Article body

INTRODUCTION

Les programmes d’immersion française (IF) et de français langue seconde (FLS) permettent de maintenir la langue française vivante dans les milieux minoritaires. Chaque année, plusieurs parents canadiens y inscrivent leurs enfants dans l’espoir qu’ils et elles deviennent bilingues à la fin de leurs études secondaires (Barrett DeWiele & Edgerton, 2020 ; Canadian Parents for French, 2018). Une hausse substantielle des inscriptions (augmentation des effectifs de 7,3 % en IF entre 2016 et 2021) (Patrimoine Canadien, 2021), loin d’avoir seulement des retombées bénéfiques, exerce un impact considérable sur l’attraction et sur la rétention du personnel enseignant.

Selon une récente enquête de l’Association canadienne des professionnels de l’immersion ACPI (2021) ayant pu compter sur la participation de 934 écoles de toutes les provinces et territoires, il manquerait entre 1 000 et 1 400 enseignants et enseignantes pour les programmes d’IF et entre 7 000 et 8 000 enseignants et enseignantes pour les programmes FLS. L’étude associe cette pénurie à plusieurs facteurs tels que les conditions de travail (surcharge de travail, manque de ressources, etc.), la dévalorisation de la fonction, les défis administratifs (dont le maintien d’une offre de perfectionnement en français), l’isolement des intervenants et des intervenantes en IF au sein du personnel et les qualifications insuffisantes.

Pour remédier à cette pénurie, certaines écoles embauchent des personnes non qualifiées ou ayant des compétences linguistiques limitées pour enseigner une langue seconde (L2) (ACPI, 2021 ; Salvatori, 2009). Or, détenir un diplôme d’une faculté d’éducation et obtenir son brevet d’enseignement est insuffisant pour être apte à enseigner en IF (Lapkin et al., 1990). Cooke et Faez (2018), dans une étude exploratoire dont l’objectif était de mesurer le sentiment d’efficacité personnel de 14 enseignants et enseignantes de français-cadre et de 13 enseignants et enseignantes d’IF de l’Ontario démontrent que les personnes nouvellement diplômées ne se perçoivent pas comme étant particulièrement confiantes quant à leur enseignement à la fin de la formation initiale. Outre la maîtrise des connaissances théoriques et pédagogiques, qui sont des défis communs à tous les enseignants et à toutes les enseignantes novices (Fantilli & McDougall, 2009 ; Kealy, 2010), ceux et celles qui désirent travailler en IF doivent « maintenir et développer des connaissances et des compétences linguistiques pour articuler au mieux, dans leurs pratiques, les contenus disciplinaires à enseigner et les contenus langagiers reliés à l’apprentissage de la langue seconde » (Cammarata et al., 2018, p. 102).

L’évaluation des compétences linguistiques par les directions d’école durant le processus de recrutement prend tout son sens puisqu’elle reflète l’importance de la langue comme moyen principal de communication et de partage des connaissances (Lee & Butler, 2020). Elle permet non seulement aux leaders scolaires de garantir une instruction de qualité aux élèves, mais aussi de s’assurer que les compétences des personnes recrutées sont en adéquation avec les exigences du milieu de travail.

Notons que des recherches réalisées dans divers contextes rapportent que les enseignants et les enseignantes de langues secondes (L2) qui n’ont pas la langue d’enseignement comme première langue éprouvent une anxiété langagière durant leur enseignement (Horwitz, 1996 ; Nayernia & Babayan, 2019 ; Reves & Medgyes, 1994). Cette anxiété, qui n’est qu’une résultante des « opérations mentales complexes et non spontanées nécessaires pour communiquer » (Horwitz, 1996, p. 365), remet en question leur estime de soi en tant que communicateurs et communicatrices compétents et les conduit non seulement à la réticence, à la peur et à la panique liées à l’utilisation de la langue (Horwitz, 1996 ; Reves & Medgyes, 1994), mais aussi à l’utilisation de mauvaises stratégies pédagogiques qui peuvent affecter l’efficacité de leur enseignement (Farrel, 2007 ; Ferrarotti, 2016).

Pour lutter contre cette anxiété langagière, Horwitz et Young (1991) suggèrent d’offrir au personnel enseignant des possibilités de perfectionnement professionnel et un soutien continu. Néanmoins, les réalités dans les écoles canadiennes montrent que la formation continue est insuffisante par rapport aux besoins du personnel (Arnott et al., 2015). L’étude de Carr (2007), réalisée en Colombie-Britannique auprès de 612 enseignants et enseignantes du français de base à l’élémentaire, révèle que très peu de personnes (5 %) appartiennent à des associations d’enseignants de langues et que seule la moitié assiste au moins une fois par an à des ateliers de perfectionnement. Carr constate que ce manque de formation et de soutien est « une grave préoccupation qui affecte la qualité du programme offert puisque cela peut avoir une incidence sur le temps d’enseignement réel en français et sur la matière française » (p. 14).

Une étude longitudinale pancanadienne menée par l’Ontario Public School Boards’ Association (OPSBA) (2021) et réalisée en Ontario, en Colombie-Britannique, au Manitoba, en Alberta, en Saskatchewan, au Nouveau-Brunswick, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Québec aboutit à des constats similaires. Cette enquête effectuée auprès de 545 directions d’école combinée à des focus groups indique que les directions manifestent une préoccupation en ce qui a trait à leur propre perfectionnement professionnel ainsi qu’à l›accès aux ressources de qualité pour soutenir les enseignants et les enseignantes de FLS.

