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Les organisations bancaires ont une responsabilité certaine dans la préservation des écosystèmes mondiaux. Bouzidi et al. (2017) remarquent à ce propos que les banques subissent des risques environnementaux à l’instar des risques physiques (perte de valeurs liée aux changements climatiques), le risque de réputation, le risque de responsabilité (pertes au cas où les parties prenantes souffrent des dégâts liés à l’activité bancaire) et les risques de transition (engendrés par un processus d’ajustement vers une économie moins carbonée).

La responsabilité environnementale ou écologique désigne l’obligation des banquiers ou des actionnaires de prendre des mesures qui protègent l’environnement (Davis et Blomstrom, 1975). En effet, la détention des titres de propriété confère un droit au vote, au contrôle, au patrimoine et à l’information susceptible d’influencer les décisions managériales en faveur de la cause environnementale. De ce fait, les actionnaires peuvent agir directement (assemblée générale des actionnaires) ou indirectement (marchés financiers, offres publiques d’achat et/ou conseil d’administration) afin de contraindre ou d’inciter les banques à une plus grande responsabilité environnementale (Ginglinger, 2002). Toutefois, le comportement des actionnaires eu égard à la préservation des écosystèmes est théoriquement ambivalent.

En effet, le paradigme actionnarial de la corporate governance estime que les actionnaires sont généralement plus soucieux de la rentabilité des capitaux investis que de la responsabilité environnementale. Dans cet ordre d’idées, la théorie de la discipline de marché[1] stipule que les actionnaires sont laxistes sur les questions écologiques en raison de la diversification de leur portefeuille, de l’effet too big to fail et du phénomène de passager clandestin.

À l’opposé, la théorie de la légitimité estime que les actionnaires sont écologiquement responsables. Allant dans ce sens, Kelbessa (2004) estime que les investisseurs africains bien qu’anthropologiquement enclins à l’écologie (éthique environnementale indigène), sont davantage portés vers la responsabilité environnementale grâce à l’éthique environnementale moderne (galvaudée par la culture managériale occidentale). Dans la même lignée, la théorie des parties prenantes stipule que les actionnaires agissent sous l’impulsion de certaines parties prenantes. Dans le prolongement de cette pensée, les écoféministes estiment que les femmes en qualité de partie prenante, ont des prédispositions naturelles à préserver les écosystèmes comparativement aux hommes. De ce fait, elles sont plus enclines à la responsabilité environnementale.

Face à ce contrôle actionnarial théoriquement ambivalent, la présente recherche se propose dans un premier temps d’analyser l’influence des actionnaires (étatiques, institutionnels, familiaux, salariés et étrangers) sur le niveau de responsabilité environnementale des banques multinationales implantées en Afrique[2]. Dans un second temps, il est question d’étudier le rôle modérateur des femmes dirigeantes et la contribution médiatrice de la culture managériale occidentale sur le comportement des actionnaires.

Cette recherche est d’une importance certaine. En effet, nonobstant le rôle avéré des banques dans la préservation de la nature, très peu de travaux empiriques s’intéressent à la responsabilité environnementale des organisations bancaires (Jo et al., 2015) ou encore le lien entre l’actionnariat et la responsabilité écologique des banques (Calza et al., 2014). De même, les recherches empiriques montrent également une multitude de terminologies (performance environnementale, dépenses environnementales, etc.) aux conclusions contradictoires. Bien plus, les travaux empiriques en la matière ignorent la diversité de l’actionnariat (Berrone et al., 2010), le rôle des femmes (démontré par les théories écoféministes) et l’importance de la culture managériale. Enfin, les analyses théoriques sus évoquées se heurtent aux réalités du management en Afrique. En effet, loin d’être un champ de recherche neutre, ce continent se singularise par le culturalisme (Bourgoin; 1984), l’hybridité (Bakengela Shamba et Livian; 2014) ou le constructivisme (Croce, 2018). De ce fait, toute posture universaliste pourrait être battue en brèche par ce contexte atypique.

Pour une meilleure illustration, la suite de ce travail présente la vision managériale des banques transfrontalières en Afrique, l’engagement environnemental de celles-ci, le cadre théorique, une revue des travaux empiriques, la méthodologie employée, les principaux résultats et les conclusions.

La vision des groupes bancaires en Afrique : entre désengagement et expansion

Avant les indépendances africaines, le paysage bancaire était dominé par des banques coloniales qui assuraient le financement du commerce extérieur et des sociétés étrangères. Avec l’avènement des indépendances, le secteur bancaire africain va connaître une forte nationalisation des établissements financiers et le retrait des banques coloniales.

Toutefois, la crise des années 80 et l’intégration sous-régionale croissante, vont conduire à l’arrivée des investisseurs internationaux (étrangers et africains), sous l’impulsion des banques multinationales. Ces investisseurs proviennent principalement d’Europe (France, Royaume-Uni, Suisse, Allemagne, Pays-Bas, Belgique et Portugal), d’Amérique (États-Unis, Canada, etc.), du Moyen-Orient (Émirats arabes unis, Yémen, Koweït, etc.), d’Afrique (Afrique du Sud, Maroc, Nigéria, Kenya, etc.) et des marchés émergents tels que l’Inde et la Chine. À titre illustratif, Beck et al. (2014) observent qu’entre 1995 et 2009, le nombre de filiales bancaires transfrontalières est passé de 120 à 227 et la part des banques étrangères est passée de 29 à 51 %. Dans certains pays (Botswana, Tchad, Côte d’Ivoire, Mali, Mauritanie, Namibie, Niger ou Sénégal), ces entités contrôlent 60 à 80 % des actifs bancaires.

