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« …the criteria and categories for critical evaluation cannot be formulated without a systematic account of the requirements, the presuppositions and the goals, of every translation process »
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Environ trente ans après sa publication en allemand, la traduction de l’ouvrage de Katharina Reiß intitulé Möglichkeiten und Grenzen der Übersetzungskritik : Kategorien und Kriterien für eine sachgerechte Beurteilung von Übersetzungen voit enfin le jour dans une autre langue, l’anglais en l’occurrence. C’est en effet pour les besoins des traducteurs et des consultants travaillant à la traduction de la Bible au sein de l’American Bible Society que cette tâche a été entreprise et menée à bien par Erroll F. Rhodes. Dans la préface, Mary Snell-Hornby rappelle que cet ouvrage a été largement utilisé comme un modèle classique de l’évaluation des traductions et que les idées développées ensuite par Katharina Reiß ont mené à la publication, en 1984, en collaboration avec Hans J. Vermeer, de l’ouvrage de référence faisant état de la théorie fonctionnaliste de la traduction (Skopostheorie), Grundlegung einer allgemeinen Translationtheorie.
Dans sa brève introduction, Reiß souligne le flou qui entoure à l’époque l’évaluation des traductions, malgré l’ampleur du volume de traductions vers l’allemand, tant en littérature que dans les autres domaines, notamment techniques. Elle pose la question de l’objectivité de la critique : ici, objectivité signifie vérification et explication de la critique, par opposition à arbitraire et à absence de pertinence. Délimitant le problème aux textes (et excluant du même coup l’acte interprétatif, perçu comme transitoire et donc ne se prêtant pas à un examen ultérieur à sa production), elle s’élève contre la confusion existant entre critique littéraire et critique des traductions et souligne que le problème de fond est lié à la diversité de la pratique traductionnelle, combinée à l’absence d’une théorie universelle de la traduction. La critique des traductions passe donc par l’analyse des particularités des différentes situations traductionnelles.
L’ouvrage est ensuite divisé en deux parties, respectivement intitulées « The Potential of Translation Criticism » et « The Limitations of Translation Criticism », pour se terminer par une conclusion, des références bibliographiques et un index.
La première partie, « The Potential of Translation Criticism », est divisée en quatre sections, « Criticism and the Target Language Text », « Criticism and the Source Language Text », « The Linguistic Components » et, enfin, « Extra-linguistic Determinants ». Dans la section intitulée « Criticism and the Target Language Text » (p. 9-15), Reiß aborde l’évaluation des traductions sous l’angle exclusif de la langue d’arrivée. Arguant de façon convaincante de l’incomplétude de cette pratique, elle conclut à la nécessité absolue de la comparaison avec le texte de départ.
Dans la suite de la première partie, Reiß cherche donc à démontrer que l’évaluation d’une traduction nécessite de prendre en compte trois éléments principaux : le type de texte et les méthodes de traduction employées, les composantes linguistiques, les facteurs extralinguistiques.
La section suivante, la plus longue de l’ouvrage (p. 15-88), intitulée « Criticism and the Source Language Text », aborde précisément la question de la typologie textuelle. Passant en revue plusieurs auteurs et reconsidérant la distinction classique entre le texte littéraire, porteur de valeurs esthétiques, et le texte pragmatique, porteur d’informations, elle relève l’inadéquation d’une division aussi simpliste, étant donné la variété existant dans chacune des catégories. Elle conclut que si ces travaux évoquent différentes sortes de textes, il reste difficile d’en tirer une typologie quelconque. Pourtant, elle est convaincue qu’il est nécessaire de mettre au point une typologie permettant de satisfaire aux nécessités de la traduction et de sa critique.
En ce qui a trait à la méthode de traduction, elle rappelle la distinction classique entre traduction littérale et traduction libre, souligne les limites floues de ces deux notions, les replaçant, en fin de compte, dans le cadre de la tension sourcier/cibliste. En fait, sa conclusion est que la méthode de traduction doit être adaptée au type de texte rencontré.
Cherchant à établir une typologie faisant consensus, elle fait appel aux fonctions du langage définies par Bühler (1934/1965) : « […] language serves simultaneously to represent (objectively), express (subjectively) and appeal (persuasively). » Bien que chacune de ces fonctions soient représentées à différents degrés dans tous les textes, la fonction prédominante permet de définir les catégories textuelles centrées sur le fond (content-focused text), sur la forme (form-focused texts), ou sur la fonction de persuasion (appeal-focused text). Elle ajoute une autre catégorie (audiomedial texts), qui rassemble les textes écrits pour accompagner un support visuel.