En Alberta, le Handbook for French Immersion Administrators (Alberta Education, 2014) précise quatre compétences essentielles que les enseignants et les enseignantes d’IF doivent posséder :

  1. Maîtriser la langue française à l’oral et à l’écrit à un niveau sensiblement équivalant à celui d’un locuteur natif ;

  2. Être formé et avoir une bonne compréhension de la pédagogie en immersion ;

  3. Comprendre la culture française et sa relation avec la langue ;

  4. Posséder des habiletés de communication en anglais (Alberta Education, 2014).

Ce cadre normatif suggère aux directions d’école de veiller à ce que les candidats et les candidates aux postes d’enseignement respectent tous ces critères et qu’ils et elles soient soumis à une évaluation pour chacune de ces dimensions. Néanmoins, nous ne savons que très peu de choses sur la façon dont les directions d’école s’acquittent de ces obligations. Cette recherche vient combler ce manque de connaissances, en s’intéressant à la première compétence du cadre normatif, à travers l’identification des besoins et des défis liés à l’évaluation du français des personnes qui enseignent dans les programmes d’IF et de FSL d’Alberta. Elle recense également les difficultés rencontrées par les directions d’école qui souhaitent offrir des perspectives de perfectionnement continu à leur personnel et les ressources mises à leur disposition.

Nous nous inspirons du cadre conceptuel élaboré par Salvatori et MacFalane (2009) pour répondre aux questions suivantes :

  1. Quels sont les protocoles mis en place par les équipes d’administration des écoles pour évaluer les compétences en français des candidats et des candidates aux postes d’enseignement dans les programmes d’IF ou de FSL ?

  2. Quelles sont les ressources et les soutiens disponibles pour favoriser le perfectionnement linguistique du personnel enseignant ?

  3. Quels sont les défis rencontrés par les équipes de direction d’école d’IF ou de FSL pour offrir un perfectionnement professionnel continu en langue française au personnel enseignant ?

Notons que Salvatori et MacFalane (2009) suggèrent un processus de développement des compétences linguistiques qui commence durant la formation initiale des enseignants et des enseignantes et se poursuit une fois qu’ils et elles sont sur le marché du travail, par le biais d’une évaluation systémique du niveau linguistique durant la phase d’embauche et son renforcement à travers la formation continue (figure 1). Leur conception de l’évaluation linguistique s’inscrit dans une perspective sociolinguistique. Contrairement aux linguistes, qui la réduisent à un savoir implicite composé de règles grammaticales qui permettent à une personne de générer une infinité de productions langagières (Jonnaert, 2009 ; Rebuschi, 2011), les sociolinguistes ont une conception très élargie de la notion de compétence linguistique. Ils et elles soutiennent qu’il s’agit d’un construit multidimensionnel qui englobe les connaissances et les capacités d’utilisation de la langue d’une manière socialement acceptable dans un contexte donné (Butler, 2004).

Figure 1

Schéma du cadre conceptuel

Schéma du cadre conceptuel
Source : Schéma inspiré de Salvatori et MacFalane (2009, p. 7-16)

-> See the list of figures

Puren (2001) suggère un processus d’évaluation quadridimensionnelle des compétences linguistiques des personnes. La première dimension de compétence consiste à évaluer tout ce qui a trait au lexique, à la morphologie, à la syntaxe, à l’orthographe et à la prononciation. La deuxième vise à évaluer la compréhension orale et écrite ainsi que l’expression orale et écrite. La troisième consiste à déterminer les habiletés de la personne suivant les composantes de la compétence de communication (linguistique, discursive, référentielle, socioculturelle et interactive). Enfin, la dernière vise à évaluer les capacités de la personne à utiliser la langue comme un instrument d’action. Il convient de préciser que les quatre dimensions de compétences suggérées par Puren sont imbriquées les unes dans les autres.

Pour Douglas (1999), l’évaluation de la compétence langagière pour un objectif spécifique donné doit être liée à l’examen des connaissances de la langue, de la compétence stratégique et de la connaissance du contexte. Cet auteur considère la compétence stratégique comme un médiateur et un interprète entre le contexte externe de la situation et la langue. Il suggère une évaluation linguistique qui mesure les connaissances élémentaires nécessaires pour répondre aux termes d’usage de la langue dans une situation de communication.

En effet, la compétence stratégique est très sollicitée chez les enseignants et les enseignantes puisqu’ils et elles doivent constamment adapter leur langage au public cible (collègues, directions, parents et élèves). Bachman (1990, p. 61) argumente que la personne qui enseigne les langues doit non seulement avoir développé l’ensemble des capacités linguistiques (compétences grammaticales, textuelles, illocutoires et sociolinguistiques), mais aussi disposer d’une grande variété de stratégies de communication à visée pédagogique. Elle doit également faire preuve de compétences métalinguistiques (p. ex., connaissance des formes syntaxiques ou des catégories d’actes de langage) qui lui permettront de parler la langue avec les élèves d’une manière utile sur le plan pédagogique.