Toutefois, depuis la crise des Subprimes, on observe un désengagement progressif des banques occidentales. Ainsi, le Groupe français BNP Paribas s’est séparé de ses filiales au Niger, au Togo, en Mauritanie et à Madagascar dès 2008. En 2010, la banque française Crédit Agricole a cédé cinq de ses filiales subsahariennes (Congo, Cameroun, Côte d’Ivoire, Gabon et Sénégal) au groupe bancaire marocain Attijariwafa Bank et la banque britannique Barclays a cédé sa participation à sa filiale Barclays Africa depuis 2015.

À côté de ce désengagement progressif des banques occidentales, les banques multinationales d’origine africaine se singularisent par une expansion fulgurante. À ce propos, Beck et al. (2014) notent qu’entre 2000 et 2013, le groupe marocain Attijariwafa Bank a étendu ses activités d’un à 12 pays. La banque marocaine BMCE est passée dans la même période de 2 à 18 pays. La banque nigériane United Bank for Africa a renforcé sa présence dans 19 pays et le groupe bancaire togolais Ecobank est passé de 11 à 32 pays africains. Enfin, les multinationales africaines Standard Bank, United Bank for Africa et First National Bank se sont implantées en Europe, en Amérique et en Asie.

Outre l’expansion géographique des banques africaines, elles ont un poids économique considérable dans les pays où elles opèrent. À ce titre, on remarque que la banque sud-africaine Standard Bank possède plus de 10 % des actifs bancaires dans neuf pays où elle opère. Dans la même lignée, la banque togolaise Ecobank détient plus de 10 % des actifs dans 13 pays d’accueil en Afrique. Dans neuf cas, Ecobank, Standard Bank, Barclays Africa, BCME et First National Bank concentrent plus de 30 % des actifs du système bancaire du pays d’accueil (Beck et al., 2014).

Au regard de leur fonctionnement, ces organisations bancaires font preuve d’une responsabilité environnementale manifeste.

Aperçu de l’engagement environnemental des banques en Afrique

La question environnementale se pose actuellement avec acuité en Afrique. En effet, c’est l’un des continents les plus vulnérables à la pollution et aux changements climatiques. Dans cette perspective, Megevand (2013) note que l’Afrique a perdu 4 067 000 hectares de forêts chaque année entre 1990 et 2000. Au cours de la période allant de 2000 à 2005, ce taux a quasiment doublé et avoisine 300 000 kilomètres carrés par an. Dans cette continuité, Sperling et al. (2012) rappellent que l’empreinte carbone de l’Afrique a augmenté de 240 % entre 1961 et 2008. La déforestation ainsi que les mauvaises pratiques agricoles représentent 65 % des émissions.

Dans le cadre de la responsabilité environnementale en Afrique, les banques multinationales sont au coeur de cette pratique. En effet, l’IFC (2014) remarque que parmi les 79 banques qui ont souscrit aux Equator Principles (dont l’objectif est d’établir des normes environnementales liées au financement des projets), figurent 9 institutions financières africaines. On observe également l’essor des initiatives vertes propres à l’Afrique telles que le Code for Responsible Investing in South Africa, Africa Carbon Asset Development Facility, Morocco Sustainable Energy Financing Facility, etc.

Au niveau individuel, on remarque que la banque nigériane Access Bank Plc a adhéré au Pacte Mondial des Nations Unies en faveur de la durabilité et de pratiques commerciales responsables (initiative ratifiée par 7000 entreprises issues de 135 pays) ainsi que les Equator Principles en Juin 2009. La Kenya Commercial Bank a développé une initiative verte intitulée KCB SEMS (Social and Environmental Management System). La banque béninoise Ecobank a adopté les Equator Principles en 2012, est membre de l’IF-PNUE[3] et a adhéré au Global Reporting Initiative qui vise à améliorer le reporting environnemental des banques. Cette dernière banque a également mis sur pied une procédure d’évaluation des risques environnementaux et sociaux dénommée Ecobank Environmental and Social Risk Policy and Procedure Manual (IFC, 2014). La banque sud-africaine Standard Bank Group a adhéré à divers programmes de développement durable tels que Equator Principles, IFC Performance Standards, United Nation Global Compact, Global Reporting Initiative, etc. La Standard Bank Group est représentée dans le classement Global 100 Most Sustainable Corporations in the World de 2013. Enfin, l’Agence Française de Développement (2010) a par exemple ouvert une ligne de financement vert à la Standard Bank Mauritius, la Banque des Mascareignes, la Mauritius Commercial Bank et la State Bank of Mauritius.

Si la responsabilité environnementale des banques est manifeste en Afrique, le rôle des actionnaires reste à démontrer.

Cadre théorique de la recherche

À la lecture des théories managériales, le comportement des actionnaires oscille entre la volonté de rentabiliser les capitaux investis (courant actionnarial), le laxisme (théorie de la discipline de marché) et le désir de congruence aux valeurs écologiques (paradigme civique).

Ainsi, le paradigme actionnarial de la gouvernance (théorie positive d’agence, théorie des coûts de transaction, etc.) décrit l’investisseur comme un être mu par les seuls intérêts financiers. En effet, les actionnaires ne recherchent que la rentabilité des capitaux investis dans les entreprises constituant leur portefeuille. Dès lors, les questions écologiques sont secondaires voire marginales. Ce courant de pensée place donc les enjeux financiers au coeur des décisions d’investissement des actionnaires.