Les quatre catégories textuelles sont ensuite analysées, les critères d’évaluation de la traduction variant pour chacune : pour la première, c’est la fidélité à l’information véhiculée qui prime, pour la deuxième, la structure du contenu, pour la troisième, la volonté de convaincre l’auditoire cible, et pour la quatrième enfin, la prise en compte des supports non linguistiques.
La composante linguistique, abordée dans la section « The Linguistic Components » (p. 48-66), comprend les éléments sémantiques, lexicaux, grammaticaux et stylistiques. Illustrant son propos de nombreux exemples, l’auteure souligne l’intrication de ces éléments entre eux et avec le type de texte.
Enfin les déterminants extralinguistiques, abordés dans la section « Extra-linguistic Determinant » (p. 66-87), sont pris en compte de façon différente en fonction des types de texte. Ces facteurs, qui correspondent aux éléments pragmatiques, comprennent notamment le contexte, le sujet du texte à traduire, son époque, etc.
La deuxième partie est consacrée aux limites de la critique. Intitulée « The Limitations of Translation Criticism » (p. 88-113), elle est divisée en quatre sections également : « Objective and Subjective Limits of Translation Criticism », « The Special Function of Translation », « Specially Targeted Groups », « Subjective Limits of Translation Criticism ».
La section « Objective and Subjective Limits of Translation Criticism » (p. 89-91) affirme que le recours aux catégories textuelles est objectivement limité lorsque le texte a une fonction particulière à l’égard du lecteur : dans ce cas, « The literary, linguistic and pragmatic categories will be replaced by a functional category ». Dans ce cas, c’est la fonction du texte à l’égard du destinataire dans la langue d’arrivée qui devient le facteur essentiel à prendre en compte. Sous l’angle de la subjectivité, c’est l’individualité du traducteur qui est le facteur limitant. Dans la section suivante, « The Special Function of Translation » (p. 92-101), l’auteur explicite la nature des cas particuliers de textes devant être jugés sous l’angle fonctionnel : résumés, traductions approximatives, textes à visées pédagogiques, traduction de la Bible, etc. Dans la section « Specially Targeted Reader Groups » (p. 101-105), elle présente des situations dans lesquelles la traduction s’éloigne considérablement de l’original (falsification) pour des raisons particulières : adaptation pour les enfants, vulgarisation, intervention de la censure. Enfin, elle aborde, dans la dernière section, intitulée « Subjective Limits of Translation Criticism » (p. 106-113), la question de la subjectivité du traducteur et du critique, et de son influence sur le processus herméneutique. Enfin, elle tente de faire le lien entre le type de personnalité psychologique et la façon d’aborder le processus traductionnel.
Pour terminer, dans la conclusion, elle résume en quatre points les critères auxquels la critique de la traduction doit se soumettre, soulignant notamment la différence de traitement que doivent recevoir une traduction dirigée par la typologie textuelle et une traduction régie par la fonction du texte.
L’ensemble de l’ouvrage dénote un constant souci d’objectivité, la subjectivité (du traducteur comme du critique) étant perçue comme un obstacle. Cette caractéristique reflète sans nul doute un souci de légitimation de la traduction en tant qu’activité scientifique, et fait écho aux préoccupations de la période à laquelle le texte a été écrit. Mais outre le fait que l’ouvrage de K. Reiß est un classique faisant partie des textes fondateurs de l’école fonctionnaliste allemande, sa lecture reste d’actualité pour différentes raisons. Tout d’abord, la question des critères à prioriser lors de la critique d’une traduction, ou du choix d’une stratégie de traduction, reste toujours ouverte. L’objectivation des critères et leur classification sont en effet aussi utiles aux critiques qu’aux traducteurs : ce qui est abordé dans cet ouvrage, c’est en fait un ensemble de questions que doit se poser le traducteur avant d’entreprendre son travail. Ce qui est remarquable dans l’argumentation de Reiß, c’est qu’elle propose d’appliquer à la critique des traductions des questions s’appliquant en premier lieu à l’acte de traduction comme tel. On pourrait d’ailleurs se demander pourquoi l’ouvrage met l’accent sur la critique, mais n’oublions pas que, dans l’introduction, l’auteur explique qu’elle a pour objectif de lutter contre les critiques subjectives et sans fondement. Cohérente avec elle-même et la fonction de son texte, elle cible son auditoire en conséquence.