Les instruments de mesure de la compétence en L2 suivant la perspective sociolinguistique intègrent une prise en compte de la nature communicative de l’usage de la langue de même qu’une reconnaissance du contexte à la fois discursif et sociolinguistique dans lequel elle est utilisée (Bachman, 1990). Dans cette perspective, Bayliss et Vignola (2000) proposent d’évaluer les éléments suivants chez les enseignants et les enseignantes : la compréhension de l’écrit, la connaissance de la grammaire, les capacités rédactionnelles et les habiletés orales.

MÉTHODOLOGIE

Description de l’échantillon

Les participants et les participantes à l’étude sont des personnes ayant de l’expérience en enseignement en contexte immersif ou en enseignement des langues secondes. L’étude a ciblé les enseignants et les enseignantes, les équipes de direction d’école ainsi que d’autres acteurs et actrices du milieu éducatif ayant déjà enseigné. Avant de procéder au recrutement des participants et des participantes, une demande d’éthique a été obtenue. Une collaboration avec l’Alberta Teachers’ Association, dont tous les enseignants et toutes les enseignantes sont de facto membres, a permis de diffuser le lien de l’enquête à travers toute la province. Parmi les 48 personnes qui ont répondu à l’enquête, la majorité (83 %) étaient des femmes.

Cet échantillon n’est pas représentatif de la population étudiée, puisqu’en Alberta, les femmes représentent près de 71 % du personnel enseignant (Government of Alberta, 2013). Près de la moitié des personnes qui ont répondu (48 %) enseignent à l’élémentaire tandis que 17 % enseignent au niveau secondaire. Un peu plus du quart (27 %) sont des stagiaires ou des enseignants et des enseignantes expérimentés qui font un retour aux études à temps plein ou qui exercent d’autres fonctions (conseiller pédagogique (curriculum consultant) à Alberta Education, conseiller pédagogique dans les programmes d’IF, coordonnateur de programme, etc.). Les directions d’école ou les directions adjointes ne représentent que 8 % de l’échantillon (figure 2).

Figure 2

Répartition des répondants et des répondantes selon le poste occupé

Répartition des répondants et des répondantes selon le poste occupé

-> See the list of figures

Les participants et les participantes cumulent plusieurs années d’expérience professionnelle (90 % ont plus de cinq années d’expérience en enseignement) et la plupart (44 %) sont des personnes dont le français constitue la première langue (figure 3).

Figure 3

Répartition des répondants et des répondantes selon la première langue

Répartition des répondants et des répondantes selon la première langue

-> See the list of figures

L’étude étant de nature mixte, il est important de mentionner que sur les 48 personnes qui ont répondu à l’enquête en ligne, seules quatre personnes appartenant aux équipes de direction d’école ont accepté d’être recontactées pour des entrevues de suivi.

Les instruments de collecte des données

L’enquête a été menée à l’aide d’un questionnaire autoadministré qui comportait un total de 30 items répartis en quatre parties.

Partie 1 : Cette partie a permis d’avoir un aperçu du profil des participants et des participantes. Nous avons collecté les renseignements sociodémographiques tels que le sexe, la première langue, la langue d’instruction de la maternelle à l’université, le poste occupé, le nombre d’années d’expérience d’enseignement en IF ou FLS, etc.

Partie 2 : Dans cette partie, nous avons recueilli les informations sur les pratiques d’évaluation linguistique (Salvatori & MacFalane, 2009). D’une part, les répondants et les répondantes ont indiqué les tests qu’ils et elles ont passés lorsqu’ils et elles étaient en formation initiale et le score minimum qui était exigé. Par exemple : Test d’évaluation du français (TEF), Test de français international (TFI), Test de connaissance du français (TCF), Diplôme approfondi de langue française (DALF), Diplôme d’études en langue française (DELF), Autre test (veuillez préciser). D’autre part, ces personnes ont indiqué leur degré d’accord ou de désaccord en cochant une série de questions permettant de déterminer les pratiques d’évaluation utilisées par les équipes de recrutement des écoles ou les preuves de compétences linguistiques qui sont acceptables. Par exemple : J’ai passé une évaluation non officielle composée d’une épreuve orale (entrevue d’embauche en français) suivie ou non d’une épreuve d’expression écrite ; J’ai présenté un diplôme qui atteste que j’ai suivi une formation linguistique en français ; J’ai présenté un diplôme universitaire décerné par une université francophone ; J’ai démontré que j’ai des origines francophones et que je parle français ; J’ai soumis un document échantillon en français ; J’ai démontré que j’ai suivi un certain nombre de cours en français). Les personnes ayant déclaré avoir passé une évaluation non officielle ont été invitées à répondre à une question supplémentaire afin de déterminer si les résultats de leur performance à ces tests leur avaient été communiqués.

Partie 3 : Dans cette partie, les participants et les participantes ont coché parmi une liste prédéfinie ou apporté des ajouts d’information sur les processus d’accompagnement linguistique post-recrutement. Par exemple : Après mon recrutement, j’ai bénéficié d’un mentorat ; Après mon recrutement, j’ai bénéficié d’une formation continue, etc.