Dans une autre perspective, la théorie de la discipline de marché décrit l’actionnaire comme un acteur laxiste dans le contrôle des organisations bancaires. Suivant ce courant, les investisseurs sont capables de surveiller ou de stimuler l’engagement écologique des institutions financières. En effet, les titres de propriété qu’ils détiennent confèrent un droit à l’information environnementale ainsi que des moyens de contrôle direct (assemblée générale des actionnaires) et/ou indirect (marchés financiers, le conseil d’administration, OPA, etc.). Toutefois, cette théorie remarque que cette capacité de surveillance est inféodée par une moindre incitation à contrôler. À ce propos, Zanga (2015) démontre que les actionnaires sont plus préoccupés par la rentabilité financière. Bien plus, ils ont une responsabilité limitée à leurs apports et ils possèdent généralement un portefeuille d’actions diversifiées (ceci implique une moindre implication). En outre, dans le cadre du contrôle des banques multinationales, ils se comportent parfois en passagers clandestins (en raison du grand nombre d’actionnaires) et sont souvent sous le prisme de l’effet « too big to fail »[4].

Dans une posture favorable à la responsabilité environnementale, les « théories civiques » (théorie des parties prenantes et théorie de la légitimité) estiment que l’actionnaire est un être écologiquement responsable du fait de la pression des parties prenantes et du désir de légitimité.

En effet, sous l’impulsion des stakeholders porteurs de valeurs vertes, les actionnaires peuvent contraindre ou inciter les managers à une plus grande responsabilité environnementale. Dès lors, la mise en place d’une « banque verte » est la résultante des parties prenantes (plus soucieuses de la préservation de la nature) qui stimulent ou transfèrent leurs connaissances environnementales aux banquiers.

Allant dans ce sens, le paradigme éco féministe estime que les femmes (en qualité de parties prenantes) sont prédisposées à préserver la nature. À ce propos, les éco féministes biologiques estiment que les femmes par leur instinct maternel sont plus proches de l’environnement que les hommes. Dans une perspective marxiste, les éco féministes sociales estiment que le système capitaliste essentiellement patriarcal a tendance à dominer les femmes et détruire l’environnement. Pour preuve, la destruction de l’environnement et le genre féminin sont des éléments négligeables dans ce système. En effet, le calcul des indicateurs de croissance économique ne tient pas compte de ces deux éléments. Dans une optique post coloniale, les éco féministes du Sud dénoncent le modèle de développement imposé aux pays sous-développés à travers les programmes d’ajustement structurel. Ce modèle a progressivement remplacé les économies locales de subsistance (soutenues par les femmes), par des marchés d’exportation qui induisent l’industrialisation de l’agriculture. Cette nouvelle forme d’économie est plus destructrice de la nature et emploie davantage des hommes. Enfin, les nouvelles théories éco féministes remettent en cause la relation établie entre le genre et la nature fondée sur l’identité de femme et prônent plutôt une action politique et citoyenne.

Dans une posture légitimiste, les investisseurs peuvent adopter une approche institutionnelle dans le cadre de la responsabilité environnementale des banques. Cette dernière peut consister à inciter les managers à maintenir certaines apparences extérieures (écoblanchiment) ou à adopter véritablement un « management vert ». Dans cette optique, la culture managériale constitue un véritable catalyseur de responsabilité environnementale au sein des entreprises bancaires (Höllerer, 2013).

Allant dans le sens de la théorie de l’éthique environnementale[5], Kelbessa (2004) estime qu’on assiste à une réhabilitation de l’éthique environnementale traditionnelle dans les organisations africaines. Ce regain d’intérêt pour l’écologie naît de la fusion entre l’éthique environnementale indigène (ancrée dans les us et coutumes) et l’éthique environnementale moderne (véhiculée par les valeurs occidentales). Ainsi, les actionnaires africains bien qu’anthropologiquement écologiques, sont davantage portés vers la responsabilité environnementale grâce à une culture managériale occidentale qui galvaude l’écologie.

Toutefois, les recherches sur le management africain mettent en avant un ensemble de singularités. À ce propos, Croce (2018) évoque le caractère constructiviste de contexte qui se justifie par la nature évolutive et changeante des sociétés et des identités africaines. Bakengela Shamba et Livian (2014) mettent en avant le caractère hybride du management africain qui se traduit par les mélanges ou articulations entre management « importé » et pratiques locales. Bourgoin (1984) dans son approche culturaliste reconnaît l’importance des spécificités culturelles dans les pratiques de management et la difficulté de transposer le management africain en dehors de son contexte d’origine.

Revue des travaux empiriques

À la lecture des travaux empiriques en la matière, on observe que le contrôle actionnarial est divers. De même, le rôle modérateur des femmes et médiateur de la culture managériale occidentale restent à démontrer.

Un contrôle actionnarial divers et empiriquement controversé

Comparativement aux recherches sur le lien entre l’actionnariat et la performance (économique et financière), la responsabilité environnementale des actionnaires se singularise par un nombre assez limité de travaux empiriques.

Dans une recherche pionnière, Zahra et al. (1993), à partir d’un échantillon de 156 entreprises américaines, démontrent que la propriété institutionnelle influence positivement, mais non significativement la performance environnementale. Dans la même étude, ils concluent que la propriété managériale est positivement corrélée à la performance environnementale. Toujours en contexte américain, Craig et Dibrell (2006) remarquent que la propriété familiale affecte positivement la politique environnementale de 391 petites et moyennes entreprises. À l’opposé, les entreprises non familiales sont moins enclines à la protection de la nature. Dans une posture globalisante, Clark et Crawford (2012) démontrent à travers un échantillon de 109 firmes américaines cotées entre 2007 et 2008 que les entreprises réagissent favorablement à la pression des actionnaires relativement à la mise en place des politiques environnementales.

