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La sagesse rend le sage plus fort que dix gouverneurs dans une ville.

Qo 7,19

La Bible fait l’éloge de la sagesse. Salomon fut réputé aussi bien pour sa vaste culture que pour son art de bien gouverner. Les formations sont souvent devenues, de nos jours, tellement techniques et spécialisées que développer une « large culture » représente un redoutable défi. Notre époque privilégie une connaissance, certes finement spécialisée, mais aussi fragmentaire. L’une des conséquences possibles est que la gestion d’êtres humains et de savoirs se voit calquée sur celle d’organisations productives de biens matériels, tout en étant soumise à des savoirs changeants et incertains. À l’Université de Montréal, comme ailleurs, on parle récemment, selon cette dynamique sociale, d’« agilité stratégique[1] », notion créée, dans les années 1990, dans le monde des affaires. Il s’agit d’« une capacité à adapter la chaîne de production de l’industrie à un monde en constant changement[2] ». Dans ce contexte, les événements en lien avec la Faculté de théologie et de sciences des religions (FTSR) de l’Université de Montréal, abolie en mai 2016 et départementalisée au sein de la Faculté des arts et des sciences, se présentent comme une étude de cas. En effet, l’intention de transformer « agilement » les études religieuses à l’Université de Montréal a coïncidé avec un large plan de transformation institutionnelle, dont les logiques ont été observées et analysées de près par des chercheurs.

Ailleurs dans le monde, les études portant sur la religion se transforment aussi rapidement, tout au moins depuis la fin des années 1990. Une première section dresse le bilan de la situation et résume quelques faits, ce en trois temps : le repli de la théologie dans des institutions initiatiques homogènes, l’expansion de l’intérêt scientifique pour le religieux, le passage du pastoral au spirituel. Quatre autres sections analysent successivement les mutations qu’a connues la FTSR de l’Université de Montréal depuis les années 1960 : des années 1960 aux années 2000, le tournant de l’année 2000, la transformation récente de la Faculté, la théologie dans un contexte non ecclésiastique. Ces mutations constituent le baromètre des trois grands phénomènes interreliés que sont la transformation profonde des cultures en ce qui concerne le rapport à la religion, la cléricalisation de la théologie catholique, et le bouleversement des grands modèles universitaires classiques. Ces changements profonds peuvent être mis en relation avec les mutations paradigmatiques qu’a connues l’Université catholique dans plusieurs zones du monde[3]. L’analyse se situe dans une perspective sociohistorique d’analyse des changements institutionnels.

I. Transformations globales des cultures

On peut faire ressortir trois faits saillants qui ont marqué le paysage socioreligieux contemporain, surtout depuis les années 1990, et constituent l’horizon de la transformation de la théologie à l’Université de Montréal.

1. Repli des Églises vers des lieux théologiques homogènes et initiatiques

En premier lieu et en ce qui a trait à la théologie catholique, les études sont affectées par la combinaison de plusieurs phénomènes récents, dans plusieurs pays à majorité chrétienne ou comptant de larges minorités chrétiennes (minorité pouvant inclure un très grand nombre de membres dans les pays asiatiques ou africains). Si l’affiliation religieuse demeure élevée dans plusieurs pays, l’engagement soutenu, bénévole ou professionnel, au sein d’une communauté croyante, est devenu moins fréquent. La diminution du nombre de chrétiens ainsi engagés au service de leur communauté s’accompagne d’une baisse des ressources financières des Églises, aux prises avec plusieurs défis à la fois : notamment assurer l’initiation chrétienne des jeunes, entretenir les lieux de culte souvent monumentaux, renforcer les vocations pastorales, religieuses et sacerdotales par le biais d’une formation adéquate.

Parmi les conclusions découlant de la large consultation effectuée auprès de tous les diocèses dans le monde par l’Église catholique romaine, en vue du synode portant sur la nouvelle évangélisation, en 2012, le caractère global des difficultés rencontrées ressort nettement. Cela vaut la peine de citer cette synthèse des analyses concordantes :

Le phénomène décrit est le même au Nord qu’au Sud du monde, en Occident et en Orient, dans les pays où l’expérience chrétienne a des racines millénaires et dans les pays évangélisés depuis quelques centaines d’années seulement. Après qu’aient conflué divers facteurs sociaux et culturels — conventionnellement désignés par le terme « mondialisation » —, ont été entamés des processus d’affaiblissement des traditions et des institutions, qui ont attaqué rapidement les liens sociaux et culturels, ainsi que leurs capacités de communiquer les valeurs et de répondre aux questions à propos de la signification et de la vérité. Il en a résulté une perte considérable d’unité dans la culture et de sa capacité d’adhérer à la foi et de vivre suivant les valeurs qu’elle inspire.

48. Toutes les réponses décrivent de façon très similaire les signes de ce climat sur l’expérience de foi et sur les formes de vie ecclésiale : faiblesse de la vie de foi des communautés chrétiennes, diminution de la reconnaissance de compétence du magistère, privatisation de l’appartenance à l’Église, amoindrissement de la pratique religieuse, désengagement dans la transmission de la foi aux nouvelles générations. Décrits de façon quasiment unanime par les différents épiscopats, ces signaux montrent que c’est toute l’Église qui doit se mesurer avec ce climat culturel[4].

En découlent deux problèmes en ce qui concerne les lieux de formation théologique, à savoir le surnombre et le défi initiatique. Du fait qu’un important dispositif d’écoles, de facultés et de séminaires théologiques a été mis sur pied depuis plusieurs décennies, les Églises et les communautés religieuses, dont le nombre des membres engagés est ainsi en décroissance, se voient à présent forcées de choisir. Où envoient-elles désormais leurs rares futurs prêtres, religieuses, diacres et animatrices de pastorale ? Les ententes historiques conclues entre communautés ecclésiales, diocèses, et écoles théologiques se trouvent mises à mal, lorsque diminuent le nombre d’étudiants et les ressources financières permettant de soutenir leurs études, et que le nombre des institutions s’avère trop élevé pour répondre à la demande réelle.

On trouve dans la foulée une tendance à privilégier les lieux de formation plus homogènes. Les universités publiques ou privées fréquentées par un public diversifié et hétérogène, centrées sur l’acquisition de savoirs interdisciplinaires et critiques, ne paraissent plus offrir, aux yeux de certaines institutions, la formation initiatique adéquate. Le concept d’initiation est ici compris dans son sens le plus simple, à savoir de processus d’intégration réussi et stable dans un groupe, au terme d’apprentissages et d’expériences significatifs[5]. À Abidjan, par exemple, à côté de l’Université catholique d’Afrique de l’Ouest, existent d’autres Centres de formation concurrents, parmi lesquels une école théologique animée par la communauté des Jésuites[6]. Un responsable de l’Université, avec lequel je conversais, m’a confié que la discipline théologique subissait les effets de l’éclatement de la clientèle. Paris, Bruxelles et Montréal, notamment, ont en commun d’avoir vu récemment leurs diocèses choisir d’envoyer leurs candidats à la prêtrise, voire même les laïcs mandatés, faire des études théologiques dans ce type d’écoles ou de séminaires très spécialisés, au détriment des facultés universitaires ou des instituts catholiques : le Collège des Bernardins à Paris, l’Institut d’Études théologiques jésuite à Bruxelles, deux instituts à Montréal dont il sera question plus loin. Le Saint-Siège a d’ailleurs retiré, en 2013, la gouvernance de la formation des prêtres à la Congrégation pour l’éducation catholique, pour la transférer à la Congrégation pour le clergé[7]. Si l’enjeu initiatique apparaît comme central dans ces déplacements institutionnels de la théologie, il pourrait cependant se doubler d’une progressive cléricalisation de la théologie, sur laquelle nous reviendrons plus loin.

