises politiques, économiques et sociales (Muzio et Doh, 2020). Alors que la crise sanitaire se poursuit pendant 2020, de nombreux pays sont confrontés à des récessions économiques sans précédent. Toujours au niveau macro, la crise est aussi à la source d’autres changements néfastes, comme l’accroissement des inégalités économiques et sociales liées à l’arrêt partiel de l’enseignement. Elle accroît également les inégalités de genre : en effet, elle affecte de manière disproportionnée les femmes entrepreneures (Manolova, Brush, Edelman et Elam, 2020) parce que les secteurs dans lesquels la plupart des femmes exercent leurs activités (commerce de gros ou de détail, éducation, services sociaux, etc.) présentent des barrières à l’entrée plus faibles, dépendent fortement des consommateurs, sont extrêmement compétitifs et sont donc plus touchés par la récession. Avec la fermeture des écoles et les menaces qui pèsent sur les membres plus âgés des familles, les femmes entrepreneures supportent la majorité du fardeau des soins familiaux, tandis qu’elles assument toujours une plus grande part des tâches ménagères. Enfin, les programmes d’aide aux entreprises s’adressent à tous les entrepreneurs et ne prennent pas en compte le genre (Manolova et al., 2020). La crise amplifie aussi les inégalités de taille d’entreprises et affecte donc plus particulièrement les PME.
Jamais, dans l’histoire de nos sociétés modernes, des mesures de restrictions sanitaires de l’ampleur que nous connaissons n’avaient été mises en place : fermeture des frontières, fermeture des entreprises et commerces, télétravail forcé, distanciation sociale et confinement, etc. En lien avec ces mesures, la crise a également un impact catastrophique sur toute une série de secteurs, comme la culture, le tourisme, l’hôtellerie et la restauration, le commerce non alimentaire, voire l’enseignement, pour n’en citer que certains. La crise génère aussi un nationalisme économique et médical : la question de l’approvisionnement des vaccins n’en est qu’un exemple parmi d’autres.
Au coeur de cette crise, les entreprises et les entrepreneurs ont fortement subi les impacts de ces mesures et les effets s’en feront encore sentir durant de longues années.
La Covid-19 affecte les entreprises, notamment parce que les chaînes d’approvisionnement sont perturbées, les opérations sont déplacées en ligne, des réglementations de plus en plus coûteuses sont mises en oeuvre, souvent à très court terme (Muzio et Doh, 2021), et que les individus épargnent plutôt que de dépenser, ce qui constitue un comportement habituel en temps de crise. Dans certains cas, les pertes d’emplois se sont répercutées sur le niveau de consommation, rendant aléatoire et difficilement prévisible la demande pour les produits des entreprises et, par extension, le rythme de production qu’elles doivent maintenir. Beaucoup ont dû fonctionner en mode de « gestion de crise » constante depuis le début de la pandémie. La crise a aussi un impact durable sur le travail au sein des organisations en accélérant leur dépendance à la technologie, comme l’illustre la croissance rapide de la visioconférence et d’autres technologies et plateformes numériques. Pour certaines entreprises, elle aura provoqué un revirement majeur des activités et nombreuses sont celles qui devront affronter des difficultés financières importantes. Cowling, Brown et Rocha (2020) estiment qu’au Royaume-Uni, 61 % des entreprises pourraient manquer de liquidités, avec un risque particulier pour les TPE. Dans le même contexte, Brown, Rocha et Cowling (2020) observent que le financement d’amorçage, soit le financement entrepreneurial le plus important, est le plus durement touché par la crise. Pour de nombreuses entreprises, cette situation se traduit ou se traduira à court ou moyen terme par une cessation des activités.