Toujours en contexte américain, Berrone et al. (2010) montrent à partir de 194 entreprises aux États-Unis que les firmes familiales développent de meilleures politiques environnementales pour des raisons « socio-émotionnelles ». Dans une optique de dépendance envers les ressources, Darnall et Edwards (2006) ont analysé l’influence de la structure de propriété sur la gestion des charges environnementales de 42 entreprises américaines. De cette recherche, il en ressort que les entreprises étatiques adoptent des charges écologiques élevées. Un résultat contraire est obtenu dans le cadre des firmes cotées.

En contexte européen, Calza et al. (2014) ont étudié l’impact de la propriété sur la proactivité environnementale de 778 entreprises européennes (Allemagne, France, Italie, Espagne, Suisse, Australie et Portugal) en 2012. Au final, cette recherche démontre que la propriété étatique est positivement et significativement corrélée à la proactivité des stratégies environnementales. De même, la propriété institutionnelle est négativement associée à la préservation des écosystèmes. Dans une recherche menée en République Tchèque, Earnhart et Lizal (2006) ont analysé le lien entre la structure de l’actionnariat et la responsabilité environnementale de 463 firmes entre 1993 et 1998 (1167 observations). Au terme d’une régression en données de panel, ils démontrent que les propriétés institutionnelles (banques et fonds d’investissement), étrangères et familiales (privées) affectent négativement le niveau de protection de la nature (niveau absolu d’émission). De même, la propriété étatique est positivement et significativement corrélée à la responsabilité environnementale.

Dans le contexte chinois, Li et Lu (2015) ont étudié l’effet de l’actionnariat sur les dépenses environnementales des 8 entreprises publiques les plus polluantes entre 2004 et 2010. Ainsi, ils montrent que les investisseurs institutionnels ont une préférence pour les entreprises publiques ayant des dépenses environnementales. Par ailleurs, ils concluent que la propriété institutionnelle affecte positivement et significativement les charges environnementales des entreprises publiques. A contrario, cette relation est non significative pour les firmes privées. Dans le même contexte, Wang et Jin (2007) ont étudié l’influence de la structure de l’actionnariat sur la performance environnementale de 842 entreprises observées en 1999. Ils concluent que les propriétés étatiques et familiales affectent de façon négative et non significative la performance environnementale. Bien plus, la propriété des collectivités locales et des investisseurs étrangers affecte significativement et négativement le niveau de protection de la nature.

Dans la même veine, Jiang et al. (2013), à travers 2486 entreprises observées entre 2006 et 2007, concluent que la part d’actions détenues par les investisseurs étrangers influence favorablement la performance environnementale. Sur ce dernier plan, les travaux de Vernon (1998) montrent que les investisseurs internationaux ou étrangers ont tendance à effectuer des activités polluantes dans les pays où les réglementations en matière environnementale sont laxistes. De la sorte, elles bénéficient des différences de régulation entre les pays où elles opèrent. Dans une vision antagoniste, Rappaport et Flaherty (1992) montrent que les multinationales ont tendance à autoréguler leur conduite en exportant les meilleures normes environnementales vers les pays où la réglementation est douce.

En contexte africain, Wahba (2010) démontre à travers un échantillon de 156 firmes égyptiennes en 2006, que la proportion de capital détenu par les institutionnels affecte positivement et significativement le niveau de responsabilité environnementale si les ressources financières sont disponibles et les opportunités d’investissement limitées. Pour cet auteur, les institutionnels égyptiens se servent de la responsabilité environnementale comme un outil de limitation du pouvoir discrétionnaire des managers.

De ce qui précède, on observe que l’opérationnalisation de la responsabilité environnementale est plurielle. Ainsi, on note une multitude de terminologie à l’instar de la performance environnementale (Wang et Jin, 2007), la proactivité environnementale (Calza et al., 2014) et les dépenses environnementales (Li et Lu, 2015), qui ne reflètent pas toujours la responsabilité environnementale des banques. De même, certaines recherches adoptent une posture globalisante (Clark et Crawford, 2012) ou monolithique (Berrone et al., 2010; Wahba, 2010) de l’actionnariat, occultant au passage la diversité des actionnaires et la pluralité de comportements qui en découlent. Ensuite, les organisations bancaires sont largement ignorées dans la littérature sus évoquée, nonobstant le rôle consacré des établissements financiers dans la préservation de l’environnement (Bouzidi et al., 2017; IFC, 2014; Megevand, 2013; Jo et al., 2015). Enfin, le continent africain est très peu illustré dans cette littérature (exception faite des travaux de Wahba, 2010 en Egypte).

Partant de ces observations et conformément aux préceptes du paradigme civique qui justifient la responsabilité environnementale, on postule que :

H: Les actionnaires (institutionnels, étatiques, familiaux, managériaux et étrangers) sont favorables à la responsabilité environnementale.