2. Généralisation de l’intérêt pour la religion

En deuxième lieu, les sciences des religions subissent elles aussi une transformation et pour ainsi dire, presque au même moment. Si les études non théologiques et « scientifiques » de la religion ont été assez constantes depuis le xixe siècle, dans les domaines de l’histoire, des études anciennes et classiques, des sciences sociales, elles n’ont jamais connu un essor aussi important que celui observé depuis septembre 2001. Suite à la tragédie des attentats spectaculaires commis à New York contre les tours du World Trade Center, les demandes d’éclaircissement sur la religion se sont multipliées et avec elles les ressources subventionnaires et l’intérêt des chercheurs. Certes, ces demandes avaient commencé à surgir en Europe, dans un contexte de décolonisation, de migration et de violentes radicalisations. Que l’on nous permette d’évoquer ici, en tant que cas exemplaires, la mise en place, en 2000, d’un Centre d’études des religions à l’Université de Montréal. Dans le cadre du recrutement de collègues pour s’y joindre, on avait peine à trouver des juristes intéressés par cette question, tandis que quelques collègues des sciences humaines et sociales commençaient à manifester un grand intérêt pour ce sujet, jusqu’alors souvent marginalisé dans leur discipline.

Quelques mois après la création de ce Centre, se produisirent les tristes événements de septembre 2001, dont les effets furent évidents : création de cours, développement d’un grand intérêt pour l’islam, apparition de la question religieuse jusque-là presque invisible dans les études interculturelles et ethniques, explosion de l’attention portée aux enjeux de la religion dans la sphère publique[8]. La racialisation du religieux se produisit dans la foulée, affectant surtout les populations musulmanes, et fut à l’origine de maints travaux scientifiques[9].

Plusieurs sociétés se mirent à envisager la religion comme une affaire devant être contenue, gérée et régulée, sous l’effet d’une anxiété générée par la pluralisation du religieux, certes, mais surtout par les attentats terroristes se réclamant d’une idéologie religieuse. Tel avait été le cas, à une moindre échelle, lors de la médiatisation entourant les nouveaux mouvements religieux, souvent qualifiés de « sectes » dangereuses, surtout dans les années 1970 et 1980[10]. Ainsi que l’écrivait avec beaucoup de justesse Conrad Brunk :

Les sociétés démocratiques libérales relativement homogènes sur le plan religieux sont moins susceptibles, bien sûr, de connaître [des] controverses, non du fait d’une exclusion totale de la religion de la sphère des débats publics, mais en raison de la quasi-invisibilité de sa présence incontestée sur une scène où elle joue un rôle singulier, presque sans rival. Il en va tout autrement dans les sociétés démocratiques marquées par une forte pluralité, où toute évocation de valeurs tenues pour ésotériques ou « sectaires » suscite à coup sûr une levée de boucliers. Un tel cabrage pose un dilemme — dont la théorie démocratique libérale n’arrive jamais à sortir — entre le droit de la majorité à trancher les questions politiques fondamentales et le droit de toute minorité à vivre selon ses valeurs particulières[11].

Les flux de populations d’appartenances religieuses et de sensibilités culturelles différentes, la pluralisation interne des religions héritées et l’augmentation du nombre de personnes se disant sans religion se présentent comme une combinaison de phénomènes créant de nouvelles problématiques pour les décideurs : accommodements de pratiques minoritaires, tensions sociales engendrées par les débats concernant l’égalité entre les hommes et les femmes, libéralisation des moeurs sexuelles, relations complexes entre l’État et la religion, sécurité et terrorisme, conséquences régionales de conflits transnationaux incluant la dimension religieuse. Le droit ainsi que les sciences sociales et humaines explorent ces questions à présent vitales pour les sociétés actuelles.

3. Du pastoral au spirituel

En troisième et dernier lieu, l’une des conséquences de cet accroissement de la diversité est le passage du pastoral au spirituel, notamment dans les institutions publiques et parapubliques au sein desquelles des services d’aumôneries sont assurés. Si un tel phénomène est lui aussi transnational, il est sans doute davantage marqué au Canada, voire même au Québec, qui a laïcisé rapidement ses aumôneries depuis 15 ans, à l’école et dans les milieux de la santé. Les formations exigées pour assurer de tels services correspondent à des exigences variables et différentes selon les provinces. Au Québec, dans le milieu scolaire, on peut se référer à l’Association professionnelle des animatrices et animateurs de vie spirituelle et d’engagement communautaire du Québec, dont les services ont remplacé ceux des animateurs de pastorale catholique ou protestante après la laïcisation scolaire amorcée en 1998[12]. Il est bien connu que les écoles lui accordent souvent peu d’importance, en réduisant le service à un très petit nombre d’heures. Il arrive qu’un animateur assume la responsabilité de plusieurs écoles[13]. Dans les milieux de la santé, les défis sont similaires et l’Association des intervenants et intervenantes en soins spirituels du Québec tente de faire la promotion de l’importance et de la pertinence de ce service pluraliste et neutre, avec d’autres acteurs présents au Québec[14]. Le bilan est qu’un plus grand nombre d’étudiants s’intéressent à la formation professionnelle afin de travailler dans les milieux de la santé où quelques-uns d’entre eux trouvent un emploi. D’autres institutions recourent à des services d’une telle nature, plus ou moins confessionnels selon les cas, les établissements carcéraux se démarquant du fait qu’ils conservent des ententes de nature confessionnelle. Les formations exigées se résument à un baccalauréat en théologie, en sciences des religions ou ses équivalents, bien que les institutions de formation demandent que l’on y ajoute une formation professionnelle des cycles supérieurs[15].

En rapport avec cette mutation de la religion en « spiritualité », et confirmant les principales conclusions des analyses de la modernité religieuse, en particulier celles effectuées par les sociologues de la religion, et ce surtout depuis les années 1970, un champ nouveau et complexe s’est développé autour du concept de spiritualité, qui est diffusé dans plusieurs champs du savoir, en se combinant parfois avec la dimension expérientielle et thérapeutique[16]. Sur le plan épistémologique, plusieurs chercheurs adoptent une approche de l’objet religieux ou spirituel se caractérisant plutôt par une certaine mise à distance, car ils s’appuient sur des analyses empiriques ou théoriques ; d’autres empruntent en revanche des voies plus interprétatives et pratiques, incluant le spirituel ou le religieux comme chemin de sens, car leurs recherches portent en effet sur les rituels, la « religion vécue » ou les pratiques religieuses. Plusieurs analystes s’inquiètent par ailleurs de l’existence d’une sorte d’universalisation de la spiritualité qui dominerait toutes les variations d’expériences et de convictions, en repoussant ainsi ou en déniant les possibilités de se déclarer sans religion et sans spiritualité[17]. On peut également s’interroger sur les éléments retenus comme « universels » dans les nouvelles pratiques professionnelles en découlant. Citons pour exemple la référence aux « mandalas » (symboles ayant pour origine le bouddhisme tibétain) visant à renforcer un exercice de méditation dans un contexte non confessionnel ou se présentant comme une simple activité de coloriage, comme si ces éléments faisaient l’unanimité dans un horizon étatique de neutralité convictionnelle[18]. Divers types de méditations ou pratiques se présentant comme areligieux se trouvent à présent réexaminés comme des exercices renvoyant à des sources religieuses plus ou moins avouées[19].