Partie 4 : Cette partie du questionnaire contient des items de type Likert à quatre échelons (tout à fait en désaccord, en désaccord, en accord, tout à fait en accord) qui évaluent les ressources mises à la disposition des membres du personnel enseignant pour favoriser leur perfectionnement continu (Salvatori & MacFalane, 2009). Par exemple : Dans mon école, j’ai accès à des ressources financières pour participer à des ateliers de perfectionnement professionnel (conférences ou colloques) ; Dans mon école, j’ai accès à de l’aide pédagogique en français ; Dans mon école, j’ai accès à un réseau de soutien en français auprès de la direction et des collègues, etc.

En ce qui concerne la phase qualitative, l’entrevue semi-dirigée a été utilisée comme deuxième technique de collecte des données. Les informations recueillies ont permis d’atteindre le deuxième et le troisième objectif de la recherche, qui consistent à comprendre les ressources disponibles pour soutenir le perfectionnement linguistique du personnel enseignant ainsi que les défis rencontrés par les équipes de direction d’école pour leur offrir un perfectionnement linguistique et professionnel continu.

Quatre personnes occupant des postes de gestion au sein de leurs établissements (deux directions d’école, une direction adjointe et une coordonnatrice de programme) ont participé à des entrevues enregistrées d’une durée de 45 minutes sur la plateforme Zoom. Les questions suivantes ont été abordées :

  1. Comment sont évaluées les compétences linguistiques des enseignants et des enseignantes durant leur embauche ? Qui sont les responsables de l’évaluation ? Quelles sont les compétences qui sont évaluées ? Pourquoi y a-t-il une préférence pour les évaluations non-officielles ?

  2. Quels sont les protocoles mis en place par les écoles pour faciliter l’insertion des nouvelles recrues dans la culture de l’enseignement en contexte immersif ?

  3. Quels sont les soutiens offerts aux enseignants et aux enseignantes afin qu’ils et elles s’engagent dans un perfectionnement linguistique continu ? Et quels sont les défis rencontrés par les équipes de direction pour les maintenir engagés ?

Les méthodes d’analyse des données

Deux méthodes d’analyse ont été utilisées. Les données de l’enquête ont été traitées avec le logiciel SPSS grâce aux méthodes des statistiques descriptives (Creswell, 2012). En ce qui concerne les entrevues semi-dirigées, nous avons retenu l’analyse du discours selon une logique inductive modérée (Anadón & Savoie-Zajc, 2009 ; Karsenti & Savoie-Zajc, 2011). L’avantage de cette démarche est qu’elle permet de classer les propos des participants et des participantes en fonction des éléments définis dans le cadre conceptuel, tout en offrant la possibilité aux chercheurs et aux chercheuses de faire émerger de nouvelles thématiques.

Les données issues de la transcription des entrevues ont été versées dans le logiciel N’Vivo et une analyse thématique a été faite. Nous avons retenu cette méthode du fait de sa « polyvalence qui peut s’exercer de manière inductive en partant du corpus pour générer des thèmes ou de manière déductive en ayant préalablement à l’analyse identifié les thèmes à repérer » (Deschenaux et al., 2005, p. 6). Quatre thèmes ont émergé de l’analyse :

  1. La catégorisation du niveau linguistique des personnes diplômées des universités francophones au seuil DELF-B2 ;

  2. La délégation du processus d’évaluation attribuable aux limites langagières des directions d’école ;

  3. L’insécurité linguistique comme facteur d’amotivation des enseignants et des enseignantes à l’égard de leur perfectionnement linguistique ;

  4. La disponibilité des ressources en français selon l’emplacement de l’école et la taille du conseil scolaire.

Ces thèmes sont intégrés dans la section des résultats, dans l’explication des données issues de l’enquête.

RÉSULTATS

L’évaluation linguistique durant le parcours universitaire

Durant la formation initiale, les évaluations linguistiques sont multiformes. Bien que les personnes qui ont participé à l’étude soient diplômées des universités implantées dans des provinces telles que l’Alberta, la Colombie-Britannique, la Saskatchewan, l’Ontario et le Québec, la majorité (63 %) sont d’anciens étudiants et d’anciennes étudiantes en éducation du Campus Saint-Jean (faculté francophone de l’Université de l’Alberta) qui ont réussi le test du DELF B2 avant de faire un stage en enseignement. À cela, s’ajoutent 15 % des participants et des participantes qui détiennent un diplôme d’une université québécoise, ce qui signifie qu’ils et elles ont réussi le test de certification en français écrit pour l’enseignement (TECFÉE), avec une note d’au moins 70 %, soit le seuil minimum exigé par le ministère de l’Éducation pour délivrer le brevet d’enseignement.

L’évaluation linguistique durant le processus d’embauche

Les résultats de l’enquête révèlent que, durant leur embauche, les participants et les participantes ont peu utilisé les tests officiels tels que le TFI, le TCF et le DELF pour démontrer leurs compétences langagières en français. Parmi les 48 personnes interrogées, 54 % ont rapporté avoir démontré leurs habiletés langagières en français par le biais d’autres évaluations (figure 4).

Figure 4

Évaluation linguistique au recrutement

Évaluation linguistique au recrutement

-> See the list of figures

Ces autres méthodes d’évaluation, que nous qualifions d’informelles, sont multiformes. Elles incluent les entrevues d’embauche en français, une dictée à pièges pour l’écrit, la démonstration d’une origine francophone, la soumission d’un échantillon d’écriture en français, etc. Ces méthodes d’évaluation sont recensées de façon exhaustive dans la figure 5. Toutefois, il ressort de notre enquête que l’entrevue en français semble être la méthode privilégiée par les responsables du recrutement. Nous jugeons cette pratique peu rigoureuse dans la mesure où l’entrevue peut prendre la forme d’une conversation orale informelle et ne pas essentiellement viser l’évaluation de la compétence langagière du candidat ou de la candidate.

