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À la fois journal intime, récit tragique de la vie quotidienne durant l’occupation nazie en Hollande, mais aussi témoignage de foi et de résilience, ce recueil d’écrits d’Etty Hillesum (1914-1943) est paru simultanément chez Bayard à Paris et chez Novalis à Montréal. Née en 1914 aux Pays-Bas et déportée au camp d’Auschwitz où elle meurt à 29 ans, Etty Hillesum connaît un parcours similaire en certains points à celui d’Anne Frank (1929-1945), qui était beaucoup plus jeune, et comme des millions d’autres Juifs d’Europe ayant connu le même destin. Son influence posthume est considérable : deux centres de recherche, à Deventer (Hollande) et à Gant (Belgique), portent désormais le nom d’Etty Hillesum. Son récit introspectif mais bouleversant a été traduit dans plusieurs langues. Le présent ouvrage est une nouvelle traduction ; les premiers écrits publiés d’Etty Hillesum étaient d’abord parus en néerlandais en 1981 puis en français en 1985[1]. La présente version contient une sélection de ses textes traduits du néerlandais par Alexandra Pleshoyano, qui avait consacré sa maîtrise (déposée à l’Université de Sherbrooke) et sa thèse de doctorat (réalisée aux Pays-Bas) à l’étude des écrits d’Etty Hillesum (p. 9).

L’avant-propos d’Alexandra Pleshoyano fournit une mise en contexte précise et de nombreux éléments biographiques (p. 9-39). Mais surtout, Alexandra Pleshoyano donne sens aux textes d’Etty Hillesum qui autrement sembleraient désespérés ou déconnectés de la réalité extrême de cette époque : cette intellectuelle juive, cultivée et polyglotte « se sent partout chez elle et attribue cette capacité d’adaptation à la miséricorde de Dieu » (p. 25). D’ailleurs, dans une note en fin de chapitre, Alexandra Pleshoyano remarque que le mot « Dieu » revient plus de 400 fois dans ce livre (voir la n. 13, p. 37).

L’ouvrage contient onze journaux d’Etty Hillesum ; le tout dernier carnet ayant été perdu. Même lorsqu’elle exprime momentanément son doute quant à l’existence de Dieu, Etty Hillesum réaffirme aussitôt sa foi : « N’est-il pas presque impie de croire encore si fort en Dieu en des temps semblables ? » (p. 161). Citant fréquemment la Bible, sa conception divine transcende le judaïsme ou le christianisme lorsqu’elle écrit, à elle-même, en 1942 : « […] ce qu’il y a de plus profond, et de plus riche en moi, où je me repose, je le nomme “Dieu” » (p. 195). En octobre 1942, au milieu de l’exclusion, des persécutions et des humiliations, Etty Hillesum déclare encore : « En dépit de tout, j’en reviens toujours à la même chose : la vie est belle et je crois en Dieu. Je veux me tenir au milieu de tout ce que les gens appellent des “atrocités” et encore dire : la vie est belle. Je suis maintenant allongée avec des étourdissements, de la fièvre et je ne peux rien faire » (p. 207). La dernière section du livre contient de courtes lettres d’Etty Hillesum, parfois jetées du train et recueillies par des paysans. Certaines de ces missives nous sont parvenues. Ainsi, quelques jours avant son exécution, en route vers Auschwitz, Etty Hillesum se confie par écrit à une amie en citant au passage la Bible : « Je suis assise sur mon sac à dos au milieu d’un wagon de marchandises bondé de monde » (p. 240). Lucide, elle ajoute en guise d’adieu : « Peut-être ma dernière longue lettre ? » (p. 241).