Où conduisent ces diverses tendances sur le plan des études de la religion ? On trouve évidemment plusieurs modèles, mais dans ce qui suit se trouve présenté le projet de l’Université de Montréal, ponctuellement mis en lien avec d’autres cas nationaux ou internationaux.

II. Des années 1960 jusqu’aux années 2000 : les grandes mutations d’une Faculté de théologie

Un collectif résumant l’état de l’éducation postsecondaire catholique dans le monde, évoque l’émergence, au xixe siècle, d’un « environnement culturel sécularisé, au moins dans certaines parties du monde occidental […][20] ». Dans ce contexte, l’Église catholique avait préconisé l’existence d’institutions de type confessionnel, mais depuis les années 1960, un nouveau paradigme paraît vouloir se mettre en place, de l’ordre de la transformation radicale, et ce dans plusieurs zones du monde. Il répond aux faits dramatiques suivants : diminution de l’investissement des États dans le religieux, effacement de l’identité catholique des institutions, désengagement sacerdotal et religieux, perte de visibilité et de prestige, la « révolution tranquille » québécoise étant évoquée comme exemple[21]. Plusieurs institutions canadiennes illustrent en effet ces transformations dont un cas particulier est présenté dans ce qui suit. Sciemment, ce texte n’hésite pas à offrir des aspects descriptifs, car la recherche a besoin de ces récits détaillés au sujet de déplacements institutionnels, pour en tirer des conclusions analytiques plus complexes.

Le récit public que l’on entend continuellement, selon lequel les Québécois se seraient « débarrassés de la religion dans les années 1960 », se heurte à une réalité plus complexe. Certes, les statistiques concernant la pratique religieuse hebdomadaire et les vocations religieuses ont drastiquement chuté[22]. Mais à plusieurs titres, les Églises chrétiennes ont fait preuve d’une grande vitalité. Elles furent très impliquées dans les débats et les réformes catholiques à partir des années 1960. Le Québec francophone avait jusque-là constitué un vivier de recrutement où l’Église catholique romaine puisait nombre de vocations sacerdotales et religieuses et si plusieurs se sécularisèrent au tournant des années 1960, d’autres persistèrent dans leur vocation, dont plusieurs éminentes figures. Évoquons par exemple le jésuite René Latourelle, Grand Officier de l’Ordre du Québec et Officier de l’Ordre du Canada, qui fut enseignant pendant 30 ans, de même que doyen de la Faculté de théologie de l’Université Grégorienne à Rome ; le prêtre séculier Guy-Réal Thivierge, actuellement secrétaire de la nouvelle fondation du pape sur l’éducation catholique, et venant de terminer son mandat de trente ans en tant que Secrétaire général de la Fédération des Universités Catholiques.

Les archevêques de Montréal et de Québec étaient jusqu’à une époque récente des personnages influents au sein du catholicisme romain mondial, de même que dans la société canadienne ; pensons aux cardinaux Paul-Émile Léger, Paul Grégoire et Jean-Claude Turcotte. Ce dernier, décédé en avril 2015, était une figure publique respectée et très connue au Québec. Avec lui s’est sans doute éteint le dernier des évêques au rayonnement public d’importance dans la belle province, sur l’arrière-fond d’une perte continue d’influence de l’épiscopat[23]. On comptait aussi de nombreuses personnalités publiques affichant leur foi catholique, dont plusieurs membres du French Power à Ottawa (Pierre Lalonde, Pierre Elliott Trudeau)[24], la Gouverneure générale Jeanne Sauvé, rejeton de l’Action catholique ayant pris publiquement position en faveur d’un catholicisme romain plus progressiste, de même que le sociologue Fernand Dumont et son ami théologien et sociologue Jacques Grand’Maison[25]. Décédé tout récemment à l’âge de 100 ans, le Dominicain Benoît Lacroix pourrait incarner cette période de post-Révolution tranquille, mais tout de même florissante du catholicisme, qui s’achève sous nos yeux. Outre ces figures exemplaires, un puissant réseau communautaire fut très actif dans toutes les régions du Québec, souvent animé et financé en totalité, ou en partie, par des catholiques. Pensons au célèbre couple de syndicalistes Michel Chartrand et Simone Monet-Chartrand[26]. Le théologien réputé Gregory Baum, lui aussi récemment décédé, a souvent fait l’éloge de ces réseaux de gauche et de la théologie québécoise[27]. C’est sans compter les contributions persistantes, pastorales, sociales et financières, d’un toujours puissant, mais déclinant et discret réseau de communautés religieuses[28].

Le facteur de vitalité sans doute le plus important du catholicisme, durant cette période, fut le système public d’éducation confessionnelle. Après la Commission Parent, en dépit des recommandations selon lesquelles le système scolaire devrait être neutre sur le plan religieux, le gouvernement du Québec choisit pourtant d’assurer un système scolaire confessionnel, catholique et protestant, ce qui générerait une reproduction scolaire très efficace des confessions chrétiennes dominantes : animations pastorales dans les écoles, cours d’enseignement religieux confessionnel, liens étroits entre paroisses et écoles pour l’initiation des enfants et l’animation pastorale des adolescents. La possibilité d’exemption scolaire de ces cours confessionnels n’apparut qu’au début des années 1970. Ce n’est de surcroît qu’en 1983 que les évêques catholiques renoncèrent à la mission de ces cours visant à instruire en vue d’avoir accès aux sacrements d’initiation dans les paroisses (première communion et confirmation). Bref, tout comme dans la plupart des pays européens, le Québec opta pour un investissement considérable de l’État dans le champ scolaire confessionnel, ce qui assurera des emplois bien rémunérés pour des milliers de catholiques, prêtres et laïcs. Cependant, entre 1995 et 2008, ces réseaux confessionnels seront peu à peu démantelés[29].

Pour desservir ces réseaux, plusieurs départements et facultés de théologie catholique et protestante jouirent d’une grande solidité jusque dans les années 2000. Il existait des départements dans le réseau de l’Université du Québec (Chicoutimi, Rimouski, Trois-Rivières) et trois facultés au sein des universités Laval de Québec, de Montréal et de Sherbrooke. Dans le cas des deux premières facultés, il importe de noter qu’elles étaient les seuls membres facultaires de la Fédération internationale des Universités catholiques — les autres membres étant des instituts ou universités catholiques enseignant plusieurs disciplines. Cette exception témoigne également de l’importance qu’avait le Québec dans la dynamique géopolitique du catholicisme romain, tout en rappelant le statut catholique initial des universités où elles étaient logées[30].