Au niveau individuel, la Covid-19 a accru les risques d’isolement et/ou de précarisation des personnes. Les individus ont aussi dû apprendre de nouvelles façons de travailler, redéfinissant les frontières entre travail et famille (Muzio et Doh, 2021). De nombreux entrepreneurs, aux prises avec une incertitude grandissante, ont subi des contrecoups importants sur le plan de leur santé mentale et physique. Yue et Cowling (2021) montrent, par exemple, que la réduction de facto du temps de travail et des revenus des travailleurs indépendants au Royaume-Uni a conduit à une détérioration de leur niveau de bien-être subjectif par rapport aux travailleurs salariés, notamment parce que l’aide sociale britannique bénéficiait plus aux salariés. Patel et Rietveld (à paraître) présentent des résultats similaires à l’aide des données américaines. L’on sait également que de nombreuses PME sont caractérisées par une personnification de l’entreprise les rendant plus exposées à des risques liés à la santé du dirigeant qui y exerce un rôle central (Torrès et Thurik, 2019). Or, la pandémie signifie aussi que de nombreux dirigeants de PME et/ou d’entreprises familiales sont décédés ou décéderont prématurément, ou quitteront l’entreprise plus tôt que prévu, de manière forcée ou délibérée, en raison de problèmes de santé ou d’un environnement économique altéré (De Massis et Rondi, 2020). Cela a ou aura également des conséquences importantes sur la gestion de la succession qui risque de se produire de manière inattendue, rapide et non planifiée. Par ailleurs, cela obligera les familles d’entrepreneurs à envisager des alternatives à la succession intrafamiliale, telles que la succession externe, la vente ou la fermeture (De Massis et Rondi, 2020). Les interdictions de voyager ont affecté plus de 90 % de la population mondiale et, du jour au lendemain, le monde connecté s’est transformé en une économie au foyer (World Economic Forum, 2020). Les restrictions de voyage persisteront probablement pendant un certain temps, affectant tout particulièrement les entrepreneurs internationaux (Nummela, Paavilainen-Mäntymäki, Harikkala-Laihinen et Raitis, 2020). On peut également se demander quel impact cette crise aura sur les intentions d’entreprendre : serons-nous et, en particulier, les plus jeunes, plus ou moins enclins à prendre des risques, à opter pour l’aventure entrepreneuriale ? La crise sur le marché de l’emploi contraindra-t-elle les jeunes à opter pour l’entrepreneuriat ? Amènera-t-elle de nombreux employés qui ont/auront perdu leur emploi à créer leur entreprise ? L’entrepreneuriat de demain sera-t-il d’opportunité ou de nécessité ?
De manière surprenante, la pandémie est aussi à la source de changements salutaires.
Aux niveaux macro et méso, nous pensons notamment au fait que, par l’amplification de la numérisation et de la virtualisation, la crise a accéléré la quatrième révolution industrielle. La crise sanitaire a aussi sérieusement freiné la globalisation (ce qui n’est pas nécessairement un avantage à long terme [Razin, Sadka et Schwemmer, 2020]) et a contribué à rendre ses lettres de noblesse au local, aux circuits courts, favorisant l’émergence ou la croissance de PME dans certains secteurs. D’autres secteurs, tels que les coursiers, les plateformes de vente en ligne, les fournisseurs de solutions de visioconférence, les producteurs de moyens de transport à mobilité douce, les soins et la nourriture pour animaux domestiques ou encore les plateformes de diffusion en continu (streaming) ont même bénéficié de la pandémie.
Au niveau des organisations, la crise a donc donné un solide coup d’accélérateur à la digitalisation en général et à celle des entreprises en particulier, créant également des opportunités pour les structures existantes ou émergentes actives dans ces secteurs. Par ailleurs, beaucoup d’entreprises de services professionnels ont réussi à s’adapter aux pratiques de travail à domicile (Muzioh et Doh, 2021). Nombreuses sont aussi les organisations dont les dirigeants ont compris que la productivité ne diminuait pas avec la distance imposée aux employés et nombreux sont ces employés qui ont appris à télétravailler.
Au niveau individuel, on note les changements dans les habitudes d’achat et de déplacement des consommateurs, ainsi que l’accélération de la conversion au commerce en ligne. Certains entrepreneurs auront vu dans la crise des opportunités à saisir. La distanciation sociale et le confinement auront accéléré, pour certains, la digitalisation de leur modèle d’affaires et de leurs opérations. Certains détaillants, disposant ou ayant créé des canaux de vente en ligne, ont aussi pu rééquilibrer leurs opérations de cette manière.