Figure 5

Autres méthodes d'évaluation linguistique au recrutement

Autres méthodes d'évaluation linguistique au recrutement

-> See the list of figures

Ces évaluations non-officielles ne sont pas uniformisées et diffèrent en fonction des écoles. La participante 8 a révélé durant l’enquête en ligne qu’elle avait été soumise à « une évaluation dont les niveaux ressemblent à celui du cadre européen commun de référence pour les langues » tandis que le conseil scolaire pour lequel travaille la participante 29 utilise « un test qui permet de jauger le niveau linguistique du futur enseignant sur une échelle allant de 1 à 5 en communication orale et écrite avec un score minimal de passage estimé à 4 ».

Durant les entrevues semi-dirigées, nous avons demandé aux membres des équipes de direction d’expliquer la raison pour laquelle les écoles préfèrent recourir à des méthodes informelles pour évaluer les candidats et les candidates. La réponse de la participante M, une directrice adjointe, nous a semblé pertinente puisqu’elle résume l’essentiel des idées communiquées par les autres personnes qui ont participé aux entrevues.

[…] La majorité de nos enseignants viennent du campus Saint-Jean et on sait que le niveau DELF B2 est exigé pour eux durant le stage. Nous considérons donc ça pour acquis mais, durant les entrevues, nous évaluons la spontanéité de leur production orale et les erreurs qu’ils sont susceptibles de commettre. Après ça, ils sont soumis à une petite épreuve écrite d’un niveau DELF-B2.

À la question de savoir quelles sont les compétences évaluées durant les entrevues d’embauche en français, la participante C, qui exerce le rôle de coordonnatrice de programme d’IF et de responsable de l’évaluation au sein de son école, accorde une attention particulière à la fluidité de la communication, à la grammaire et au vocabulaire.

[…]. Durant les entrevues, ce qui est important pour moi, ce n’est pas tellement l’accent au niveau de la production orale mais c’est plutôt la prononciation. Je veux quelqu’un qui a une bonne prononciation et qui a une sorte d’aisance et utilise un bon vocabulaire. J’ai beaucoup vu au cours de ma carrière pas mal d’anglicismes et la fossilisation d’erreurs chez les jeunes alors ça, c’est quelque chose sur lequel j’insiste en tant qu’habileté de langue.

Nos entrevues semi-dirigées ont permis de comprendre que ce sont les directions d’école qui sont chargées du recrutement du personnel enseignant. Cependant, la plupart d’entre elles sont unilingues ou ont des connaissances très limitées de la langue française. Trois personnes qui ont participé à l’enquête en ligne (6 % de l’échantillon) ont révélé n’avoir jamais passé d’évaluation pour cette raison. Soulevant ce point durant nos entrevues réalisées en anglais avec deux directions d’école d’IF qui ne comprennent pas la langue française, elles ont rapporté que, bien que des cas d’exception puissent exister, les directions unilingues ont l’habitude de se faire assister par un membre du personnel qui parle le français et à qui elles délèguent le processus d’évaluation linguistique ainsi que les activités de supervision pédagogique. Cette pratique est utilisée au sein de l’école dans laquelle travaille la participante M comme direction adjointe.

[…] Je suis très impliquée dans le recrutement des enseignants en IF et FLS, car je suis la seule personne parmi les cadres supérieurs de l’école à parler français. Mais pour les activités de supervision et d’évaluation du personnel enseignant, je le fais en compagnie de ma direction bien qu’elle ne comprenne pas la langue française.

Un autre fait surprenant qui soulève un problème majeur d’ordre éthique lié aux évaluations non-officielles est l’absence ou le manque de communication à propos des résultats obtenus par les candidats et les candidates. Parmi les 17 personnes ayant répondu à cette question durant l’enquête en ligne, 12 (70 %) n’ont reçu aucune rétroaction concernant leur performance. Seule une personne (6 %) a déclaré que ses résultats lui ont été communiqués, mais ils n’étaient pas accompagnés d’informations permettant de comprendre ou de bien interpréter la performance (figure 6).

Figure 6

Suivi des responsables du recrutement après avoir soumis les candidats et les candidates aux évaluations non-officielles

Suivi des responsables du recrutement après avoir soumis les candidats et les candidates aux évaluations non-officielles

-> See the list of figures

Notons que la non-communication des résultats des évaluations linguistiques aux candidats et aux candidates contrevient au code déontologique et éthique fixé par l’International Language Testing Association. Son premier principe exige des évaluateurs et des évaluatrices de langue de communiquer les informations qu’ils et elles produisent à toutes les parties prenantes concernées, de la manière la plus significative possible[1].