Jusque dans les années 2000, le Québec se démarqua donc comme une province dont l’histoire était entrelacée au catholicisme, de manière similaire à l’Irlande et la Pologne, dans la mesure où elle était vécue à travers le sentiment que l’identité collective est intimement liée à la fidélité à Dieu, comme cela est exprimé dans le catholicisme[31]. Ces trois peuples ont une histoire et une identité nationale communes, profondément liées à une forme de sacré — le catholicisme. Dans les trois cas cependant, le lien a évolué et continue à le faire rapidement. Au Québec, l’accroissement du pluralisme religieux dans cette province, jusqu’alors très catholique, suscite des changements fondamentaux, notamment pour la théologie et les sciences des religions.

III. Le tournant des années 2000

Les études de la religion au Québec sont traversées par une importante différence, selon que l’on s’y intéresse à une période antérieure ou postérieure à l’année 2000. Premièrement, la succession des générations a généré une diminution de l’intérêt pour l’engagement religieux, qu’il soit social, pastoral ou vocationnel[32]. Deuxièmement, après la laïcisation scolaire échelonnée de 1995 à 2008 (laïcisation des commissions scolaires, des cours et de l’animation pastorale), les formations théologiques de type professionnel ont perdu leur attrait. Des professions de type « spirituel » ont été mises en place, et attiré un certain nombre d’étudiants, mais étaient, pour lors, assez peu régulées sur le plan des exigences de formation[33]. En troisième lieu, les facultés et départements ont aussi tiré parti des exigences de formation accompagnant la mise en oeuvre du programme Éthique et culture religieuse en 2008, qui est cependant géré de manière différente selon les universités. À l’Université de Montréal, les étudiants s’inscrivant à la Faculté des sciences de l’éducation doivent consacrer une année de cours de 1er cycle aux sciences des religions, l’autre année disciplinaire se trouvant axée sur la philosophie, afin que ces derniers maîtrisent le volet éthique du programme. Même si celui-ci est obligatoire, aussi bien dans le réseau public que dans celui privé, les écoles lui accordent néanmoins une importance variable et il fait l’objet de controverses régulières. Son évaluation n’est pas essentielle pour l’obtention du diplôme d’études secondaires. Fait récent, le ministre de l’Éducation du gouvernement, dirigé par François Legault et son parti, la Coalition avenir Québec (CAQ), Jean-François Roberge, ayant lui-même enseigné ce programme, lui réitère son appui tout en demandant que certaines révisions lui soient apportées[34].

En quatrième lieu, les étudiants inscrits à plein temps dans les formations spécialisées de 1er cycle sont peu nombreux, les facultés et départements rejoignant à ce titre le lot d’autres disciplines fondamentales de petite taille dans plusieurs universités occidentales[35]. Certaines universités tentent de résoudre ce problème en offrant des formations complètes à distance (Strasbourg, Québec, Louvain, Genève, etc.). Cinquièmement, fait positif, les étudiants inscrits aux cycles supérieurs, maîtrise et doctorat, sont en nombre assez stable. Les facultés et départements attirent une clientèle issue de l’immigration ou du lot des étudiants étrangers francophones, incluant en particulier des chrétiens des Caraïbes et d’Afrique, des Européens et des Maghrébins. Du côté des sciences sociales des religions, un nombre non négligeable d’étudiants formés dans d’autres disciplines souhaitent s’engager dans une recherche approfondie sur le religieux.

Dans ce contexte, les conséquences sur l’enseignement universitaire se multiplient. On assiste, au début des années 2000, aux fermetures successives des départements de théologie, logés dans le réseau de l’Université du Québec. Puis les années 2015-2017 constitueront des années historiques. Coup sur coup, entre 2015 et 2017, la Faculté de théologie et d’études religieuses de l’Université de Sherbrooke, la Faculty of Religious Studies de l’Université McGill et la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal sont supprimées ou subissent d’importantes transformations institutionnelles. Si Sherbrooke élimine par la suite toute unité spécialisée d’enseignement pour fonder un Centre d’études du religieux contemporain formant des étudiants issus de plusieurs disciplines, dans les deux autres cas, ces transformations ne s’accompagnent ni de l’élimination d’une unité ni de la disparition de la théologie. À l’Université McGill est créée, en mai 2016, la School of Theology and Religious Studies au sein de la Faculté des arts, qui conserve ses collèges confessionnels affiliés, appartenant à diverses dénominations[36]. En mai 2017, un Institut d’études religieuses voit le jour au sein de la Faculté des arts et des sciences (FAS) de l’Université de Montréal. La section qui suit est consacrée à un examen détaillé de ce cas précis, car il comporte d’intéressants précédents juridiques.

IV. Transformation de la FTSR depuis 2015

La mobilisation de plusieurs acteurs de l’Université de Montréal autour du cas de la FTSR aura permis de créer deux importants précédents juridiques : d’une part, les tribunaux reconnaissent que le syndicat doit être obligatoirement signataire de l’entente conduisant à la restructuration de l’unité, et de l’autre, l’entente signée avec le syndicat stipule qu’un Centre d’études ou de recherche multidisciplinaire ne peut être créé sans le consentement de la principale discipline concernée. De surcroît, la mutation de la FTSR coïncide avec une large discussion suscitée par la direction de l’UdeM sur la nécessité d’une transformation institutionnelle. Dans la partie suivante sont relatés les faits principaux.

1. La direction veut abolir la Faculté, rapidement et discrètement

À l’automne 2014, les professeurs de la FTSR s’étonnent de la lenteur avec laquelle le recteur met en place le comité de nomination d’une nouvelle personne au décanat, l’actuel doyen Jean-Claude Breton ayant annoncé sa retraite pour juin 2015. Le 16 février 2015, le recteur Guy Breton informe le doyen que le Comité de son remplacement ne se réunira pas, car il entend donner un nouvel élan à l’enseignement du religieux au sein de l’UdeM. Dans ce but, il souhaite que la FTSR devienne un département de la Faculté des arts et des sciences (FAS). Il ajoute qu’il compte bientôt préciser les modalités de ce transfert, et veut s’assurer de sa discrétion. Le doyen en informe l’exécutif de la FTSR. Le 10 mars 2015, il est invité à une réunion avec le recteur et les doyens de deux facultés pouvant collaborer avec la FTSR (Faculté des arts et des sciences — FAS — et Faculté des sciences de l’éducation). Par la suite, ce sera surtout la doyenne par intérim de la FAS, Mme Tania Saba, qui s’impliquera dans ce dossier, du fait qu’elle est chargée par le recteur de le piloter. Le 12 mars 2015, le doyen convoque l’ensemble du personnel de la FTSR ainsi que des représentants étudiants, afin d’exposer la situation. C’est une stratégie de collaboration et d’ouverture qui est adoptée. Des rumeurs commencent à circuler à l’UdeM concernant l’avenir de la FTSR[37]. Dès le lendemain, par voie de communiqué, la FTSR informe la communauté sur son site Web qu’un projet de « consolidation » des études religieuses est en cours d’élaboration à l’Université de Montréal[38].