Relevons enfin un élément qui peut être à la fois positif et négatif : cette crise, attribuée par d’aucuns aux dérives du « capitalisme néolibéral[1] », a aussi donné lieu à une mise entre parenthèses, en tout cas partielle, de l’« économique » au profit de la solidarité humaine. La croissance économique et la liberté d’entreprise ont bel et bien été subordonnées à la sécurité et au bien-être collectifs. La pandémie a subitement et radicalement arrêté ce qui semblait être l’« inexorable ascension de la logique du marché » (Muzio et Doh, 2021) et l’a remplacée par des valeurs, des discours et des pratiques liées à des logiques alternatives, telles que celles de l’État et de la communauté (Thornton, Ocasio et Lounsbury, 2012). Les États, en particulier, ont pris un rôle central dans de nombreux secteurs économiques et à tous les niveaux de la société en imposant des réglementations radicales, en fermant des pans économiques entiers, en offrant des subventions sans précédent ou en participant au maintien à flot de « champions » nationaux. Pour Audretsch et Moog (à paraître), « l’entrepreneuriat est également inextricablement lié à une valeur fondamentale commune aux économies occidentales développées », à savoir la démocratie. Ils pensent que la démocratie et l’entrepreneuriat sont tous deux en déclin à l’ère contemporaine et que ce déclin est exacerbé par la crise actuelle de la Covid-19, mais aussi que l’entrepreneuriat aurait un rôle important à jouer dans l’inversion de cette tendance de déclin démocratique, ainsi que dans le redressement économique après la crise.
2. Le rôle de l’entrepreneuriat
Quel lien y a-t-il entre l’entrepreneuriat et la pandémie ? Eichengreen (2020) estime que cette crise et ses changements pourraient bien signifier le grand retour de Schumpeter (1942) et de la destruction créatrice. Le livre Capitalisme, socialisme et démocratie avait été écrit dans la foulée de la grande dépression, crise suite à laquelle de nombreuses entreprises, voire des industries entières, ont disparu et ont été remplacées par des entreprises innovantes, dirigées par des entrepreneurs visionnant et saisissant de nouvelles opportunités. C’est aussi durant la période qui a suivi cette crise des années trente que les gains de productivité ont été les plus importants durant le xxe siècle. Selon Aghion, Antonin et Bunel (2020), c’est cette destruction créatrice qui avait amené nos sociétés à des niveaux de prospérité jamais atteints. Or, depuis les années quatre-vingt-dix, les inégalités se sont aggravées et le nombre de personnes et d’entreprises qui profitent de la croissance économique s’est amenuisé, sans doute en partie parce que ces entreprises freinent l’innovation, parce qu’elles se sont transformées en monopoles, empêchant l’émergence de nouvelles structures innovantes, ce que Schumpeter avait d’ailleurs anticipé. La crise et sa partie « destruction », conjuguée à une politique de concurrence plus musclée[2] ébranlant les monopoles qui restreignent la partie « créatrice », pourraient donc donner un nouvel élan à nos économies, sans, comme le souligne Aghion, rejeter le modèle capitaliste, mais en le régulant et en corrigeant les inégalités au travers de l’éducation et de la sécurité sociale.
La théorie de la destruction créatrice suggère également que, du point de vue de l’entrepreneur, les crises et les opportunités sont les deux faces d’une même médaille (Dushnitzky, Graebner et Zott, 2020). L’entrepreneuriat peut être considéré comme étant la recherche d’opportunités découvertes ou créées, que ce soit dans le cadre d’entreprises nouvellement créées ou existantes, d’organisations à but lucratif ou non lucratif, de sociétés publiques ou privées (Alvarez et Barney, 2007). Étant donné qu’il se déroule souvent dans des conditions d’incertitude élevée et implique une forte probabilité d’échec, ses caractéristiques sont assez similaires à celles d’une crise. Pour Dushnitzky, Graebner et Zott (2020), les entrepreneurs sont donc exposés à une tension entre une grande vulnérabilité à la crise économique et une focalisation sur les opportunités qui accompagnent cette dernière.
