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Rédigé par Emmanuel Durand, dominicain et professeur de théologie au Collège universitaire dominicain d’Ottawa, cet essai veut faire la démonstration du fondement de la singularité humaine reposant sur un appel divin. Pour ce faire, l’auteur propose un parcours anthropologique de la liberté humaine, comme puissance de singularisation, articulé autour d’une théologie de l’appel. Un travail qu’il accomplit très bien, tout en pointant certaines lacunes de notre culture occidentale qui rendent difficile l’écoute du manque nécessaire pour entendre cet appel.

Une liberté à apprivoiser pour se construire en singularité. Pour développer cette théologie de l’appel, l’auteur prend tout d’abord soin de distinguer particularité et individualité de singularité. Pour ce faire, il nous invite à poser un regard anthropologique sur la condition humaine dans ce qu’elle a de particulier et situe la singularité humaine comme appel créateur entendu depuis l’indice positif de nos manques : une invitation à se construire librement au-delà des processus (physiques, psychiques, relationnels, temporels et sociaux) acquis sur un parcours de vie.

Les assises anthropologiques étant installées, Emmanuel Durand nous entraîne dans une visite de textes bibliques pour explorer l’appel à la singularité de l’humanité. Sa lecture du deuxième récit de la création inscrit cet appel dans un processus identitaire dynamique ; alors que les cinq psaumes qu’il retient (Ps 8, 33, 65, 104 et 139) marquent le rapport de proximité avec Dieu comme élément singularisant. Il clôt cette section en reconnaissant aux théologies postmodernes la capacité de susciter l’espace nécessaire pour sortir des définitions préfabriquées au sujet de Dieu. Un espace qu’il invite à transcender pour ne pas rester dans l’innommable et « consentir à la médiation biblique de la Parole » (p. 126), pour entendre l’appel à la conversion.

Les sections suivantes aborderont l’autonomie humaine comme puissance de singularisation, en s’inscrivant dans une obéissance à un Bien Supérieur reçu comme grâce et explorant le paradoxe dépendance/autonomie. Derrière cette grâce, c’est l’histoire du Salut, en filigrane de l’histoire du monde, qui sera entendue comme appel et qui nous conduira à la puissance de singularisation que suscite la rencontre avec le Christ. Celle-ci faisant sortir de l’anonymat celui/celle qu’Il appelle. Enfin, c’est par un retour à l’anthropologie que l’auteur posera la question de la cohérence d’un tel appel à la singularité face à la mort. Quand l’être humain parvient difficilement à se singulariser sur un parcours de vie — marqué par une multitude de facteurs et organisé autour de solidarités affectives — comment percevoir la nécessité de se singulariser au-delà de la mort (p. 223) ? Les réponses de l’auteur demeurent de l’ordre philosophique et théologique. Il aurait été intéressant qu’il développe davantage. Tout le reste de l’ouvrage ramenait le lecteur au concret de la vie, il aurait été intéressant qu’il en fasse autant ici.

Il conclut son travail sur le ton du prophète : « L’humanité est menacée de défiguration par elle-même » (p. 249). La culture contemporaine comblant la moindre insatisfaction, le moindre vide de nos vies, il est clair que l’auteur veut nous aviser des dangers de se soustraire au ressenti du manque qui appelle à la création. Coupé de ce sens, l’humain de ce siècle risque de s’engouffrer dans une spirale de déceptions et de désillusions. Il rappelle cependant que c’est au creux de ces déceptions et de ces désillusions que se sont révélés les premiers témoins de la Résurrection ; et qu’il est toujours possible de raviver « l’appel singularisant du Verbe dans la chair » (p. 252).

Pour ceux et celles qui s’intéressent à l’accompagnement spirituel, ce livre présente des assises éclairantes et ouvre sur de nouvelles perspectives. En abordant la singularité de l’humanité comme divin appel, Emmanuel Durand nous fait dépasser la spécificité mécanique et psychique d’une description objectivée de l’être humain. Il nous fait entrer dans le vif d’une chair parlante et agissante. Ouvrage bien structuré, avec une table des matières détaillée et un index onomastique ; il ne lui manque qu’une bibliographie.