2. La résistance s’organise

S’ensuivent des tractations discrètes, jusqu’à ce qu’une question soit posée à l’Assemblée universitaire à ce sujet, au mois de mai 2015[39]. Cette simple question, posée par un membre ayant eu vent des rumeurs, déclenchera un important mouvement de résistance à l’Université de Montréal. Le Syndicat général des professeurs (SGPUM), ayant ainsi pris connaissance de la situation, ne tarde pas à contacter les délégués de la FTSR pour s’informer de l’état du dossier. La manière dont les négociations sont conduites lui paraît inacceptable : le recteur aurait notamment dû contacter le SGPUM en tant que représentant exclusif des professeurs. Cette compréhension des choses sera contestée par la direction de l’Université de Montréal. Celle-ci n’aura toutefois pas le choix, car durant l’automne qui suivra, l’Assemblée universitaire (AU) votera majoritairement en faveur d’une demande cruciale formulée par les professeurs de la FTSR, consistant à confier l’étude du dossier de sa transformation à un Comité de ladite assemblée, appelé Comité du statut du corps professoral[40]. Ce vote majoritaire représente un tournant dans la saga de la transformation. En effet, plusieurs poids lourds de la direction en contestent vigoureusement la pertinence, lors de ladite assemblée universitaire, estimant que ce comité n’a rien à voir avec le dossier, et que le statut du corps professoral n’est en rien concerné par cette affaire. Fait peu habituel à l’AU, plusieurs abstentions combinées à des votes positifs surprendront le recteur lui-même, si bien que le comité en question devra être saisi du dossier. Autre aspect à noter, les représentants de la FTSR font valoir que les négociations avec la FTSR s’inscrivent dans le contexte plus large de la transformation institutionnelle de l’UdeM, arguant qu’il serait préférable de traiter ce dossier au moment où seraient réalisées ces transformations. La direction de l’UdeM conteste ce fait, répliquant que le dossier de la FTSR constitue un dossier spécifique qu’il convient de traiter en dehors de la grande transformation en cours de discussion.

En parallèle, justement, les discussions entourant le projet plus global de la transformation institutionnelle de l’UdeM s’intensifient. Au mois d’avril 2015, le recteur a obtenu l’accord de l’AU en vue de créer pour l’occasion un nouveau vice-rectorat « de développement académique » et nommer à sa tête M. Gérard Boismenu. Or, à la séance suivante de l’AU, au mois de mai, le recteur mentionne à nouveau ce vice-rectorat mais lui attribue subrepticement un nouveau nom : vice-rectorat au développement académique et à la transformation institutionnelle[41]. Le SGPUM, vigilant, s’estimant écarté du projet, en tant qu’instance représentative des professeurs, fait observer que l’AU n’a endossé ni le nom réel donné au vice-rectorat ni son mandat. Les mois qui suivent sont tumultueux.

Entre-temps, l’exécutif par intérim de la FTSR négocie avec Mme Tania Saba, doyenne par intérim de la FAS, sous l’arbitrage de Mme Louise Béliveau, vice-rectrice aux affaires étudiantes et aux études, en soumettant régulièrement les résultats de la discussion aux assemblées de la FTSR. Mais la direction refuse toujours que le SGPUM soit le représentant exclusif des professeurs dans la négociation. Malgré les fortes pressions auxquelles ceux-ci seront soumis (du fait que deux professeurs ont pris leur retraite en juin 2015, ils ne sont plus que huit professeurs syndiqués), ils refusent d’endosser toute entente dont le SGPUM ne serait pas lui aussi signataire[42].

3. Victoires auprès des tribunaux

Le SGPUM s’adresse aux tribunaux, au sujet tout à la fois du dossier de la FTSR que de celui de la transformation institutionnelle. Il souhaite que la direction de l’UdeM le considère comme le représentant des professeurs. Dans ce dernier cas, le tribunal administratif du travail donne raison au SGPUM et demande à l’UdeM de se conformer à ses devoirs[43]. Dorénavant, selon cette entente signée le 13 mai, la convention collective est modifiée et énonce que le SGPUM doit être informé de tout « projet de fusion, modification, abolition, restructuration, etc. […] [que] les parties s’engagent à se réunir […] afin d’examiner ensemble un tel projet et de traiter de toute question en lien avec les matières couvertes par la convention collective[44] ». Bref, plus aucune transformation d’unités ne pourra se faire sans impliquer le SGPUM. Cet accord est historique, dans la mesure où il est déjà arrivé par le passé qu’une unité subisse une transformation, sans que le SGPUM en soit informé au préalable et puisse donner un avis. Le cas du Département de littérature est à ce titre exemplaire, du fait que ni le SGPUM ni l’AU n’ont été impliqués dans les négociations devant mener à sa restructuration suite à la fusion de deux unités.

En ce qui concerne le dossier plus spécifique de la FTSR, les faits sont résumés par le SGPUM de la façon suivante :

Le 19 avril 2016, le SGPUM et la direction de l’Université avaient rendez-vous pour une audience devant l’arbitre Diane Sabourin au sujet de deux griefs reliés à l’abolition de la Faculté de théologie et de sciences des religions (FTSR). Le SGPUM avait en outre annoncé qu’il déposerait ce même jour une requête pour obtenir une ordonnance de sauvegarde au sujet de la FTSR. En début de matinée, l’Université a demandé à rencontrer hors cour les représentants du SGPUM pour leur offrir d’entamer une négociation visant à rechercher un règlement sur l’ensemble des questions soumises au juge Bussière et à l’arbitre Sabourin. Le SGPUM a accepté de débuter immédiatement ces négociations. Les négociations se sont poursuivies jusqu’au 13 mai 2016, date à laquelle sont intervenues deux ententes de principe : une pour résoudre la plainte devant le juge Bussière, l’autre pour résoudre les griefs au sujet de la FTSR[45].

La FTSR conclut, et presque au même moment, deux ententes : l’une avec la FAS et la direction, et l’autre avec le SGPUM. L’entente avec la direction et la FAS est le résultat de pourparlers et d’un consensus facultaire, atteint à l’automne 2015. Mais l’entente avec le SGPUM s’avère cruciale, car elle se trouve soumise à grief si elle n’est pas respectée[46]. En gros, que contient-elle ? Les professeurs y acceptent la suppression de la Faculté ecclésiastique et leur transfert à la FAS, dans une unité appelée Institut d’études religieuses (conformément au consensus facultaire). L’administration leur garantit l’ouverture de trois postes et le remplacement de tout départ à la retraite dans les cinq années suivant ce transfert. De plus, l’entente fait mention des trois champs disciplinaires que poursuivra cet Institut (conformément au consensus facultaire) :

Attendu la volonté d’assurer une pérennité de chacune des composantes du champ disciplinaire des études religieuses (théologie, sciences des religions et études en spiritualité) tant au niveau de l’unité qu’au niveau du rattachement facultaire […].

Par cet attendu, formulé avec beaucoup de soin, l’on s’assure que l’UdeM ne procédera pas à la dislocation de l’étude du religieux dans diverses unités départementales, mais qu’il conservera une unité spécialisée dans cet objectif, tant que les professeurs de l’unité le souhaiteront. Il officialise la triple mission de l’Institut, qui, sans lien ecclésiastique ou confessionnel exclusif, perpétue et consolide celle de la FTSR, et consiste à développer l’enseignement et la recherche tout à la fois en théologie, sciences des religions et spiritualité.