L’accompagnement post-recrutement et les défis liés au perfectionnement continu

Après leur embauche, le tiers des personnes ayant rempli le questionnaire en ligne (n = 16) a bénéficié d’un suivi de la part des leaders de leur école afin de faciliter leur intégration. Dans ce sous-échantillon, la première moitié a été jumelée à un enseignant expérimenté ou à une enseignante expérimentée dans le cadre d’un programme de mentorat. En ce qui a trait à la nature de ce mentorat, l’entrevue avec la participante N, qui est une directrice d’une école d’IF, nous a éclairé sur le fait qu’il s’agit d’un jumelage avec un ou une collègue d’expérience qui permet au nouvel enseignant ou à la nouvelle enseignante de développer simultanément ses compétences pédagogiques et linguistiques.

[…] les nouveaux enseignants recrutés sont jumelés à des enseignants expérimentés qui enseignent au même niveau. Ils font ensemble les planifications de cours, l’évaluation des apprentissages, l’élaboration du plan annuel de l’environnement de la classe, etc. Toutes ces activités se font en français parce que c’est la langue dans laquelle l’enseignant recrue va travailler.

La seconde moitié des répondants et des répondantes qui a déclaré avoir bénéficié d’un suivi de la part des leaders de leurs écoles a eu l’occasion de s’engager dans une formation continue ou de bénéficier d’autres formes d’accompagnement (communication sur la mission et de la vision des écoles ou sur plusieurs aspects définis dans le Handbook for French Immersion Administrators par rapport aux compétences linguistiques de l’enseignant ou de l’enseignante d’un programme bilingue).

Dans la dernière partie du questionnaire qui portait sur le perfectionnement continu, plusieurs participants et participantes déclarent ne pas recevoir suffisamment de soutien de l’administration scolaire en ce qui concerne leur perfectionnement linguistique. Si les données indiquent que, parmi les 48 personnes qui ont répondu, 80 % ont accès à des formations régulières en français, nous observons en revanche que plus de 40 % n’ont pas accès aux moyens financiers nécessaires pour acheter des ressources en français, pour participer à des ateliers de perfectionnement ou pour prendre des cours de langue. Il en est de même pour la moitié (57 %) des participants et des participants qui ont déclaré ne pas avoir accès à de l’aide pédagogique en français au sein de leurs établissements (figure 7).

Figure 7

Ressources disponibles pour favoriser le perfectionnement linguistique du personnel enseignant

Ressources disponibles pour favoriser le perfectionnement linguistique du personnel enseignant

-> See the list of figures

Interrogées durant les entrevues, les équipes de direction ont confirmé l’existence de ces difficultés à caractère systémique, mais ont aussi ajouté la responsabilité individuelle des enseignants et des enseignantes qui, jusqu’ici, était un facteur très peu exploré par les recherches antérieures. En effet, bien que la norme de qualité pour l’enseignement recommande au personnel enseignant albertain de s’engager dans son propre perfectionnement professionnel, les équipes de direction ont constaté que très peu de personnes ajoutent le perfectionnement linguistique à leur plan de croissance professionnelle. Elles rapportent que le sentiment d’intimidation et d’inconfort en raison du manque de confiance dans les habiletés langagières serait l’un des obstacles qui minent la motivation du personnel enseignant.

[…] L’année dernière, on a eu sept enseignants qui ont passé leur DELF. Pour les enseignants qui s’y intéressent, j’ai fait des séances quelques soirs pour les préparer pour leurs examens. On avait cinq enseignants et aides élèves et directrices d’écoles qui ont fait leur B2 et puis on a trois enseignants qui ont fait leur C1. Chez les enseignants qui ont mis ça dans leur professionnal growth plan, c’était important pour eux de mesurer un peu leurs avancées.

[…] Parfois, avec les enseignants, il y a une certaine intimidation. Je suis en salle de classe depuis 15 ans, je n’ai jamais suivi une sorte de formation sur mon français ou bien ça fait des années que je ne l’ai pas faite alors parfois commencer avec un B2 pour gagner un peu le courage et puis après passer son C1.

Participante C., coordonnatrice du programme d’immersion

Un autre défi qu’ont identifié les participants et les participantes aux entrevues est la planification des activités de perfectionnement professionnel au sein des écoles. Les équipes de direction interrogées reconnaissent que les possibilités de perfectionnement offertes en français au personnel enseignant d’IF ou de FLS demeurent limitées par rapport à celles qui sont offertes à leurs collègues des programmes réguliers anglophones. La participante C souligne qu’il est difficile de proposer au personnel enseignant un perfectionnement professionnel continu en français pour deux raisons :

[…] D’une part, il y a des enseignants qui ne sont pas à l’aise dans cette langue et il est difficile de leur demander d’apprendre des choses en français. D’autre part, il y a aussi le contexte francophone de la recherche pédagogique qui est généralement en retard par rapport aux anglophones.

Pour le participant K qui en est à sa 21e année de direction d’école, la taille du conseil scolaire, les ressources disponibles ainsi que l’emplacement de l’école (région rurale ou urbaine) influencent la disponibilité des programmes de perfectionnement offerts en français.

[…] Mes enseignants bénéficient des activités offertes en français à travers des collaborations avec l’Association canadienne des professionnels de l’immersion (ACPI) et d’autres écoles d’IF de la région parce que nous sommes proches des géants Edmonton Public Schools et Edmonton Catholic Schools. Ils n’auraient pas eu les mêmes opportunités si nous étions implantés à Grande Prairie ou à Fort McMurray.