Au chapitre des critiques à formuler, nous rejoignons Sager (2000) quant à son commentaire sur la structure de l’ouvrage : ce qui est décrit comme une limitation de la critique, à savoir le fait qu’un certain nombre de textes échappent à la catégorisation textuelle et qu’ils doivent être traités différemment, c’est-à-dire selon leur fonction, est plutôt complémentaire de la première partie, et non une limitation de la critique des traductions. La structure de l’ouvrage ne permet ainsi pas tout de suite d’en saisir la logique. Curieusement, la façon même dont la conclusion a été rédigée laisse d’ailleurs penser que l’auteure était peut-être consciente de la complémentarité des approches textuelle et fonctionnelle.
Avec Snell-Hornby (1995 : 30), nous pensons également que l’utilisation de catégories fermées est malgré tout limitée et que la composante prescriptive qui leur est associée perd donc quelque peu de sa valeur. Toutefois, il faut souligner que Reiß elle-même reconnaît que la plupart des textes sont hybrides et multi-dimensionnels (p. 32), et qu’il s’agit en fait de dégager la caractéristique à privilégier pour décider de la méthodologie de traduction la plus pertinente. Quelques années plus tard, elle a d’ailleurs apporté des modifications à son modèle (Reiß 1976). Néanmoins, le recours à une prototypologie plutôt qu’à une typologie, comme le propose Snell-Hornby, est sans nul doute le moyen de rendre compte de la complexité des formes textuelles et de de l’existence d’un flou à la limite des catégories. L’ouvrage dans son ensemble constitue d’ailleurs une preuve indéniable de l’intrication des différents éléments à prendre en compte : les nombreux exemples, faisant appel à l’allemand, à l’anglais, au français et à l’espagnol, en témoignent. Il est intéressant de constater que la réflexion a un double objectif, apparemment contradictoire, celui d’être aussi général que possible, afin de pouvoir s’appliquer à toutes les situations traductionnelles, mais aussi d’être le plus exhaustif possible à l’égard des différents critères explicités.
Quant à la traduction effectuée par Rhodes, nous ne sommes malheureusement pas en mesure de la critiquer adéquatement, en raison de notre connaissance insuffisante de l’allemand. Nous renverrons le lecteur intéressé par cet aspect à la critique effectuée par Sager (2000). De notre point de vue, le texte est cohérent et se lit facilement (en dépit des réserves énoncées plus haut, qui sont liées à sa structure). Afin de faciliter la compréhension de l’argumentation, le traducteur a généralement traduit les exemples en anglais, mais pas toujours. Dans certains cas au moins, la traduction de l’exemple, qui n’est pas une glose mais qui devrait l’être, ne permet pas de saisir le caractère idiomatique du texte de départ (par exemple, à la page 85, le texte de départ comporte l’expression « Coquin de sort ! », rendu par « What a sight ! » ; or, Reiß traite précisément de la difficulté de la traduction de cette expression). Malgré ces réserves, nous ne saurions trop nous réjouir d’avoir enfin accès à ce texte par le biais de l’anglais, et nous restons convaincue que l’ensemble de la pensée de Reiß est suffisamment respectée pour recommander la lecture de l’ouvrage, tout particulièrement aux étudiants.
Appendices
Références
- Bühler, C. (1934/1965) : Sprachtheorie, 2e édition, Stuttgart, Fischer.
- Snell-Hornby, M. (1995) : Translation studie. An integrated approach, 2e édition, Amsterdam/Philadelphia, John Benjamins Publishing Company, 170 p.
- Reiß, K. (1976) : Textyp und Übersetzungsmethode. Der operative Text, Kronberg, Scriptor.
- Reiß, K. et H.J. Vermeer (1984/1991) : Grundlegung einer allgemeinen Translationtheorie, 2e édition, Tübingen, Niemayer, « Linguistische Arbeiten, 147 ».
- Sager, J.C. (2000) : « REIß, K. (2000) : Translation Criticism – The Potentials and Limitations : Categories and Criteria for Translation Quality Assessment » (compte rendu), dans Evaluation and Translation (Special Issue), The Translator, 6-2, p. 347-356.