4. Enjeux disciplinaires

De plus, à l’article 6, il est écrit que « les professeur-es et le directeur ou la directrice de l’IÉR auront un rôle prépondérant dans la composition du comité d’orientation formé pour réfléchir à la création et à la mission [d’un] Centre d’études et de recherche ». La question des Centres d’études a pu être en partie clarifiée à travers les discussions au sujet de la FTSR. Personne à l’Université n’y portait jusqu’alors vraiment attention. Des Centres d’études (et non de recherche, mais d’études donc comportant des programmes) étaient créés depuis quelques années, en mobilisant des collègues provenant de plusieurs départements et facultés. Or, les statuts de l’UdeM stipulent que le doyen de la FAS

dirige les études de sa faculté ; il élabore les programmes multi et interdisciplinaires à tous les cycles et voit à l’application des règlements pédagogiques touchant ces programmes. Il surveille l’élaboration des autres programmes de premier cycle et de cycles supérieurs de la faculté et l’application des règlements pédagogiques touchant ces programmes (article 28.08)[47].

Alors que la multidisciplinarité se trouve privilégiée, depuis quelques années, dans toutes les universités du monde, les Centres d’études sont devenus un moyen de créer des secteurs multidisciplinaires, aux modes de diplomations variés. Selon les statuts, ces Centres d’études dépendent directement du décanat. Il arrive que ce soit du rectorat. Fait important, il ne s’agit pas d’unités d’embauche et ils échappent donc au contrôle d’une unité spécifique. Un étudiant s’y inscrivant peut obtenir un diplôme dans une discipline spécifique, tout en étant rattaché à un Centre d’études, ou encore obtenir un diplôme multi ou bidisciplinaire du Centre d’études lui-même. On trouve notamment à l’UdeM un Centre d’études d’Asie du Sud-Est, un Centre canadien d’études allemandes et européennes, un Centre d’études classiques et un autre portant sur les études médiévales[48]. Apparemment, de tels Centres sont créés afin de faciliter l’étude d’un thème non disciplinaire. Or, durant les longues négociations concernant la FTSR, l’idée d’un tel Centre d’études fut évoquée. C’est toute la question du champ d’études qui se trouvait ainsi posée. Un Centre d’études multidisciplinaires de la religion n’allait-il pas compromettre à terme l’existence même d’une unité spécialisée ? Au coeur de la négociation avec le SGPUM, se posa donc la question du leadership et des aspects décisionnels autour de ce Centre. Or, en dépit des statuts de l’UdeM, l’entente du 13 mai 2016 est très claire : le leadership en revient à l’unité et non pas au décanat de la FAS. Depuis, plusieurs professeurs de l’UdeM, de même que le SGPUM, s’interrogent sur le fait que ces Centres ne constituent en rien des unités d’embauche et s’avèrent par conséquent très malléables pour une direction facultaire ou universitaire. Fait révélateur, la doyenne par intérim de la FAS, Mme Tania Saba, tendait à favoriser ce scénario de création d’un Centre d’études, tout en croyant pouvoir maintenir une unité spécialisée.

Les professeurs de la FTSR et plusieurs autres acteurs de l’UdeM ont adopté, pour la plupart, une position très ferme quant à l’importance de maintenir un champ disciplinaire, et non de se contenter d’assurer l’étude d’une question dans plusieurs unités. L’une des raisons est que cette question devient souvent mineure dans un champ disciplinaire lorsqu’elle perd, par moments, la faveur de l’actualité d’une société, ou ne bénéficie pas de la présence d’un professeur particulièrement engagé dans ce champ de recherche. Une étude sérieuse du religieux exige surtout plusieurs approches croisées de professeurs embauchés à plein temps, ce qu’un Centre d’études n’assure pas. Comment pouvait-on simplement envisager une telle solution au sein d’une université se situant au troisième rang des universités de recherche au Canada ?

V. La théologie après la Faculté ecclésiastique : la théologie critique en tant que nouveau paradigme

Comment fut abordée la question complexe du statut ecclésiastique ? Avant d’y venir, relatons quelques faits survenus à ce sujet depuis les années 1970. Suite à la laïcisation de quelques prêtres et théologiens enseignant à la Faculté, le statut ecclésiastique de la Faculté fut mis à l’épreuve, dans la mesure où les autorités ecclésiastiques n’autorisaient plus à enseigner la théologie, entrant ainsi en contradiction avec l’indépendance intellectuelle d’employés d’une université publique. Un comité fut mis sur pied en 1975, constitué de représentants diocésains et de l’UdeM, afin de se pencher sur ce problème, et déposa au terme de son travail, en juin 1976, un rapport étoffé de près de 270 pages[49]. On y proposait que le statut ecclésiastique soit abandonné, au profit d’une formule plus souple permettant de conserver des liens formels avec l’Église catholique, tout en respectant l’autonomie universitaire. Les autorités romaines firent savoir que l’abandon de ce statut aboutirait à la perte de leur confiance dans la Faculté et qu’elles refusaient donc le compromis envisagé.

La suite de l’histoire de la Faculté est basée sur un compromis relatif, aménagé dans l’espace même de ce statut ecclésiastique qui a perduré[50]. Pour éviter que les théologiens soient soumis aux contraintes du statut ecclésiastique, en cas de conflit (pour régler notamment le cas des professeurs prêtres laïcisés), l’Université de Montréal opta pour la création d’un « Département d’études théologiques » (n’existant que sur le papier), rattaché au Conseil exécutif. Des professeurs perdant leur « mission ecclésiastique » pouvaient y être rattachés, tout en continuant à travailler à la Faculté. De plus, une autre hypothèse avait été émise à l’époque, celle de réinvestir l’Institut supérieur de sciences religieuses, disparu depuis 1970. Le rapport interne de 1976 mentionne d’ailleurs que des professeurs avaient évoqué la possibilité suivante : « Une solution au problème pourrait peut-être venir de la remise en oeuvre de l’Institut supérieur de sciences religieuses qui n’a jamais été aboli officiellement[51] ». Or, selon la synthèse historique de Madeleine Sauvé, « l’attente de la décision relative à la suppression de l’Institut supérieur s’est prolongée jusqu’à ce jour, ce qui permet d’affirmer que, du strict point de vue juridique, cet institut existe encore[52] ». Il convient de noter que ni cet Institut ni le Département d’études théologiques n’apparaissent dans le recueil officiel du Secrétariat général de l’Université de Montréal.

Ces aménagements institutionnels tortueux peuvent paraître choquants pour les contemporains, mais ils constituaient la seule voie possible pour préserver la venue de clientèles catholiques à la Faculté, qui offrait par ailleurs une théologie interdisciplinaire et souvent critique de la tradition. Était-ce trop cher payer ? Où en étions-nous en mars 2015 ? En conformité avec la charte de l’UdeM, les statuts de la FTSR et les normes régissant les facultés ecclésiastiques catholiques, l’archevêque de Montréal était toujours le « Modérateur de la Faculté ecclésiastique » de théologie, et en tant que tel, devait par exemple approuver les nominations des membres de l’exécutif, du conseil et des professeurs en théologie[53]. Il devait également nommer deux membres au Conseil de l’UdeM (Charte, article 28.08). La direction de l’UdeM n’appréciait pas le fait que ledit modérateur, depuis le tournant de l’année 1976, envoyait, au 1er cycle, ses prêtres étudier au Grand Séminaire de Montréal. La Faculté se mit à accueillir surtout des laïcs se destinant à exercer des fonctions pastorales ou scolaires. De surcroît, ledit Grand Séminaire, dont le nombre d’étudiants candidats à la prêtrise avait dramatiquement chuté, se réorienta vers la formation de laïcs, en 1989, par le biais de la création de l’Institut de formation théologique de Montréal. Depuis 1998, le Gouvernement du Québec l’autorise à dispenser des programmes de niveau universitaire en sciences ecclésiastiques (théologie, philosophie, études pastorales) : « Tous les programmes et diplômes de l’Institut sont enregistrés officiellement auprès du Ministère de l’Éducation » (Loi 278)[54].