Cependant, la théorie de la destruction créatrice postule que les entrepreneurs sont des acteurs clés dans l’établissement d’un nouvel équilibre à partir des cendres de l’ancien équilibre. Dans la foulée, la recherche en entrepreneuriat présuppose que les entrepreneurs sont une des principales forces de rupture. Or, dans la crise actuelle, c’est un virus qui a provoqué la rupture (Shepherd, 2020). Pour Agarwal et Audretsch (2020), la pandémie a créé des défis économiques « de l’extérieur » et le lien causal établi par Schumpeter, pour qui les forces créatrices précèdent et aboutissent à la destruction de « l’ancien » n’est pas présent. C’est pourquoi ils lui préfèrent le terme de « construction créatrice » (Agarwal, Audretsch et Sarkat, 2007), qui ne remet pas en question la théorie de Schumpeter, mais la complète en expliquant comment de l’intérieur, l’ancien aboutit à la naissance du nouveau grâce à un entrepreneuriat qui s’appuie sur les connaissances, les idées, l’expérience et le savoir-faire du passé pour créer et construire de nouvelles structures économiques.
Une autre théorie fondatrice de l’entrepreneuriat fait également son grand retour en ces temps de crise, celle de la théorie du risque de l’économiste américain Frank Knight. La Covid-19 a souligné la réalité de l’incertitude « knightienne ». Knight (1921) opère une distinction entre risque et incertitude : le risque signifie que, même si je ne sais pas ce qui va se passer dans l’avenir, je peux connaître l’ensemble des résultats possibles et la probabilité de chacun d’entre eux. Je peux utiliser un raisonnement probabiliste pour décider de l’action qui maximisera mes chances de succès. L’incertitude signifie que je ne peux même pas imaginer l’ensemble des résultats possibles ni les probabilités, et que je dois donc me fier à l’intuition ou à la compréhension pour anticiper un avenir incertain (Klein, 2020). Pour Klein (2020), l’entrepreneuriat devrait donc aujourd’hui être vu, non comme la découverte d’opportunités de profit préexistantes, dont les risques sont plus ou moins connus, mais plutôt comme une action dans l’incertitude. Cela pose évidemment de nombreuses questions relatives au succès ou à l’échec. Cela signifie aussi que, lorsque les entrepreneurs échouent en ces temps de crise, ce n’est pas, ou pas seulement, à cause de leurs décisions et actions, mais à cause d’un niveau élevé d’incertitude (Amankwah-Amoah, Khan et Wood, 2020).
Pour Shepherd (2020), cela pose de multiples questions relatives aux mécanismes de protection de l’ego face à l’échec, à la reconnaissance du fait que l’échec était hors de contrôle, à la résilience, à la motivation à la re-création ou à l’auto-efficacité et aux intentions entrepreneuriales. Plus généralement, il se demande si la Covid-19 anéantit une génération d’entrepreneurs, rajeunit cette génération et/ou leur permet de céder la place à la prochaine génération d’entrepreneurs. La question de l’incertitude soulève également celle de la survie des entreprises qui, malgré les conditions difficiles, ont pu poursuivre leurs activités, voire prospérer : leur survie est-elle liée à leurs décisions ou simplement une question de chance ? Ce changement de signification du risque et de l’incertitude dans le cadre d’un événement de type « cygne noir » pose aussi la question du rôle des motivations d’opportunité et de nécessité qui dépendent largement de la perception des risques et/ou de l’incertitude des entrepreneurs actuels ou potentiels (Van der Zwan, Thurik, Verheul et Hessels, 2016 ; Block, Sandner et Spiegel, 2015). Il sera hautement intéressant d’étudier l’impact de la pandémie sur cette relation.
D’autres questions viennent à l’esprit, telles que, par exemple : quels ont été les impacts de la crise sur les PME et leur gestion ? ; au sein des PME, comment les modalités de télétravail et de distanciation ont-elles été vécues ? ; dans quelle mesure la crise a-t-elle généré l’émergence de nouveaux modèles d’affaires ? ; existe-t-il des parallèles entre la crise de la Covid-19 et la crise climatique et en quoi l’entrepreneuriat durable/responsable peut-il être une réponse à la crise de la Covid-19 ? ; quel rôle joue l’entrepreneuriat social dans la réponse aux enjeux de la crise de la Covid-19 ? ; face aux impacts majeurs auxquels les entreprises des secteurs particulièrement affectés par la crise (culture, tourisme, sport professionnel, etc.) font face, est-il réellement possible de se réinventer ? ; notre culture entrepreneuriale va-t-elle s’en trouver changée ? ; comment l’accompagnement des entrepreneurs et des PME s’est-il adapté aux nouvelles réalités ? ; les écosystèmes entrepreneuriaux s’en trouveront-ils modifiés ? ; les nombreuses mesures mises en place par les gouvernements du monde entier ont-elles eu les impacts escomptés ? ; les réponses des gouvernements ayant varié d’un pays à l’autre, quel impact cela a-t-il sur les PME et l’entrepreneuriat ?