Un rôle modérateur des femmes à démontrer

La théorie des parties prenantes et le paradigme écoféministe mettent en avant l’idée d’un avantage féminin dans la préservation de l’environnement par les entreprises. Afin de vérifier cette assertion, Josée et al. (2013) ont analysé l’influence du genre dans la mise en place d’une politique de développement durable dans 433 Petites et Moyennes Entreprises (PME) au Canada. Au terme de cette étude, ils montrent que les femmes mieux que les hommes favorisent davantage les dimensions liées au développement durable dans leur management. Dans une posture similaire, Li et al. (2016) démontrent, à partir d’un échantillon de 865 entreprises américaines observées en 2010, que la diversité de genre au sein du conseil d’administration affecte positivement et significativement la performance environnementale. Un résultat similaire est établi par Kassinis et al. (2016) dans le même contexte avec 296 firmes observées entre 2008 et 2012.

Toutefois, on note une absence de littérature relativement au rôle modérateur des femmes dirigeantes sur la responsabilité écologique des actionnaires. Partant de cette observation et les présumées vertus écoféministes, on formule l’hypothèse suivante :

H: Les femmes dirigeantes modèrent favorablement le comportement des actionnaires écologiquement responsables.

Le rôle médiateur de la culture managériale occidentale

Suivant les postulats de la théorie de la légitimité, les organisations bancaires adhèrent à la responsabilité environnementale par souci de congruence aux normes sociétales. L’écologie étant à la mode, les banques ont tendance à s’y conformer afin d’éviter une mauvaise réputation. Toutefois, Höllerer (2013) démontre que les valeurs durables sont ancrées dans les cultures et notamment la culture occidentale. Selon Dickson et Den Hartog (2005), ces valeurs locales affecteraient les pratiques sociétales des entreprises. Cette hypothèse est empiriquement démontrée par Pinkston et Carroll (1996) qui concluent que la culture impacte significativement les pratiques de responsabilité sociétale des entreprises françaises, allemandes, japonaises, suédoises, suisses, anglaises et américaines. À partir d’un échantillon de plus de 1000 entreprises relevant de divers secteurs d’activités, Ringov et Zollo (2007) concluent que la culture d’entreprise affecte significativement le niveau de responsabilité environnementale des entreprises. Samarasinghe (2012) constate, à travers un échantillon de 250 consommateurs sri-lankais, que les valeurs culturelles affectent significativement la responsabilité environnementale des acheteurs.

Cependant, la littérature ne s’intéresse pas au rôle médiateur de la culture managériale occidentale sur la responsabilité environnementale des actionnaires. Partant de cette observation, on formule l’hypothèse suivante :

H: La culture occidentale joue un rôle médiateur sur les actionnaires écologiquement responsables.

Présentation de la méthodologie

Cette recherche s’appuie sur un échantillon de 42 banques multinationales disposant d’implantations sur le continent africain (bureaux de représentation, filiales, succursales et/ou banques affiliées). Afin de constituer cet échantillon, la méthode d’échantillonnage par choix raisonné a été privilégiée. En effet, partant d’une centaine de banques transfrontalières recensées par Beck et al. (2014, P.66), un échantillon de 42 groupes bancaires a été retenu sur la base de la disponibilité des informations. Le choix de cette catégorie de banques se justifie par leur importance dans la finance africaine. En effet, ces entreprises contrôlent plus de 70 % du marché bancaire et représentent près de 80 % des actifs financiers en Afrique (NEPAD-OCDE, 2009). À travers des investissements transnationaux et trans-sectoriels, (banque, assurance, microfinance, crédit-bail et métier de bourses), ces entités dominent le marché de la finance en Afrique.

Afin de mieux capter les spécificités managériales locales et suivant la disponibilité des données, cet échantillon comprend 3 banques originaires d’Afrique de l’Ouest, 2 banques de l’Afrique Centrale, 7 banques maghrébines, 8 banques nigérianes, 4 banques d’Afrique de l’Est, 3 banques de l’Afrique Australe, 7 banques sud-africaines et 8 banques occidentales. Le choix de considérer les banques occidentales se justifie par leur poids considérable dans le paysage bancaire africain (Beck et al., 2014). De même, la région d’origine de la banque se fonde sur la classification de Beck et al. (2014)[6].

Les données relatives aux banques multinationales proviennent des rapports annuels téléchargés sur les sites web des entreprises. La période de l’étude va de 2005 à 2014. L’année 2005 correspond au lancement des principales initiatives en matière de responsabilité environnementale (PNUE, GRI, Equator Principles, l’initiative du Réseau Banktrack, etc.).

Le traitement des données collectées s’est fait en deux temps à savoir : une « régression multiple modérée » (Aiken et West, 1991) et une estimation par la méthode des « différences des coefficients » (MacKinnon et al., 2002) en raison de la prise en compte des effets modérateur (genre) et médiateur (culture occidentale) dans le modèle.

S’agissant de la régression multiple modérée, elle s’est faite par une régression en données de panel non cylindrée. Pour cela, les tests de Fisher, de Hausman et de Breusch-Pagan ont permis de déceler respectivement d’éventuels effets communs, fixes et ou aléatoires. En cas de problème d’hétéroscédasticité des résidus ou d’autocorrélation des erreurs dans le modèle, une estimation par la méthode des moindres carrés généralisés ou celle de White est effectuée. Suivant les travaux d’Aiken et West (1991), le modèle employé s’écrit comme suit.

resenvi t = a0 + b1 X i t + b2 genre i t + b3 X i t *genre i t + ε i t.
resenvi t = responsabilité environnementale de la banque i à la période t
X i t = actionnaire banque i (institut, état, famille, salarié et étranger) à la période t;
genre i t= variable modératrice ou genre de la banque i à la période t
X i t *genre i t = variable centrale (produit des variables X et genre)
a et b = les coefficients de corrélation; ε = le résidu.