De plus, l’Institut de pastorale des Dominicains, situé à deux pas de l’UdeM, qui avait longtemps été plus ou moins actif sur le plan de la formation universitaire, face à la baisse importante des effectifs étudiants au Collège des Dominicains, à Ottawa, commença lui aussi à exploiter le terrain de la formation des laïcs. Il constitue en effet l’antenne montréalaise dudit collège, fondé en 1900. Ces deux institutions — le Grand Séminaire et l’Institut de pastorale — bataillant pour les mêmes clientèles, il ne fallut pas davantage qu’une nouvelle génération d’évêques des environs de Montréal moins favorables à la FTSR pour rompre les derniers liens ; ce d’autant plus que ces diocèses de la grande région ne réussissaient pas toujours à regrouper un nombre suffisant d’étudiant.e.s par classe. Seuls demeuraient les étudiant.e.s internationaux, encore nombreux aux cycles supérieurs. Bon an, mal an, la FTSR comptait autour de 140 étudiant.e.s aux cycles supérieurs. Ce fut sans doute l’enjeu le plus âprement débattu avec la direction de l’UdeM, par quelques théologien.ne.s de la FTSR, avant la décision finale de supprimer la Faculté ecclésiastique. Cette clientèle internationale en théologie, majoritairement constituée de prêtres catholiques ou de pasteurs protestants, allait-elle venir étudier dans le nouvel Institut d’études religieuses ?

Des Institutions universitaires théologiques dépourvues de statut ecclésiastique existent déjà. Le rapport de 1976 décrit dans le détail l’histoire de petits départements de théologie autrefois logés dans le réseau des Universités du Québec. Sans détenir de statut facultaire ou ecclésiastique, ces départements entretenaient néanmoins des liens significatifs avec les groupes religieux locaux[55]. En 1973, la Congrégation pour l’Éducation catholique établit la distinction suivante entre liens formels et informels :

Bien que le document [L’Université catholique dans le monde moderne] envisage l’existence d’institutions universitaires n’ayant pas de liens statutaires avec l’autorité ecclésiastique, on fait remarquer que cela ne signifie pas l’exclusion des rapports avec la hiérarchie de l’Église, qui sont le propre de toute institution catholique[56].

Ces liens informels s’étant dissous dans la foulée de la laïcisation scolaire, qui entraîna l’appauvrissement des Églises, les départements fermèrent les uns après les autres. Un grand nombre d’universités canadiennes conservent des rapports plus ou moins formels avec les institutions religieuses, en particulier les Églises chrétiennes, par le biais de collèges confessionnels rattachés à plusieurs dénominations. On trouve encore quelques petites universités catholiques proposant plusieurs disciplines. La Faculté d’études religieuses de l’Université McGill ne possède pas de statut ecclésiastique mais comprend plusieurs écoles ou collèges théologiques affiliés, ce qui subsiste dans la nouvelle School of Religious Studies à présent logée à la Faculty of Arts. Le nouvel Institut d’études religieuses mis en place à l’Université de Montréal entend continuer à desservir les diocèses de la grande région de Montréal pour des cours ponctuels, en particulier aux cycles supérieurs, de même que d’autres groupes religieux.

Mais, un autre développement actuel des études religieuses s’avère inédit et significatif, car il correspond tout à fait à l’expérience de la FTSR. Des croyants désirent poursuivre une réflexion sur l’intelligence du croire, à partir d’une subjectivité croyante, dans certains cas, ou, dans d’autres, sur la base de l’étude d’une tradition. Une telle approche constitue au sens large une orientation purement théologique. Le nouvel Institut d’études religieuses s’inscrit dans cette voie, à l’instar d’autres institutions soumises à des défis similaires, c’est-à-dire en vue de satisfaire une clientèle pluraliste et sa quête d’intelligence. On peut se référer par exemple au livre du théologien Edward Foley, enseignant au Catholic Theological Union de Chicago. Dans son livre au titre éloquent, Theological Reflexion across Religious Traditions. The Turn To Reflective Believing (Rowman & Littlefield Publishers, 2015), Foley estime que, dans une société dont le pluralisme s’accroît, de nombreuses personnes aux croyances diversifiées désirent réfléchir théologiquement. Il importe donc de développer une théologie dans un contexte interreligieux et interconvictionnel. À plusieurs titres, cette théologie pluraliste coïncide avec le nouvel intérêt pour la spiritualité.

Enfin, l’histoire récente de la FTSR montre à quel point le rapport avec les autorités ecclésiastiques catholiques est devenu complexe. Selon les chefs religieux en place, on est plus ou moins à l’aise avec une théologie critique universitaire, et le pouvoir d’influence que conservent les communautés religieuses et les prêtres séculiers n’est pas négligeable. On ne peut leur reprocher de vouloir préserver leur mission d’enseignement en s’accaparant les clientèles demeurées dans les diverses zones du monde. Mais, nos sociétés qui apprécient de plus en plus l’importance de la neutralité en matière religieuse doivent bien comprendre quelles conséquences pratiques risque d’entraîner le repli vers des institutions plus homogènes.

VI. Épilogue en cinq temps

1. Le nouveau vice-rectorat à la transformation institutionnelle disparaît

Fait notable, le nouveau vice-rectorat au développement académique et à la transformation institutionnelle a disparu tout aussi subrepticement qu’il était apparu, durant l’automne 2016.

2. Une nouvelle clause dans la convention collective

Les décisions juridiques ayant statué sur le cas de la FTSR sont devenues des références jurisprudentielles relatives. Une décision de la juge Diane Sabourin du Tribunal d’arbitrage donnait raison au SGPUM et se référait au cas de la FTSR plusieurs dizaines de fois[57]. Il s’avère utile d’en citer un extrait parmi d’autres, mais qui illustre la teneur du processus imposé (c’est nous qui soulignons) :

Les officiers de l’Université savent que le SGPUM accompagne les professeurs afin de les aider à défendre leurs conditions de travail, dont le pivot est le rattachement à l’unité et leurs droits politiques, aussi intimement liés au statut de l’unité. Ils nient ouvertement le droit des professeurs d’être représentés par leur Syndicat. Plus encore, ils véhiculent le message que l’intervention du Syndicat est nuisible et conduira à l’échec du projet et à la perte des avantages promis par la doyenne. L’Université porte atteinte au monopole de représentation du Syndicat.

par. 5

Toutefois, une décision de la Cour Supérieure invalida en partie cette décision[58]. Il n’en reste pas moins que la plus récente convention collective négociée par la direction inclut une nouvelle clause imposant à l’Université l’obligation d’aviser le SGPUM avant toute réunion du COPLAN (Comité de planification) concernant la fusion ou toute autre forme de transformation[59]. Cette clause impose aussi l’obligation pour les deux parties de se rencontrer afin d’examiner ensemble le projet de fusion en lien avec les matières couvertes par la convention. Bref, l’expérience de la FTSR démontre que lorsque les parties veulent négocier, le résultat est toujours dans l’intérêt des deux. En résumé, on peut difficilement isoler la fonction professorale de la discipline exercée, voire même d’un statut facultaire. Au coeur du mouvement actuel des universités qui se transforment, il importe de ne pas perdre de vue ces aspects fondamentaux.