Pour les chercheurs, la pandémie constitue une occasion unique et rare, similaire à « une expérimentation naturelle », de pouvoir faire avancer les connaissances. Elle permet également de se rappeler ce qu’est une recherche scientifique et quelle est son utilité. Les derniers mois ont créé une situation d’incertitude extrême dans laquelle toute prise de décision était hasardeuse. Comment convaincre les entrepreneurs de fermer temporairement leur entreprise, alors qu’il est impossible de définir la durée du « temporairement » ? Comment expliquer à la population que chacun doit rester chez soi pour endiguer la crise, sans savoir si la crise se résorbera effectivement ? Comment justifier les interdictions de voyager pour éviter la propagation « possible » d’un virus invisible et relativement méconnu ? Ces quelques questions ont mené les décideurs à jongler avec le doute puisque les réponses ou explications étaient fondées sur « les connaissances du moment ». L’une des principales caractéristiques des connaissances scientifiques est qu’elles ne sont pas éternelles (Aven et Bouder, 2020). Elles sont produites dans certaines conditions, certains environnements ou certains contextes et leur validité est donc circonscrite. Les modifications à ce cadre pourraient ainsi rendre les connaissances moins « pertinentes » pour justifier certaines décisions. Pour alimenter les décisions dans des contextes de forte incertitude, il faut s’appuyer sur des faits, des données probantes qui vont permettre d’actualiser les connaissances et, en conséquence, de réduire cette incertitude.
Ce besoin de renouveler les connaissances pour éclairer les décideurs a motivé les comités de rédaction de revues savantes à consacrer des numéros spécifiques à la situation pandémique et à son influence sur leur objet de recherche. C’est dans ce cadre que le présent numéro a été conçu. Nous tenons à remercier les nombreux auteurs qui ont soumis des projets d’articles. Cinq textes ont été retenus pour ce premier numéro et d’autres seront présentés dans le numéro suivant publié à l’automne.
3. Les articles de ce numéro spécial
Les auteurs se sont particulièrement intéressés à l’impact de cette crise sans précédent sur la santé psychologique, le bien-être et la résilience des entrepreneurs, en cherchant non seulement à en faire la démonstration, mais surtout à comprendre ce qui peut, malgré un contexte difficile, favoriser le maintien de la santé des entrepreneurs. Globalement, les contributions permettent de parfaire nos connaissances et d’offrir des pistes d’intervention pratiques.
Un premier article de ce numéro combine santé des entrepreneurs et santé financière en contexte de crise sanitaire. Dans leur article « Entre le marteau et l’enclume : le rôle de l’optimisme situé », en plus de confirmer l’impact des problèmes financiers sur le stress des entrepreneurs, Guiliani, Cisneros, Saba et Cachat-Rosset posent l’hypothèse qu’un état d’esprit positif permet d’amoindrir l’effet que peuvent avoir les difficultés financières sur le stress perçu. Les résultats confirment que « l’optimisme situé » constitue une ressource permettant à l’entrepreneur de réduire les effets de la perte de ressources induite par la crise sanitaire.
La crise de la Covid-19 est mondiale. Toutefois, bien qu’elle impacte les entrepreneurs et les PME sur toute la planète, tous n’ont pas accès aux mêmes conditions et ressources pour la traverser. Dans le deuxième article de ce numéro spécial, « Impacts de la Covid-19 sur la santé mentale des entrepreneurs en Afrique », Foleu, Enagogo, Menguele et Evoua Obam montrent que les entrepreneurs africains n’ont pas été épargnés par cette situation. Les difficultés financières induites par la crise ont accru le niveau de détresse psychologique des entrepreneurs, mais cette détresse est atténuée par des éléments particuliers tels que la taille de l’entreprise, le stade de développement et l’expérience entrepreneuriale. Les auteurs mettent ainsi en évidence l’importance de prendre en compte l’hétérogénéité des PME dans des études globales comme celles qui sont réalisées présentement.