L’école dans laquelle travaille ce participant a développé des partenariats stratégiques avec d’autres établissements et associations professionnelles afin que leur personnel enseignant puisse bénéficier d’une multitude de ressources en français.

DISCUSSION

L’objectif de cette recherche était d’identifier les besoins et les défis liés à l’évaluation du français du personnel enseignant des programmes d’IF et de FSL en Alberta ainsi que les difficultés rencontrées par les directions d’établissement pour offrir aux éducateurs et aux éducatrices des perspectives de perfectionnement linguistique continu. En nous référant à notre cadre conceptuel du perfectionnement linguistique en trois phases (Salvatori & MacFalane, 2009), nous pouvons dire, à partir des données, que les universités dont proviennent la majorité des répondants et des répondantes disposent d’un test pour évaluer la maîtrise de la langue. Contrairement au Québec où cette évaluation est uniformisée à l’échelle provinciale, il n’existe pas en Alberta un cadre réglementaire qui fixe le seuil des compétences linguistiques du personnel enseignant ou qui lui impose les mêmes tests d’évaluation.

Durant le processus d’embauche, les candidats et les candidates n’ont pas à se soumettre à une évaluation linguistique telle que le TCF, le TFI ou tout autre test de langue officiel avant de pouvoir enseigner en IF ou dans les programmes de FLS. La plupart des conseils scolaires/écoles ont des méthodes d’évaluation qui leur sont propres et considèrent comme acquis le fait que les diplômés et les diplômées des universités francophones ont des compétences supérieures selon les échelles des indicateurs des compétences langagières. Les entrevues ont indiqué un niveau précis du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR), en l’occurrence le niveau intermédiaire supérieur (B2).

Comme le montre la figure 5 et les entrevues réalisées avec les directions d’école, en l’absence d’une politique uniforme d’évaluation linguistique durant le processus d’embauche, les entrevues d’embauche en français constituent la méthode privilégiée par les directions d’établissements scolaires. Néanmoins, les directions interrogées dans l’étude sont unilingues anglophones et incapables d’assumer cette responsabilité sans l’aide d’un membre du personnel qui parle le français. Pellerin (2008) trouve dans cette faille un « manque d’appui de la part du système scolaire » (p. 310) à résoudre le problème d’incompétence linguistique des directions, qui, en plus d’affecter la qualité de l’enseignement, revêt des enjeux d’ordres politique, social et culturel. Il devient logique de se questionner s’il ne serait pas pertinent d’aboutir, à l’échelle provinciale, à des processus d’évaluation uniformisés durant le processus d’embauche eu égard aux failles identifiées dans l’administration des évaluations non-officielles.

En effet, étant donné les problèmes liés à la non-évaluation de certains candidats et de certaines candidates et la non-communication des résultats pour d’autres, certains enseignants et certaines enseignantes entrent en fonction sans connaître leur réel niveau de compétence linguistique. Shohamy (2001) voit dans cette pratique une façon antidémocratique et contraire à l’éthique de permettre à « ceux qui sont au centre du pouvoir de manipuler les systèmes et d’imposer leurs agendas à ceux qui passent les tests sans pouvoir » (p. 374). Cette auteure considère que « les personnes qui passent les tests sont de «vraies victimes» des tests, car elles doivent accepter l’autorité des tests sans remettre en question leur contenu et leurs relations avec leur niveau actuel de connaissance » (p. 385).

Adopter une approche uniformisée de l’évaluation durant le processus d’embauche peut permettre de corriger ces pratiques inéquitables et d’avoir une conception commune des objectifs de l’évaluation linguistique (Quelles sont les compétences qui sont évaluées ? Quels types de tests doit-on utiliser ? etc.). Nous pensons que des évaluations uniformisées seraient bénéfiques pour la profession si elles étaient élaborées suivant le modèle du Critical Language Assessment (CLA), qui vise à lier l’évaluation des langues au contexte sociopolitique, culturel et éducatif dans lequel elle est pratiquée (Tajeddin et al., 2022). Le CLA remet en question l’utilisation des tests en tant qu’outils de pouvoir (Shohamy, 2001) et s’intègre dans la philosophie de la pédagogie critique de Freire (1970), qui permet aux personnes de voir le monde comme une entité en interaction dynamique qui peut être transformée.

Un autre défi qui est ressorti de l’étude se situe au niveau du perfectionnement continu. À l’instar des résultats obtenus par Carr (2007) auprès des enseignants et des enseignantes de Colombie-Britannique, le personnel enseignant de l’Alberta ne semble pas non plus bénéficier d’un accès équitable à des ressources qui pourraient faciliter son perfectionnement linguistique dans sa langue de travail. L’insuffisance des ressources humaines et matérielles, la mauvaise planification et l’absence de vision directrice au niveau des districts scolaires et des écoles, ainsi que l’approche réactive de solutions aux problèmes continuent de créer un environnement intellectuel défavorable dans les programmes d’enseignement bilingues (Safty, 1992).

