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Leslie Armour vient de nous quitter abruptement le premier novembre, à notre grande peine. Les liens qui le rattachaient à notre revue et à notre Faculté de philosophie étaient si nombreux et si variés qu’on ne parviendra assurément jamais à en établir un bilan adéquat. Sans doute parce qu’ils étaient à la mesure de son extraordinaire polyvalence, contrastant clairement avec cette fragmentation du savoir qui n’épargne guère de disciplines de nos jours — pas même la philosophie, ce qu’il déplorait à juste titre comme une contradiction dans les termes.

C’est à l’Université de Colombie-Britannique qu’il reçut sa formation initiale, mais à l’Université de Londres qu’il obtint son doctorat en philosophie. Même si l’orientation principale de sa pensée allait vers ce qu’il est convenu d’appeler « l’idéalisme », il aimait dire qu’il y avait néanmoins appris beaucoup de Freddie Ayer. Sa carrière d’enseignement s’est par la suite répartie dans des universités du Montana, de la Californie, de l’Ohio et, en Ontario, au Collège dominicain de philosophie et de théologie et à l’Université Saint-Paul, après l’Université d’Ottawa. Toutefois, il aura aussi consacré plusieurs années à une carrière de journaliste à Londres, et il fut choisi en 2004 comme éditeur de l’International Journal of Social Economics.

Il a rédigé des ouvrages majeurs sur le Canada, notamment sur la philosophie du côté anglophone, mais aussi du côté francophone, une de ses passions étant d’arriver à discerner une culture proprement canadienne ; ainsi, dans The Faces of Reason (avec Elizabeth Trott) et The Idea of Canada, tous deux en 1981 ; pour lui, la culture canadienne suggérait des voies possibles vers « un pluralisme non relativiste » auquel il tenait lui-même très fortement.

Même avant les travaux décisifs de Jean-François de Raymond sur Descartes et le nouveau monde (2003), il avait su découvrir dans des archives que les premiers philosophes d’expression française, qui étaient jésuites, s’inspiraient de Descartes, certains provenant même de La Flèche ; d’autres, plus tard, se révélèrent disciples de Malebranche. La tradition qui suivit aurait été marquée plutôt par des débats entre diverses écoles de pensée, honorant éventuellement Hegel en particulier. Il mettait de la sorte en question la thèse simplette, qui prévalait encore dans les années 1960, d’une réduction de la philosophie au Québec à un thomisme de manuel, ce qui, selon ses recherches, ne fut vrai que dans quelques collèges classiques.

Cela dit, on lui doit en outre des ouvrages marquants en épistémologie, en métaphysique, en logique et en histoire des idées, sans parler de l’éthique, de la philosophie sociale et politique et, bien entendu, de l’économie sociale. Plusieurs d’entre eux sont de haute voltige, comme, par exemple, Being and Idea (1992) sur Spinoza et Hegel, Infini-Rien (1993) sur Pascal, et Inference and Persuasion (avec Richard Feist, en 2006). Un thème central et récurrent chez lui est celui de l’infini ; le maître à penser s’avère au bout du compte Hegel, accompagné des traditions qui s’en approchent ou s’en réclament, tel l’idéalisme britannique. Mais cela ne doit pas occulter le fait qu’on avait affaire avant tout à un philosophe authentique, particulièrement original et profond, aimant s’attaquer aux problèmes les plus concrets et les plus actuels, que sa vaste culture et sa finesse d’esprit contribuaient à illuminer en même temps que son exceptionnelle intelligence. C’est aussi ce qui rendait inestimable sa contribution toujours parfaitement dévouée au Conseil de rédaction de notre revue.

Que sa veuve Diana et leurs enfants veuillent bien croire à l’expression de nos condoléances les plus vives et les plus sincères.