Le troisième article de Torrès, Benzari, Swalhi et Thurik, « Confinement et risque de burnout des dirigeants propriétaires de PME : le syndrome d’épuisement d’empêchement », s’intéresse à la question de l’impact de la crise sur le niveau d’épuisement professionnel des propriétaires dirigeants de PME et aux éléments de l’épuisement qui ont été plus particulièrement affectés. Sur la base de sept échantillons de propriétaires dirigeants de PME françaises collectés entre 2012 et 2020, ils montrent que le niveau de burnout de ces derniers a augmenté, mais aussi que sa composition a changé durant la pandémie. Avant cette dernière, la hiérarchie des éléments était relativement stable avec les sentiments d’être fatigué, d’être déçu et d’en avoir marre se positionnant comme les trois plus importants. Durant la pandémie, une nouvelle hiérarchie a émergé, dont les deux éléments les plus importants sont les sentiments d’impuissance et celui d’être coincé, ce qui indiquerait une nouvelle forme d’épuisement d’empêchement. Ils en tirent un certain nombre de recommandations de politique publique.
La pandémie a provoqué la mise en place de mesures exceptionnelles pour soutenir les entreprises et les entrepreneurs, dans le but de compenser les pertes et les exigences énormes engendrées par cette crise sans précédent. Dans leur article « Conséquences de la pandémie sur la santé psychologique de l’entrepreneur : les soutiens publics permettent-ils d’éviter le pire ? », St-Jean et Tremblay s’intéressent à l’impact que les différentes mesures gouvernementales peuvent avoir sur la santé des entrepreneurs. Leurs résultats confirment l’importance, afin que les entrepreneurs maintiennent une bonne santé générale, que ces derniers se sentent appuyés par des mesures jugées suffisantes et adaptées.
Finalement, le cinquième article de Berger-Douce, « Capacité dynamique de résilience et RSE, l’alchimie gagnante face à la Covid-19 ? », s’intéresse au rôle joué par l’engagement en matière de RSE dans le processus de résilience organisationnelle de PME ayant développé celle-ci pour assurer leur pérennité face à la crise. À l’aide d’une étude de cas unique, l’auteure montre le rôle de catalyseur de la RSE dans la démarche de résilience organisationnelle au cours de ses différentes étapes (anticipation, ajustement et adaptation).
Rappelons que le présent numéro est publié dans le contexte d’une crise mondiale qui perdure. Alors que l’invitation aux chercheurs pour produire ce numéro était lancée à l’été 2020, soit au moment où l’on entrevoyait un retour à une vie à peu près normale à l’automne 2021, nous sommes toujours, au moment d’écrire ces lignes, dans une situation confuse où les vagues successives de la pandémie se poursuivent. Nous invitons ainsi les chercheurs à poursuivre leurs travaux dans le but de s’assurer de l’acuité des connaissances disponibles, connaissances qui serviront à construire un avenir différent et, espérons-le, moins incertain et périlleux.
Bonne lecture à tous et prenez soin de vous !
Appendices
Notes
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[1]
Ce que l’on met derrière ce terme, laissant imaginer un monde dirigé par de « méchants » actionnaires soucieux de leur seul profit, n’est pas clair. Qui plus est, attribuer tous nos maux à ces derniers fait fi du fait que notre tissu économique est composé à 99,9 % de PME et à 70 % d’entreprises familiales et non majoritairement de multinationales cotées en bourse et soumises aux velléités de maximisation court-termistes de leur actionnariat, mais c’est là un autre débat. Relevons également que le terme « capitalisme » signifie aussi la propriété privée des moyens de production, héritage du siècle des Lumières, ce qui n’est pas une insulte. C’est aussi le cas du libéralisme économique qui n’est autre qu’une application dans la sphère de l’économie du libéralisme politique, courant de pensée philosophique trouvant sa source dans l’opposition à l’absolutisme, affirmant la primauté de la liberté et de la responsabilité individuelle sur le pouvoir du souverain. Quant au néolibéralisme, Wikipédia signale que « le terme ne fait pas consensus et son utilisation requiert une grande prudence, tant il a oscillé entre différentes significations ». Notons enfin qu’une bonne partie de ces « méchants » actionnaires sont des fonds représentant l’épargne et la pension de monsieur/madame Tout-le-Monde.
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[2]
Bridant, par exemple, le pouvoir des GAFAM.
Références
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