Afin de tester le rôle médiateur de la culture occidentale (culture), la méthode des « différences des coefficients » de MacKinnon et al. (2002) a été privilégiée. Cette dernière consiste à comparer les coefficients de régression avant (R2) et après l’introduction de la variable médiatrice (R2 « ). Ainsi, une augmentation de la valeur du coefficient de régression traduirait un effet médiateur.

Cette recherche comporte donc une variable dépendante, cinq variables indépendantes, une variable modératrice ainsi qu’une variable médiatrice.

La variable dépendante de cette étude est la responsabilité environnementale (resenv). Elle est appréciée par la moyenne des mesures vertes mises en place par un groupe bancaire au cours d’une année. Ainsi, une liste de 20 items contenus dans le tableau 1, sert de référentiel. Cette grille d’analyse est fiable d’un point de vue de l’alpha de Crombach à hauteur de 0,874. Les éléments de ce tableau sont inspirés de Canadian Bankers Association (2014) et des travaux de Sali Sheikh (2014) au Kenya. Une opérationnalisation similaire est proposée par Li et al. (2016).

Tableau 1

Items relatifs à la responsabilité environnementale

Items relatifs à la responsabilité environnementale
Source : auteur, inspiré de Canadian Bankers Association (2014) et Sali Sheikh (2014)

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Dans le cadre de cette recherche, les variables indépendantes institut, état, famille, salarié et étranger désignent respectivement la proportion de capital détenu par les actionnaires institutionnels, étatiques, familiaux, salariés et étrangers.

Au titre de variable modératrice, on considère le genre ou les femmes dirigeantes (genre). Cette variable est opérationnalisée par la proportion de femmes au sein de l’équipe dirigeante d’une banque multinationale. La littérature éco féministe postule à cet effet que les femmes ont des prédispositions naturelles à préserver l’environnement.

Enfin, la variable médiatrice considérée est la culture managériale occidentale (culture). Elle est mesurée par une variable binaire prenant la valeur 1 si la banque multinationale considérée est d’origine occidentale (suivant la classification de Beck et al., 2014) et la modalité 0 au cas contraire. La théorie de l’éthique environnementale souligne que la culture managériale occidentale aurait tendance à stimuler la responsabilité environnementale des organisations africaines anthropologiquement écologiques.

Le tableau 2 fait une synthèse des variables.

Tableau 2

Synthèse des variables de l’étude

Synthèse des variables de l’étude
Source : auteur

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Analyse et présentation des résultats

A la suite de la méthodologie, le traitement des données au travers de l’analyse descriptive consacre une sous-appropriation des « valeurs vertes » et un actionnariat diversifié. De l’analyse multi variée, on retient une responsabilité écologique fonction de la nature de l’actionnaire.

D’une sous-appropriation des « valeurs vertes » à un actionnariat diversifié

Le tableau 3 fait une synthèse des statistiques descriptives et de la colinéarité entre les variables indépendante, médiatrice et modératrice.

Tableau 3

Synthèse des statistiques descriptives et de la colinéarité entre variables

Synthèse des statistiques descriptives et de la colinéarité entre variables
Source : auteur

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À la lecture du tableau 3, on constate une faible moyenne de responsabilité environnementale des banques multinationales en Afrique (resenv = 35.1 %). Cette tendance est généralisable en raison de la concentration de l’écart type de cette variable (0,264). Ceci traduit un moindre engagement écologique des organisations bancaires en Afrique. Cet état de fait peut se justifier par une sous appropriation des valeurs managériales vertes ou l’absence d’une culture écologique au sein des groupes bancaires implantés sur le continent africain. L’essor de l’écologie au sein des banques en Afrique (constaté plus haut) ne serait donc que de l’éco blanchiment ou greenwashing. Dans une posture similaire, Sali Sheikh (2014) récuse un cadre réglementaire moins propice à la protection de l’environnement et un désintéressement des banques aux questions écologiques.

Concernant les formes de propriété, on constate une prédominance de l’actionnariat institutionnel (moyenne institut = 36,1 %) comparativement aux autres formes de propriété. La concentration de l’écart type de cette variable augure une généralisation du phénomène. Au sens de Ginglinger (2002), cette situation traduit l’internationalisation des activités des institutionnels à partir des années 2000. En effet, dans le cadre de la diversification de leur portefeuille et face au resserrement des marchés occidentaux, cette catégorie d’actionnaires a opté pour l’internationalisation des activités.

L’expansion de l’actionnariat institutionnel se justifie également par les crises des années 90 qui ont induit un désengagement des États africains et le développement de l’actionnariat privé ou familial. Ainsi, face aux difficultés financières, beaucoup d’États ont cédé une partie de leurs actions aux investisseurs privés. C’est la raison pour laquelle les statistiques descriptives démontrent que les propriétés familiales (moyenne famille = 21,8 %) et étrangères (moyenne étranger = 18 %) sont respectivement la deuxième et la troisième forme d’actionnariat la plus répandue de l’échantillon. De même, la faible propriété étatique (état) manifeste le désengagement des États. On observe aussi une faible moyenne de la propriété salariale (salarié). Ceci traduit un moindre alignement des intérêts des salariés à ceux des actionnaires et une réglementation moins favorable à cette forme d’actionnariat.