Cette étude révèle que près de la moitié du personnel enseignant albertain n’a pas accès à des moyens financiers pour acheter des ressources en français, prendre des cours de langue ou participer à des ateliers ou à des conférences en français. Pour combler les besoins de formation du personnel enseignant des programmes d’immersion, le ministère de l’Éducation pourrait bonifier son programme de bourses permettant aux enseignants et aux enseignantes de langue de profiter de la période estivale pour améliorer leur maîtrise de la langue, leurs compétences et leurs connaissances en matière d’enseignement. Notons que le besoin le plus important identifié par nos participants et nos participantes est relatif à l’absence d’aide pédagogique en français. Ce problème a également été souligné dans la recherche pancanadienne effectuée par l’OPSBA (2021) où 72 % des 545 directions d’école interrogées ont signifié que le fait d’avoir accès à un consultant ou à une consultante ou à un ou une coach serait très profitable pour les programmes d’IF ou de FLS.

Enfin, cette étude montre que le manque de motivation de certains enseignants et de certaines enseignantes à intégrer le perfectionnement linguistique dans leur plan de croissance professionnelle et l’utilisation de l’anglais dans les grandes publications scientifiques portant sur la pédagogie de l’immersion tendent à entraver la planification des activités de perfectionnement professionnel en français au sein des écoles albertaines. Sur ce point, nous suggérons que les chercheurs et les chercheuses trouvent des solutions pour rendre plus accessibles leurs contributions scientifiques sur les approches pédagogiques innovantes en IF dans la langue minoritaire.

CONCLUSION

Les enseignants et les enseignantes d’IF et de FLS doivent être des modèles langagiers pour les élèves. Les directions d’école et les cadres des conseils scolaires ont l’obligation de s’assurer, à travers un processus d’évaluation sérieux, que le personnel embauché a des compétences linguistiques suffisantes pour fournir un cadre d’apprentissage bilingue aux élèves et qu’il s’engage à les améliorer constamment. Dans une enquête effectuée auprès de 48 professionnels et professionnelles d’IF et de FLS, suivie de quatre entrevues semi-dirigées menées avec les membres des équipes de direction d’école, nous avons recueilli les perspectives des éducateurs et des éducatrices sur les besoins et les défis liés à l’évaluation du français. Les résultats montrent qu’il n’existe pas de processus d’évaluation linguistique uniforme durant le processus d’embauche. Ce laxisme dans les pratiques entraine des failles, surtout lorsque les évaluateurs et les évaluatrices ne parlent pas la langue française ou qu’ils et elles ont des compétences linguistiques limitées. Les deux personnes occupant les postes de direction d’écoles interrogées dans cette étude étaient des anglophones unilingues incapables de conduire le processus d’évaluation linguistique ou les activités de supervision pédagogique sans assistance.

Après le processus d’embauche, plusieurs nouveaux enseignants et nouvelles enseignantes bénéficient d’un programme d’insertion professionnelle sous forme de mentorat ou d’une formation continue. Le programme de mentorat se déroule dans la langue de travail de l’enseignant ou de l’enseignante, ce qui lui permet de se familiariser avec sa nouvelle routine. Toutefois, à la fin de l’insertion professionnelle, très peu d’activités et de cours sont offerts au personnel enseignant pour maintenir ses compétences linguistiques. Selon les ressources disponibles, la taille du conseil scolaire et l’emplacement de l’école, le personnel enseignant peut bénéficier ou non des activités de perfectionnement continu dans sa langue de travail.

L’étude révèle que, dans la majorité des cas, les enseignants et les enseignantes d’IF et de FLS n’ont pas un accès équitable aux activités de perfectionnement dans leur langue de travail, comparativement à leurs collègues anglophones. Les besoins urgents identifiés sont l’accès à de l’aide pédagogique en français ainsi qu’aux moyens financiers pour participer à des ateliers ou à des conférences ou pour prendre des cours afin de consolider le bagage linguistique. Les entrevues semi-dirigées ont fait ressortir deux nouveaux facteurs qui limitent la planification des activités de perfectionnement en français au sein des écoles : l’insécurité linguistique du personnel enseignant et le manque de publications scientifiques en langue française des recherches réalisées en pédagogie de l’immersion.

Nonobstant ses contributions sur le plan scientifique, ce travail comporte quelques limites qu’il convient d’énumérer. Le fait d’avoir inclus dans notre échantillon des personnes n’occupant plus présentement un poste en enseignement peut exercer une influence sur les résultats issus de l’enquête, car ces personnes ont répondu aux questions en tenant compte de leurs expériences antérieures qui pourraient ne plus refléter la réalité dans les écoles. De même, la méthode de l’enquête en ligne utilisée durant la première phase de la recherche ne permet pas aux chercheurs et aux chercheuses de confirmer que ce sont les personnes qui répondaient aux critères d’échantillonnage qui ont effectivement participé à l’étude. Enfin, l’échantillon des personnes interrogées durant l’enquête et les entrevues est trop petit pour être représentatif de la population étudiée. Tous ces facteurs combinés limitent la généralisation des résultats de cette recherche.

Cette étude se veut exploratoire et établit un une base de discussion autour de la question de l’évaluation et du maintien des compétences langagières en IF et/ou FSL. De nouvelles études empiriques longitudinales pourront être menées sur un échantillon constitué uniquement d’enseignants et d’enseignantes nouvellement recrutés ou auprès des personnes exerçant présentement dans lesdits programmes. Des entrevues pourraient également être faites avec les directions d’école et le personnel enseignant afin de comprendre comment l’accès à de l’aide pédagogique en français peut favoriser le renforcement des compétences linguistiques des éducateurs et des éducatrices et la qualité de l’enseignement offert aux élèves.