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Ouvrage dense, ramassé, l’oeuvre que signe ici Obolevitch sait nous plonger dans le charme intellectuel typiquement oriental de ces auteurs prolifiques, presque tous de grands évadés du mysticisme orthodoxe, ce qui colore fortement leurs propos quand ils interrogent le réel et la Révélation à la recherche de la vérité.

L’orthodoxie ne prouve pas l’existence de Dieu : elle l’éprouve, elle la ressent. Ce tempérament spirituel place tout penseur religieux slave dans un contexte unique. Il fallait rendre cette disposition particulière, et l’auteur y parvient heureusement, sans favoritisme dans le choix des auteurs présentés et sans le biais des commentaires personnels.

Remarquablement qualifiée pour faire connaître les protagonistes majeurs de la recherche philosophico-théologique dans l’aire culturelle slave, du Moyen Âge jusqu’à nos jours, en passant par le siècle des Lumières, Teresa Obolevitch nous présente ici un remarquable « cours 101 » de la pensée religieuse russe, capable de nous faire découvrir l’invisible par ce qui est visible.

Qu’il s’agisse de la pensée de Skovoroda, un ukrainien, ou de celle de Tchaadaev, un russe, chaque auteur est présenté dans ce qu’il a de plus original. Sont mis en vedette des auteurs célèbres, tel Dostoïevski, à travers son exploration du mystère de la liberté. Ou Tolstoï, ce rebelle qui rejette les dogmes et qui critique tellement l’Église orthodoxe qu’il est excommunié par elle après la publication de son roman Résurrection. Et bien sûr Soloviev, figure centrale de la philosophie religieuse russe, mis en valeur de façon magistrale. Mais d’autres, moins connus, sont aussi l’objet de recension judicieuse : Kireïevsky, Khomiakov, Losski, Florensky, Frank, Berdiaev, Chestov, Boulgakov et Losev, pour ne citer que ceux-là.

Les Occidentaux que nous sommes sont ici mis en présence d’une pensée tout à la fois familière et mystérieuse. Située où elle est, à l’intersection de l’Orient et de l’Occident, la Slavonie n’appartient ni à l’un ni à l’autre. Son aspect familier nous rejoint à travers les thèmes métaphysiques classiques. Mais la vision slave des contenus théologiques demeure pour nous mystérieuse, parce que, davantage que l’âme occidentale, l’âme slave se nourrit des grandes émotions, des grandes entreprises, des grandes passions.

L’audace des diverses propositions des penseurs slaves face à ces questions surprendra presque tous les lecteurs de cet ouvrage, elle en dérangera même profondément plusieurs autres et il reste en outre qu’elle en séduira durablement quelques-uns. D’une richesse multiforme, cette pensée philosophique frappe l’esprit, tant elle est fortement axiale, bipolaire, oscillante, vibrante et brillante.

Dans le monde slave, philosophie et théologie n’appartiennent pas à deux champs de savoirs séparés. La recherche philosophico-religieuse prend donc plaisir à passer au crible les thèmes classiques de la théodicée, du péché originel, de la christologie, de l’ecclésiologie, de la sotériologie et de l’anthropologie pour y découvrir des tonalités souvent inédites en Occident.

Lecture indiquée aux personnes qui n’ont pas peur d’être dérangées par l’approche originale du personnalisme et de l’existentialisme russe, ce bouquin est à mettre entre les mains de tous les spécialistes des questions religieuses. Qu’il s’agisse d’étudiants, de séminaristes, de professeurs de théologie ou de croyants désireux d’explorer les notions fondamentales de la foi chrétienne, la lecture de cet ouvrage permet l’approfondissement des grands sujets de la théologie chrétienne, tels la Révélation, la Création, le Salut.

Ces thèmes sont le plus souvent explorés suivant des axes « polarisés » ; ceux de l’Un versus le multiple ; de la Connaissance versus l’Inconnaissance ; du Concept versus le Symbole ; de l’Humanité versus la Divinité ; du Savoir versus la Sagesse.

Une bibliographie abondante est également fournie, tant dans les notes en bas de page qu’à la fin du volume. Elle permet aux personnes qui le désirent de parfaire leurs connaissances en explorant plus à fond les auteurs qui les marquent davantage.