Le tableau 3 montre également une faible moyenne des femmes dirigeantes au sein des banques multinationales en Afrique (genre = 13,9 %). Ceci traduit la sous-représentation des femmes au sein des instances dirigeantes des banques. On peut imputer cela aux valeurs culturelles africaines qui tendent à discriminer les femmes. On remarque également une faible présence des banques occidentales au sein de notre échantillon (avec une moyenne de 19 %) et la concentration de l’écart type de cette variable conforte cette conclusion. Selon Beck et al. (2014), cette situation traduit le désengagement des banques occidentales sur le continent africain depuis la crise des Subprimes.

Les statistiques démontrent enfin une absence de colinéarité entre les variables indépendantes, médiatrice et modératrice, car aucune modalité n’excède la valeur 0.7.

Vers une responsabilité écologique fonction de la nature de l’actionnaire

Le tableau 4 présente les résultats économétriques obtenus grâce au logiciel Stata 12.

Tableau 4

Synthèse des analyses économétriques

Synthèse des analyses économétriques

*, **, *** différence significative respectivement au seuil de 10 %, 5 % et 1 %

Source : auteur

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À la lecture de ce tableau, on constate que le modèle employé est à effets communs. Ceci permet d’établir une similarité des comportements des investisseurs face aux questions écologiques dans l’échantillon. De même, on note l’existence des problèmes d’hétéroscédasticité des résidus et d’autocorrélation des erreurs dans le modèle, car le Chi 2 de Breush-Pagan et Chi 2 de Breusch-Godfrey sont tous significatifs. Pour y remédier, une estimation par la méthode White a été effectuée en raison de la présence d’effets communs dans le modèle économétrique.

Bien plus, on note que le R2 est significatif à un seuil de 1 %. Dès lors, on conclut que les actionnaires affectent considérablement le niveau de responsabilité environnementale des banques multinationales en Afrique. Ce résultat corrobore les postulats des théories civiques et les recherches de Clark et Crawford (2012) qui démontrent à travers un échantillon de 109 firmes américaines cotées (S&P 500) entre 2007 et 2008 que les entreprises réagissent favorablement à la pression des actionnaires relativement à la mise en place des politiques environnementales. Toutefois, l’analyse des résultats des variables secondaires révèle un degré de responsabilité environnementale fonction de la nature de l’investisseur.

Ainsi, on note que la propriété institutionnelle affecte de façon positive et significative à un seuil de 1 %, le niveau de responsabilité environnementale des banques multinationales en Afrique. Ce résultat corrobore la première hypothèse et les postulats des théories civiques. Un rapprochement peut être fait avec les travaux de Zahra et al. (1993) aux États-Unis ainsi que Wahba (2010) en Egypte. Sur le plan pratique, on conclut que face à la montée en puissance du mouvement écologique, les institutionnels adhèrent à la responsabilité environnementale en contraignant ou en incitant les managers à une meilleure protection de la nature. De même, ces acteurs se servent le plus souvent de la responsabilité environnementale pour limiter le pouvoir discrétionnaire des managers (Wahba, 2010). Dans une optique cognitiviste, on peut dire que la diversification du portefeuille de ces actionnaires induit l’acquisition d’une connaissance environnementale qui est alors transférée à l’ensemble des investissements.

À l’opposé, on observe que la propriété étatique affecte négativement et significativement à un seuil de 1 % l’engagement écologique des groupes bancaires en Afrique. Ce résultat est contraire au cadre théorique de cette recherche. Des conclusions similaires sont établies par Wang et Jin (2007) en Chine. D’un point de vue pratique, on peut justifier ce résultat par la faible part de l’actionnariat étatique (en raison du désengagement des États africains dans le secteur financier) qui implique un moindre contrôle environnemental. Conformément au postulat de la théorie de la discipline de marché, l’hypothèse d’un laxisme actionnarial n’est pas à exclure. En effet, les investisseurs sont plus préoccupés par les enjeux financiers qu’écologiques. Ils possèdent le plus souvent un portefeuille diversifié (ainsi l’engagement écologique est moindre d’une banque à une autre). Enfin, ils se comportent parfois en passagers clandestins (dans le cadre des grandes banques comme les groupes bancaires) et sont souvent sous le prisme de l’effet « too big to fail ».

Les analyses économétriques démontrent également que la propriété familiale impacte positivement et significativement à un seuil de 5 % la responsabilité écologique des banques multinationales en Afrique. Cette conclusion valide la première hypothèse de cette recherche et conforte les enseignements des théories civiques. Un constat analogue est établi par Craig et Dibrell (2006) ainsi que Berrone et al. (2010) aux États-Unis. D’un point de vue pratique, Calza et al. (2014) remarquent que les investisseurs familiaux sont généralement proches des communautés auxquelles ils appartiennent et de ce fait protègent mieux leur biosphère. Leur image étant généralement associée aux firmes qu’ils contrôlent, ils s’engagent le plus souvent dans des activités écologiques afin d’éviter une mauvaise réputation potentiellement désastreuse pour la performance.

Dans la même perspective, on constate que la propriété managériale est positivement et significativement corrélée (à un seuil de 1 %) au niveau de responsabilité environnementale des groupes bancaires en Afrique. Cette conclusion corrobore les préceptes des théories civiques ainsi que la première hypothèse. Dans la littérature, un rapprochement peut être fait avec les travaux de Zahra et al. (1993) aux États-Unis ainsi que Jiang et al. (2013) en Chine. Ainsi, on peut dire que les actionnaires dirigeants s’investissent dans les questions environnementales afin d’améliorer leur capital réputationnel et in fine être mieux cotés sur le marché. Bien plus, cette catégorie d’investisseurs voit en la responsabilité environnementale une opportunité financière, notamment avec le développement des services financiers verts sur le continent africain (banque en ligne, banque mobile, guichets à billets, épargne verte, etc.). Dans la même lignée, les comportements écologiques (usage des téléconférences, réduction de la consommation d’eau, d’énergie, du papier, etc.) induisent une réduction des charges financières; toute chose qui incite les actionnaires-dirigeants à plus de responsabilité environnementale.