3. Une réforme « agile » de la charte de l’Université de Montréal

Le vendredi 16 décembre 2016, le recteur a fait parvenir par courriel aux membres de l’AU son projet de réforme rapide de la charte de l’Université de Montréal. Il fallait impérativement modifier ce texte fondamental en quelques semaines. Voyant les collègues de la Faculté de droit prendre unanimement position contre le caractère expéditif de cette réforme dans leur assemblée facultaire[60], je me suis rendue, confiante, à l’AU du 20 janvier 2017. Le rectorat entendrait certainement raison et consentirait à prendre le temps de réfléchir à cette charte constituant l’architecture de l’Université. Sidérée, j’assistai à la disqualification de ces collègues de droit venus présenter leur proposition de former un comité d’experts. Non seulement le recteur et la présidente de l’AU refusèrent d’accepter de les entendre, mais aussi l’AU, constituée de représentants de tous les groupes de l’Université, rejeta massivement leur proposition de créer un comité compétent et indépendant pour y réfléchir.

4. Rétrospectivement, régler notre cas servait à ouvrir la voie d’une réforme rapide de la charte

À partir de janvier 2017, la direction se prêta au jeu d’une consultation très large et déposa le projet de loi privée 234, qui devait être discuté très rapidement par un comité de l’Assemblée nationale. Si plusieurs acteurs, y compris les associations étudiantes, se sont ralliés à cette réforme, près de 500 professeurs de l’Université de Montréal signèrent une pétition, manifestant leur inquiétude face à cette manière subreptice de soumettre ce projet qui ne serait discuté que durant quelques jours[61]. Le SGPUM déposa un mémoire fort étoffé, qui ne manquait pas de reprendre certains éléments ayant fait l’objet d’une réflexion et étant étayés à travers le cas de la FTSR, notamment l’imbrication entre toute transformation institutionnelle, le statut professoral et la convention collective.

Nous nous étions beaucoup interrogée sur les raisons de la décision de la direction, concernant notre transfert à la FAS. Rétrospectivement, notre cas constituait notamment une étape nécessaire afin de dégager une voie plus directe vers une réforme rapide de la charte de l’Université de Montréal.

5. La FTSR en bonne place dans les classements mondiaux

La défunte FTSR figure — presque ironiquement — dans le classement de la firme Quacquarelli Symonds (QS) ayant publié son septième classement mondial des universités par disciplines. Pour la première fois y sont introduites la théologie et les sciences des religions, et l’UdeM se classe dans le groupe des 51 à 100 meilleures universités dans le monde. Au Canada francophone, l’Institut d’études religieuses est la seule unité de sciences religieuses à apparaître dans ce classement, avec McGill et à l’étranger par exemple Louvain-la-Neuve en Belgique, Loyola à Chicago, Trinity College à Dublin, et ainsi de suite[62].

Conclusion : entre la technique et le sens

Entre 2015 et 2017, une solide réflexion s’est donc mise en place à l’Université de Montréal et le cas de la transformation de la FTSR a permis de poser plusieurs questions fondamentales, à savoir : comment les grandes universités doivent-elles traiter leurs unités lorsqu’il s’agit de transformations institutionnelles ? Quels types de négociations doivent être mis en place pour s’assurer que toutes les instances compétentes se prononcent sur ces questions ? Quelles conséquences une transformation structurelle peut-elle avoir sur une discipline ? Plus spécifiquement, comment doit-on envisager les études religieuses à l’ère contemporaine ? Il est certain que les débats sur la laïcité au Québec ont eu un effet plus ou moins direct sur les décisions initiales de la direction, combiné à des liens diocésains en déliquescence et une situation globale précédemment décrite dans ce texte.

Au coeur du débat, le SGPUM a commandé l’étude auprès de l’IRIS (Institut de recherche et d’informations socioéconomiques), signée par Éric Martin et citée au début du présent texte. Intitulée L’université globalisée. Transformations institutionnelles et internationalisation de l’enseignement supérieur, cette étude se penche sur le cas de l’Université de Montréal et son projet de transformation[63]. Elle fait observer l’existence d’une tentative globale de mettre fin à la conception moderne de l’Université, selon laquelle elle se présentait comme « un lieu autonome, collégial et indépendant à l’égard des pouvoirs, où la norme découlait d’une mission liée à l’approfondissement d’un rapport raisonné au monde animé par la quête de vérité ». L’auteur ajoute que diverses forces chercheraient à présent à en faire une organisation « moins dirigée vers la vérité que vers l’augmentation de la productivité économique par le développement du savoir et de l’innovation technologique[64] ». L’éducation viserait alors moins à l’acquisition d’une solide culture qu’à celle d’apprentissages à renouveler et à adapter tout au long de la vie. Cette étude analyse plusieurs concepts utilisés par la direction de l’UdeM dans ses projets de transformation, renvoyant au monde de l’entreprise et des grandes corporations, notamment celui d’agilité organisationnelle.

Certes, on ne saurait négliger l’importance des innovations « utiles » à l’Université, voire de lieux de formation adaptable. Des disciplines professionnelles telles que la médecine, les sciences de la santé, les sciences de la nature appliquées, l’ingénierie, les études commerciales, s’avèrent cruciales pour le développement de nos sociétés, et s’inscrivent largement dans cette tendance. On ne saurait toutefois leur accorder une importance disproportionnée, en se désintéressant des champs plus fondamentaux du savoir.

Ce phénomène que l’on peut appeler « technicisation du savoir » n’est pas nouveau et touche plusieurs champs et expertises professionnelles. Prenons l’exemple du journalisme et des sciences de l’éducation. Avant les années 1980 y accédaient beaucoup d’individus ayant poursuivi avec succès des études supérieures en sciences humaines. Depuis, ce sont des formations en techniques des communications qui paraissent être privilégiées dans les processus de préparation, souvent au détriment d’une maîtrise approfondie des contenus. Il en va de même dans le domaine de l’éducation, où les formations en pédagogie supplantent de plus en plus les formations disciplinaires. Plusieurs penseurs ont mis en garde l’Occident contre l’appauvrissement des conceptions de la vie (Heidegger, Ellul, Lévinas, Derrida), s’en prenant à la technique et à sa tyrannie sur la culture. Ces idées sont de moins à moins abstraites et font leur chemin au coeur de l’Université et de la conception des savoirs. En ce qui concerne la théologie, certaines questions, au terme de toutes ces années de négociations ardues, méritent réflexion : jusqu’où nos sociétés vont-elles continuer à soutenir financièrement une théologie soumise aux autorités ecclésiastiques catholiques, de plus en plus en décalage, et selon quels critères ? En cette ère de laïcisation et de pluralisation, comment concevoir le soutien d’une théologie élaborée par des femmes et des hommes jouissant d’une entière liberté intellectuelle dans l’espace des universités publiques ?