À l’opposé, les analyses économétriques montrent que la propriété étrangère affecte négativement le niveau de responsabilité écologique des banques en Afrique. Ce résultat est contraire aux prédictions (cadre théorique). Dans la littérature, l’influence néfaste des investisseurs étrangers est démontrée par Wang et Jin (2007) en Chine. Allant dans le même sens, Vernon (1998) démontre que les multinationales bénéficient des différences de régulation entre les pays où elles opèrent. Ainsi, elles polluent davantage (et notamment à travers des crédits aux industries polluantes) dans les régions où la législation environnementale est moins développée comme en Afrique.

On constate également que les femmes dirigeantes modèrent positivement le comportement des actionnaires écologiquement responsables en Afrique, car la variable centrale (X*genre) est significative. Un rapprochement peut être fait avec les recherches empiriques de Josée et al. (2013) au Canada ainsi que Li et al. (2016) en Chine. Ce résultat est conforme à la deuxième hypothèse et les postulats éco féministes soutenant l’idée d’un avantage féminin dans la préservation de la nature. À ce propos, les éco féministes biologiques postulent que les femmes par instinct de maternité sont plus protectrices de l’environnement que les hommes. À titre illustratif, les éco féministes sociales estiment que le système capitaliste actuel, parce qu’essentiellement patriarcal, est davantage porté vers la destruction des écosystèmes. Dans la même mouvance, les éco féministes du Sud récusent le modèle de développement des pays du tiers monde largement basé sur les programmes d’ajustement structurel, car ce modèle a progressivement remplacé les économies locales de subsistance (soutenues par les femmes), par des marchés d’exportation (essentiellement patriarcal) qui induisent l’industrialisation de l’agriculture et de facto plus de pollution.

Le tableau 4 montre enfin une « différence » ou une variation positive entre les coefficients R2 (sans la variable médiatrice « culture ») et R2 après l’intégration de la variable médiatrice « culture ». Sur la base des travaux de MacKinnon et al. (2002), on déduit qu’il existe une variable médiatrice dans le modèle. De la sorte, on peut dire que la culture managériale occidentale joue un rôle médiateur dans le comportement des actionnaires écologiquement responsables. Cette conclusion conforte la troisième hypothèse de cette recherche ainsi que le postulat de la théorie de la légitimité. Un parallèle peut être fait avec les travaux empiriques de Pinkston et Carroll (1996), Ringov et Zollo (2007) ainsi que Samarasinghe (2012). Allant dans le sens de Kelbessa (2004), on conclut que les investisseurs africains, bien qu’anthropologiquement écologiques, bénéficient d’une connaissance environnementale incrémentale à travers l’internationalisation des investissements bancaires. C’est dans cette optique que ce dernier auteur parle d’une réhabilitation de l’éthique environnementale.

Conclusion

Dans un contexte africain où les besoins écologiques sont manifestes et le contrôle environnemental des actionnaires consacré, la présente recherche se propose d’analyser l’influence de l’actionnariat sur le niveau de responsabilité environnementale des banques en Afrique en considérant les femmes dirigeantes comme une variable modératrice et la culture occidentale comme une variable médiatrice.

De la sorte, un échantillon de 42 banques multinationales implantées sur le continent africain entre 2005 et 2014 est sélectionné sur la base de la disponibilité de l’information. Les données employées émanent des rapports annuels et sont traitées par une régression en données de panel non cylindrée.

Au terme de cette recherche, il apparaît globalement qu’en Afrique, les actionnaires affectent significativement le niveau de responsabilité environnementale des banques multinationales. Toutefois, l’analyse de la nature de l’actionnariat démontre que les investisseurs étrangers et étatiques influencent négativement la responsabilité environnementale des groupes bancaires sur le continent. Bien plus, les propriétés institutionnelles, familiales et managériales influencent positivement et considérablement l’engagement environnemental des banques transfrontalières en Afrique. Enfin, les femmes-dirigeantes modèrent positivement le comportement des actionnaires écologiquement responsables tandis que la culture managériale occidentale joue un rôle médiateur.

À titre de recommandations, les gouvernements et les organisations internationales devraient inciter les organisations bancaires à une plus grande responsabilité environnementale en Afrique. En effet, les statistiques démontrent une sous-appropriation des valeurs managériales vertes au sein des banques transfrontalières d’origine africaine. À ce titre, le développement d’un cadre réglementaire idoine ainsi qu’une plus grande promotion de la finance verte en seraient des initiatives louables. Au regard de la sous-représentation des femmes au sein des instances dirigeantes des banques ainsi que leur rôle modérateur, il serait opportun de promouvoir plus de diversité de genre au sein des organisations bancaires.

En guise de perspective de recherches, les travaux futurs devraient explorer l’influence d’autres formes de propriété (majoritaire, minoritaire, salariale, etc.) sur la responsabilité environnementale des banques. De même, le rôle des instances de régulation des banques devrait davantage être mis en exergue dans le cadre de la responsabilité environnementale des organisations bancaires en Afrique.